La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/01/2021 | FRANCE | N°19MA02633

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre, 26 janvier 2021, 19MA02633


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision implicite de la Métropole d'Aix-Marseille Provence refusant de faire droit à ses demandes d'effectuer les travaux nécessaires et de réparer ses préjudices, d'enjoindre à la métropole de faire poser un brise-vue sous astreinte, et de la condamner à lui verser 6 000 euros en réparation de son préjudice de jouissance.

Par un jugement n° 1607828 du 2 mai 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa dem

ande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 11 juin 2019, M....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision implicite de la Métropole d'Aix-Marseille Provence refusant de faire droit à ses demandes d'effectuer les travaux nécessaires et de réparer ses préjudices, d'enjoindre à la métropole de faire poser un brise-vue sous astreinte, et de la condamner à lui verser 6 000 euros en réparation de son préjudice de jouissance.

Par un jugement n° 1607828 du 2 mai 2019, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 11 juin 2019, M. C... D..., représenté par Me G..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille ;

2°) d'annuler la décision implicite de la Métropole Aix-Marseille Provence refusant d'effectuer les travaux nécessaires et de réparer ses préjudices concernant le brise-vue ;

3°) d'annuler la décision implicite de rejet de la Métropole Aix-Marseille Provence d'effectuer les travaux nécessaires et de réparer ses préjudices concernant le ruissellement des eaux ;

4°) de condamner la Métropole Aix-Marseille Provence à lui verser la somme de

17 000 euros en réparation de la perte de jouissance de sa propriété ;

5°) d'enjoindre à la Métropole Aix-Marseille Provence de poser un brise-vue le long du boulevard Pierre Dramard au niveau de sa parcelle ;

6°) d'enjoindre à la Métropole Aix-Marseille Provence de réaliser les travaux nécessaires pour faire cesser le ruissellement provenant du collecteur d'eaux usées implanté derrière le mur de sa propriété sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

7°) de mettre à la charge de la Métropole Aix-Marseille Provence une somme de

3 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- ses demandes à fin d'injonction portant sur la pose d'un brise-vue et de mettre fin aux désordres affectant le collecteur d'eaux usées sont recevables dès lors qu'elles assortissent ses demandes d'annulation des décisions implicites de rejet refusant de faire droit à ses prétentions ;

- les troubles liés à la présence de la voie publique que constitue le boulevard Dramard entraînent la responsabilité sans faute de la Métropole Aix-Marseille Provence ;

- ses préjudices de jouissance sont justifiés.

Par un mémoire enregistré le 9 juillet 2020, la Métropole Aix-Marseille Provence, représentée par Me F..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de

M. D... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La Métropole fait valoir à titre principal qu'aucune décision implicite de rejet n'a été prise avant que le tribunal administratif de Marseille ne statue sur la requête de M. D... ; ainsi les conclusions de M. D... tendant à ordonner la réalisation de travaux qui présentent un caractère injonctif sont irrecevables ; M. D... n'a présenté aucune demande portant sur le ruissellement des eaux usées, mais uniquement sur les préjudices liés au vis-à-vis et aux jets de projectiles ; au surplus, les moyens de M. D... sont infondés.

Une ordonnance du 2 juin 2020 a clos l'instruction au 3 août 2020.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

- et les observations de Me E..., substituant Me F..., représentant la Métropole Aix-Marseille Provence.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... est propriétaire d'une maison à usage d'habitation implantée sur une parcelle de 800 m², dans le 15ème arrondissement de la ville de Marseille, dont le mur du fond de jardin est mitoyen avec l'assiette du boulevard Pierre Dramard. En juillet 2013, la communauté urbaine de Marseille a aménagé l'accès à l'hôpital nord et a supprimé une haie d'arbres par un mur de 5 mètres de hauteur constitué en gabions pour soutenir la voie publique. Estimant subir des préjudices du fait de la proximité de cette voie, le requérant a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la Métropole Aix-Marseille Provenance venant aux droits de la communauté urbaine, sur le fondement de la responsabilité sans faute du maître de l'ouvrage public à l'égard des tiers, à lui verser la somme de 6 000 euros, portée en cours d'instance à 17 000 euros, à titre de réparation de son préjudice de jouissance, et d'enjoindre à la collectivité publique de faire poser un brise-vue le long du boulevard en cause au niveau de sa parcelle. Par un courrier réceptionné le 2 novembre 2017 par la métropole, M. D... l'a également sollicitée afin d'effectuer les travaux nécessaires pour mettre fin aux ruissellements provenant d'un collecteur d'eaux usées. M. D... fait appel du jugement n° 1607828 du

2 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête.

Sur les fins de non-recevoir :

En ce qui concerne la recevabilité de la demande indemnitaire et en injonction présentée en première instance :

2. En vertu de l'article L. 421-1 du code de justice administrative alors applicable : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient avant l'expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours. La date du dépôt de la demande à l'administration, constatée par tous moyens, doit être établie à l'appui de la requête ".

3. Il résulte de l'instruction, que par une requête introductive d'instance enregistrée au greffe du tribunal administratif de Marseille le 30 septembre 2016, M. D... a demandé la réparation des préjudices subis du fait de la présence du boulevard Pierre Dramard, et la mise en place d'un brise-vue et par une demande préalable du 18 octobre 2017, notifiée le

2 novembre 2017, M. D... a demandé à la métropole de mettre fin sous astreinte aux ruissellements des eaux provenant du collecteur d'eau. Si la Métropole Aix-Marseille-Provence oppose l'irrecevabilité aux conclusions à fin d'injonction, les conclusions de M. D... tendant à l'indemniser des préjudices subis en raison de la modification de la voie publique présentées à titre principal ont lié le contentieux indemnitaire ainsi que ses demandes accessoires tendant au prononcé d'injonctions qui y sont associées. Dans ces conditions, la Métropole Aix-Marseille-Provence n'est pas fondée à soutenir que les conclusions présentées par l'intéressé étaient irrecevables en première instance.

En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :

4. La décision implicite de rejet de la Métropole Aix-Marseille-Provence refusant de faire droit aux demandes de M. D... d'effectuer les travaux nécessaires et de réparer les préjudices a eu pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet des demandes du requérant qui, en formulant des conclusions indemnitaires, a donné à sa requête le caractère d'un recours de plein contentieux. Par suite, les conclusions de M. D... tendant à l'annulation de cette décision doivent être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité :

5. La responsabilité du maître d'un ouvrage public peut être engagée, même sans faute, à l'égard des demandeurs tiers par rapport à cet ouvrage public. La victime doit toutefois apporter la preuve de la réalité des préjudices qu'elle allègue avoir subis et de l'existence d'un lien de causalité entre l'ouvrage public et lesdits préjudices, qui doivent en outre présenter un caractère anormal et spécial. Ne sont pas susceptibles d'ouvrir droit à indemnité les préjudices qui n'excèdent pas les sujétions susceptibles d'être normalement imposées, dans l'intérêt général, aux riverains des ouvrages publics.

6. Premièrement, M. D... soutient que la présence du boulevard Pierre Dramard constitue un dommage permanent dans la mesure où la voie située en surplomb de sa propriété autorise aux passants des vues plongeantes sur son jardin. Il résulte de l'instruction que si cet ouvrage longeait déjà la propriété de M. D... qui était située en contrebas de cette voie, c'est bien l'aménagement de l'accès à l'hôpital nord qui a modifié l'assiette du boulevard, qui s'est ainsi rapprochée des limites de la propriété de l'intéressé. L'aménagement de ce boulevard a dévoilé à la vue l'habitation de l'intéressé dont la propriété n'est plus masquée par les arbres de taille adulte qui existaient avant les travaux. Par suite, compte tenu de la situation qui était celle de la propriété du requérant avant la réalisation d l'aménagement, les inconvénients invoqués excèdent ceux qui résultent normalement du voisinage de cet ouvrage public.

7. Deuxièmement, il résulte de l'instruction que, depuis l'aménagement en 2014 du boulevard Pierre Dramard, le jardin de M. D... est devenu visible à partir de la route malgré la pose d'une barrière en remplacement du garde-corps prévu par le marché public afin d'éloigner les passants du mur en gabions. Dans ces conditions, M. D... est fondé à se plaindre d'un préjudice de jouissance tiré de la privation normale de l'agrément de son jardin.

8. Troisièmement, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal, que les eaux vannes ne s'écoulaient plus normalement du fait de la construction du mur en gabions près de deux collecteurs d'égouts. S'il est constant qu'en avril 2014, le service est intervenu pour remédier aux désordres constatés,

M. D... démontre, notamment par la production d'un constat d'huissier du 2 octobre 2017, que des eaux ruissellent toujours depuis le collecteur des eaux usées situés derrière le mur de sa propriété et se répandent sur son terrain. Ainsi, il établit le trouble provoqué par le ruissellement des eaux usées, lequel présente le caractère d'un préjudice anormal et spécial lié à la présence de la voie publique.

9. Quatrièmement, à la suite du signalement par M. D... de jets de pierres dans son jardin, issues du mur en gabions, la collectivité publique a renforcé le grillage afin que des pierres ne puissent plus se désolidariser de l'ensemble du mur. Cependant, le passage de piétons sur la voie publique correspond à un usage normal de celle-ci. Ainsi, M. D... qui n'a pas placé sa demande sur le fondement du défaut d'usage par l'autorité administrative de son pouvoir de police administrative, n'est pas fondé à rechercher la réparation des projections sporadiques d'objets autres que des pierres issues du mur qui persistent vers sa parcelle, tel que le jet d'une barre de fer. Ces faits sont sans rapport direct avec l'existence même de l'ouvrage public.

En ce qui concerne les préjudices :

10. Il résulte de tout ce qui vient d'être dit, que M. D... établit subir un préjudice de jouissance de sa propriété qui sera justement évalué à la somme de 10 000 euros, établi d'après la différence résultant de la comparaison de la location d'une villa avec jardin avec la prise à bail d'une habitation sans extérieur, estimée à 195 euros sur une période de huit années correspondant à une durée allant du début des travaux, en 2014, jusqu'à la date de lecture du présent arrêt. Par suite, la métropole Aix-Marseille Provence devra verser à ce titre à M. D... une somme de 10 000 euros.

11. Il résulte de tout ce qui vent d'être dit que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions indemnitaires, et à en demander l'annulation.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. Lorsque le juge administratif condamne une personne publique responsable de dommages qui trouvent leur origine dans l'exécution de travaux publics ou dans l'existence ou le fonctionnement d'un ouvrage public, il peut, saisi de conclusions en ce sens, s'il constate qu'un dommage perdure à la date à laquelle il statue du fait de la faute que commet, en s'abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets, la personne publique, enjoindre à celle-ci de prendre de telles mesures. Pour apprécier si la personne publique commet, par son abstention, une faute, il lui incombe, en prenant en compte l'ensemble des circonstances de fait à la date de sa décision, de vérifier d'abord si la persistance du dommage trouve son origine non dans la seule réalisation de travaux ou la seule existence d'un ouvrage, mais dans l'exécution défectueuse des travaux ou dans un défaut ou un fonctionnement anormal de l'ouvrage et, si tel est le cas, de s'assurer qu'aucun motif d'intérêt général, qui peut tenir au coût manifestement disproportionné des mesures à prendre par rapport au préjudice subi, ou aucun droit de tiers ne justifie l'abstention de la personne publique. En l'absence de toute abstention fautive de la personne publique, le juge ne peut faire droit à une demande d'injonction, mais il peut décider que l'administration aura le choix entre le versement d'une indemnité dont il fixe le montant et la réalisation de mesures dont il définit la nature et les délais d'exécution.

13. D'une part, compte-tenu de la persistance des désordres, le présent arrêt implique que la Métropole Aix-Marseille-Provence pose un brise-vue au droit de la propriété de M. D..., dans le délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

14. D'autre part, compte-tenu de la persistance des désordres, le présent arrêt implique également que la Métropole Aix-Marseille-Provence procède aux travaux nécessaires pour mettre fin aux problèmes d'évacuation des eaux usées des deux collecteurs d'égouts visés au point 5, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais d'expertise :

15. Par une ordonnance du 22 septembre 2015, les frais et honoraires de l'expertise de M. B... ont été taxés et liquidés à la somme de 3 538, 44 euros TTC. Il y a lieu de laisser ces frais d'expertise à la charge définitive de la Métropole d'Aix-Marseille-Provence.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Les dispositions de cet article font obstacle à ce que M. D..., qui n'est pas la partie perdante au litige, soit condamnée à verser quelque somme que ce soit à la Métropole Aix-Marseille-Provence au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la Métropole Aix-Marseille-Provence à verser à

M. D... la somme de 2 000 euros au titre de ces dispositions .

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1607828 du tribunal administratif de Marseille est annulé.

Article 2 : La Métropole Aix-Marseille-Provence versera la somme de 10 000 euros à M. D... au titre du préjudice de jouissance de sa propriété.

Article 3 : Il est enjoint à la Métropole Aix-Marseille-Provence de poser un brise-vue le long du boulevard Pierre Dramard au droit de la propriété de M. D..., dans le délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Il est enjoint à la Métropole Aix-Marseille-Provence de procéder aux travaux nécessaires pour mettre fin aux problèmes d'évacuation des eaux usées des deux collecteurs d'égouts visés au point 5 de la présente décision, dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt.

Article 5 : Les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 3 538, 44 euros TTC sont mis à la charge définitive de la Métropole d'Aix-Marseille-Provence.

Article 6 : La Métropole Aix-Marseille-Provence versera à M. D... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D... est rejeté.

Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et à la Métropole Aix-Marseille Provence.

Délibéré après l'audience du 12 janvier 2021, où siégeaient :

- M. Badie, président,

- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,

- M. A..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 janvier 2021.

2

N° 19MA02633


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA02633
Date de la décision : 26/01/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-02-02-03 Travaux publics. Règles communes à l'ensemble des dommages de travaux publics. Régime de la responsabilité. Qualité de tiers.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: M. Didier URY
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : REYNAUD

Origine de la décision
Date de l'import : 09/02/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-01-26;19ma02633 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award