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12/04/2021 | FRANCE | N°18MA04362

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 12 avril 2021, 18MA04362


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Atoll Finances a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune de Digne-les-Bains à lui verser la somme de 194 170 euros au titre de l'enrichissement sans cause dont a bénéficié cette commune à raison de la nullité du contrat de concession du casino municipal, ainsi que la somme de 21 402 411 euros au titre de la responsabilité quasi-délictuelle en raison des fautes ayant entaché la procédure de passation de ce contrat.

Par un jugement n° 1400767 du 27 juill

et 2018, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Atoll Finances a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune de Digne-les-Bains à lui verser la somme de 194 170 euros au titre de l'enrichissement sans cause dont a bénéficié cette commune à raison de la nullité du contrat de concession du casino municipal, ainsi que la somme de 21 402 411 euros au titre de la responsabilité quasi-délictuelle en raison des fautes ayant entaché la procédure de passation de ce contrat.

Par un jugement n° 1400767 du 27 juillet 2018, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 27 septembre 2018, la société Atoll Finances, représentée par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille ;

2°) de condamner la commune de Digne-les-Bains à lui verser la somme de 21 596 581 euros au titre de la responsabilité quasi-délictuelle ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Digne-les-Bains la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a exposé des dépenses utiles au bénéfice de la commune de Digne-les-Bains et doit en être indemnisée dès lors qu'elles se sont traduites par un enrichissement sans cause de la commune ;

- la nullité du contrat résulte d'une faute de la commune, de telle sorte qu'elle doit être indemnisée de la perte de bénéfice découlant de l'absence d'exécution du contrat ainsi que des dépenses exposées en vue de la conclusion du contrat et pour son exécution ;

- elle n'a commis aucune faute.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 janvier 2019, la commune de Digne-les-Bains, représentée par Me F..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 48 000 euros soit mise à la charge de la société Atoll Finances en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la société Atoll Finances ayant été radiée du registre du commerce et des sociétés, elle n'a plus la capacité d'agir en justice ;

- le contrat ayant été annulé par le jugement du tribunal du 21 mai 2008, la créance de la société était prescrite, en vertu des dispositions de l'article 2224 du code civil, lorsqu'elle a sollicité l'indemnisation de son préjudice ;

- cette créance était également prescrite du fait de la prescription quadriennale posée par la loi du 31 décembre 1968 ;

- cette créance est également prescrite en vertu de la prescription quinquennale applicable aux commerçants aux termes de l'article L. 210 du code de commerce ;

- la société n'ayant pas présenté de réclamation préalable avant de saisir le tribunal, sa demande était irrecevable ;

- à supposer qu'ils constituent des demandes préalables, les courriers adressés à la commune avant la saisine du tribunal ne portent que sur un montant situé entre 1,8 million et

3,5 millions d'euros et ne concernant que les dépenses hors candidature et offre, de telle sorte que les autres demandes présentées au tribunal sont irrecevables ;

- la commune n'a pas consenti à l'engagement des dépenses engagées par la société Atoll Finances, de telle sorte que la demande présentée par la société au titre de la responsabilité quasi-contractuelle doit être rejetée ;

- le contrat ne devait prendre effet, en vertu de son article 2, qu'à la notification de l'autorisation d'exploitation des jeux délivrée par le ministre de l'intérieur, de telle sorte qu'il n'est pas entré en vigueur et que le début d'exécution révèle une imprudence fautive de la requérante, de même que sa prolongation au-delà du courrier de la commune lui demandant l'arrêt de l'exploitation ;

- le contrat ayant été conclu sous condition suspensive de l'obtention d'une autorisation d'exploitation et d'un agrément des membres du comité de direction chargés de l'exploitation, qui n'ont jamais été obtenus, il n'ouvrait aucun droit à la requérante et son préjudice est purement éventuel ;

- faute d'obtention des autorisations et agréments nécessaires, le contrat était caduc à la date du 6 octobre 2008 ;

- la société a commis une faute en poursuivant l'exécution du contrat au-delà du 19 novembre 2017 alors que la commune lui a demandé à cette date de suspendre l'exécution du contrat ;

- la société Atoll Finances s'est livrée à des manoeuvres dolosives qui ont vicié le consentement de la commune, de telle sorte qu'elle n'a droit à aucune indemnité ;

- les dépenses invoquées par la société Atoll Finances ne se sont traduites par aucun enrichissement de la commune et ne lui sont pas utiles dès lors que le projet a été abandonné ;

- l'illégalité du contrat est la conséquence exclusive des manoeuvres de la société requérante ;

- les pièces produites n'établissent pas le préjudice subi par la société ;

- la perte de marge nette est purement éventuelle dès lors qu'il n'est établi, ni que l'autorisation d'exploitation aurait été délivrée, ni qu'elle aurait été renouvelée pendant dix-huit ans ;

- le préjudice ne peut comprendre les intérêts et leur capitalisation pour la période antérieure à l'intervention du jugement du tribunal et leur taux devait en tout état de cause être limité au taux de l'intérêt légal.

Un mémoire présenté pour la société Atoll Finances et enregistré le 20 mars 2019 n'a pas été communiqué.

Par ordonnance du 1er mars 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 20 mars 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de commerce ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- l'arrêté du 14 mai 2007 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. E... Grimaud, rapporteur,

- les conclusions de M. C... Thielé, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., représentant la société Atoll Finances et de Me F..., représentant la commune de Digne-les-Bains.

La société Atoll Finances a produit une note en délibéré enregistrée le 7 avril 2021.

Considérant ce qui suit :

1. Par délibération du 31 mars 2005, le conseil municipal de Digne-les-Bains a approuvé le principe de l'implantation d'un casino dans la commune et a choisi de recourir à une procédure de délégation de service public en vue de sélectionner un opérateur chargé de construire et d'exploiter cet équipement. Au cours de la négociation, la commune de Digne-les-Bains et la société Atoll Finances, seul candidat appelé à participer à cette phase de la procédure, ont convenu de séparer l'exploitation du casino, dévolue à la société Atoll Finances par la convention de délégation de service public à conclure, et la construction de l'établissement, confiée à la société 2J-IMMO au terme d'un projet de compromis de vente par lequel la collectivité s'engageait à céder le terrain d'assiette du futur bâtiment du casino à cette société. La signature de ces deux contrats a été approuvée par le conseil municipal le 14 décembre 2006 et la convention de délégation de service public a été conclue le 5 avril 2007. Le préfet des Alpes de Haute-Provence a saisi le tribunal administratif de Marseille de deux requêtes, respectivement enregistrées le 15 juin 2007 et le 8 octobre 2007, par lesquelles il a sollicité, d'une part, l'annulation de la délibération du 14 décembre 2006 et, d'autre part, l'annulation du contrat de délégation de service public. Par un jugement n° 0703788, 0706297 du 21 mai 2008, le tribunal administratif de Marseille a annulé la délibération du 14 décembre 2006 et la convention de délégation de service public conclue le 5 avril 2007. La société Atoll Finances a, le 3 février 2014, demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune de Digne-les-Bains à l'indemniser des conséquences de l'annulation de cette convention en lui versant d'une part, la somme de 194 170 euros, sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle et, d'autre part, la somme de 21 402 411 euros sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle. Par son jugement du 27 juillet 2018, le tribunal a rejeté cette demande.

I. Sur la recevabilité de la requête d'appel :

2. Si, en application des dispositions de l'article L. 210-6 du code de commerce, " les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés ", la radiation d'une société du registre du commerce et des sociétés n'a pas pour effet de lui faire perdre la personnalité morale, qui ne peut résulter que des causes énumérées à l'article 1844-7 du code civil. La commune de Digne-les-Bains n'est donc pas fondée à soutenir que la société Atoll finances n'aurait plus la capacité d'agir en justice au motif qu'elle a été radiée du registre du commerce et des sociétés.

II. Sur la recevabilité de la demande de première instance :

3. En vertu des dispositions de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...) ". En vertu de l'article R. 421-2 du même code : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, le silence gardé pendant plus de deux mois sur une réclamation par l'autorité compétente vaut décision de rejet.".

4. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la société Atoll Finances a adressé à la commune de Digne-les-Bains, trois courriers datés respectivement des 15 juillet 2010, 19 novembre 2010 et 6 juin 2011, par lesquels elle sollicitait l'indemnisation des préjudices qu'elle impute à la nullité du contrat et avertissait sa cocontractante qu'elle entendait saisir le tribunal administratif de sa demande. Eu égard à leurs termes, ces courriers doivent être regardés comme des réclamations préalables satisfaisant aux prescriptions citées ci-dessus. La commune de Digne-les-Bains n'est donc pas fondée à soutenir que la demande de la société Atoll Finances était irrecevable faute de réclamation préalable.

5. En second lieu, la décision par laquelle l'administration rejette une réclamation tendant à la réparation des conséquences dommageables d'un fait qui lui est imputé lie le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par ce fait générateur, quels que soient les chefs de préjudice auxquels se rattachent les dommages invoqués par la victime et que sa réclamation ait ou non spécifié les chefs de préjudice en question.

6. Il résulte de cette règle que les décisions implicites par lesquelles la commune de Digne-les-Bains a rejeté les réclamations indemnitaires évoquées au point 4 ci-dessus ont lié le contentieux indemnitaire à l'égard du demandeur pour l'ensemble des dommages causés par la nullité du contrat. La commune de Digne-les-Bains n'est par suite pas fondée à soutenir que la demande présentée au tribunal administratif de Marseille par la société Atoll Finances serait en tout ou partie irrecevable faute de préciser les divers chefs de préjudice invoqués ensuite devant le tribunal ou leurs montants respectifs.

III. Sur l'exception de prescription :

7. Aux termes des dispositions de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. ". En vertu de l'article 2 de cette loi : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. (...). ". En vertu des dispositions de l'article 3 de ce texte : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement.".

8. Compte tenu de la nature de l'illégalité qui se trouve à l'origine de la nullité du contrat, la société Atoll Finances doit être regardée comme ayant légitimement ignoré l'existence de la créance qu'elle soutient détenir à l'encontre de la commune de Digne-les-Bains au titre de la responsabilité quasi-contractuelle et délictuelle de cette commune jusqu'à la date à laquelle lui a été notifié le jugement du tribunal administratif de Marseille prononçant la nullité du contrat. Il s'ensuit que la prescription quadriennale prévue par les dispositions ci-dessus reproduites, seule opposable par la commune s'agissant de cette créance, a commencé à courir le 17 juin 2008, date à laquelle est intervenue cette notification. Toutefois, le cours de cette prescription a été interrompu par les réclamations écrites adressées respectivement les 15 juillet 2010, 19 novembre 2010 et 6 juin 2011 à la commune de Digne-les-Bains par la requérante, de telle sorte que celle-ci n'est pas fondée à soutenir que la créance dont se prévaut la requérante était prescrite à la date du 3 février 2014, date d'introduction de la demande devant le tribunal administratif de Marseille.

IV. Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

9. Le cocontractant de l'administration dont le contrat est entaché de nullité peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé. Dans le cas où le contrat en cause est une concession de service public, il peut notamment, à ce titre, demander à être indemnisé de la valeur non amortie, à la date à laquelle les biens nécessaires à l'exploitation du service font retour à l'administration, des dépenses d'investissement qu'il a consenties, ainsi que du déficit qu'il a, le cas échéant, supporté à raison de cette exploitation, compte tenu notamment des dotations aux amortissements et des frais afférents aux emprunts éventuellement contractés pour financer les investissements, pour autant toutefois qu'il soit établi, au besoin après expertise, que ce déficit était effectivement nécessaire, dans le cadre d'une gestion normale, à la bonne exécution du service. Dans le cas où la nullité du contrat résulte d'une faute de l'administration, il peut en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l'administration. A ce titre, il peut demander le paiement du bénéfice dont il a été privé par la nullité du contrat, si toutefois l'indemnité à laquelle il a droit sur un terrain quasi-contractuel ne lui assure pas déjà une rémunération supérieure à celle que l'exécution du contrat lui aurait procurée.

IV.1. En ce qui concerne la responsabilité quasi-contractuelle :

10. Le cocontractant de l'administration dont le contrat est entaché de nullité peut, ainsi qu'il vient d'être dit, formuler une demande d'indemnité fondée sur l'enrichissement sans cause qui serait résulté pour l'administration des études, travaux et autres prestations qu'il a exécutés. En ce cas, il est fondé à réclamer le remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à l'administration. Si la consistance des prestations fournies s'évalue au moment où elles ont été exécutées, leur utilité pour l'administration doit être appréciée par le juge administratif à la date à laquelle il statue, en tenant compte éventuellement de l'évolution des travaux ou du projet depuis leur exécution. Par suite, l'abandon du projet faisant directement l'objet des prestations fournies est de nature à priver les dépenses engagées par le cocontractant de toute utilité pour l'administration, à l'exception du cas où cet abandon est justifié par des difficultés révélées par ces études. La circonstance que cet abandon serait motivé par des considérations étrangères à l'intérêt général, si elle est susceptible le cas échéant d'engager la responsabilité de la collectivité sur le terrain de la faute, est sans incidence sur l'absence de droit à indemnité du cocontractant au titre de l'enrichissement sans cause. De même, est sans incidence le fait que ces dépenses aient été engagées en vue d'assurer une complète exécution du contrat déclaré nul.

11. La société Atoll Finances fait état, au titre des dépenses qu'elle a exposées pour la réalisation du projet, de 18 107,54 euros de dépenses au titre de la formation des croupiers, de 9 568 euros pour la réalisation de plans et d'études, de la somme de 83 730 euros au titre des frais juridiques, comptables, de déplacement et de gestion de l'activité liée au contrat et d'un montant de 80 513 euros au titre de la rémunération de son président. Toutefois, il résulte de l'instruction que le projet a été abandonné par la commune, sans que cet abandon découle de difficultés révélées par les études réalisées par la requérante. Il s'ensuit que les dépenses exposées par la société Atoll Finances sont dépourvues de toute utilité pour la commune de Digne-les-Bains et que la requérante n'est dès lors pas fondée à demander une indemnisation à ce titre, faute de tout enrichissement sans cause de la commune. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont rejeté cette demande, contrairement à ce que soutient la requérante.

IV.2. En ce qui concerne la responsabilité quasi-délictuelle :

S'agissant des fautes respectives des parties :

12. Il résulte en premier lieu de l'instruction que le jugement du tribunal administratif de Marseille du 21 mai 2008 a prononcé la nullité du contrat de délégation de service public conclu entre la commune de Digne-les-Bains et la société Atoll Finances en raison de la scission de l'opération entre un contrat d'exploitation du casino et à un contrat de nature immobilière relatif à la construction et à l'entretien de cet équipement, montage proposé par la société elle-même et jugé illégal par le tribunal pour le seul motif que, bouleversant les conditions de l'appel à candidature lancé par la commune, il méconnaissait les règles de publicité et de mise en concurrence qui s'imposaient à elle. Il en résulte que la seule faute commise par la commune de Digne-les-Bains a été de conclure un contrat entaché de cette illégalité, la circonstance que ce contrat aurait éventuellement méconnu par ailleurs les principes de la domanialité publique relatifs aux biens de retour des délégations de service public, risque dont la commune avait été prévenu antérieurement à la signature de l'acte, étant sans incidence sur l'issue du présent litige dès lors que cette illégalité hypothétique n'entretient aucune relation avec la nullité de la convention.

13. S'il résulte de l'instruction que la société Atoll Finances était de création récente, elle était toutefois constituée en partie de cadres issus du secteur économique des casinos, lesquels sont en principe exclusivement gérés par voie de délégations de service public remises en concurrence à intervalles réguliers. Elle avait par ailleurs sollicité l'appui de divers conseils juridiques qui l'ont conseillée pour l'élaboration de son offre. Il s'ensuit qu'eu égard à la nature de l'illégalité fautive entachant le contrat, laquelle ne découle pas d'une manoeuvre dolosive de la société dès lors que celle-ci a présenté clairement les caractéristiques de ses deux offres et les motifs de présentation de son montage auprès de la commune, à l'expérience respective du délégataire et du délégant, également faible en matière de passation de délégations de service public portant sur de telles opérations, et à la contribution de chacune à la commission de l'illégalité commise, il y a lieu de regarder la société Atoll Finances comme responsable de la survenance de celle-ci à hauteur de 50 %.

14. En second lieu, aux termes des stipulations du troisième alinéa de l'article 2 de la convention de délégation de service public conclue entre les parties : " Le présent contrat ne prendra effet qu'à compter de la date de notification au délégataire de l'autorisation d'exploitation des jeux délivrée par le ministre de l'intérieur, ainsi qu'à l'agrément des membres du comité de direction chargé de l'exploitation du casino.".

15. Si cette stipulation conditionnait la mise à exécution matérielle du contrat à l'octroi des autorisations et agréments nécessaires à l'exploitation du casino, elle n'avait pas pour effet de reporter à cette date l'entrée en vigueur de l'ensemble des obligations contractuelles, qui impliquaient, eu égard notamment aux dispositions des articles L. 321-1 et suivants et R. 321-1 et suivants du code de la sécurité intérieure et de l'arrêté du 14 mai 2007 relatif à la réglementation des jeux dans les casinos, que la requérante engage des démarches, études et dépenses préalables indispensables à la bonne exécution du contrat avant d'avoir obtenu ces autorisations. Il s'ensuit que la commune de Digne-les-Bains n'est pas fondée à soutenir que la société Atoll Finances aurait commis une imprudence fautive en commençant ces démarches et en exposant des dépenses en vue de l'exécution du contrat avant l'intervention de ces autorisations et agréments.

S'agissant du bénéfice perdu :

16. En premier lieu, si la société Atoll Finances sollicite l'indemnisation de la perte de bénéfice subie du fait de la nullité du contrat, elle se borne à présenter à l'appui de sa demande un tableau présentant le résultat net prévisionnel d'environ 25 millions d'euros qu'elle espérait retirer de l'exploitation du casino de Digne-les-Bains, pièce qui est dépourvue de tout élément de justification probant. En outre, cette projection financière est explicitement présentée comme résultant du schéma contractuel retenu par la société Atoll Finances et la commune au cours de la négociation, qui consistait à scinder l'opération en une délégation de service public limitée à l'exploitation du casino et un contrat immobilier relatif à la construction du bâtiment devant l'abriter, montage qui a été jugé illégal par le jugement du tribunal administratif de Marseille du 21 mai 2008 et dont l'absence d'exécution ne peut donc en tout état de cause ouvrir droit à indemnité dès lors que ce préjudice n'entretient aucun lien de causalité avec la faute de la commune, qui a précisément consisté à scinder illégalement les deux volets de l'opération.

17. En second lieu, si la société se prévaut de ce qu'elle aurait retiré un bénéfice net d'environ 17 millions d'euros de l'exécution du contrat résultant de son offre principale et non affecté du vice censuré par le jugement du tribunal administratif de Marseille du 21 mai 2008, il résulte de l'instruction que la société a elle-même présenté son offre variante n° 1, finalement retenue par la commune, en indiquant que " cette dissociation de la construction et de l'exploitation du casino permet au délégataire de ne pas avoir à supporter les investissements liés à la construction du casino, investissements qu'il ne pourrait amortir sur une durée limitée à dix-huit années ", ce dont il résulte que le regroupement de la construction et de l'exploitation du casino dans un seul contrat ne permettait pas l'équilibre économique de l'opération, le compte de résultat prévisionnel produit par la société en ce qui concerne ce contrat ne pouvant dès lors être regardé comme justifiant de la réalité de ce bénéfice et, par suite, du préjudice invoqué.

18. Il résulte de ce qui précède que la société Atoll Finances n'est pas fondée à soutenir que les premiers juges auraient dû faire droit à ses conclusions tendant à l'indemnisation du bénéfice qu'elle estime avoir perdu.

S'agissant des sommes exposées pour l'attribution et l'exécution du contrat :

19. Il résulte des principes qui viennent d'être exposés au point 9 ci-dessus que la société Atoll Finances qui, contrairement à ce que soutient la commune de Digne-les-Bains, a invoqué la responsabilité quasi-délictuelle de la commune dès sa requête introductive d'instance pour l'ensemble de ses préjudices, est en droit de réclamer l'indemnisation des dépenses engagées en vue de l'attribution et de l'exécution du contrat dès lors que l'absence de couverture de ces dépenses résulte au moins pour partie de la faute commise par l'administration. Cette

indemnisation ne saurait toutefois couvrir les dépenses d'investissement exposées au-delà du 19 novembre 2017, date à laquelle la commune de Digne-les-Bains lui a ordonné de ne pas s'engager plus avant dans l'exécution du contrat et de suspendre toute dépense de ce type en raison du risque de nullité dont la commune avait été avertie par le préfet des Alpes de Haute-Provence. La requérante est en revanche fondée à obtenir l'indemnisation des dépenses de fonctionnement engagées au-delà de cette date et auxquelles elle n'a pu mettre fin immédiatement, dès lors que la commune lui a seulement demandé, le 19 novembre 2017, de suspendre l'exécution du contrat, le maintien en activité de la société à partir de ce moment ne pouvant être regardé comme une faute, contrairement à ce que soutient la commune de Digne-les-Bains. Enfin, la circonstance que le contrat aurait été caduc à compter du 6 octobre 2008, à la supposer établie, est sans incidence sur le droit à indemnité de la requérante, qui ne fait état que de dépenses antérieures à cette date. En revanche, il résulte de l'instruction que, la requérante étant assujettie à la taxe à la valeur ajoutée pour les activités qu'elle conduit, elle n'est fondée à demander l'indemnisation des dépenses qu'elle a réglées que pour leur montant hors taxes, comme le soutient la commune de Digne-les-Bains.

20. En premier lieu, la société Atoll Finances est fondée à demander l'indemnisation des dépenses de formation des croupiers et de réalisation des études architecturales du futur casino, qu'elle évalue respectivement à 15 415,64 hors taxes et 8 000 euros hors taxes, montants qui sont établis par les factures et documents bancaires produits par la société et étaient nécessaires à la préparation de l'opération. La société Atoll Finances peut se prévaloir, en ce qui concerne ces deux postes, d'un préjudice total de 23 415,64 euros hors taxes.

21. En deuxième lieu, si la société requérante sollicite la condamnation de la commune de Digne-les-Bains à lui verser la somme de 70 937,23 toutes taxes comprises au titre des dépenses de préparation de son offre, elle n'établit avoir réellement exposé, au vu des factures et autres documents comptables qu'elle produit, que la somme de 14 000 euros hors taxes au titre du dossier d'architecte réalisé par le cabinet Ereme, la somme de 18 541 euros au titre des études juridiques effectuées par le cabinet Adamas, la somme de 1 400 euros au titre des frais de commissaire aux comptes, la somme de 44,20 euros hors taxes au titre des frais d'inscription au registre du commerce, la somme de 375 euros au titre des frais de déplacement, la somme de 5 000 euros au titre des frais de notaire, la somme de 2 336,60 euros au titre des frais de siège, la somme de 310,02 euros au titre des registres de casino ainsi que la somme de 381 euros au titre de la taxe professionnelle, tous préjudices dont le lien avec la réalisation de l'opération est, eu égard à leur nature et à aux pièces justificatives fournies, établi par la requérante. Celle-ci n'est en revanche pas fondée à demander l'indemnisation des frais de consultation, qu'elle évalue à 7 705,12 euros toutes taxes comprises, et pour lesquelles elle ne produit que des factures de la société Atoll Adventure faisant étant de " forfait de prestations " dont aucun élément ne vient établir un lien avec l'opération. La société Atoll Finances n'est de même pas fondée à demander l'indemnisation du montant de 2 467,94 euros qu'elle présente au titre des notes de frais, ni le solde de frais de déplacement qu'elle allègue avoir exposés, dès lors que les pièces produites sur ce point mentionnent des voyages et déplacements dans diverses villes de France et d'Europe, sans que puisse être établi un lien avec l'obtention du contrat du casino de Digne-les-Bains. Il s'ensuit que la société Atoll Finances peut se prévaloir, en ce qui concerne l'ensemble de ces postes, d'un préjudice de 42 387,82 euros hors taxes.

22. En troisième lieu, la société Atoll Finances réclame par ailleurs la somme de 16 143,53 euros au titre des dépenses liées à l'exécution du contrat, déduction faite des frais de formation des croupiers et des dépenses d'architecture déjà prises en compte au point 20 ci-dessus. Il y a lieu d'indemniser à ce titre les dépenses relatives aux actes d'avocats et

de conseil, d'un montant de 4 640,17 euros hors taxes, les frais de commissaires aux comptes, pour un montant de 1016,60 euros hors taxes, les frais liés aux inscriptions au registre du commerce pour 668,36 euros hors taxes, les frais de consultation facturés par la société Atoll Adventure pour un montant de 256,29 euros hors taxes correspondant à des déplacements à Digne-les-Bains, les notes de frais pour un montant de 174,20 euros hors taxes, les frais de siège pour un montant de 5 137,72 euros hors taxes, les dépenses de papeterie et de timbre pour un montant de 294,45 euros hors taxes et les dépenses de taxe professionnelle pour un montant de 428 euros hors taxes, tous préjudices dont le lien avec la réalisation de l'opération est, eu égard à leur nature et à aux pièces justificatives fournies, établi par la requérante. La société Atoll Finances n'est en revanche pas fondée à demander l'indemnisation du reste des prestations de consultation de la société Atoll Adventure dès lors qu'aucune mention des factures émises par cette dernière société n'établit que le reste des prestations de consultation facturées aurait un lien avec l'opération, ni le montant de frais de déplacement de 771,02 euros, qui n'apparaît pas davantage lié à l'opération. Il s'ensuit que la société Atoll Finances peut se prévaloir, en ce qui concerne l'ensemble de ces postes, d'un préjudice de 12 615,79 euros hors taxes.

23. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction et notamment du rapport de la société de conseil qui a examiné le préjudice invoqué par la société requérante, que M. D..., dirigeant de la société, n'a pas été salarié au cours de la période de préparation et d'exécution du contrat. La société n'a donc en tout état de cause subi aucun préjudice lié au versement d'un salaire à l'intéressé, de telle sorte que la demande de 80 513 euros qu'elle présente sur ce point doit être rejetée.

24. En dernier lieu, la société Atoll Finances, qui serait seulement fondée à se prévaloir des dispositions des articles 1153 et 1154 du code civil qu'elle n'invoque pas et sur le fondement desquelles elle n'a présenté aucune conclusion ni devant le tribunal ni devant la Cour, n'est pas fondée à demander, à titre de préjudice, le versement d'intérêts à un taux qui n'est pas le taux légal et dont elle ne justifie pas le niveau, ainsi que du produit de la capitalisation de ces intérêts.

25. Il résulte de tout ce qui précède que le préjudice de la société Atoll Finances au titre des dépenses liées à la préparation et à l'exécution du contrat s'élève à la somme de 78 419,25 euros. Si la commune de Digne-les-Bains soutient que ce préjudice serait purement éventuel faute de certitude que la société aurait obtenu les autorisations et agréments nécessaires à l'exploitation du casino, elle ne fait état d'aucune circonstance qui aurait pu faire obstacle ou rendre incertaine l'intervention de ces décisions. Le préjudice ainsi invoqué par la société Atoll Finances doit donc être regardé comme certain.

26. Eu égard au partage de responsabilité défini au point 13 du présent arrêt, la société Atoll Finances est fondée à demander, d'une part, la condamnation de la commune de Digne-les-Bains à lui verser la somme de 39 209,63 euros et, d'autre part, l'annulation du jugement attaqué en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

V. Sur les frais liés au litige :

27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que la somme réclamée par la commune de Digne-les-Bains sur leur fondement soit mise à la charge de la société Atoll Finances, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, en revanche, de mettre une somme de 2 000 euros à la charge de la commune de Digne-les-Bains, à verser à la société Atoll Finances sur le même fondement.

D É C I D E :

Article 1er : La commune de Digne-les-Bains est condamnée à verser la somme de 39 209,63 euros hors taxes à la société Atoll Finances.

Article 2 : Le jugement n° 1400767 du tribunal administratif de Marseille du 27 juillet 2018 est annulé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La commune de Digne-les-Bains versera une somme de 2 000 euros à la société Atoll Finances en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Atoll Finances et à la commune de Digne-les-Bains.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2021, où siégeaient :

- M. Guy Fédou, président,

- Mme Christine Massé-Degois, présidente assesseure,

- M. E... Grimaud, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 avril 2021.

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N° 18MA04362

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA04362
Date de la décision : 12/04/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Fin des contrats - Fin des concessions.

Marchés et contrats administratifs - Fin des contrats - Fin des concessions - Résiliation - Droit à indemnité du concessionnaire.


Composition du Tribunal
Président : M. FEDOU
Rapporteur ?: M. Philippe GRIMAUD
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : ADAMAS - AVOCATS ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-04-12;18ma04362 ?
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