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25/10/2021 | FRANCE | N°19MA00191

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 25 octobre 2021, 19MA00191


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI Mylan a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune de Sillans-la-Cascade à lui verser la somme de 344 196,18 euros au titre du préjudice qu'elle a subi, avec intérêts et capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 1503994 du 16 novembre 2018, le tribunal administratif de Toulon a rejeté les demandes de la SCI Mylan.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés sous le n° 19MA00191 les 15 janvier 2019, 12 juillet 2019 e

t 28 septembre 2021, la SCI Mylan, représentée par la SCP Berenger - Blanc - Burtez - Doucede ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI Mylan a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune de Sillans-la-Cascade à lui verser la somme de 344 196,18 euros au titre du préjudice qu'elle a subi, avec intérêts et capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 1503994 du 16 novembre 2018, le tribunal administratif de Toulon a rejeté les demandes de la SCI Mylan.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés sous le n° 19MA00191 les 15 janvier 2019, 12 juillet 2019 et 28 septembre 2021, la SCI Mylan, représentée par la SCP Berenger - Blanc - Burtez - Doucede et associés, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulon du 16 novembre 2018 ;

2°) de condamner la commune de Sillans-la-Cascade à lui verser la somme de 344 196,18 euros en réparation de son préjudice, avec intérêts et capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre une somme de 3 000 euros à la charge de la commune de Sillans-la-Cascade au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier ; les premiers juges ont omis de relever d'office le moyen tiré du caractère illicite de l'objet du contrat ;

- le motif d'annulation de la délibération du 10 avril 2012 entraîne nécessairement la nullité du contrat litigieux ;

- le vice n'était pas régularisable ; le litige ne pouvait être réglé sur le terrain contractuel ;

- la commune a commis une faute en concluant un contrat illicite ;

- la commune a commis une faute en proposant un bail emphytéotique sur un bien appartenant au domaine public ; une telle promesse ne pouvait être signée avant d'avoir obtenu au préalable le déclassement de la parcelle ; la commune a commis une négligence quant à la nature de son propre patrimoine immobilier ;

- la commune a commis une faute en délivrant un permis de construire sur un bien appartenant au domaine public ;

- elle a subi un préjudice résultant des frais engagés en pure perte, pour un montant de 244 196,18 euros toutes taxes comprises ; ces préjudices ne correspondent pas à une perte de chance ;

- elle a subi un préjudice personnel, pour un montant de 100 000 euros toutes taxes comprises ;

- le lien de causalité entre ses préjudices et la faute de l'administration est établi ; les préjudices résultent de la conclusion d'une promesse de bail illégale par son objet.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 mai 2019, et un mémoire complémentaire enregistré le 15 octobre 2019, la commune de Sillans-la-Cascade, représentée par la SELARL LLC et associés, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la SCI Mylan au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est régulier ;

- le préjudice invoqué par la SCI Mylan n'a pas un caractère indemnisable ; la faute invoquée est sans lien de causalité directe avec le préjudice ;

- la responsabilité de la personne publique peut être atténuée en cas d'imprudence fautive commise par la victime ; la promesse de bail était devenue caduque du fait de l'absence de réalisation de la condition suspensive liée à l'obtention d'un permis de construire purgé de tout recours ; le retrait de permis de construire par arrêté du 10 avril 2014 est devenu définitif ; ce retrait fait obstacle à la réitération du contrat de bail ;

- la promesse notariée de bail est régulièrement entrée en vigueur et est devenue caduque par application des clauses contractuelles ;

- le lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice n'est pas établi ;

- la SCI Mylan a contribué à la réalisation de son préjudice ; la nullité du contrat aurait dû conduire la requérante à n'exposer aucun frais en pure perte ;

- la perte de chance n'est pas indemnisable ; la SCI Mylan n'établit pas qu'elle aurait subi une perte de chance ;

- le préjudice personnel de 100 000 euros allégué par la requérante n'est pas établi ;

- le préjudice financier à hauteur de 244 196,18 euros allégué par la SCI Mylan n'est pas établi ; ce préjudice représente une perte de chance, qui n'est pas indemnisable ; le préjudice allégué ne saurait être indemnisé qu'à concurrence d'un certain pourcentage.

Par ordonnance en date du 30 septembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 7 octobre 2021.

Par un courrier en date du 23 septembre 2021, la Cour a informé les parties que la solution du litige était susceptible d'être fondée sur un moyen d'ordre public tiré de ce que la promesse de bail à construction en litige est illicite. En vertu des dispositions de l'article L. 2122-11 du code général de la propriété des personnes publiques, les clauses d'une convention ayant pour effet d'autoriser l'occupation du domaine public doivent respecter les dispositions applicables aux autorisations d'occupation temporaire du domaine public. La promesse de bail à construction en litige, qui emporte autorisation d'occupation temporaire du domaine public, est illicite dès lors qu'elle ne respecte pas : 1/ les dispositions de l'article L. 2122-7 du code général de la propriété des personnes publiques prévoyant que le droit réel conféré par le titre ne peut être cédé ou transmis qu'à une personne agréée par l'autorité compétente ; 2/ les dispositions de l'article L. 2122-8 du même code relatives à la faculté d'hypothéquer le droit réel conféré par le titre ; 3/ les dispositions de l'article L. 2121-1 du même code relatives au respect de l'affectation du bien à l'utilité publique ; 4/ les dispositions de l'article L. 1311-5 du code général des collectivités territoriales prévoyant que le titre autorisant l'occupation temporaire du domaine public fixe la durée de l'autorisation, sans pouvoir excéder soixante-dix ans.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B... Point, rapporteur,

- les conclusions de M. A... Thielé, rapporteur public,

- et les observations de Me Amselmino pour la SCI Mylan, et de Me Marchesini pour la commune de Sillans-la-Cascade.

Une note en délibéré, présentée pour la commune de Sillans-la-Cascade, a été produite le 11 octobre 2021.

Une note en délibéré, présentée pour la SCI Mylan, a été produite le 12 octobre 2021.

Considérant ce qui suit :

1. Par délibération du 10 avril 2012, le conseil municipal de Sillans-la-Cascade a autorisé son maire à signer avec la SCI Mylan une promesse de bail à construction pour une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans en vue de la réhabilitation du château de la commune, pour y exercer une activité professionnelle d'hôtellerie et de commerce. Le maire a signé une promesse synallagmatique de bail à construction avec la SCI Mylan le 15 juillet 2013, sous réserve de la réalisation de conditions suspensives, dont celle liée à l'obtention d'un permis de construire purgé de tout recours. La délibération du conseil municipal du 10 avril 2012, qui a été contestée par un tiers, a été annulée par un jugement du tribunal n° 1201620 du 5 décembre 2014 devenu définitif, au motif que le bien en cause appartenait au domaine public de la commune. La SCI Mylan a recherché devant le tribunal administratif de Toulon la responsabilité quasi-délictuelle de la commune de Sillans-la-Cascade, en se prévalant des fautes commises par cette dernière résultant de la conclusion d'un bail à construction sur le domaine public, et de la délivrance d'un permis de construire sur ledit domaine. La SCI Mylan fait appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur le cadre du litige :

2. Aux termes de l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public. ". Aux termes de l'article L. 2141-1 du code de la propriété des personnes publiques, dans sa version applicable au litige : " Un bien d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1, qui n'est plus affecté à un service public ou à l'usage direct du public, ne fait plus partie du domaine public à compter de l'intervention de l'acte administratif constatant son déclassement. ". Aux termes de l'article L. 2331-1 du même code : " Sont portés devant la juridiction administratives les litiges relatifs : 1°) Aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public, quelle que soit leur forme ou dénomination, accordées ou conclus par les personnes publiques ou leurs concessionnaires. ".

3. Il résulte de l'instruction qu'à la date de la convention en litige, le château objet de la promesse de bail était pour partie occupé au rez-de-chaussée par les services de La Poste et ceux de la mairie et au premier étage par les bureaux de la mairie. Ces locaux, au regard de leur destination d'accueil et de bureaux, étaient spécialement aménagés pour l'exécution du service public. Si une partie des locaux n'était pas affectée directement au service public, ces espaces ne sont pas dissociables du reste du bâtiment. Le bien objet de la convention faisait dès lors partie du domaine public de la commune. Il résulte de l'examen de la convention en litige que cette dernière ne prévoit aucune condition suspensive liée au déclassement des locaux. Par suite, la convention en litige, intitulé " bail à construction " et qui prévoit que le bénéficiaire pourra réhabiliter le bien en vue d'un usage d'hôtellerie et de commerce, comporte autorisation d'occupation temporaire du domaine public. Dès lors, le juge administratif est compétent pour statuer sur le litige.

Sur la régularité du jugement :

4. Aux termes de l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Les biens du domaine public sont utilisés conformément à leur affectation à l'utilité publique. / Aucun droit d'aucune nature ne peut être consenti s'il fait obstacle au respect de cette affectation. ". Aux termes de l'article L. 2122-7 du code général de la propriété des personnes publiques dans sa version applicable au litige : " Le droit réel conféré par le titre, les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier ne peuvent être cédés, ou transmis dans le cadre de mutations entre vifs ou de fusion, absorption ou scission de sociétés, pour la durée de validité du titre restant à courir, y compris dans le cas de réalisation de la sûreté portant sur lesdits droits et biens et dans les cas mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 2122-8, qu'à une personne agréée par l'autorité compétente, en vue d'une utilisation compatible avec l'affectation du domaine public occupé. ". Aux termes de l'article L. 2122-8 du même code : " Le droit réel conféré par le titre, les ouvrages, constructions et installations ne peuvent être hypothéqués que pour garantir les emprunts contractés par le titulaire de l'autorisation en vue de financer la réalisation, la modification ou l'extension des ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier situés sur la dépendance domaniale occupée. ". Aux termes de l'article L. 2122-11 du même code : " Les dispositions du présent paragraphe sont également applicables aux conventions de toute nature ayant pour effet d'autoriser l'occupation du domaine public. / Lorsque ce droit d'occupation du domaine public résulte d'une concession de service public ou d'outillage public, le cahier des charges précise les conditions particulières auxquelles il doit être satisfait pour tenir compte des nécessités du service public. ". Aux termes de l'article L. 1311-5 du code général des collectivités territoriales dans sa version applicable au litige : " I. - Les collectivités territoriales peuvent délivrer sur leur domaine public des autorisations d'occupation temporaire constitutives de droits réels, en vue de l'accomplissement, pour leur compte, d'une mission de service public ou en vue de la réalisation d'une opération d'intérêt général relevant de leur compétence. Le titulaire de ce titre possède un droit réel sur les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier qu'il réalise pour l'exercice de cette activité. / (...) Le titre fixe la durée de l'autorisation, en fonction de la nature de l'activité et de celle des ouvrages autorisés, et compte tenu de l'importance de ces derniers, sans pouvoir excéder soixante-dix ans. ". Aux termes de l'article L. 1311-6-1 du code général des collectivités territoriales dans sa version applicable au litige : " Le droit réel sur le titre, les ouvrages, constructions et installations ne peuvent être hypothéqués que pour garantir les emprunts contractés par le titulaire de l'autorisation en vue de financer la réalisation, la modification ou l'extension des ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier situés sur la dépendance domaniale occupée. ".

5. Aux termes de l'article L. 251-1 du code de la construction et de l'habitation : " Constitue un bail à construction le bail par lequel le preneur s'engage, à titre principal, à édifier des constructions sur le terrain du bailleur et à les conserver en bon état d'entretien pendant toute la durée du bail. / Le bail à construction est consenti par ceux qui ont le droit d'aliéner et dans les mêmes conditions et formes. / Il est conclu pour une durée comprise entre dix-huit et quatre-vingt-dix-neuf ans. Il ne peut se prolonger par tacite reconduction. / Toutefois, lorsque le bail prévoit une possibilité d'achat du terrain par le preneur dans le cadre d'une opération d'accession sociale à la propriété dans les conditions prévues par la section 1 du chapitre III du titre IV du livre IV du présent code et que le preneur lève l'option, le bail prend fin à la date de la vente, nonobstant les dispositions du troisième alinéa. ". Aux termes de l'article L. 251-3 du même code : " Le bail à construction confère au preneur un droit réel immobilier. / Ce droit peut être hypothéqué (...). / Le preneur peut céder tout ou partie de ses droits ou les apporter en société. (...) ".

6. En premier lieu, si la constitution de droits réels sur le domaine public d'une collectivité publique suppose en principe la délivrance d'une autorisation temporaire d'occupation du domaine public, aucune disposition ni aucun principe n'interdit que cette collectivité publique puisse autoriser l'occupation d'une dépendance du domaine public en vertu d'une convention par laquelle l'une des parties s'engage, à titre principal, à édifier des constructions sur le terrain de l'autre partie et à les conserver en bon état d'entretien pendant toute la durée de la convention et qui, comme les autorisations d'occupation constitutives de droits réels, confère un droit réel immobilier, à condition toutefois que les clauses de la convention ainsi conclue respectent, ainsi que le prévoit l'article L. 2122-11 du code général de la propriété des personnes publiques, les dispositions applicables aux autorisations d'occupation temporaires du domaine public de l'Etat constitutives de droits réels, qui s'imposent aux conventions de toute nature ayant pour effet d'autoriser l'occupation du domaine public.

7. Il résulte de l'instruction que la commune de Sillans-la-Cascade, par la convention du 15 juillet 2013, qualifiée de promesse synallagmatique, s'est engagée à donner à bail à la SCI Mylan un bien relevant du domaine public de la commune, conférant au preneur des droits réels immobiliers hypothécables selon les modalités définies à l'article L. 251-3 du code de la construction et de l'habitation. Ces dispositions permettent au preneur d'hypothéquer sans limitation le droit réel immobilier qui lui est conféré. Dès lors, les stipulations de la convention étaient contraires aux dispositions de l'article L. 1311-6-1 du code général des collectivités territoriales et de l'article L. 2122-8 du code général de la propriété des personnes publiques.

8. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la promesse de bail à construction ne comporte aucune stipulation prévoyant que soit agréé par l'autorité compétente tout transfert ou cession par le preneur des droits réels immobiliers qui lui sont conférés sur le domaine public. Par suite, la convention méconnaît l'article L. 2122-7 du code général de la propriété des personnes publiques.

9. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que la promesse de bail prévoyait que le bail à construction serait consenti pour une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans. La durée du bail ainsi promis était contraire aux dispositions de l'article L. 1311-5 du code général des collectivités territoriales dans sa version applicable au litige, qui limite la durée d'autorisation d'occupation du domaine public à soixante-dix ans. La promesse était par suite, pour ce motif, illégale.

10. Au surplus, il résulte de l'instruction que l'objet de la promesse de bail était la réhabilitation du bâtiment en vue d'y exercer une activité professionnelle d'hôtellerie et de commerces. L'octroi de droits réels sur le bien faisait par suite obstacle au respect de l'affectation à l'utilité publique, alors que la promesse de bail ne mentionne aucune mesure de déclassement comme condition suspensive de sa conclusion. Dès lors, la promesse de bail est contraire aux dispositions de l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la convention portant promesse de bail au profit de la SCI Mylan ne comporte pas toutes les clauses requises par le code général de la propriété des personnes publiques et le code général des collectivités territoriales applicables aux autorisations d'occupation temporaire du domaine public constitutives de droits réels, de nature à garantir l'utilisation du domaine public conformément à son affectation d'utilité publique, et contient des clauses incompatibles avec le droit du domaine public. Il s'ensuit qu'une telle convention est illégale.

12. Il résulte de ce qui précède que les premiers juges, ainsi que le soutient la SCI Mylan, ont omis de relever d'office un moyen tiré du caractère illicite de l'objet du contrat. Par suite, il y a lieu d'annuler le jugement et de statuer sur la demande indemnitaire de la SCI Mylan par la voie de l'évocation.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la recevabilité des conclusions indemnitaires présentées sur le terrain quasi-délictuel :

13. Lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel.

14. Une convention peut être déclarée nulle lorsqu'elle est dépourvue de cause ou qu'elle est fondée sur une cause qui, en raison de l'objet de cette convention ou du but poursuivi par les parties, présente un caractère illicite. Il résulte de ce qui a été exposé précédemment que la convention du 13 juillet 2013 portant promesse de bail au profit de la SCI Mylan avait un objet illicite. Il y a lieu, dès lors, d'en écarter l'application. La SCI Mylan est par suite recevable à présenter des conclusions indemnitaires sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle de la commune de Sillans-la-Cascade.

En ce qui concerne la faute :

15. Il résulte de l'instruction que la commune de Sillans-la-Cascade, à qui il appartenait de s'assurer que la nature du bien était compatible avec le dispositif juridique envisagé pour sa rénovation et son exploitation, a autorisé la signature d'une promesse de bail à construction et conclu cette promesse, sans procéder aux vérifications nécessaires concernant la légalité des clauses du contrat au regard de l'appartenance du bien à son domaine public. En particulier, la commune de Sillans-la-Cascade a fourni une information erronée en indiquant que le bien proposé à bail appartenait au domaine privé de la commune. Une telle négligence, qui est directement à l'origine des erreurs ayant entraîné la conclusion d'un contrat illicite, est de nature à caractériser un comportement fautif de la commune de Sillans-la-Cascade à l'égard de la SCI Mylan.

En ce qui concerne le lien de causalité :

16. Les préjudices exposés par la SCI Mylan correspondent aux frais de préparation du dossier de permis de construire et aux frais résultant du temps passé à préparer l'opération. Il résulte de l'instruction que le maire de Sillans-la-Cascade, après avoir délivré un permis de construire par arrêté du 13 janvier 2014 en vue de la transformation du château de la commune en hôtel-restaurant et glacier, a procédé par arrêté du 10 avril 2014 au retrait de ce permis de construire. Le motif non contesté de ce retrait était que le projet n'était pas desservi par les réseaux publics et que la commune n'était pas en état de déterminer quand il le serait. Toutefois, alors que la promesse de bail signée le 15 juillet 2013 prévoyait le dépôt d'un permis de construire avant le 31 août 2013 et sa délivrance avant le 28 février 2014, la commune de Sillans-la-Cascade aurait été en mesure de procéder aux travaux permettant d'assurer la desserte en réseau du projet si elle n'avait pas eu connaissance de l'illicéité de la convention. En outre, si les factures relatives aux frais exposés pour la préparation du dossier de permis de construire ont été émises postérieurement au retrait du permis de construire, les prestations ont été commandées par la SCI Mylan en vue du dépôt de la demande de permis de construire, dans le cadre de la promesse synallagmatique de bail accordée par la commune. Enfin, au point 6 du chapitre de la convention relatif aux conditions suspensives, intitulé " conséquences de la non-réalisation des conditions suspensives ", il est précisé que " au cas où les conditions suspensives stipulées ci-dessus ou partie d'entre elles ne seraient pas réalisées au plus tard le 30 juin 2014, le bénéficiaire aura seul la faculté de continuer ou renoncer à la présente opération, à son seul choix ". Par suite, le retrait du permis de construire par arrêté du 10 avril 2014 n'a pas entraîné directement la caducité de la convention. Dans ces conditions, la caducité de la convention alléguée par la commune de Sillans-la-Cascade ne saurait en l'espèce être regardée comme étant la cause déterminante des préjudices invoqués par la SCI Mylan. Ainsi, l'illicéité du contrat résultant de la faute commise par la commune de Sillans-la-Cascade, établie précédemment au point 15, est directement à l'origine du préjudice que cette société a subi en engageant des frais en pure perte, sur la base de la promesse de bail.

En ce qui concerne le montant des préjudices :

S'agissant des frais exposés en pure perte :

17. La SCI Mylan expose en premier lieu, au titre de ses préjudices, des frais de préparation du dossier de permis de construire. La commune de Sillans-la-Cascade n'est pas fondée à soutenir que ces frais correspondraient à une perte de chance, dont l'indemnisation serait conditionnée à la rentabilité du projet. Il résulte de l'instruction que l'obtention d'un permis de construire était une condition suspensive à la conclusion de la promesse de vente. Dans ces conditions, de tels frais sont liés directement à la réalisation du projet et ont été engagés en pure perte par la SCI Mylan. Cette dernière justifie à ce titre d'une note d'honoraires du BET Eccyo datée du 31 juillet 2014, pour un montant de 5 340 euros, d'une note d'honoraires de l'architecte Kussmaul datée du 10 décembre 2014 pour un montant de 182 552,18 euros, d'une note d'honoraires du BET Eccyel pour la phase conception d'un montant de 8 712 euros et d'une facture de la société Aphidia datée du 18 août 2014 relative à la réalisation d'une étude thermique, pour un montant de 3 192 euros. Si la commune de Sillans-la-Cascade fait valoir qu'aucune preuve n'est apportée du règlement de la somme de 8 712 euros à la société BET Eccyel, les factures produites mentionnent que les prestations ont été exécutées et il ne ressort pas des pièces du dossier que ces factures n'auraient pas été régulièrement acquittées. La SCI Mylan justifie par ailleurs des frais engagés pour une étude de marché et un audit préparatoire, facturés par le cabinet DIAG expertise pour un montant de 22 200 euros toutes taxes comprises.

18. La SCI Mylan fait état en second lieu d'un préjudice résultant du temps passé à préparer l'opération. Toutefois, la société requérante ne verse aucun élément à l'appui de ces allégations et la réalité de son préjudice sur ce point n'est pas établie.

19. Il résulte de ce qui précède qu'il sera fait une juste évaluation du préjudice subi par la SCI Mylan en le fixant à la somme de 244 196,18 euros toutes taxes comprises.

En ce qui concerne la faute exonératoire :

20. La commune de Sillans-la-Cascade soutient que la SCI Mylan a commis une faute en concluant un contrat illicite, de nature à l'exonérer partiellement de sa responsabilité. Il résulte toutefois de l'instruction que l'illégalité du contrat résulte principalement de l'information erronée fournie par la commune sur la nature du bien en cause, de l'absence de prise en compte de son affectation au service public de la commune, et de l'absence de mesure prévoyant sa désaffectation et son déclassement. Par suite, quand bien même la SCI Mylan serait un professionnel aguerri dans les opérations immobilières, la commune doit être regardée comme étant exclusivement à l'origine du caractère illicite de l'objet du contrat. Par suite, le moyen tiré de l'existence d'une faute de la SCI Mylan à l'origine de son propre préjudice doit être écarté.

Sur les intérêts :

21. Les intérêts moratoires dus en application de l'article 1153 du code civil courent à compter du jour où la sommation de payer le principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine. En l'espèce, il y a lieu de fixer la date des intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2015, date de réception de la réclamation préalable présentée par la SCI Mylan. Les intérêts seront capitalisés à la date du 22 juillet 2016 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

22. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SCI Mylan, qui n'est pas la partie perdante, la somme réclamée par la commune de Sillans-la-Cascade au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, en revanche, sur ce même fondement, de condamner la commune de Sillans-la-Cascade à verser à la SCI Mylan la somme de 2 000 euros.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1503994 du tribunal administratif de Toulon est annulé.

Article 2 : La commune de Sillans-la-Cascade est condamnée à verser à la SCI Mylan la somme de 244 196,18 euros toutes taxes comprises au titre du préjudice subi. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2015. Les intérêts seront capitalisés à la date du 22 juillet 2016 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 3 : Il est mis à la charge de la commune de Sillans-la-Cascade le versement à la SCI Mylan d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Mylan et à la commune de Sillans-la-Cascade.

Délibéré après l'audience du 11 octobre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Guy Fédou, président,

- M. Gilles Taormina, président assesseur,

- M. B... Point, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 octobre 2021.

4

N° 19MA00191


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA00191
Date de la décision : 25/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Notion de contrat administratif - Nature du contrat.

Marchés et contrats administratifs - Fin des contrats - Nullité.

Marchés et contrats administratifs - Fin des contrats - Résiliation - Droit à indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. FEDOU
Rapporteur ?: M. François POINT
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : SCP BERENGER - BLANC - BURTEZ - DOUCEDE et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 02/11/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2021-10-25;19ma00191 ?
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