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02/05/2022 | FRANCE | N°21MA00404

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre, 02 mai 2022, 21MA00404


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C... ont demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner la commune de Porto-Vecchio à leur verser une somme de 778 417,74 euros au principal, en réparation des conséquences dommageables de l'illégalité du certificat d'urbanisme délivré par le maire de Porto-Vecchio le 1er septembre 2017 et déclarant réalisable l'opération consistant à édifier une maison individuelle sur une parcelle cadastrée section F n° 3007.

Par un jugement n°1900299 du 7 janvier 2021, le tribunal admi

nistratif de Bastia a, d'une part, condamné la commune de Porto-Vecchio à verser à M...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C... ont demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner la commune de Porto-Vecchio à leur verser une somme de 778 417,74 euros au principal, en réparation des conséquences dommageables de l'illégalité du certificat d'urbanisme délivré par le maire de Porto-Vecchio le 1er septembre 2017 et déclarant réalisable l'opération consistant à édifier une maison individuelle sur une parcelle cadastrée section F n° 3007.

Par un jugement n°1900299 du 7 janvier 2021, le tribunal administratif de Bastia a, d'une part, condamné la commune de Porto-Vecchio à verser à M. et Mme C..., pris ensemble, une somme de 501 390,52 euros et à M. C... une somme de 9 301,33 euros et, d'autre part, condamné l'Etat à garantir la commune de Porto-Vecchio à concurrence de la moitié de ces condamnations.

Procédure devant la Cour :

I- Sous le n° 21MA00404, par une requête et un mémoire, enregistrés les 29 janvier, 11 mai et 19 novembre 2021, M. D... C... et Mme A... C..., représentés par la SELARL Soler-Couteaux et associés, demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 7 janvier 2021 en tant qu'il exonère

partiellement la commune de Porto-Vecchio de sa responsabilité et qu'il limite l'indemnisation due par la commune à M. et Mme C..., pris ensemble, à la somme de 501 390,52 euros et celle due à M. C... à la somme de 9 301,33 euros ;

2°) de condamner la commune de Porto-Vecchio à verser à M. et Mme C..., pris ensemble, la somme de 752 085,78 euros et à M. C... la somme de 13 952 euros au principal ;

3°) de mettre à la charge la commune de Porto-Vecchio une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- c'est à tort que le tribunal a partiellement exonéré la commune de Porto-Vecchio de sa responsabilité en considérant qu'ils auraient commis une imprudence fautive en s'abstenant de stipuler une clause suspensive tenant à l'obtention d'un permis de construire lors de l'acquisition de la parcelle ayant fait l'objet d'un certificat d'urbanisme illégal ;

- ils n'ont commis aucune faute d'imprudence ;

- à supposer une telle faute établie, elle est sans lien avec la survenance du préjudice subi.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 19 avril et 18 octobre 2021, la commune de Porto-Vecchio, représentée par la SCP Coulombié, Gras, Crétin, Becquevort, Rosier, Soland, Gilliocq, avocats, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de condamner l'Etat à la garantir de la totalité des condamnations prononcées à son encontre ainsi que de mettre à la charge de M. C... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête n'est pas fondée dans les moyens qu'elle soulève ;

- M. et Mme C... ont fait preuve d'imprudence fautive alors en outre que M. C... disposait de connaissances en matière immobilière et était entouré de conseillers juridiques ;

- le lien de causalité entre cette faute et le préjudice allégué est direct.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 novembre 2021, la ministre de la transition écologique demande à la Cour de rejeter l'appel en garantie formé par la commune de Porto-Vecchio contre l'Etat.

Elle soutient que :

- aucun lien de causalité direct et certain entre une faute de l'Etat et les préjudices allégués ne sont établis ;

- aucune faute ne peut être reprochée à l'Etat.

II- Sous le n° 21MA00873, par une requête et un mémoire enregistrés les 4 mars et 18 octobre 2021, la commune de Porto-Vecchio, représentée par la SCP Coulombié, Gras, Crétin, Becquevort, Rosier, Soland, Gilliocq, avocats, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 7 janvier 2021 en tant qu'il l'a condamnée à prendre en charge les deux tiers des demandes indemnitaires des époux C... ;

2°) à titre principal, de rejeter les demandes indemnitaires des époux C... et, à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à la garantir de la totalité des condamnations prononcées à son encontre ;

3°) de mettre à la charge de M. C... une somme de 2 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le certificat d'urbanisme délivré le 1er septembre 2017 indiquait expressément que l'obtention d'un permis de construire était subordonné à l'avis conforme du préfet et au respect de la loi littoral ;

- le jugement attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il ne laisse à la charge des époux C... que le tiers des préjudices allégués ;

- M. et Mme C... ont commis une imprudence fautive en se portant acquéreur de la parcelle en cause sans assortir le contrat d'une condition suspensive d'obtention d'un permis de construire définitif alors même que M. C... disposait de connaissances en matière immobilière et était entouré de conseillers juridiques ;

- le lien de causalité suffisamment direct entre les frais d'acquisition du terrain et la délivrance du certificat d'urbanisme du 1er septembre 2017 n'est pas établi ; le préjudice subi trouve son origine directe dans l'imprudence fautive des requérants ;

- l'action des services de l'Etat a été déterminante dans la délivrance du certificat d'urbanisme du 1er septembre 2017 et engage la responsabilité de ce dernier, qui doit être condamné à la garantir entièrement des condamnations qui seraient prononcées à son encontre ;

- le tribunal a commis une erreur d'appréciation sur l'évaluation du préjudice subi par les époux C... ; la valeur de leur terrain est au moins 3 à 5 fois supérieure à celle estimée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 avril 2021, la ministre de la transition écologique demande à la Cour :

1°) de rejeter la requête ;

1°) par la voie de l'appel incident, d'annuler l'article 3 du jugement du 7 janvier 2021 et de rejeter l'appel en garantie formée par la commune de Porto-Vecchio contre l'Etat.

Elle soutient que :

- les préjudices invoqués par les époux C... trouvent leur cause directe dans le certificat d'urbanisme délivré par le maire de Porto-Vecchio en méconnaissance des dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme ;

- les services de l'Etat ne sont pas intervenus dans le cadre de l'instruction de cette demande de certificat ;

- aucun lien de causalité direct et certain entre une faute de l'Etat et les préjudices allégués ne sont établis.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 18 juin et 19 octobre 2021, M. D... C... et Mme A... C..., représentés par la SELARL Soler-Couteaux et associés, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la commune de Porto-Vecchio une somme de 3 000 euros à leur verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que la requête n'est pas fondée dans les moyens qu'elle soulève.

III- Sous le n° 21MA01734, par une requête et un mémoire enregistrés les 10 mai 2021 et 18 octobre 2021, la commune de Porto-Vecchio, représentée par la SCP Coulombié, Gras, Crétin, Becquevort, Rosier, Soland, Gilliocq, avocats, demande à la Cour :

1°) de prononcer le sursis à exécution du jugement du 7 janvier 2021 ;

2°) de mettre à la charge de M. C... une somme de 2 000 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens d'annulation développés dans la requête au fond sont sérieux et de nature à justifier le rejet des conclusions d'annulation accueillies en première instance.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 18 juin et 19 novembre 2021, M. D... C... et Mme A... C..., représentés par la SELARL Soler-Couteaux et associés, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la commune de Porto-Vecchio une somme de 3 000 euros à leur verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que la requête n'est pas fondée dans les moyens qu'elle soulève.

La requête a été communiquée à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Balaresque,

- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public ;

- et les observations de Me Gilliocq pour la commune de Porto-Vecchio et celles de Me Soler-Couteaux pour M. et Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme C... ont fait l'acquisition le 11 septembre 2017 d'un terrain, cadastré section F n° 3007, situé sur le territoire de la commune de Porto-Vecchio au lieu-dit " Bocca del Oro ". Ce terrain constitue le lot n° 10 d'un lotissement dénommé " Le parc des îles ", qui avait été autorisé par un permis d'aménager le 11 février 2011. M. C... avait préalablement sollicité la délivrance d'un certificat d'urbanisme afin de savoir si était réalisable sur ce terrain la construction d'une villa développant une surface de plancher de 400 mètres carrés avec une piscine, ce à quoi le maire de Porto-Vecchio lui a répondu favorablement le 1er septembre 2017, en déclarant que cette opération était réalisable. Cependant, M. C... s'est ensuite vu opposer à deux reprises par le maire de Porto-Vecchio, les 21 février 2018 et 21 novembre 2018, des décisions de refus à une demande de permis de construire portant sur la construction d'une maison individuelle avec un garage et une piscine sur ce même terrain. Par un courrier du 3 décembre 2018, M. et Mme C... ont adressé au maire de Porto-Vecchio une demande préalable à l'engagement de la responsabilité de sa commune. Par une décision du 7 janvier 2019, le maire a rejeté cette demande. M. et Mme C... ont demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner la commune de Porto-Vecchio à leur verser une somme de 778 417,74 euros au principal, en réparation des conséquences dommageables de l'illégalité du certificat d'urbanisme délivré par le maire de Porto-Vecchio le 1er septembre 2017 et déclarant réalisable l'opération consistant à édifier une maison individuelle sur une parcelle cadastrée section F n° 3007. Par un jugement n°1900299 du 7 janvier 2021, le tribunal administratif de Bastia a, d'une part, condamné la commune de Porto-Vecchio à verser à M. et Mme B..., pris ensemble, une somme de 501 390,52 euros et à M. B... une somme de 9 301,33 euros et, d'autre part, condamné l'Etat à garantir la commune de Porto-Vecchio à concurrence de la moitié de ces condamnations. Sous le n° 21MA00404, M. et Mme C... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il exonère partiellement la commune de Porto-Vecchio de sa responsabilité et qu'il limite l'indemnisation due par la commune. Sous le n° 21MA00873 la commune de Porto-Vecchio relève appel de ce jugement en tant qu'il l'a condamnée à prendre en charge les deux tiers des demandes indemnitaires des époux C... et demande à la Cour, à titre principal, de rejeter l'ensemble des demandes indemnitaires des époux C... et, à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à la garantir de la totalité des condamnations prononcées à son encontre. Enfin, sous le n° 21MA01734, la commune de Porto-Vecchio demande à la Cour de prononcer le sursis à exécution de ce jugement.

Sur la jonction :

2. Les trois requêtes susvisées sont dirigées contre le même jugement et présentent à juger des questions semblables. Elles ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul et même arrêt.

Sur les requêtes n° 21MA00404 et 21MA00873 :

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le principe de la responsabilité de la commune :

3. Aux termes de l'article L. 410-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de délivrance du certificat d'urbanisme : " Le certificat d'urbanisme, en fonction de la demande présentée : / a) Indique les dispositions d'urbanisme, les limitations administratives au droit de propriété et la liste des taxes et participations d'urbanisme applicables à un terrain ; / b) Indique en outre, lorsque la demande a précisé la nature de l'opération envisagée ainsi que la localisation approximative et la destination des bâtiments projetés, si le terrain peut être utilisé pour la réalisation de cette opération ainsi que l'état des équipements publics existants ou prévus ". La délivrance par les services d'une commune de renseignements d'urbanisme inexacts ou incomplets, qui notamment omettraient l'existence d'une circonstance de nature à compromettre les conditions de vente d'un bien immobilier, est susceptible de constituer une faute de service et d'engager à ce titre la responsabilité de la collectivité en raison des préjudices directement imputables à cette faute.

4. Aux termes de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors en vigueur : " L'extension de l'urbanisation se réalise soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement ". Il résulte de ces dispositions que les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, c'est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions, mais que, en revanche, aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité avec d'autres, dans les zones d'urbanisation diffuse éloignées de ces agglomérations et villages.

5. Il résulte de l'instruction et il n'est au demeurant pas contesté que le terrain acquis par M. et Mme C... se situe dans une zone d'urbanisation diffuse, éloignée des agglomérations et villages existants et qu'en application des dispositions précitées de l'article L. 128-1 du code de l'urbanisme, aucune construction ne pouvait y être autorisée.

6. Ce terrain a toutefois fait l'objet d'un certificat d'urbanisme positif délivré en application de l'article L. 410-1 du code de l'urbanisme par le maire de Porto-Vecchio le 1er septembre 2017, mentionnant que le terrain pouvait être utilisé pour la construction d'une villa d'une surface de plancher de 400 mètres carrés et d'une piscine. M. et Mme C... se sont ensuite vu opposer à deux reprises par le maire de Porto-Vecchio, les 21 février 2018 et 21 novembre 2018, des décisions de refus de permis de construire pour la construction d'une maison individuelle d'une surface de plancher de 300 mètres carrés avec un garage et une piscine sur ce même terrain au motif que la construction projetée n'était pas située en continuité avec les agglomérations et villages existant ni au sein d'un hameau nouveau intégré à l'environnement et qu'elle ne répondait pas aux exigences de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme.

7. Ainsi que l'a jugé le tribunal, le simple fait que le certificat d'urbanisme délivré le 1er septembre 2017, dont l'objet était de fournir une assurance sur la constructibilité du terrain, indiquait à tort que le terrain en cause pouvait être utilisé pour la réalisation de l'opération projetée par M. et Mme C..., méconnaissant ainsi les dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Porto-Vecchio. La circonstance que ce certificat d'urbanisme comporte les mentions prévues par l'article L. 410-1 du code de l'urbanisme, en précisant que sont applicables les dispositions du code de l'urbanisme particulières applicables au littoral et du plan d'aménagement et de développement durable de Corse et qu'une demande de permis de construire serait soumise à l'avis conforme du représentant de l'Etat en application de l'article L. 422-6 du code de l'urbanisme, est sans incidence sur l'existence de cette illégalité fautive et partant l'engagement de la responsabilité de la commune.

En ce qui concerne la faute de la victime :

8. Ainsi que l'a relevé le tribunal, d'une part, la seule circonstance que M. C... détienne des parts dans deux sociétés civiles immobilières ne saurait lui conférer la qualité de professionnel de l'immobilier et, d'autre part, la commune n'apporte aucun élément permettant d'établir que M. et Mme C... avaient nécessairement connaissance de ce que le secteur où se situe le terrain dont ils ont fait l'acquisition constitue un espace " particulièrement sensible du littoral " et que, de ce fait, ils ne pouvaient ignorer l'inconstructibilité de ce terrain au regard des dispositions du code de l'urbanisme particulières au littoral, alors d'ailleurs que plusieurs permis de construire avaient été accordés au cours des années précédentes pour des projets de construction sur d'autres lots du lotissement " Le parc des îles " situés à proximité immédiate de ce terrain.

9. S'il résulte de l'instruction que l'acte notarié du 11 septembre 2017 par lequel M. et Mme C... ont acquis le terrain en cause stipulait que " les dispositions de la loi littoral étant d'une valeur juridique supérieure au plan d'occupation des sols ou au plan local d'urbanisme, l'acquéreur déclare avoir été averti que la constructibilité du terrain objet des présentes peut être remise en cause par une interprétation restrictive que pourrait faire le juge administratif. L'acquéreur déclare avoir eu connaissance, dès avant ce jour, de cette situation ", ces mentions stéréotypées, qui relèvent d'ailleurs l'existence du plan d'occupation des sols et du plan local d'urbanisme alors qu'à cette date, la commune de Porto-Vecchio n'était pas soumise à un tel document d'urbanisme, ne peuvent, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, être regardées comme contenant des informations qui auraient dû nécessairement inciter à la prudence les époux C....

10. Dans ces conditions, M. et Mme C..., qui ne sont pas des professionnels de l'immobilier, n'ont pas commis d'imprudence fautive en accordant crédit au certificat d'urbanisme erroné délivré par la commune, attestant de la faisabilité de leur projet, et sur la base duquel ils ont acquis en tant que terrain constructible la parcelle susmentionnée en vue d'y construire une maison d'habitation et une piscine. Le certificat d'urbanisme litigieux, s'il indiquait qu'étaient applicables les dispositions du code de l'urbanisme particulières applicables au littoral et du plan d'aménagement et de développement durable de Corse, ne portait aucune mention de nature à laisser penser que le terrain ne serait pas constructible et permettait, au contraire, expressément la réalisation de l'opération projetée. Dès lors que M. et Mme C... ont pu légitimement se fier aux assurances contenues dans le certificat d'urbanisme, ils ne peuvent être regardés comme ayant commis une imprudence fautive en se portant acquéreurs de la parcelle sans assortir le contrat d'une condition suspensive d'obtention d'un permis de construire.

11. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme C... sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a laissé à leur charge le tiers des conséquences dommageables de l'illégalité du certificat d'urbanisme du 1er septembre 2017. Il y a lieu, par suite, de réformer le jugement attaqué en ce sens.

En ce qui concerne le préjudice et le lien de causalité :

12. La responsabilité d'une personne publique n'est susceptible d'être engagée que s'il existe un lien de causalité suffisamment direct entre les fautes commises par cette personne et le préjudice subi par la victime.

13. Ainsi qu'il a été dit au point 9, le certificat d'urbanisme du 1er septembre 2017, obtenu par les époux C... préalablement à l'acquisition du terrain en cause le 11 septembre 2017, a donné à ces derniers une assurance suffisante de la constructibilité de ce terrain pour qu'ils en poursuivent l'acquisition, sans introduire de condition suspensive d'obtention d'un permis de construire dans le contrat de vente. Contrairement à ce que soutient la commune, le préjudice résultant pour les époux C... E... la différence entre le prix d'acquisition de ce terrain et sa valeur réelle trouve dès lors sa cause directe dans l'illégalité dont est entaché le certificat d'urbanisme délivré le 1er septembre 2017.

14. La commune de Porto-Vecchio conteste l'estimation retenue par les premiers juges de la valeur vénale du terrain appartenant aux époux C..., en produisant en appel une unique estimation d'une agence immobilière en date du 14 septembre 2021, qui évalue la valeur du terrain en cause à une somme comprise entre 95 000 et 100 000 euros. Dans les circonstances de l'espèce, compte-tenu notamment de l'évaluation produite en première instance et effectuée par un notaire le 22 janvier 2020 à la demande des époux C..., il sera fait une juste appréciation de la valeur vénale du terrain en cause en l'évaluant à la somme de 60 000 euros. Eu égard au coût d'acquisition du terrain, estimé par les premiers juges à la somme non contestée de 735 800 euros, le préjudice résultant de la différence entre le coût d'acquisition du terrain et sa valeur réelle peut être évalué à la somme de 675 800 euros.

15. Il y a lieu de retenir l'évaluation effectuée par les premiers juges des autres préjudices subis par les époux B..., dont ni l'existence ni le montant ne sont contestés en appel, par l'adoption des motifs appropriés figurant aux points 12 à 15 du jugement attaqué. M. et Mme B... sont ainsi fondés à demander la somme de 37 120 euros correspondant au montant des frais d'architecte et de maîtrise d'œuvre qu'ils ont exposés en pure perte, la somme de 6 452,78 euros correspondant aux charges de copropriété au titre de l'année 2018, la somme de 1 213 euros correspondant à la cotisation de taxe foncière pour l'année 2019, la somme de 1 500 euros au titre des troubles dans leurs conditions d'existence. M. C... est également fondé à demander la somme de 13 952 euros correspondant au coût d'immobilisation des fonds qui ont servi à financer l'achat du terrain.

16. Il résulte de ce qui précède, notamment de l'absence d'imprudence fautive des époux C... de nature à exonérer totalement comme partiellement la commune de sa responsabilité, qu'il y a lieu de réformer le jugement attaqué en condamnant la commune de Porto-Vecchio à verser à M. et Mme C..., pris ensemble, la somme globale de 722 085,78 euros au principal et à M. C..., la somme de 13 952 euros au principal.

En ce qui concerne l'appel en garantie de l'Etat par la commune de Porto-Vecchio:

17. Les carences de l'Etat dans l'exercice du contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales ne sont susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat que si elles présentent le caractère d'une faute lourde.

18. Il ne résulte pas de l'instruction qu'en s'abstenant de déférer au tribunal administratif le certificat d'urbanisme litigieux, le préfet de la Corse-du-Sud aurait commis une telle faute.

19. Aux termes de l'article L. 422-6 du code de l'urbanisme : " En cas d'annulation par voie juridictionnelle ou d'abrogation d'une carte communale, d'un plan local d'urbanisme ou d'un document d'urbanisme en tenant lieu, ou de constatation de leur illégalité par la juridiction administrative ou l'autorité compétente et lorsque cette décision n'a pas pour effet de remettre en vigueur un document d'urbanisme antérieur, le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale recueille l'avis conforme du préfet sur les demandes de permis ou les déclarations préalables postérieures à cette annulation, à cette abrogation ou à cette constatation ".

20. Si les dispositions précitées ne confèrent pas à l'Etat la qualité de co-auteur du certificat d'urbanisme délivré le 1er septembre 2017, il résulte toutefois de l'instruction qu'après l'annulation du plan local d'urbanisme de la commune de Porto-Vecchio par jugement du tribunal administratif de Bastia du 20 mai 2011, plusieurs permis de construire portant sur des projets de construction de maisons individuelles ont été délivrés au sein du lotissement " Le parc des îles ", à proximité immédiate du terrain en cause, par le maire de Porto-Vecchio, après avis conforme du préfet de la Corse-du-Sud, en application des dispositions précitées de l'article L. 422-6 du code de l'urbanisme. Ainsi que l'a relevé le tribunal, la délivrance de ces avis conformes traduit la position constante des services de l'Etat, entre l'année 2012 et au moins jusqu'au mois de mars 2017, de ne pas remettre en cause la constructibilité des lots de certains lotissements qui avait fait l'objet d'autorisations antérieurement à l'annulation pour excès de pouvoir du plan local d'urbanisme de Porto-Vecchio, position qui a été expressément portée à la connaissance de la commune par une lettre adressée au maire par le préfet le 1er septembre 2014, qui mentionnait le lotissement " Le parc des îles ". Une telle prise de position, qui reposait sur une appréciation erronée de la portée des dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, a contribué à fausser l'appréciation du maire de Porto-Vecchio et à le dissuader d'opposer un refus à la demande présentée par les époux B... en juin 2017 et tendant à l'obtention d'un certificat d'urbanisme déclarant réalisable la construction d'une maison individuelle sur la parcelle en cause. Toutefois, ainsi que l'a également relevé le tribunal, si une telle faute est de nature à engager la responsabilité de l'Etat, elle ne dispensait pas la commune de Porto-Vecchio d'apprécier elle-même si ces dispositions ne faisaient pas obstacle à la délivrance d'autorisations de construire sur les terrains situés au sein de ce lotissement. Dans les circonstances de l'espèce, le tribunal a fait une juste appréciation de la part de responsabilité incombant à la commune et à l'Etat en condamnant ce dernier à la garantir à hauteur de la moitié des condamnations prononcées à son encontre. Il s'ensuit que l'appel incident de l'Etat ne peut être que rejeté.

Sur la requête n° 21MA01734 :

21. Le présent arrêt statuant au fond, les conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement attaqué sont devenues sans objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer.

Sur les frais liés au litige :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. et Mme C..., qui ne sont pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que demande la commune de Porto-Vecchio au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune la somme de 1 500 euros à verser à M. et Mme C... sur le même fondement.

D E C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n°21MA01734 présentée par la commune de Porto-Vecchio.

Article 2 : Les sommes que la commune de Porto-Vecchio est condamnée à verser au principal sont portées à 722 085,78 euros pour M. et Mme C..., pris ensemble et 13 952 euros pour M. C....

Article 3 : L'Etat est condamné à garantir la commune de Porto-Vecchio à concurrence de la moitié des condamnations prononcées aux articles 1er et 2.

Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Bastia du 7 janvier 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : La commune de Porto-Vecchio versera à M. et Mme C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions de M. et Mme C... est rejeté.

Article 7 : L'appel incident de l'Etat dirigé contre l'article 3 du jugement du tribunal administratif de Bastia est rejeté.

Article 8 : Les conclusions de la commune de Porto-Vecchio présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C..., à Mme A... C..., à la commune de Porto-Vecchio et à la ministre de la transition écologique.

Copie en sera adressée pour information au préfet de la Corse du Sud.

Délibéré après l'audience du 11 avril 2022, où siégeaient :

- M. Bocquet, président,

- M. Marcovici, président-assesseur,

- Mme Balaresque, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mai 2022.

2

No 21MA00404 - 21MA00873 - 21MA01734


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA00404
Date de la décision : 02/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Fondement de la responsabilité - Responsabilité sans faute.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics.

Urbanisme et aménagement du territoire - Permis de construire - Contentieux de la responsabilité (voir : Responsabilité de la puissance publique).


Composition du Tribunal
Président : M. BOCQUET
Rapporteur ?: Mme Claire BALARESQUE
Rapporteur public ?: M. PECCHIOLI
Avocat(s) : SELARL SOLER-COUTEAUX/LLORENS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-05-02;21ma00404 ?
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