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07/11/2022 | FRANCE | N°21MA01831

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 5ème chambre, 07 novembre 2022, 21MA01831


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B..., Mme E... née B... et M. D... B... ont demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'État à leur verser la somme de 30 000 euros chacun en réparation des préjudices subis du fait du décès de Jean-Emmanuel B....

Par un jugement n° 1903754 du 12 avril 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 14 mai, 9 juin et 8 novembre 2021, les consorts B..., représ

entés par Me Chapuis, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 12 avril 2021 du trib...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B..., Mme E... née B... et M. D... B... ont demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'État à leur verser la somme de 30 000 euros chacun en réparation des préjudices subis du fait du décès de Jean-Emmanuel B....

Par un jugement n° 1903754 du 12 avril 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 14 mai, 9 juin et 8 novembre 2021, les consorts B..., représentés par Me Chapuis, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 12 avril 2021 du tribunal administratif de Marseille ;

2°) de condamner l'État à leur verser la somme de 30 000 euros chacun ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros chacun en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- il convient de surseoir à statuer ;

- les gendarmes ont commis une faute en s'abstenant de retenir physiquement Jean-Emmanuel B... et en lui rendant les clés de son véhicule ;

- ils auraient dû rester sur place ;

- celui-ci aurait dû faire l'objet d'une rétention pour ivresse publique manifeste ;

- le véhicule aurait dû être immobilisé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 octobre 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par les consorts B... ne sont pas fondés ;

- la victime a commis une faute exonératoire de responsabilité ;

- elle était dans une situation illégitime ;

- le lien de causalité avec l'accident n'est pas établi.

Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'incompétence de la justice administrative pour statuer sur la responsabilité de l'État du fait de l'absence d'immobilisation du véhicule de la victime, qui relève de l'exercice des pouvoirs de la police judiciaire.

Un mémoire a été enregistré en réponse à cette mesure d'information le 6 septembre 2022 pour les consorts B....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la route ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,

- et les observations de Me Chapuis, représentant les consorts B....

Considérant ce qui suit :

1. Jean-Emmanuel B..., né en 1966, a été victime d'un accident mortel de motocyclette près de la commune de Peipin le 7 janvier 2015 à 18h45. M. A... B..., Mme E... née B... et M. D... B..., respectivement père, sœur et frère de la victime, imputent ce décès aux conditions de l'intervention des gendarmes auprès de ce dernier à Sisteron, le même jour à 17h20. Ils font appel du jugement du 12 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande tendant à l'engagement de la responsabilité de l'État.

Sur l'exercice des pouvoirs de police judiciaire :

2. La possibilité, pour les officiers et agents de police judiciaire, de procéder à l'immobilisation et à la mise en fourrière du véhicule dont l'auteur s'est servi pour commettre une infraction, sur le fondement de l'article L. 325-1-2 du code de la route, relèvent de pouvoirs de police judiciaire. Le tribunal administratif s'est irrégulièrement prononcé au fond sur la faute qu'aurait commise les gendarmes dans l'exercice de leurs pouvoirs de police judiciaire, en s'abstenant de faire procéder à l'immobilisation du véhicule de M. B... sur le fondement de ces dispositions.

3. Cette irrégularité justifie d'annuler le jugement attaqué dans cette mesure et, après évocation, de rejeter les conclusions présentées sur ce fondement comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Sur l'exercice des pouvoirs de police administrative :

4. Selon le premier paragraphe de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : / (...) e) s'il s'agit de la détention régulière (...) d'un alcoolique (...) ".

5. L'article L. 3341-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors en vigueur, dispose qu' : " Une personne trouvée en état d'ivresse dans les lieux publics est, par mesure de police, conduite à ses frais dans le local de police ou de gendarmerie le plus voisin ou dans une chambre de sûreté, pour y être retenue jusqu'à ce qu'elle ait recouvré la raison. "

6. Il résulte du premier paragraphe de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, notamment par un arrêt n° 26629/95 du 4 avril 2000, qu'une personne se trouvant dans un lieu public ne peut être placée en rétention, sur le fondement des dispositions de l'article L. 3341-1 du code de la santé publique, du seul fait de son état d'ivresse, que celui-ci soit d'ailleurs " manifeste " ou non. Pour qu'une rétention puisse être régulière, il faut encore que le comportement de la personne concernée risque de porter atteinte à l'ordre public, à sa propre sécurité ou à celle d'autrui, et que sa privation de liberté soit nécessaire dans les circonstances de l'espèce.

7. Il résulte de l'instruction que deux gendarmes de la circonscription sont intervenus sur appel de la police municipale le 7 janvier 2015 à 17h20 avenue des arcades, à Sisteron, pour venir à la rencontre de Jean-Emmanuel B..., fortement alcoolisé. Celui-ci leur a déclaré résider à Volonne, à douze kilomètres de Sisteron. Si cette déclaration s'est ultérieurement révélée être un mensonge, les gendarmes n'avaient aucun motif de la mettre en doute, et encore moins d'en vérifier l'exactitude à l'aide de fichiers de police comme le soutiennent les consorts B.... M. B... a refusé d'être accompagné à l'hôpital. Les gendarmes l'ont invité à laisser son véhicule sur place et à rentrer chez lui à pied ou accompagné d'un ami. M. B..., décrit comme " très calme " lors du contrôle, a répondu aux questions des gendarmes, ne s'est pas opposé à leurs injonctions et a quitté les lieux en direction de la poste. Les gendarmes sont restés sur place jusqu'à 17h40 afin de s'assurer que celui-ci ne reprenait pas son véhicule. Ils ont vérifié que sa motocyclette était encore stationnée au même endroit à 18h10. En invitant l'intéressé à rejoindre son domicile par d'autres moyens que son véhicule personnel, les gendarmes ont réagi de façon proportionnée aux circonstances. Celui-ci quittait les lieux sans prendre son véhicule. Aucun élément ne permettait aux gendarmes, après avoir procédé aux vérifications qu'on pouvait raisonnablement attendre jusqu'à 18h10, soit quarante minutes plus tard, qu'il s'abstiendrait de s'exécuter. Par suite, la privation de liberté de l'intéressé n'apparaissait pas comme une mesure nécessaire au regard d'un risque d'atteinte à l'ordre public, à sa propre sécurité ou à celle d'autrui. Les forces de l'ordre n'ont donc pas commis de faute en s'abstenant de prendre la mesure prévue à l'article L. 3341-1 du code de la santé publique.

8. En dehors des cas prévus par la loi, notamment de l'article L. 3341-1 du code de la santé publique, les forces de l'ordre ne peuvent, dans l'exercice de pouvoirs de police administrative, porter atteinte à la liberté d'aller et de venir d'une personne du fait de son état d'ivresse. Contrairement à ce que soutiennent les consorts B..., ni l'article R. 434-2 du code de la sécurité intérieure, relatif à la déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale, ni les campagnes de sensibilisation à la sécurité routière ne les habilitent à retenir physiquement une personne ou à lui confisquer les clés de son véhicule. En s'abstenant de commettre de telles illégalités, les gendarmes n'ont pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de l'État.

9. Enfin, le moyen tiré de ce que les gendarmes auraient commis une faute en s'abstenant de rester sur place manque en fait, ainsi qu'il a été vu point 7.

10. Il résulte de ce qui précède que les consorts B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande en tant qu'elle tendait à l'engagement de la responsabilité de l'État dans l'exercice de ses pouvoirs de police administrative.

Sur les frais liés au litige :

11. L'État n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font en conséquence obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par les consorts B... au titre des frais qu'ils ont exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du 12 avril 2021 du tribunal administratif de Marseille est annulé en tant qu'il s'est prononcé sur les conclusions des consorts B... fondées sur la faute qu'auraient commise les services de l'Etat dans l'exercice de leurs pouvoirs de police judiciaire.

Article 2 : Les conclusions visées à l'article 1er sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Article 3 : Le surplus des conclusions des consorts B... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Mme E... née B..., à M. D... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 17 octobre 2022, où siégeaient :

- M. Bocquet, président,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- M. Mérenne, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 novembre 2022.

2

No 21MA01831


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA01831
Date de la décision : 07/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-03-01-02 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Services de police. - Services de l'Etat. - Abstention des forces de police.


Composition du Tribunal
Président : M. BOCQUET
Rapporteur ?: M. Sylvain MERENNE
Rapporteur public ?: M. PECCHIOLI
Avocat(s) : SELARL D'AVOCATS ARNAULT CHAPUIS

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-11-07;21ma01831 ?
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