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08/06/2023 | FRANCE | N°21MA00426

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 1ère chambre, 08 juin 2023, 21MA00426


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) Le Trible a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 9 décembre 2016 par laquelle le premier adjoint au maire de la commune de Roquebrune-Cap-Martin lui a demandé de compléter son dossier de demande de permis de construire en fournissant une copie de la lettre du préfet lui faisant savoir que sa demande d'autorisation de défrichement était complète ainsi que la décision implicite portant rejet de son recours gracieux.

La SCI Le Trible

a également demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision taci...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) Le Trible a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 9 décembre 2016 par laquelle le premier adjoint au maire de la commune de Roquebrune-Cap-Martin lui a demandé de compléter son dossier de demande de permis de construire en fournissant une copie de la lettre du préfet lui faisant savoir que sa demande d'autorisation de défrichement était complète ainsi que la décision implicite portant rejet de son recours gracieux.

La SCI Le Trible a également demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision tacite de refus de permis de construire du maire de la commune de Roquebrune-Cap-Martin intervenue le 20 mars 2017 à la suite de la non-transmission de la pièce demandée.

Par deux jugements n° 1701982 et n° 1702547 du 18 novembre 2020, le tribunal administratif de Nice a rejeté les deux demandes de la SCI Le Trible.

Procédure devant la Cour :

I. Par une requête n° 21MA00426 et un mémoire enregistrés le 18 janvier 2021 et le 12 avril 2023, la SCI Le Trible, représentée par Me Borrel, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1702547du tribunal administratif de Nice du 18 novembre 2020 ;

2°) d'annuler la décision du premier adjoint au maire de la commune de Roquebrune-Cap-Martin du 9 décembre 2016 et la décision implicite portant rejet de son recours gracieux ;

3°) d'enjoindre au maire de Roquebrune-Cap-Martin de réexaminer sa demande de permis de construire sous l'empire des dispositions du plan d'occupation des sols, en application des articles L. 911-2 du code de justice administrative et L. 600-2 du code de l'urbanisme ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Roquebrune-Cap-Martin la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il a omis de statuer sur les conclusions à fins de sursis à statuer ou de jonction ;

- le jugement est en outre insuffisamment motivé ;

- elle est devenue titulaire d'une autorisation tacite de défrichement à la suite de la réception par l'administration, le 9 novembre 2015, des pièces destinées à compléter le dossier de la demande ;

- en tout état de cause, elle ne pouvait matériellement produire la pièce PCMI 17 ;

- l'autorité administrative était en mesure d'apprécier la conformité du projet à la règlementation applicable en dépit de l'absence de cette pièce ;

- le motif tiré de l'existence d'une décision de refus d'autorisation de défrichement est erroné en fait ;

- la décision du 9 décembre 2016 est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 29 mars 2023, la commune de Roquebrune-Cap-Martin, représentée par Me Jacquemin, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la SCI Le Trible au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande de première instance est irrecevable en ce qu'elle tend à l'annulation d'un acte ne faisant pas grief ;

- les moyens soulevés par la SCI Le Trible ne sont pas fondés.

II. Par une requête n° 21MA00427 et un mémoire enregistrés le 18 janvier 2021 et le 26 avril 2023, la SCI Le Trible, représentée par Me Borrel, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1701982 du tribunal administratif de Nice du 18 novembre 2020 ;

2°) d'annuler la décision tacite de refus de permis de construire du maire de Roquebrune-Cap-Martin intervenue le 20 mars 2017 ;

3°) d'enjoindre au maire de Roquebrune-Cap-Martin de réexaminer sa demande de permis de construire sous l'empire des dispositions du plan d'occupation des sols, en application des articles L. 911-2 du code de justice administrative et L. 600-2 du code de l'urbanisme ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Roquebrune-Cap-Martin la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier en ce qu'il a omis de statuer sur les conclusions à fins de sursis à statuer ou de jonction ;

- le jugement est en outre insuffisamment motivé ;

- la décision attaquée doit être regardée comme ayant été prise par le premier adjoint au maire dont il n'est pas établi qu'il disposait d'une délégation de fonctions ; le jugement a omis de répondre à ce moyen ;

- elle est devenue titulaire d'une autorisation tacite de défrichement à la suite de la réception par l'administration, le 9 novembre 2015, des pièces destinées à compléter le dossier de la demande ;

- en tout état de cause, elle ne pouvait matériellement produire la pièce PCMI 17 ;

- l'autorité administrative était en mesure d'apprécier la conformité du projet à la règlementation applicable en dépit de l'absence de cette pièce ;

- le motif tiré de l'existence d'une décision de refus d'autorisation de défrichement est erroné en fait ;

- la décision du 9 décembre 2016 est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 11 avril 2023, la commune de Roquebrune-Cap-Martin, représentée par Me Jacquemin, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la SCI Le Trible au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la SCI Le Trible ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code forestier ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. d'Izarn de Villefort,

- et les conclusions de M. Roux, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 9 décembre 2015, le maire de Roquebrune-Cap-Martin a délivré à la société civile immobilière (SCI) Le Trible un permis de construire une maison individuelle avec piscine sur un terrain situé lieu-dit Bestagne, cadastré section AW n°s 368, 370, 372, 405p et 427. Sur déféré du préfet des Alpes-Maritimes, le tribunal administratif de Nice a, par un jugement du 1er décembre 2016, annulé cet arrêté au motif que le dossier de demande de permis de construire était incomplet au regard des dispositions de l'article R. 431-19 du code de l'urbanisme. Par lettre du 9 décembre 2016, le premier adjoint au maire de Roquebrune-Cap-Martin a demandé à la SCI Le Trible de compléter le dossier de sa nouvelle demande de permis de construire, déposée pour le même projet le 23 novembre 2016, en fournissant, en application de l'article R. 431-19 du code de l'urbanisme, une copie de la lettre du préfet lui faisant savoir que sa demande d'autorisation de défrichement était complète. La SCI Le Trible a demandé au tribunal administratif de Nice l'annulation de la demande de pièces complémentaires du 9 décembre 2016 ainsi que de la décision tacite de refus de permis de construire du maire intervenue le 20 mars 2017 à la suite de l'absence de transmission de la pièce demandée. Elle relève appel des jugements du 18 novembre 2020 par lesquels le tribunal administratif a rejeté ses demandes.

2. Les requêtes susvisées n° 21MA00426 et n° 21MA00427, présentées pour la SCI Le Trible présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la régularité des jugements attaqués :

3. La SCI Le Trible a soulevé à l'appui de ses deux demandes présentées devant le tribunal administratif de Nice le moyen tiré de ce que la demande de pièce en litige n'était pas justifiée dans la mesure notamment où elle n'avait pas reçu du préfet notification du document estimant que le projet envisagé était soumis à autorisation de défrichement de sorte que l'administration devait être regardée comme ayant estimé que le projet ne nécessitait pas d'autorisation de défrichement. Elle n'a cependant pas indiqué la disposition légale ou règlementaire imposant à l'administration la transmission d'un tel document, l'objet du document mentionné à l'article R. 431-19 du code de l'urbanisme étant autre. Les jugements attaqués relèvent sur ce point que " il n'est pas sérieusement contesté que le projet litigieux nécessite une autorisation de défrichement, comme l'a jugé le tribunal administratif de Nice par un jugement n° 1602121 du 1er décembre 2016 ". Si une décision juridictionnelle ne peut être motivée par simple référence à une autre décision rendue par la même juridiction dans un autre litige, même lorsque les parties sont identiques, le tribunal administratif s'est en l'espèce borné à constater, à juste titre, que le moyen en cause était peu argumenté, la référence à son jugement du 1er décembre 2016 étant superfétatoire. Dès lors, la SCI Le Trible n'est pas fondée à soutenir que le jugement serait insuffisamment ou irrégulièrement motivé.

4. Pour écarter le moyen soulevé à l'appui des conclusions dirigées contre la décision tacite de refus de permis de construire du maire de Roquebrune-Cap-Martin tiré de l'incompétence de son auteur, les premiers juges, après avoir rappelé qu'une décision implicite est réputée prise par l'autorité qui est saisie de la demande, ont constaté que la SCI Le Trible ayant saisi le maire d'une demande de permis de construire, la décision implicite de rejet attaqué était réputée avoir été prise par cette autorité. Ils en ont déduit que le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait entachée d'incompétence devait être écarté. Ils ont par là même implicitement mais nécessairement considéré que la requérante ne pouvait utilement soutenir que la décision attaquée devant lui devait être regardée comme ayant été prise par le premier adjoint au maire, signataire de la demande de pièce du 9 décembre 2016 et dont il n'était pas établi qu'il disposait d'une délégation de fonctions. Dans ces conditions, le jugement n° 1701982 n'a pas omis de répondre au moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte.

5. La SCI Le Trible a demandé au tribunal administratif, dans les deux instances présentées devant celui-ci, de surseoir à statuer en reportant la date de clôture de l'instruction dans l'attente que la cinquième chambre statue sur le bien-fondé de la demande n° 1903434 tendant à l'annulation de la décision implicite du préfet des Alpes-Maritimes refusant de lui délivrer une attestation d'autorisation tacite de défrichement ou, à tout le moins, de joindre ces instances. En rejetant au fond les conclusions à fin d'annulation dont il était saisi et en se prononçant sur ces conclusions par deux jugements distincts, le tribunal a implicitement, mais nécessairement rejeté ces conclusions de la SCI Le Trible. Par ailleurs, l'état de l'instruction des demandes lui permettait d'apprécier le bien-fondé du moyen tiré de ce que la requérante était titulaire selon elle d'une autorisation tacite de défrichement, moyen qu'il a écarté au motif qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que la SCI Le Trible ait répondu à la demande de l'administration du 2 novembre 2015, ni qu'une copie informant le demandeur que le dossier de sa demande est complet aurait été affichée, ainsi que le prévoit le deuxième alinéa de l'article L. 341-4 du code forestier. En n'usant pas de son pouvoir de joindre les affaires en cause à l'affaire n° 1903434, le tribunal n'a pas entaché les jugements attaqués d'irrégularité. Par suite, la SCI Le Trible n'est fondée à soutenir ni que ces jugements sont entachés d'un défaut de réponse à ces conclusions, ni qu'en s'abstenant d'y faire droit, le tribunal les aurait entachés d'irrégularité et porté atteinte au droit à un procès équitable et au respect de l'égalité des armes garanti par l'article 6-1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la demande de pièce du 9 décembre 2016 :

6. Une demande de pièces complémentaires faisant naître une décision tacite de refus en l'absence de production des pièces demandées constitue une décision faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

7. Aux termes de l'article R. 423-38 du code de l'urbanisme : " Lorsque le dossier ne comprend pas les pièces exigées en application du présent livre, l'autorité compétente, dans le délai d'un mois à compter de la réception ou du dépôt du dossier à la mairie, adresse au demandeur ou à l'auteur de la déclaration une lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou, dans le cas prévu par l'article R. 423-48, un échange électronique, indiquant, de façon exhaustive, les pièces manquantes. ". Aux termes de l'article R. 423-39 du même code : " L'envoi prévu à l'article R. 423-38 précise : / a) Que les pièces manquantes doivent être adressées à la mairie dans le délai de trois mois à compter de sa réception ; / b) Qu'à défaut de production de l'ensemble des pièces manquantes dans ce délai, la demande fera l'objet d'une décision tacite de rejet en cas de demande de permis ou d'une décision tacite d'opposition en cas de déclaration ; / c) Que le délai d'instruction commencera à courir à compter de la réception des pièces manquantes par la mairie. ". Aux termes de l'article R. 431-19 du même code : " Lorsque les travaux projetés nécessitent une autorisation de défrichement en application des articles L. 341-1, L. 341-3 ou L. 214-13 du code forestier, la demande de permis de construire est complétée par la copie de la lettre par laquelle le préfet fait connaître au demandeur que son dossier de demande d'autorisation de défrichement est complet, si le défrichement est ou non soumis à reconnaissance de la situation et de l'état des terrains et si la demande doit ou non faire l'objet d'une enquête publique. ".

8. La SCI Le Trible, qui soutient que la demande de pièce du 9 décembre 2016 serait insuffisamment motivée, ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 423-3 du code de l'urbanisme qui ne s'appliquent qu'aux décisions qui rejettent une demande de permis de construire ou s'opposent à une déclaration préalable. Il ne résulte ni des dispositions citées au point 6, ni d'autres dispositions qu'une telle demande de pièce ait à mentionner le fondement légal de cette procédure ou les raisons pour lesquelles le projet nécessite la délivrance d'une autorisation de défrichement. Si le service instructeur a entendu justifier la demande de pièce en litige en y mentionnant que le terrain d'assiette du projet avait fait l'objet, en l'état, d'une décision du 15 février 2016 refusant la délivrance d'une autorisation de défrichement, il n'était pas tenu pour autant de préciser les raisons pour lesquelles cette décision était opposable à la demande de permis de construire en cause. Par suite, le moyen selon lequel la demande de pièce du 9 décembre 2016 serait entachée d'un vice de forme doit être écarté.

9. Il est constant que la demande de permis de construire déposée par la SCI Le Trible le 23 novembre 2016 ne comportait pas la pièce désignée à l'article R. 431-19 du code de l'urbanisme, devant y être annexée s'il y a lieu sous le n° PC17 et que l'intéressée n'a pas donné suite à la demande de pièce attaquée du 9 décembre 2016. La requérante ne conteste pas que le défrichement envisagé d'une surface de 0,003 ha sur la parcelle cadastrée AW 368 est soumise à autorisation préalable de défrichement dès lors notamment, ainsi qu'il ressort de la demande d'autorisation de défrichement jointe aux dossiers, que la parcelle objet de la décision en litige fait partie du massif forestier du Mont Agel.

10. Aux termes de l'article L. 341-1 du code forestier : " Est un défrichement toute opération volontaire ayant pour effet de détruire l'état boisé d'un terrain et de mettre fin à sa destination forestière. / Est également un défrichement toute opération volontaire entraînant indirectement et à terme les mêmes conséquences, sauf si elle est entreprise en application d'une servitude d'utilité publique. / La destruction accidentelle ou volontaire du boisement ne fait pas disparaître la destination forestière du terrain, qui reste soumis aux dispositions du présent titre. ". Aux termes de l'article L. 341-3 du même code : " Nul ne peut user du droit de défricher ses bois et forêts sans avoir préalablement obtenu une autorisation. L'autorisation est délivrée à l'issue d'une procédure fixée par décret en Conseil d'Etat (...) ". Aux termes de l'article R. 341-1 du même code : " (...) La demande est présentée soit par le propriétaire des terrains ou son mandataire, soit par une personne morale ayant qualité pour bénéficier sur ces terrains de l'expropriation pour cause d'utilité publique, des servitudes prévues aux articles L. 323-4 et L. 433-6 du code de l'énergie et à l'article L. 555-27 du code de l'environnement ou de la servitude instituée par l'article 53 de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne, soit par une personne susceptible de bénéficier de l'autorisation d'exploiter une carrière en application de l'article L. 512-1 ou de l'article L. 512-7-1 du code de l'environnement, d'une autorisation de recherches ou d'un permis exclusif de carrières prévus aux articles L. 322-1 et L. 333-1 du code minier ". L'article R. 341-4 de ce code dispose : " Sous réserve des dispositions de l'article R. 341-6, la demande présentée sur le fondement de l'article L. 341-3 est réputée acceptée à défaut de décision du préfet notifiée dans le délai de deux mois à compter de la réception du dossier complet. (...) Lorsque le préfet estime, compte tenu des éléments du dossier, qu'une reconnaissance de la situation et de l'état des terrains est nécessaire, il porte le délai d'instruction à quatre mois et en informe le demandeur dans les deux mois suivant la réception du dossier complet. (...) ".

11. Il ressort des pièces du dossier que la SCI Le Trible a présenté, le 21 août 2015, une demande d'autorisation de défrichement de la parcelle cadastrée AW 368, qui fait partie du terrain d'assiette du projet faisant l'objet de la demande de permis de construire et qui appartient à la SCI Alexis. En réponse aux demandes adressées le 25 septembre et le 2 novembre 2015, la SCI Le Trible a transmis à l'administration, le 9 novembre 2015, un mandat établi par la SCI Alexis le 7 octobre 2015, lui donnant pouvoir pour déposer en ses lieu et place une demande d'autorisation de défrichement de cette parcelle. Par courrier du 23 décembre 2015 adressé à la SCI Alexis, le directeur départemental des territoires et de la mer des Alpes-Maritimes a fait savoir que le dossier était jugé recevable, dont la date d'enregistrement était fixée au 9 novembre 2015, qu'une reconnaissance de la situation et de l'état des terrains était nécessaire, qu'ainsi, le délai d'instruction était porté à quatre mois et que, à défaut d'une décision expresse à la date du 9 mars 2016, la demande devait être réputée acceptée. Par une décision du 15 février 2016, le préfet des Alpes-Maritimes a refusé de délivrer l'autorisation de défrichement demandée. Par un jugement du 26 février 2019, le tribunal administratif de Nice a annulé cette décision sur requête de la SCI Le Trible. Cependant, par un arrêt du 23 mars 2021 devenu définitif par suite de la non-admission du pourvoi en cassation formé à son encontre devant le Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement et rejeté la demande de première instance.

12. Il résulte de ce qui a été dit au point 11 que la demande d'autorisation de défrichement de la parcelle cadastrée AW 368 doit être regardée comme ayant été présentée, le 21 août 2015, par la SCI Alexis, et non par la SCI Le Trible, laquelle avait seulement été mandatée par la SCI Alexis pour déposer la demande. C'est par la décision expresse du préfet des Alpes-Maritimes du 15 février 2016, intervenue dans le délai d'instruction prolongé de quatre mois par le courrier du 9 novembre 2015, régulièrement notifié à la SCI Alexis, qu'il a été statué sur cette demande. Dans ces conditions, la SCI Le Trible n'est pas fondée à soutenir qu'elle bénéficierait d'une autorisation tacite de défrichement et qu'ainsi, la demande de pièce du 9 décembre 2016 ne serait pas justifiée.

13. A la date du 23 novembre 2016 à laquelle la SCI Le Trible a déposé une nouvelle demande de permis de construire et à celle du 9 décembre suivant à laquelle le service instructeur lui a demandé de compléter ce dossier, le préfet des Alpes-Maritimes avait refusé, par sa décision du 15 février 2016, la délivrance de l'autorisation de défrichement demandée le 21 août 2015. Ainsi, la demande de pièce du 9 décembre 2016, qui fait référence à cette décision du 15 février 2016, portait nécessairement sur la copie de la lettre que le préfet aurait adressée à l'intéressée ou à la SCI Alexis pour attester de la complétude du dossier d'une nouvelle demande d'autorisation de défrichement. Si la SCI Le Trible soutient qu'elle ne pouvait matériellement produire la pièce demandée, elle ne fait état que des démarches effectuées pour obtenir communication de cette pièce dans le cadre de la seule demande de permis de construire déposée le 14 septembre 2015, et qui a donné lieu à la délivrance d'un permis de construire le 9 décembre 2015, annulé sur déféré préfectoral, ainsi qu'il a été dit au point 1.

14. Aux termes de l'article L. 425-6 du code de l'urbanisme : " Conformément à l'article L. 341-7 du nouveau code forestier, lorsque le projet porte sur une opération ou des travaux soumis à l'autorisation de défrichement prévue aux articles L. 341-1 et L. 341-3 du même code, celle-ci doit être obtenue préalablement à la délivrance du permis. ". La circonstance que le dossier de demande de permis de construire ne comporterait pas l'ensemble des documents exigés par les dispositions du code de l'urbanisme, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n'est susceptible d'entacher d'illégalité le permis de construire qui a été accordé que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.

15. Il n'appartient au service instructeur d'une demande de permis de construire d'apprécier au vu des pièces produites à l'appui de celle-ci, ni le bien-fondé d'une demande d'autorisation de défrichement, ni même le caractère complet d'une telle demande. Par suite, le moyen tiré de ce que l'absence au dossier de la pièce exigée par l'article R. 431-19 du code de l'urbanisme n'aurait pas été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable doit être écarté.

16. Aux termes de l'article 1er du Protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. - Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général (...) " ;

17. Si ces stipulations ne font pas obstacle à l'édiction, par l'autorité compétente, d'une réglementation de l'usage des biens, dans un but d'intérêt général, ayant pour effet d'affecter les conditions d'exercice du droit de propriété, il appartient au juge, pour apprécier la conformité aux stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales d'une décision individuelle prise sur la base d'une telle réglementation, d'une part, de tenir compte de l'ensemble de ses effets juridiques, d'autre part, et en fonction des circonstances concrètes de l'espèce, d'apprécier s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les limitations constatées à l'exercice du droit de propriété et les exigences d'intérêt général qui sont à l'origine de cette décision.

18. Si la demande de pièce en litige affecte l'exercice du droit de propriété dont la SCI Le Trible sera titulaire après l'acquisition du terrain auprès de la SCI Alexis, les limitations qu'elle apporte à l'exercice de ce droit sont justifiées par l'objectif d'intérêt général de conservation des espaces forestiers. Dès lors, dans les circonstances de l'espèce, cette décision ne peut être regardée comme portant au droit de propriété une atteinte disproportionnée au but d'intérêt général poursuivi par l'arrêté attaqué. Doit donc être écarté le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne la décision tacite refusant le permis de construire :

19. Il résulte des motifs énoncés aux points 7 à 18 que la demande de pièces du 9 décembre 2016 est légale. Faute pour la SCI Le Trible d'y avoir satisfait dans le délai de trois mois à compter de sa réception, le 20 décembre 2016, une décision tacite de rejet de la demande de permis de construire est intervenue à la date du 20 mars 2017, en application de l'article R. 423-39 du code de l'urbanisme.

20. La SCI Le Trible reprend en appel le moyen qu'elle avait invoqué en première instance et tiré de ce que la décision tacite de rejet de sa demande de permis de construire est entachée de l'incompétence de son auteur. Il y a lieu d'écarter ce moyen, par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal administratif de Nice, étant rappelées les précisions apportées par la Cour au point 4 ci-dessus.

21. Enfin, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté pour le motif énoncé au point 17.

22. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance par la SCI Le Trible n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Nice a rejeté ses demandes. Ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées par voie de conséquence.

Sur les frais liés au litige :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Roquebrune-Cap-Martin qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la SCI Le Trible demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SCI Le Trible une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par la commune de Roquebrune-Cap-Martin et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Les requêtes de la SCI Le Trible sont rejetées.

Article 2 : La SCI Le Trible versera à la commune de Roquebrune-Cap-Martin une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière le Trible et à la commune de de Roquebrune-Cap-Martin.

Délibéré après l'audience du 25 mai 2023, où siégeaient :

- M. Portail, président,

- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,

- M. Quenette, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 juin 2023.

N° 21MA00426, 21MA00427 2

nb


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21MA00426
Date de la décision : 08/06/2023
Type d'affaire : Administrative

Analyses

68-03-025-02-01 Urbanisme et aménagement du territoire. - Permis de construire. - Nature de la décision. - Octroi du permis. - Permis tacite.


Composition du Tribunal
Président : M. PORTAIL
Rapporteur ?: M. Philippe D'IZARN DE VILLEFORT
Rapporteur public ?: M. ROUX
Avocat(s) : GREENLAW AVOCAT;GREENLAW AVOCAT;GREENLAW AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-06-08;21ma00426 ?
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