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12/01/2024 | FRANCE | N°23MA00023

France | France, Cour administrative d'appel, 7ème chambre, 12 janvier 2024, 23MA00023


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 11 octobre 2021 par laquelle la ministre chargée du travail a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique présenté par la société Citya Saint Honoré Cannes, annulé la décision du l'inspecteur du travail du 15 décembre 2020 et autorisé la société Citya Saint Honoré Cannes à la licencier pour motif disciplinaire.



Par un jugement n° 2104083 et 2106

342 du 1er décembre 2022, le tribunal administratif de Nice a, à l'article 1er, jugé qu'il n'y a plus lieu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 11 octobre 2021 par laquelle la ministre chargée du travail a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique présenté par la société Citya Saint Honoré Cannes, annulé la décision du l'inspecteur du travail du 15 décembre 2020 et autorisé la société Citya Saint Honoré Cannes à la licencier pour motif disciplinaire.

Par un jugement n° 2104083 et 2106342 du 1er décembre 2022, le tribunal administratif de Nice a, à l'article 1er, jugé qu'il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation présentées à l'appui de la requête n° 2104083 et à l'article 2, rejeté la requête de Mme C....

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 5 janvier 2023, sous le n° 23MA00023, Mme C..., représentée par Me Ferrantelli, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 1er décembre 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 11 octobre 2021 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision contestée a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière, en violation du principe du contradictoire ;

- les faits reprochés sont prescrits en application de l'article L. 1332-4 du code du travail ;

- ces faits ne sont pas fautifs ;

- certains d'entre eux ne lui sont pas imputables ;

- ils ne présentent pas un caractère de gravité suffisant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mars 2023, la société par actions simplifiées (SAS) Citya Saint Honoré Cannes, représentée par Me Georget, conclut au rejet de la requête de Mme C... et demande à la Cour de mettre à sa charge la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marchessaux,

- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... C... a été employée en 1995 comme salariée de la société Gogica rachetée en 2003 par le groupe Citya. Son contrat de travail a été alors transféré vers la société Citya Busquet Cogica Immobilier devenue la SAS Citya Saint Honoré Cannes à compter de 2006. Elle occupait en dernier lieu le poste de cadre dirigeant en qualité de responsable administrative et financière de cette société. Elle était, par ailleurs, membre élue du comité social et économique (CSE) de la société. L'inspecteur du travail de l'unité départementale des Alpes-Maritimes de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Provence-Alpes-Côte d'Azur, saisi d'une demande du 13 octobre 2020, a refusé d'autoriser la société Citya Saint Honoré Cannes à licencier Mme C... pour motif disciplinaire par une décision du 15 décembre 2020. La société Citya Saint Honoré Cannes a introduit un recours hiérarchique contre cette décision, qui a dans un premier temps été rejeté par une décision implicite née du silence gardé par la ministre chargée du travail sur cette demande. Par une décision expresse du 11 octobre 2021, la ministre chargée du travail a rapporté sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique, annulé la décision du 15 décembre 2020 et autorisé la société Citya Saint Honoré Cannes à procéder au licenciement pour motif disciplinaire de Mme C.... Cette dernière doit être regardée comme relevant appel de l'article 2 du jugement du 1er décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 11 octobre 2021.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la procédure contradictoire :

2. Aux termes de l'article R. 2422-1 du code du travail : " Le ministre chargé du travail peut annuler ou réformer la décision de l'inspecteur du travail sur le recours de l'employeur, du salarié ou du syndicat que ce salarié représente ou auquel il a donné mandat à cet effet. Ce recours est introduit dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de l'inspecteur. Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur ce recours vaut décision de rejet ". L'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Selon l'article L. 122-1 de ce code : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix ". Aux termes de l'article L. 211-2 de même code : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. À cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'autorité administrative compétente pour adopter une décision individuelle entrant dans leur champ de mettre elle-même la personne intéressée en mesure de présenter des observations. Il en va de même, à l'égard du bénéficiaire d'une décision, lorsque l'administration est saisie par un tiers d'un recours gracieux ou hiérarchique contre cette décision. Ainsi, le ministre chargé du travail, saisi sur le fondement des dispositions de l'article R. 2422-1 du code du travail, d'un recours contre une décision autorisant ou refusant d'autoriser le licenciement d'un salarié protégé, doit mettre le tiers au profit duquel la décision contestée a créé des droits - à savoir, respectivement, l'employeur ou le salarié protégé - à même de présenter ses observations, notamment par la communication de l'ensemble des éléments sur lesquels le ministre entend fonder sa décision. Cette obligation revêt le caractère d'une garantie pour le tiers au profit duquel la décision contestée a créé des droits. Il en est de même lorsque l'administration, après avoir rejeté implicitement le recours, retire ladite décision implicite de rejet, qui est créatrice de droits, et fait droit audit recours.

4. Il ressort des pièces du dossier que par un courrier du 23 septembre 2021, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a informé Mme C... de ce qu'elle n'excluait pas de procéder au retrait de la décision implicite, d'annuler la décision de l'inspecteur du travail et d'autoriser son licenciement et lui demandait de bien vouloir lui transmettre, si elle l'estimait nécessaire, toute observation écrite au plus tard le lundi 4 octobre 2021. Si la requérante soutient qu'elle n'a reçu ce courrier que le 28 septembre 2021, le délai de six jours restant était suffisant dès lors qu'elle a pu consulter son conseil et présenter des observations écrites le 1er octobre 2021. Au demeurant et à supposer que ces observations aient été sommaires, Mme C... n'a pas demandé de délai supplémentaire pour les compléter. Par ailleurs, la ministre a statué sur la demande d'autorisation de son licenciement le 11 octobre 2021. En outre, si les dispositions précitées de l'article L. 122-1 code des relations entre le public et l'administration impliquent que le salarié protégé soit mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, dans des conditions et des délais lui permettant de présenter utilement sa défense, elles n'imposent pas qu'il soit informé de son droit à être entendu mais que sur la demande de l'intéressé, ce dernier puisse présenter des observations orales. Or, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme C... aurait demandé à présenter des observations orales. Enfin, elle ne conteste pas avoir eu communication de l'ensemble des éléments sur lesquels le ministre entend fonder sa décision. Par suite, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion n'a pas méconnu le principe du contradictoire.

En ce qui concerne la prescription des faits :

5. Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. ".

6. En vertu des dispositions du premier alinéa de l'article L. 122-44 du code du travail alors applicable, reprises à l'article L. 1332-4, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. Dans le cas où des investigations complémentaires ont été diligentées par l'employeur, elles ne sont de nature à justifier un report du déclenchement de ce délai que si elles sont nécessaires à la connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié. Il appartient au juge du fond d'apprécier cette nécessité et, dans le cas où il estime ces investigations inutiles, de déclarer la poursuite pour motif disciplinaire prescrite.

7. Il ressort de la décision contestée que les faits fautifs reprochés à Mme C... ont été commis entre le 13 mars et le 10 juin 2020. La société Citya Saint Honoré Cannes fait valoir qu'elle n'en a eu connaissance qu'en septembre 2020, après l'embauche du remplaçant de M. B..., plus précisément le 21 septembre 2020 lorsque son service des ressources humaines a eu accès à la messagerie professionnelle de la requérante. Elle produit un courriel du 21 septembre 2020 du directeur des services informatiques informant la responsable des ressources humaines de la restauration de la messagerie de Mme C... et de la possibilité d'y avoir accès. Ce seul message du 21 septembre 2020 est suffisant pour établir que l'employeur a eu connaissance des faits à partir de cette date en accédant à la messagerie de Mme C.... La circonstance à la supposer établie que la messagerie de la requérante aurait été forcément consultée et utilisée tous les jours par la direction afin d'assurer le suivi des dossiers en cours pendant son congé maladie n'est pas de nature à établir qu'elle aurait eu connaissance des faits reprochés à une date antérieure. Par suite, ces faits n'étaient pas prescrits à la date d'envoi de la convocation à l'entretien préalable, le 25 septembre 2020.

8. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

9. Il ressort de la décision contestée que Mme C... avait connaissance du projet de M. B..., ancien directeur de la société Citya Saint Honoré Cannes, d'acquérir la société concurrente Phenix Consultants Immobiliers, dès lors qu'une adresse électronique rattachée à cette société avait été créée pour elle, qu'elle projetait d'intégrer cette société avec une autre salariée de leur ancien employeur, et qu'elle avait participé à ce rachat, en envoyant depuis sa boîte électronique professionnelle, à M. B..., un tableau non rempli intitulé " compte de résultat prévisionnel " qui l'a adressé, rempli, à la banque Palatine, le 13 avril 2020, ainsi qu'à M. A... un tableau vierge Excel créé au sein de la société Citya pour le contrôle de l'activité des salariés en télétravail durant la période de confinement, en commandant l'extrait K-Bis de l'entité Phenix Gestion Transaction et en recevant de M. B..., un projet de promesse de vente entre la société Phenix Consultants Immobiliers et la société Stéphane B.... La ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a ainsi retenu qu'il était établi et imputable à la salariée que cette dernière a, en mars et avril 2020, pendant son temps de travail, utilisé sa messagerie professionnelle Citya, notamment en transférant deux tableaux Excel du réseau Citya, pour participer au projet de reprise d'une société concurrente.

10. Les circonstances que la requérante aurait réglé l'extrait Kbis sur ses fonds personnels et que soumise au statut de cadre dirigeant, elle était totalement libre de l'organisation de ses journées de travail ne sont pas de nature à établir que ces faits ne lui seraient pas imputables alors qu'il ressort des pièces du dossier qu'elle a utilisé, sur son temps de travail, la messagerie professionnelle de la société Citya pour adresser à M. B... deux tableaux et commandé l'extrait Kbis. En outre, si elle n'est pas à l'origine du courriel de M. B... reçu le 29 avril 2020, contenant un projet d'achat de la société Phenix immobilier, ledit courriel démontre néanmoins sa participation active au projet de création par M. B... de l'entreprise concurrente à celle de son employeur. Il ressort ainsi des pièces du dossier que Mme C... a participé activement, en utilisant les moyens de la société pour laquelle elle travaillait, à la création d'une société concurrente. Par ailleurs, la requérante ne conteste pas avoir projeté d'intégrer cette société.

11. Ces faits, qui constituent un manquement de Mme C... à son obligation de loyauté et de nature à avoir nui aux intérêts de son employeur alors même que son contrat ne contenait pas de clause de non concurrence, sont fautifs et présentent un caractère de gravité suffisante pour justifier son licenciement, en particulier au vu des fonctions de responsable administrative et financière qu'elle occupait et de son statut de cadre dirigeant, alors même qu'elle aurait plus de 25 ans d'ancienneté, n'aurait jamais fait l'objet de sanction disciplinaire et qu'aucun détournement de la clientèle n'aurait été réalisé. Par ailleurs, ces agissements sont contraires à la charte informatique de la société Citya Saint Honoré Cannes qui interdit à l'utilisateur de se servir des ressources informatiques de manière déloyale ou à des fins susceptibles de porter atteinte aux intérêts de la société. Il s'ensuit que la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a pu légalement autoriser le licenciement de Mme C....

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que par l'article 2 du jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 11 octobre 2021.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par Mme C... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme C... la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SAS Citya Saint Honoré Cannes et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Mme C... versera à la SAS Citya Saint Honoré Cannes une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C..., à la SAS Citya Saint Honoré Cannes et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 22 décembre 2023, où siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Marchessaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 janvier 2024.

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N° 23MA00023

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA00023
Date de la décision : 12/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02 Travail et emploi. - Licenciements. - Autorisation administrative - Salariés protégés. - Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. - Licenciement pour faute.


Composition du Tribunal
Président : Mme CHENAL-PETER
Rapporteur ?: Mme Jacqueline MARCHESSAUX
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : ENVERGURE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-12;23ma00023 ?
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