La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/04/2024 | FRANCE | N°22MA01507

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 6ème chambre, 29 avril 2024, 22MA01507


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Par une requête enregistrée sous le n° 1801447, les sociétés Avena BTP et Modern BTP ont demandé au tribunal administratif de Nice, à titre principal, d'annuler le marché n° 17F112 relatif à des travaux de maçonnerie et réseaux divers dans le cadre de l'aménagement, l'entretien et la réparation de la voirie et du domaine privé communaux, conclu le 25 janvier 2018 entre la commune d'Antibes Juan-les-Pins et le groupement Lombart et Europ TP, et, à titre subsidiaire d'ord

onner sa résiliation. Par une requête enregistrée sous le n° 1802656, les sociétés Avena B...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête enregistrée sous le n° 1801447, les sociétés Avena BTP et Modern BTP ont demandé au tribunal administratif de Nice, à titre principal, d'annuler le marché n° 17F112 relatif à des travaux de maçonnerie et réseaux divers dans le cadre de l'aménagement, l'entretien et la réparation de la voirie et du domaine privé communaux, conclu le 25 janvier 2018 entre la commune d'Antibes Juan-les-Pins et le groupement Lombart et Europ TP, et, à titre subsidiaire d'ordonner sa résiliation. Par une requête enregistrée sous le n° 1802656, les sociétés Avena BTP et Modern BTP ont demandé au tribunal de condamner la commune d'Antibes Juan-les-Pins à leur verser la somme de 126 955 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de leur demande préalable.

Par un jugement n°s 1801447, 1802656 du 24 mars 2022, le tribunal administratif de Nice a rejeté ces demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 25 mai 2022, les sociétés Avena BTP et Modern BTP, représentées par Me Pozzo di Borgo, demandent à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 24 mars 2022 ;

2°) à titre principal, d'annuler le marché n° 17F112 relatif à des travaux de maçonnerie et réseaux divers dans le cadre de l'aménagement, l'entretien et la réparation de la voirie et du domaine privé communaux, conclu le 25 janvier 2018 entre la commune d'Antibes Juan-les-Pins et le groupement Lombart et Europ TP et, à titre subsidiaire d'ordonner sa résiliation ;

3°) de condamner la commune d'Antibes Juan-les-Pins à leur verser la somme de 126 955 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de leur demande préalable ;

4°) de mettre à la charge de la commune d'Antibes Juan-les-Pins la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- c'est à tort que le tribunal a écarté le moyen selon lequel l'offre présentée par le groupement Lombart et Europ TP, retenue par le pouvoir adjudicateur, était anormalement basse ;

- l'offre du groupement Lombart et Europ TP ne comportait pas les fiches techniques requises par les documents de la consultation et, par conséquent, elle aurait dû être écartée comme étant irrégulière au regard de l'article 59 du décret n° 2016-36 du 25 mars 2016 ;

- la commune d'Antibes Juan-les-Pins a commis une erreur manifeste d'appréciation alors que les moyens humains de la société attributaire étaient insuffisants ;

- elles avaient des chances sérieuses d'emporter le marché et seront ainsi indemnisées de leur manque à gagner qui s'élève à 124 514 euros ;

- elles ont en outre droit au remboursement des frais engagés pour déposer l'offre, qui s'élèvent à 2 441 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 mars 2023, la commune d'Antibes Juan-les-Pins, représentée par Me Alonso-Garcia, demande à la Cour, à titre principal, de rejeter la requête et, à titre subsidiaire, de limiter sa condamnation en accordant aux sociétés requérantes la somme de 62 307,20 euros. Elle demande en outre que les sociétés requérantes soient condamnées à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Un courrier du 9 mars 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.

Par ordonnance du 15 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Le 5 avril 2024 les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, selon lequel :

- il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à la résiliation du contrat conclu le 25 janvier 2018 avec le groupement solidaire SARL Lombart - SARL Europ TP, la commune faisant valoir qu'elle l'a résilié le 10 mai 2019 ;

- le jugement qui n'a pas constaté le non-lieu sur les conclusions en résiliation du contrat conclu le 25 janvier 2018 avec le groupement solidaire SARL Lombart - SARL Europ TP, alors que la commune faisait valoir en première instance qu'elle l'avait résilié le 10 mai 2019 est irrégulier.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;

- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Gougot, rapporteure,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,

- et les observations de Me Alonso Garcia, pour la commune d'Antibes Juan-les-Pins.

Une note en délibéré présentée pour la commune d'Antibes Juan-les-Pins a été enregistrée le 15 avril 2024.

Considérant ce qui suit :

1. La commune d'Antibes Juan-les-Pins a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de l'attribution d'un marché public portant sur des travaux de maçonnerie et de réseaux divers dans le cadre de l'aménagement, l'entretien et la réparation de la voirie et du domaine privé communaux, à laquelle les sociétés Avena BTP et Modern BTP se sont portées candidates. Par courrier du 12 décembre 2017, la commune a informé ces dernières qu'elle avait retenu l'offre du groupement Lombart et Europ TP. Le contrat entre la commune et le groupement Lombart et Europ TP a été signé le 25 janvier 2018. Les sociétés Avena BTP et Modern BTP relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Nice du 24 mars 2022 qui a joint puis rejeté leurs demandes enregistrées sous les n°s 1801447 et 1802656, tendant d'une part, à contester la validité du marché public signé le 25 janvier 2018 par la commune d'Antibes Juan-les-Pins avec le groupement Lombart et Europ TP, et d'autre part, à ce que la commune d'Antibes Juan-les-Pins soit condamnée à leur verser la somme de 126 955 euros, assortie des intérêts légaux à compter de leur demande, en réparation des préjudices qu'elles estiment avoir subis.

Sur le cadre du litige :

2. Tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Il ne peut invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont il se prévaut ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Saisi par un tiers, dans les conditions ainsi définies, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il revient au juge administratif de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.

Sur la régularité de la procédure de passation du marché :

En ce qui concerne l'irrégularité de l'offre du groupement attributaire :

3. D'une part, aux termes de l'article 59 du décret du 25 mars 2016 alors applicable au marché en litige : " I. - L'acheteur vérifie que les offres qui n'ont pas été éliminées en application du IV de l'article 43 sont régulières, acceptables et appropriées. / Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation notamment parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale. [...] / II. - Dans les procédures d'appel d'offres et les procédures adaptées sans négociation, les offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables sont éliminées... ".

4. D'autre part, l'article 5.1 du règlement de la consultation pour l'attribution du marché litigieux prévoit, en page 8, que chaque candidat doit produire un dossier complet comprenant notamment, s'agissant des pièces de l'offre à transmettre : " la documentation et/ou les fiches techniques détaillées des matériaux et/ou des fournitures (FTP) proposées et/ou données de sécurité (FDS) avec l'origine, la nature, les caractéristiques et la provenance des matériaux/fournitures et notamment : / * fiches techniques des pierres naturelles (dalles et pavés en porphyre, dalles en calcaire du Comblanchien...), bordures teintées,... ".

5. Le règlement de la consultation prévu par le pouvoir adjudicateur pour la passation d'un contrat est obligatoire dans toutes ses mentions. L'autorité administrative ne peut, dès lors, attribuer ce contrat à un candidat qui ne respecte pas une des exigences imposées par ce règlement, sauf si cette exigence se révèle manifestement dépourvue de toute utilité pour l'examen des candidatures ou des offres.

6. S'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'analyse des offres que le groupement attributaire du marché en cause a produit, à l'appui de son offre, certaines des pièces requises par le règlement de consultation et en particulier la documentation et certaines des fiches techniques demandées, la commune qui a jugé, à ce titre, le dossier complet et l'offre satisfaisante, admet néanmoins qu'au moins deux fiches de deux matériaux n'auraient pas été fournies et il ressort d'ailleurs de ce même rapport que faisait notamment défaut pour l'offre de l'attributaire au moins la fiche technique ou la documentation relative aux dalles de " Vérone ".

7. Contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, l'absence de cette fiche technique n'apparaissait pas manifestement dépourvue de toute utilité pour l'examen des candidatures ou des offres alors qu'en vertu de l'article 6 du règlement de consultation " sélection des candidatures et jugement des offres ", la valeur technique de l'offre est appréciée notamment sur la " qualité des fournitures au regard des exigences fixées dans le [cahier des clauses techniques particulières] CCTP et le [bordereau des prix unitaires] BPU : pierres naturelles (dalles et pavés en porphyre, dalles en calcaire du Comblanchien ...) " et que c'est au stade de l'accord-cadre et non de l'émission du bon de commande que l'administration est en mesure de s'assurer de la qualité de ces fournitures. Il résulte d'ailleurs du rapport d'analyse des offres que le dossier de l'une des candidates, la société Nicolo, a été écarté comme incomplet en l'absence de cette documentation ou de ces fiches techniques détaillées. Par suite, la procédure de sélection était irrégulière, la société attributaire n'ayant pas produit certaines des pièces exigées par le règlement de consultation.

En ce qui concerne le caractère anormalement bas de l'offre de l'attributaire :

8. Aux termes de l'article 53 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics : " Lorsqu'une offre semble anormalement basse, l'acheteur exige que l'opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre. / Si, après vérification des justifications fournies par l'opérateur économique, l'acheteur établit que l'offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions fixées par voie réglementaire. / L'acheteur met en œuvre tous moyens pour détecter les offres anormalement basses lui permettant de les écarter ". Et selon l'article 60 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics alors en vigueur : " I. - L'acheteur exige que le soumissionnaire justifie le prix ou les coûts proposés dans son offre lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services... / Peuvent être prises en considération des justifications tenant notamment aux aspects suivants : / 1° Le mode de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services, le procédé de construction ; / 2° Les solutions techniques adoptées ou les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire pour fournir les produits ou les services ou pour exécuter les travaux ; / 3° L'originalité de l'offre ; / 4° La règlementation applicable en matière environnementale, sociale et du travail en vigueur sur le lieu d'exécution des prestations ; / 5° L'obtention éventuelle d'une aide d'Etat par le soumissionnaire. / II. - L'acheteur rejette l'offre : / 1° Lorsque les éléments fournis par le soumissionnaire ne justifient pas de manière satisfaisante le bas niveau du prix ou des coûts proposés ; ... ".

9. Il résulte de ces dispositions que l'existence d'un prix paraissant anormalement bas au sein de l'offre d'un candidat, pour l'une seulement des prestations faisant l'objet du marché, n'implique pas, à elle seule, le rejet de son offre comme anormalement basse, y compris pour les marchés avec accord-cadre à bons de commande, alors notamment que l'offre est fondée sur un devis descriptif estimatif détaillé portant sur l'ensemble des prestations. Le prix anormalement bas d'une offre s'apprécie en effet au regard de son prix global.

10. En premier lieu, en réponse à la demande de précisions et de justifications du pouvoir adjudicateur du 6 octobre 2017, portant sur des sous-détails de treize prix proposés sur les cent soixante-dix-huit prix unitaires du marché, le groupement Lombart et Europ TP a, par courrier du 10 octobre 2017, précisé pour chacun des prix unitaires énumérés par la commune dans son courrier, les différentes composantes de chaque prix (matériel, main d'œuvre et, si besoin, fournitures lorsqu'elles ne sont pas en stock dans les dépôts du groupe, coefficient pour frais généraux, coefficient sur bénéfices et aléas et, si besoin, coefficient en sous-traitants) et a détaillé pour chacun des treize prix l'ensemble des postes de dépenses correspondants et notamment le coefficient pour frais généraux intégrant le coût d'amortissement du matériel en cas d'achat dudit matériel rendu nécessaire pour la réalisation de la prestation ainsi que les coûts de décharge lorsque ceux-ci étaient nécessités par les travaux concernés.

11. S'agissant des justifications apportées, la seule circonstance que certains prix ne comprennent pas de coûts d'amortissement ou de décharge n'est pas de nature à caractériser l'existence d'une offre anormalement basse, dès lors que ces coûts étaient inexistants pour les prestations faisant intervenir du matériel déjà amorti ou n'entrainant aucun frais de décharge. Si les requérantes se prévalent de la sous-estimation du coût des fournitures par le groupement attributaire, il résulte néanmoins de l'instruction que ce dernier dispose de trois grands dépôts dans les Alpes-Maritimes permettant le stockage de fournitures qu'il peut alors commander en grande quantité de manière à en diminuer le coût d'acquisition, le mettant ainsi en capacité de proposer des prix unitaires bas.

12. Les sociétés requérantes ne peuvent, par suite, se prévaloir du fait que le prix du groupement attributaire était de 905 257,48 euros hors taxes soit de 30,44 % moins-disant que le prix estimé par le pouvoir adjudicateur (1 301 348,75 euros hors taxes), alors que la société attributaire a suffisamment justifié les prix sur lesquels la commune d'Antibes Juan-les-Pins lui avait demandé des précisions, en application de l'article 53 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 et l'article 60 du décret du 25 mars 2016, cités au point 8.

13. En deuxième lieu, les sociétés requérantes ne peuvent utilement se prévaloir du fait que les quantités réellement exécutées en fin de marché sont différentes de celles sur lesquelles les offres sont jugées alors que selon l'article 4 du règlement de consultation, le dossier de consultation comprend notamment un devis descriptif estimatif détaillé (D.D.E.D), qui est une simulation servant au jugement des offres.

14. En troisième et dernier lieu, la circonstance que le contrat conclu aurait été résilié pour mauvaise exécution ne saurait, à elle seule, révéler le caractère anormalement bas ou l'absence de viabilité de l'offre de l'attributaire alors notamment que la commune fait valoir, sans être sérieusement contestée par les sociétés requérantes, qui n'ont pas produit en réplique, que la résiliation a été prononcée pour retard d'exécution et qu'il ne résulte pas des autres éléments de l'instruction que le pouvoir adjudicateur aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en estimant, par une appréciation globale, que l'offre du groupement Lombart et Europ TP n'était pas en elle-même manifestement sous-évaluée au point de compromettre la bonne exécution du marché.

En ce qui concerne l'erreur manifeste d'appréciation des offres au regard des moyens humains affectés :

15. Ce moyen doit être écarté, par adoption des motifs retenus par les premiers juges aux points 14 à 16 du jugement, qui n'appellent pas de précision en appel.

16. Il résulte de ce qui précède que les sociétés requérantes sont seulement fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal n'a pas accueilli le moyen tiré de l'irrégularité de l'offre du groupement Lombart et Europ TP, en raison de l'incomplétude des pièces produites à l'appui de son offre.

Sur les conclusions à fin d'annulation du marché :

17. L'irrégularité mentionnée au point 16 ne vicie pas le contenu du contrat ni le consentement des parties et ne constitue pas un autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office. Les conclusions des sociétés requérantes à fin d'annulation du marché conclu entre la commune et le groupement Lombart et Europ TP ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

Sur les conclusions à fin de résiliation du marché :

18. Le marché attaqué a été résilié par la commune le 10 mai 2019. Dans ces conditions, la demande présentée, à titre subsidiaire, par les sociétés Avena BTP et Modern BTP tendant à la résiliation de ce marché était donc devenue sans objet, à la date à laquelle le tribunal a statué. Le jugement du tribunal administratif de Nice du 24 mars 2022, doit, dès lors, être annulé en tant qu'il a rejeté cette demande de résiliation par voie de conséquence du rejet des conclusions principales à fin d'annulation du contrat.

19. Il y a lieu d'évoquer les conclusions ainsi devenues sans objet au cours de la procédure de première instance et de constater qu'il n'y a pas lieu d'y statuer.

Sur les conclusions indemnitaires :

20. En premier lieu, lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.

21. Il résulte de l'instruction que l'offre des sociétés Avena BTP et Modern BTP avait été classée deuxième avec une note totale de 8,91 sur 10 derrière l'offre du groupement Lombart et Europ TP, notée 9,06, qui, ainsi qu'il a été dit au point 16, était irrégulière et aurait dû être écartée. Les sociétés évincées doivent donc être regardées comme ayant perdu une chance sérieuse de remporter le marché. Elles ont dès lors droit à l'indemnisation de leur manque à gagner.

22. En deuxième lieu, en se bornant à soutenir que les frais de présentation de l'offre n'auraient pas été intégrés dans leurs charges, les sociétés requérantes ne justifient pas que ces frais devraient être indemnisés en plus de leur manque à gagner.

23. En troisième lieu, lorsqu'il est saisi par une entreprise qui a droit à l'indemnisation de son manque à gagner du fait de son éviction irrégulière à l'attribution d'un marché, il appartient au juge d'apprécier dans quelle mesure ce préjudice présente un caractère certain.

24. D'une part, dans le cas d'un marché à bons de commande dont les documents contractuels prévoient un minimum en valeur ou en quantité, le manque à gagner ne revêt un caractère certain qu'en ce qu'il porte sur ce minimum garanti. Il résulte de l'instruction que le marché était un accord-cadre avec bons de commande avec un minimum de 400 000 euros. Le manque à gagner dont les sociétés requérantes ont été privées ne saurait, par suite, revêtir un caractère certain au-delà de ce montant minimum.

25. D'autre part, dans le cas où le marché est susceptible de faire l'objet d'une ou de plusieurs reconductions si le pouvoir adjudicateur ne s'y oppose pas, le manque à gagner ne revêt un caractère certain qu'en tant qu'il porte sur la période d'exécution initiale du contrat, et non sur les périodes ultérieures qui ne peuvent résulter que d'éventuelles reconductions. Il résulte de l'instruction que l'acte d'engagement a été conclu pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2018 avec une possibilité de reconduction de deux ans maximum. Par suite, le manque à gagner invoqué par les sociétés requérantes au titre des périodes ultérieures au 31 décembre 2018 revêt un caractère incertain et elles ne sont donc pas fondées à en demander l'indemnisation.

26. Les sociétés requérantes ont ainsi droit à l'indemnisation de leur manque à gagner correspondant au bénéfice net qu'elles auraient tiré de l'exécution du contrat au cours de la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2018, à raison de la quantité minimale prévue de 400 000 euros. La circonstance que le contrat ait été résilié le 10 mai 2019, soit, au demeurant, postérieurement à cette première année, demeure en tout état de cause sans incidence sur la détermination de ce manque à gagner. Toutefois, les sociétés Avena BTP et Modern BTP, qui se bornent à se prévaloir d'une attestation de leur expert-comptable qui prend en compte un montant du marché de 1 246 144 euros n'apportent pas suffisamment de justification de la marge sur coûts qu'elles invoquent, et qui est contestée en défense par la commune d'Antibes Juan-les-Pins. Il y a donc lieu, pour la Cour, avant de statuer sur les conclusions indemnitaires de la requête, de prescrire une expertise pour évaluer le montant du bénéfice net qui aurait pu être retiré par les sociétés Avena BTP et Modern BTP de l'exécution du marché conclu le 25 janvier 2018, à moins qu'à ce stade de la procédure, le principe de la responsabilité de la commune ainsi que le mode de détermination de l'indemnité due aux sociétés évincées étant tranchés par le présent arrêt avant dire droit, les deux parties ne préfèrent rechercher un accord, dans le cadre d'une médiation, sur l'évaluation de cette indemnité.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1801447, 1802656 du tribunal administratif de Nice du 24 mars 2022 est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions à fin de résiliation du marché conclu le 25 mars 2018 entre la commune d'Antibes Juan-les-Pins et le groupement Lombart et Europ TP.

Article 2 : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions à fin de résiliation du marché conclu le 25 mars 2018 entre la commune d'Antibes Juan-les-Pins et le groupement Lombart et Europ TP.

Article 3 : La requête des sociétés Avena BTP et Modern BTP est rejetée en tant qu'elle conteste le rejet par le jugement n° 1801447, 1802656 du tribunal administratif de Nice du 24 mars 2022 des conclusions à fin d'annulation du marché conclu le 25 janvier 2018 entre la commune d'Antibes Juan-les-Pins et le groupement Lombart et Europ TP.

Article 4 : Les sociétés Avena BTP et Modern BTP et la commune d'Antibes Juan-les-Pins sont invitées à indiquer à la Cour, dans un délai de trois semaines à compter du présent arrêt, si elles souhaitent entrer en voie de médiation pour convenir ensemble du montant de l'indemnité due aux sociétés Avena BTP et Modern BTP en indemnisation de leur gain manqué.

Article 5 : Dans le cas où l'accord de l'ensemble des parties est recueilli, la présidente de la Cour désignera un médiateur, conformément, le cas échéant, au choix des parties, dans les conditions prévues par les articles L. 213-7 et suivants du code de justice administrative.

Article 6 : Dans le cas où l'accord de l'ensemble des parties n'est pas recueilli, ou dans l'hypothèse où cette médiation n'aboutit pas dans le délai qui sera imparti par la Cour, la présidente de la Cour désignera un expert, avec pour mission :

1°) de se faire communiquer tous documents utiles ;

2°) de fournir tous éléments permettant à la Cour d'évaluer le bénéfice net qu'aurait engendré pour les sociétés Avena BTP et Modern BTP l'exécution du marché au cours de la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2018, à raison de la quantité minimale de 400 000 euros prévue au contrat.

Article 7 : L'expert accomplira sa mission, au contradictoire de l'ensemble des parties présentes à l'instance, dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il souscrira la déclaration sur l'honneur prévue à l'article R. 621-3. Il déposera son rapport, dans les conditions prévues par les articles R. 621-9 et R. 621-5-1, et en notifiera copie aux parties, dans le délai fixé par la présidente de la Cour.

Article 8 : Tous droits, moyens et conclusions des parties à l'instance sur lesquels il n'est pas statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à la société Avena BTP, à la société Modern BTP et à la commune d'Antibes Juan-les-Pins.

Copie en sera adressée au groupement Lombart et Europ TP.

Délibéré après l'audience du 15 avril 2024, où siégeaient :

- Mme Laurence Helmlinger, présidente de la Cour,

- M. Renaud Thielé, président assesseur,

- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 avril 2024.

2

N° 22MA01507


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA01507
Date de la décision : 29/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-02-005 Marchés et contrats administratifs. - Formation des contrats et marchés. - Formalités de publicité et de mise en concurrence.


Composition du Tribunal
Président : Mme HELMLINGER
Rapporteur ?: Mme Isabelle GOUGOT
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : SCP DELPLANCKE - LAGACHE - MARTY - POZZO DI BORGO - ROMETTI & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-29;22ma01507 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award