La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/02/2007 | FRANCE | N°06NC00679

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 15 février 2007, 06NC00679


Vu, enregistrée le 10 mai 2006, l'ordonnance du président du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en date du 3 mai 2006 ayant transmis à la Cour administrative d'appel de Nancy le dossier de la requête de Mme Maria X, de M. Helder Y et de Mlle Elisabeth Y, enregistrée au greffe dudit tribunal le 26 avril 2006 ;

Vu la requête, enregistrée le 10 mai 2006, complétée par un mémoire enregistré le 19 janvier 2007, présentée pour Mme Maria X, élisant domicile ..., M. Helder Y, élisant domicile ..., et Mlle Elisabeth Y, élisant domicile ..., par Me Camps, avocat ; >
Les requérants demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0001...

Vu, enregistrée le 10 mai 2006, l'ordonnance du président du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en date du 3 mai 2006 ayant transmis à la Cour administrative d'appel de Nancy le dossier de la requête de Mme Maria X, de M. Helder Y et de Mlle Elisabeth Y, enregistrée au greffe dudit tribunal le 26 avril 2006 ;

Vu la requête, enregistrée le 10 mai 2006, complétée par un mémoire enregistré le 19 janvier 2007, présentée pour Mme Maria X, élisant domicile ..., M. Helder Y, élisant domicile ..., et Mlle Elisabeth Y, élisant domicile ..., par Me Camps, avocat ;

Les requérants demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0001219 en date du 9 février 2006 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etablissement Français du Sang, venant aux droits du Centre hospitalier de Troyes en qualité de gestionnaire du centre départemental de transfusion sanguine, à réparer les préjudices qu'ils ont subis du fait du décès de M. Manuel Y qu'ils imputent à une contamination par le virus de l'hépatite C lors d'une transfusion sanguine en 1981 .

2°) de condamner l'Etablissement Français du Sang à verser les sommes suivantes :

- 30 490 € et 66 411,26 € à Mme Maria X respectivement au titre de son préjudice moral et économique ;

- 15 245 € respectivement à M. Helder Y et à Mlle Elisabeth Y au titre de leur préjudice moral ;

3°) de condamner l'Etablissement Français du Sang à leur payer une somme de 2 500 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ,

Ils soutiennent que :

- la requête est recevable car elle n'est pas tardive ;

- la motivation du jugement est contraire à l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 et à la jurisprudence du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation car l'Etablissement Français du Sang, sur qui pèse une obligation de résultat dite de sécurité, n'apporte pas la preuve de l'innocuité des produits transfusés ;

- l'existence d'une contamination transfusionnelle de M. Y est avérée et le décès de celui-ci en est la conséquence directe ; l'Etablissement Français du Sang ne démontre pas le rôle causal de «l'absorption d'alcool» dans le décès de la victime ;

- le préjudice d'affection et économique subi par l'entourage familial doit être réparé ;

- Mme Veuve Y a subi un préjudice moral de 30 490 € et un préjudice économique de 66 411,26 € .

- le préjudice moral des deux enfants est évalué pour chacun à 15 245 € .

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 10 octobre 2006, présenté pour l'Etablissement Français du Sang, ayant son siège 20 Avenue du Stade de France à Saint Denis (93200), par la SCP Champetier de Ribes - Spitzer - Vitale, avocat ;

L'Etablissement Français du Sang conclut :

1°) à titre principal, au rejet de la requête des consorts Y et de la demande de remboursement de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Marne ;

Il soutient à cet effet que :

- l'appel est tardif car formé au-delà du délai du deux mois ;

- le tribunal a fait une exacte application de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 ; la responsabilité de l'Etablissement Français du Sang n'est ni automatique ni présumée, dès lors qu'il appartient à la victime d'apporter un faisceau d'éléments au moyen d'indices précis, graves et concordants au soutien de sa demande d'indemnité démontrant le lien de causalité entre la contamination et les transfusions ;

- l'origine transfusionnelle de la contamination n'est pas établie eu égard au nombre limité de donneurs dont le pouvoir contaminant est très faible et alors que le virus n'a été découvert que plus de seize ans après la transfusion ; comme l'a jugé le tribunal, la victime présentait des causes de contamination qui lui étaient propres ;

- les données scientifiques actuelles ont montré l'importance du risque de transmission du virus de l'hépatite C par voie nosocomiale ; au cas particulier, la probabilité d'une infection nosocomiale lors des nombreuses interventions chirurgicales pratiquées sur la victime est très forte ;

- en l'absence de décompte détaillé et de certificat d'imputabilité, l'imputabilité de la créance de la caisse primaire d'assurance maladie à l'hépatite n'est pas établie ;

2°) à titre subsidiaire, au cas où la Cour retiendrait la responsabilité de l'Etablissement Français du Sang, à limiter les prétentions indemnitaires des requérants ;

Il soutient à cet effet que :

- il y a lieu de ne de déclarer l'Etablissement Français du Sang responsable qu'à hauteur de 50 % des dommages allégués dans la mesure où la cirrhose à l'origine du décès est liée également en grande partie à une consommation régulière d'alcool ;

- le préjudice moral des requérants est évalué de façon excessive d'autant que les enfants de la victime ne démontrent pas avoir conservé des rapports filiaux serrés ;

- les pertes de revenus invoquées par Mme Y sont évaluées de façon excessive car il convient de déduire la part des revenus de la victime liée à l'auto-consommation, de l'ordre de 40 %, et de tenir compte de la réduction de son espérance de vie du fait de l'excès de consommation de boissons alcoolisées;

- subsidiairement, compte tenu de la nature mixte de l'hépatite, dont une partie est liée à l'éthylisme de la victime, la caisse ne peut revendiquer que la moitié de la sa créance ;

3°) à la condamnation des consorts Y à lui payer une somme de 3 500 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les mémoires en défense, enregistrés les 27 septembre et 2 novembre 2006, présentés pour la compagnie d'assurances AXA France IARD, ayant son siège social 1 Place des Saisons à Paris la Defense Cedex 14 (92038), par Me Hascoët, avocat ;

La Compagnie d'assurance AXA France IARD conclut :

1°) à titre principal, à la confirmation du jugement en tant qu'il a déclaré la juridiction administrative incompétente pour connaître de l'appel en garantie formé à son encontre par l'Etablissement Français du Sang ;

A cet effet, elle soutient que seul le juge judiciaire est compétent pour apprécier les conditions d'application d'un contrat d'assurance souscrit auprès d'un établissement de droit privé ;

2°) à titre subsidiaire, à la confirmation du jugement en tant qu'il a rejeté la demande des consorts Y ;

A cet effet, elle soutient que :

- la victime était exposée à un important risque de contamination par voie nosocomiale ;

- le mode de vie de la victime n'a pu donner lieu à aucune recherche du fait de l'absence d'informations données à l'expert par les membres de la famille ;

- le lien de causalité entre les préjudices invoqués et la contamination par le virus de l'hépatite C n'est pas établi dans la mesure où la cirrhose est liée également à une consommation d'alcool et que la victime s'est elle-même refusée à suivre les traitement adaptés à sa pathologie ;

- le préjudice économique de Mme Veuve Y n'est pas suffisamment justifié ;

- le préjudice moral des requérants n'est pas établi ;

3°) à la condamnation des parties succombantes à lui payer une somme de 3 500 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 25 janvier 2007 :

- le rapport de M. Martinez, premier conseiller,

- les observations de Me Mc Glynn, du Cabinet Hascoët et Associés, avocat de la compagnie d'assurances AXA France IARD,

- et les conclusions de M. Tréand, commissaire du gouvernement ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par l'Etablissement Français du Sang :

Sur la responsabilité :

Considérant qu'en vertu de la loi du 21 janvier 1952 modifiée par la loi du 2 août 1961, les centres de transfusion sanguine ont le monopole des opérations de contrôle médical des prélèvements sanguins, du traitement, du conditionnement et de la fourniture aux utilisateurs des produits sanguins ; qu'eu égard, tant à la mission qui leur est ainsi confiée par la loi qu'aux risques que présente la fourniture de produits sanguins, les centres de transfusion sont responsables, même en l'absence de faute, des conséquences dommageables de la mauvaise qualité des produits fournis ; que le préjudice résultant pour un malade de sa contamination par des produits sanguins transfusés est imputable à la personne morale publique ou privée dont relève le centre de transfusion sanguine qui a élaboré les produits utilisés ;

Considérant qu'aux termes de l'article 102 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 : «En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. Cette disposition est applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable.» ; qu'il résulte de ces dispositions qu'il appartient au demandeur, non pas seulement de faire état d'une éventualité selon laquelle sa contamination par le virus de l'hépatite C provient d'une transfusion, mais d'apporter un faisceau d'éléments conférant à cette hypothèse, compte tenu de toutes les données disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que si tel est le cas, la charge de la preuve contraire repose sur le défendeur ; que ce n'est qu'au stade où le juge, au vu des éléments produits successivement par ces parties, forme sa conviction que le doute profite au demandeur ;

Considérant qu'à la suite d'un accident de la route survenu le 24 mars 1981, M. Manuel Y, alors âgé de 37 ans, a subi une première intervention au centre hospitalier de Troyes aux fins notamment de réduire une fracture du tibia gauche et de procéder à un enclouage du fémur gauche ; que, lors de sa prise en charge par le service des urgences de l'hôpital ainsi que durant ladite intervention, l'intéressé a été transfusé au moyen d'un culot globulaire et de cinq unités de sang ; que des examens effectués le 30 décembre 1997, confirmés le 7 janvier 1998, ont révélé la contamination de l'intéressé par le virus de l'hépatite C ; que postérieurement au décès de l'intéressé consécutif à une cirrhose du foie, les consorts Y, respectivement épouse, fille et fils de la victime, ont recherché la responsabilité de l'Etablissement Français du Sang, venant aux droits du centre hospitalier de Troyes, à raison des préjudices qu'ils ont subis du fait du décès de M. Y le 29 août 1999 et qu'ils imputent à cette contamination virale ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, que la cirrhose ayant entraîné le décès de M. Y est liée, d'une part, à l'action du virus et, d'autre part, à une intoxication d'origine éthylique attestée par plusieurs pièces médicales ; que si, en l'absence d'archives hospitalières permettant de réaliser une enquête transfusionnelle, l'Etablissement Français du Sang n'est pas en mesure d'établir l'innocuité des produits sanguins délivrés, le pourcentage de risque d'une contamination transfusionnelle du virus de l'hépatite C, qui a été découvert plus de seize ans après la transfusion incriminée, est réduit eu égard au faible pouvoir contaminant lié au nombre réduit des donneurs concernés ; qu'à l'inverse, M. Y a été exposé à un risque important de transmission du virus de l'hépatite C par voie nosocomiale, dès lors qu'il a subi pour la seule année 1981 pas moins de cinq interventions chirurgicales réalisées sous anesthésie générale et comportant de actes et des soins invasifs ; que, d'ailleurs, au cours de l'une de ces interventions, l'intéressé a été victime d'une infection nosocomiale par staphylocoques dorés ; qu'en outre, les requérants n'ont pas fourni les éléments d'information permettant de vérifier si la victime était susceptible, au cours de la période allant de 1981 à 1998, par son mode de vie et par ses antécédents médicaux et chirurgicaux, de présenter d'autres facteurs de risque d'exposition à la contamination par le virus de l'hépatite C ; que, dans ces conditions, les requérants ne peuvent être regardés comme apportant un faisceau d'éléments conférant un degré suffisamment élevé de vraisemblance à l'hypothèse selon laquelle la contamination aurait pour origine les transfusions effectuées au sein du centre hospitalier de Troyes ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté leur demande d'indemnité dirigée contre l'Etablissement Français du Sang ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation.

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etablissement Français du Sang, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à verser aux requérants la somme qu'ils réclament au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'allouer à l'Etablissement Français du Sang et à la compagnie d'assurance AXA France IARD la somme qu'ils réclament à ce titre ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme Maria X, de M. Helder Y et de Mlle Elisabeth Y est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'Etablissement Français du Sang et de la compagnie AXA France IARD tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Maria X, à M. Helder Y, à Mlle Elisabeth Y, à l'Etablissement Français du Sang, au centre hospitalier de Troyes, aux caisses primaires d'assurance maladie de la Haute-Marne et de l'Aube et à la compagnie d'assurances AXA France IARD.

2

N° 06NC00679


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 06NC00679
Date de la décision : 15/02/2007
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. DESRAME
Rapporteur ?: M. José MARTINEZ
Rapporteur public ?: M. TREAND
Avocat(s) : CAMPS

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2007-02-15;06nc00679 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award