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17/01/2008 | FRANCE | N°06NC00221

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 17 janvier 2008, 06NC00221


Vu, enregistrée le 8 février 2006, l'ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat attribuant à la Cour de Céans le recours, enregistré le 9 septembre 2005 et complété par mémoires enregistrés les 19 octobre 2006, 7 janvier, 11 mai, 25 juin et 20 août 2007, présenté par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE qui demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0301755 en date du 28 juin 2005 par lequel le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de la SA Beauvallet, de la SCP Perrissin

et Sailly et du GIE Ceten Apave à payer à l'Etat la somme de 84 642,48...

Vu, enregistrée le 8 février 2006, l'ordonnance du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat attribuant à la Cour de Céans le recours, enregistré le 9 septembre 2005 et complété par mémoires enregistrés les 19 octobre 2006, 7 janvier, 11 mai, 25 juin et 20 août 2007, présenté par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE qui demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0301755 en date du 28 juin 2005 par lequel le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de la SA Beauvallet, de la SCP Perrissin et Sailly et du GIE Ceten Apave à payer à l'Etat la somme de 84 642,48 euros, assortie des intérêts légaux à compter de l'enregistrement de la requête, en réparation des désordres affectant la toiture de l'Hôtel d'Aoust, siège de la Cour administrative d'appel de Douai ;

2°) de condamner les constructeurs susmentionnés à payer à l'Etat la somme de 477 130 euros, majorés des intérêts de droit et leur capitalisation ;

Il soutient que :

- les désordres consistant en des défauts d'étanchéité affectant la couverture du bâtiment de l'Hôtel d'Aoust relèvent, par leur ampleur, de la garantie décennale des constructeurs, contrairement à qu'a jugé le tribunal ;

- ils sont en constante aggravation et nécessitent, selon l'expert, un remaniement complet de la toiture ;

- ils sont à l'origine des chutes de tuiles en ardoise et créent un gros danger pour les usagers du bâtiment ;

- compte tenu de l'urgence à y remédier, il a été établi un devis détaillé des travaux, par un architecte choisi par ses services qui a également établi un diagnostic révélant l'ampleur des désordres ;


Vu le jugement attaqué ;


Vu, enregistré le 27 mars 2006, le mémoire en défense présenté pour le GIE Ceten Apave, par la SCP Guy-Vienot-Bryden, avocats à la cour qui conclut au rejet de la requête et demande la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- c'est à bon droit que le tribunal a estimé que les désordres en cause ne pouvaient être regardés comme portant atteinte à la solidité de l'ouvrage et n'étaient pas de nature à le rendre impropre à sa destination ;

- l'administration ne peut se fonder sur les conclusions d'une expertise non contradictoire qui se borne à porter une appréciation qualitative des travaux de couverture du bâtiment ;

- il n'est pas démontré que les désordres constatés qui résultent de défaut de soin d'exécution seraient imputables au contrôleur technique ;

- aucune présomption de responsabilité ne peut être imputée à un bureau de contrôle technique ;

- une condamnation solidaire ne peut être prononcée à son encontre eu égard à l'absence de faute dans la réalisation des désordres incriminés ;

- en cas de condamnation solidaire retenue, il appelle en garantie la SCP Perrissin et Sailly et la SA Beauvallet ;


Vu, enregistrés au greffe les 18 avril et 6 novembre 2006 et 13 novembre 2007, les mémoires en défense présentés pour la SCP Perrisin et Sailly, architectes, par Me Deleurence, avocat au barreau de Lille, qui conclut au rejet de la requête et demande la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à titre subsidiaire appelle en garantie la SA Beauvallet et/ou le GIE Ceten Apave ;

Il soutient que :

- les désordres incriminés sont ponctuels et n'ont jamais altéré l'étanchéité de l'ouvrage ;

- l'aggravation alléguée des désordres n'est nullement établie par un rapport d'expertise contradictoire qui aurait du être sollicité à cet effet ;

- l'indemnisation sollicitée recoure une réfection complète de la toiture, ce qui ne correspond pas aux conclusions du rapport d'expertise judiciaire ;

- l'expert a établi que les désordres résultent des défauts d'exécution imputables à la SA Beauvallet ;

- aucun manquement à sa mission de direction générale des travaux ne peut lui être imputé ;





Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;



Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 décembre 2007 :

- le rapport de Mme Stahlberger, présidente,

- les observations de Me Hernu, de la SCP Guy-Vienot, Bryden, avocat du GIE Ceten Apave, et de Me Ducloy, substituant Me Deleurence, avocat de la SCP Perrissin et Dailly,

- et les conclusions de Mme Steinmetz-Schies, commissaire du gouvernement ;



Considérant qu'il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport de l'expert désigné par le juge administratif des référés, que les désordres affectant la toiture de l'Hôtel d'Aoust, siège de la Cour administrative d'appel de Douai, consistent notamment en des glissements d'ardoises de la toiture ; que de tels désordres, s'il n'est pas établi qu'ils affectent la solidité du bâtiment, rendent toutefois l'immeuble impropre à sa destination, eu égard au risque avéré de chutes d'ardoises ; qu'en ce qui concerne les autres désordres allégués, de faible ampleur selon le rapport d'expertise non utilement contesté sur ce point devant le Tribunal administratif, consistant en une dégradation des solins, une infiltration d'eau sur le toit terrasse et une présence persistante d'eau stagnante dans la gouttière d'une des ailes du bâtiment, il n'est pas établi, en l'absence de toute précision dans le rapport d'expertise ou dans toute autre pièce du dossier, qu'ils compromettraient la solidité de l'immeuble ou le rendraient impropre à sa destination ; que, par suite, le ministre de la justice est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour rejeter sa demande, le Tribunal administratif de Lille a estimé qu'aucun des désordres affectant le bâtiment n'était de nature à entrer dans le champ de la garantie décennale ;


Considérant qu'il appartient à la Cour, saisie du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens soulevés par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE devant le Tribunal administratif de Lille ;


Sur la détermination des personnes responsables :

Considérant qu'ainsi qu'il vient d'être dit, seuls les désordres affectant la couverture en tuiles d'ardoises du bâtiment sont de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que lesdits désordres résultent de la mauvaise exécution des travaux de couverture en ardoises imputable à l'entreprise Beauvallet qui était titulaire du lot «charpente, couverture, étanchéité» ; que, par ailleurs, l'importance des manquements aux règles de l'art relevés par l'expert, révèle un défaut de contrôle et de surveillance des architectes ; que ces manquements, qui ont concouru à la survenance des désordres litigieux, engagent leur responsabilité, solidairement avec l'entreprise, envers le maître de l'ouvrage ; que, par contre, eu égard à la mission du bureau de contrôle technique qui comportait uniquement le contrôle de la solidité des ouvrages et des éléments d'équipements indissociables et le contrôle des normes de sécurité des équipements, aucun manquement ne saurait être retenu à l'encontre du GIE Ceten Apave ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE est seulement fondé à rechercher la responsabilité solidaire de l'entreprise Beauvallet et du cabinet d'architectes Perrissin et Sailly à raison des désordres relevés dans la couverture en tuiles d'ardoises de la toiture ;


Sur le montant de la réparation :

Considérant que si, dans ses conclusions devant la Cour, le garde des Sceaux chiffre le montant de son préjudice à la somme de 329 714,67 euros TTC, au lieu de 84 642,48 euros demandés en première instance, il ne résulte pas de l'instruction que cette différence corresponde au constat d'une aggravation, postérieurement au dépôt de son rapport, des désordres décrits par l'expert désigné par le Tribunal administratif et retenus dans le présent arrêt comme entrant dans le champ de la garantie décennale, qui étaient alors connus dans toute leur ampleur, mais s'explique, d'une part, par le choix par le maître d'ouvrage d'une solution de réparation visant à remédier en plus aux désordres pouvant affecter, selon lui, la pérennité de l'édifice, mais non retenus dans le présent arrêt au titre de la responsabilité décennale des constructeurs, ou à améliorer la solidité de l'immeuble, d'autre part, par la prise en compte du coût de maîtrise d'oeuvre et de coordination sécurité-santé afférent au chantier de réparation, qui pouvait toutefois être chiffré dès la date de la demande formulée en première instance ; que, dès lors, en tant qu'elle est supérieure à la somme réclamée devant le Tribunal administratif, la demande du garde des Sceaux constitue une demande nouvelle en appel, irrecevable à ce titre ;

Considérant que l'expert a chiffré le montant de la réparation de l'ensemble des désordres constatés à la somme de 71 602,15 euros toutes taxes comprises ; qu'il convient de retrancher de cette somme le coût des travaux correspondant aux gouttières qui n'entrent pas dans le champ de la garantie décennale, soit la somme de 7 024 euros hors taxe (591 + 6 433 euros) ou 8 400,70 euros toutes taxes comprises, ainsi que la somme de 2 000 euros toutes taxes comprises correspondant à la réparation de la toiture terrasse ; qu'il s'ensuit que le coût des travaux afférents aux désordres affectant la couverture d'ardoise de la toiture s'élève à la somme de 61 201 euros toutes taxes comprises ;


Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

Considérant que les intérêts ont été demandés à compter de la date d'enregistrement de la requête devant le Tribunal administratif de Lille, soit le 18 avril 2003 ; qu'il doit être fait droit à cette demande pour la somme de 61 201 euros ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 6 septembre 2005 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année entière d'intérêts ; qu'il y a lieu, dès lors, par application de l'article 1154 du code civil, de faire droit à cette demande, tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les frais d'expertise :

Considérant que les frais de l'expertise ordonnée par le juge administratif des référés ont été taxés et liquidés par ordonnance du président du Tribunal administratif de Lille à la somme de 7 692,27 euros qui doit être mise à la charge solidaire de l'entreprise Beauvallet et de la SCP Perrission et Sailly ;

Sur les appels en garantie :

Considérant que la SCP Perrissin et Sailly, architectes, appelle en garantie l'entreprise Beauvallet ; qu'eu égard aux fautes respectives commises, l'entreprise Beauvallet doit être condamnée à garantir les architectes à hauteur de 70 % des condamnations prononcées par le présent arrêt ; qu'en revanche les conclusions d'appel en garantie présentées par la SCP Perrissin et Sailly à l'encontre du GIE Ceten Apave doivent être rejetées ;


Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE est fondé à demander l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Lille en date du 28 juin 2005 ;


Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante la somme que la SCP d'architectes Perrissin et Sailly demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, de faire droit aux conclusions présentées par le GIE Ceten Apave au titre de ces mêmes dispositions et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;


DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Lille en date du 28 juin 2005 est annulé.

Article 2 : L'entreprise Beauvallet et la SCP d'architectes Perrissin et Sailly sont solidairement condamnés à payer à l'Etat la somme de soixante et un mille deux cent un euros (61 201 euros), assortie des intérêts légaux à compter du 18 avril 2003. Les intérêts échus à la date du 6 septembre 2005, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Les frais de l'expertise liquidés à la somme de sept mille six cent quatre vingt douze euros vingt sept centimes (7 692,27 euros) sont mis à la charge solidaire de l'entreprise Beauvallet et de la SCP d'architectes Perrissin et Sailly.

Article 4 : L'entreprise Beauvallet garantira à hauteur de 70 % des condamnations ci-dessus prononcées la SCP d'architectes Perrissin et Sailly.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête du GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE et les conclusions d'appel en garantie formées par la SCP Perrissin et Sailly à l'encontre du GIE Ceten Apave sont rejetées.

Article 6 : L'Etat versera au GIE Ceten Apave la somme de mille euros (1 000 euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, à la SCP Perrissin et Sailly, au GIE Ceten Apave et à la SA Beauvallet.


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N° 06NC00221


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 06NC00221
Date de la décision : 17/01/2008
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme MAZZEGA
Rapporteur ?: Mme Evelyne STAHLBERGER
Rapporteur public ?: Mme STEINMETZ-SCHIES
Avocat(s) : SCP GUY-VIENOT BRYDEN

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2008-01-17;06nc00221 ?
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