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10/11/2016 | FRANCE | N°15NC01202

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 10 novembre 2016, 15NC01202


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Nancy de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des majorations correspondantes auxquelles il a été assujetti au titre des années 2009 et 2010.

Par un jugement n° 1301747 du 16 avril 2015, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er juin 2015, présentée par MeC..., et un mémoire complémentaire, enregistré le 16 sept

embre 2016, présenté par MeD..., M. A... B..., demande à la cour :

1) d'annuler ce jugement du ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Nancy de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des majorations correspondantes auxquelles il a été assujetti au titre des années 2009 et 2010.

Par un jugement n° 1301747 du 16 avril 2015, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er juin 2015, présentée par MeC..., et un mémoire complémentaire, enregistré le 16 septembre 2016, présenté par MeD..., M. A... B..., demande à la cour :

1) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy du 16 avril 2015 ;

2) de prononcer la décharge sollicitée ou, à titre subsidiaire, de prononcer la réduction des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des majorations correspondantes auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2010 ;

3) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens de l'instance.

Il soutient que :

- le jugement du tribunal administratif de Nancy est entaché d'irrégularité en raison d'une erreur de fait et du fait que les premiers juges ont exigé de lui la production d'une preuve impossible ;

- la présomption instituée par l'article 1649 quater-0 bis 1 du code général des impôts peut être combattue par tout moyen ; il n'a pas pu percevoir le revenu afférent aux 89,080 kilogrammes d'héroïne qui ont été saisis lors de son interpellation, le 25 février 2010, soit le lendemain seulement de l'importation de la drogue ; il ne remplissait qu'un rôle de " nourrice " et n'avait donc pas libre disposition de ces biens ; il a été condamné par le tribunal correctionnel pour les seuls faits de détention et non de cession de stupéfiants ;

- l'administration n'apporte pas la preuve que la somme d'argent trouvée sur lui serait le produit d'un trafic de stupéfiants ;

- l'administration a méconnu la présomption d'innocence ;

- le propriétaire de la drogue et tête pensante du trafic était M. K., ainsi que l'a jugé le tribunal correctionnel de Nancy le 15 septembre 2014, et il ne saurait dès lors être imposé qu'à hauteur de 5% de la valeur vénale de la drogue saisie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 février 2016, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête au motif qu'aucun des moyens soulevés par le requérant n'est fondé.

M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 octobre 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Fuchs,

- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,

- et les observations de MeD..., représentant M.B....

Une note en délibéré, présentée pour M.B..., a été enregistrée le 17 octobre 2016.

1. Considérant que M. B...relève appel du jugement du 16 avril 2015 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des majorations correspondantes auxquelles il a été assujetti au titre des années 2009 et 2010 ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant que si M. B...soutient que le jugement attaqué est irrégulier en raison d'une erreur de fait et de ce que les premiers juges ont exigé de lui une preuve impossible, ces moyens, qui ne relèvent pas de l'examen de la régularité du jugement mais de son bien-fondé, doivent être écartés ;

Sur les impositions établies au titre de l'année 2009 :

3. Considérant que M. B...ne présente aucun moyen à l'appui de ses conclusions tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu mises à sa charge au titre de l'année 2009 ; que, par suite, ces conclusions ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les impositions établies au titre de l'année 2010 :

4. Considérant que M. B...a été mis en examen puis condamné, par un jugement du tribunal correctionnel de Nancy du 15 septembre 2014, pour des faits de trafic de stupéfiants s'étant déroulés du 1er janvier au 25 février 2010 et, en particulier, pour la saisine, le 25 février 2010, de 89 kilogrammes d'héroïne dans un local loué par lui au nom de sa compagne ; que l'administration fiscale, informée de l'ouverture d'une information judiciaire par le juge d'instruction en application de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales, a mis en oeuvre le régime de présomption de revenus issu des dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts ; qu'elle a, en conséquence, réintégré au revenu global déclaré par l'intéressé au titre de l'année 2010 la valeur vénale de la totalité des biens illicites saisis, s'élevant à 2 227 000 euros, ainsi que la somme d'argent de 1 230 euros découverte en sa possession lors de son interpellation, soit une somme totale de 2 228 230 euros ; que l'administration a également appliqué aux droits rappelés la majoration de 80 % prévue par les dispositions du quatrième alinéa de l'article 1758 du code général des impôts ;

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

5. Considérant qu'aux termes de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, dans sa version entrée en vigueur le 1er mai 2010 : " 1. Lorsqu'il résulte des constatations de fait opérées dans le cadre d'une des procédures prévues aux articles 53,75 et 79 du code de procédure pénale et que l'administration fiscale est informée dans les conditions prévues aux articles L. 82 C, L. 101 ou L. 135 L du livre des procédures fiscales qu'une personne a eu la libre disposition d'un bien objet d'une des infractions mentionnées au 2, cette personne est présumée, sauf preuve contraire appréciée dans le cadre des procédures prévues aux articles L. 10 et L. 12 de ce même livre, avoir perçu un revenu imposable équivalent à la valeur vénale de ce bien au titre de l'année au cours de laquelle cette disposition a été constatée. / La présomption peut être combattue par tout moyen et procéder notamment de l'absence de libre disposition des biens mentionnés au premier alinéa, de la déclaration des revenus ayant permis leur acquisition ou de l'acquisition desdits biens à crédit. / Lorsqu'il résulte des constatations de fait opérées dans le cadre d'une des procédures prévues aux articles 53,75 et 79 du code de procédure pénale et que l'administration fiscale est informée dans les conditions prévues aux articles L. 82 C, L. 101 ou L. 135 L du livre des procédures fiscales qu'une personne a eu la libre disposition d'une somme d'argent, produit direct d'une des infractions visées au 2, cette personne est présumée, sauf preuve contraire appréciée dans le cadre des procédures prévues aux articles L. 10 et L. 12 de ce même livre, avoir perçu un revenu imposable égal au montant de cette somme au titre de l'année au cours de laquelle cette disposition a été constatée. / La présomption peut être combattue par tout moyen et procéder notamment de l'absence de libre disposition des sommes mentionnées au quatrième alinéa, du caractère non imposable de ces sommes ou du fait qu'elles ont été imposées au titre d'une autre année. / Lorsque plusieurs personnes ont la libre disposition des biens ou de la somme mentionnés respectivement au premier et au quatrième alinéas, la base du revenu imposable est, sauf preuve contraire, répartie proportionnellement entre ces personnes. / 2. Le 1 s'applique aux infractions suivantes : a. crimes et délits de trafic de stupéfiants prévus par les articles 222-34 à 222-39 du code pénal (...) " ;

6. Considérant, en premier lieu, que ces dispositions n'instituent ni une incrimination, ni une peine, ni une sanction ; que, par suite, M. B...ne peut utilement soutenir que l'administration fiscale aurait méconnu le principe de la présomption d'innocence ;

7. Considérant, en deuxième lieu, que le requérant soutient qu'il n'a pas eu la libre disposition des 89 kilogrammes d'héroïne saisis dès lors qu'il n'avait qu'un rôle de " nourrice " dans le trafic dans lequel il était impliqué, que la marchandise a été saisie immédiatement après son interpellation et qu'il n'a pas été condamné pour des faits de cession mais uniquement de détention des produits stupéfiants ;

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction, que, par un jugement du tribunal correctionnel de Nancy du 15 septembre 2014, M. B...a été condamné à une peine d'emprisonnement de quatre années pour des faits, commis entre le 1er janvier 2010 et le 25 février 2010, d'importation, acquisition, détention et transport non autorisés d'héroïne, participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un délit puni de 10 ans d'emprisonnement et blanchiment d'argent ; qu'il n'a pas été relevé appel de ce jugement ; que les constatations de fait qui viennent au soutien de cette condamnation pénale sont revêtues de l'autorité absolue de la chose jugée ;

9. Considérant qu'il ressort des motifs du jugement pénal que le requérant a importé, durant la nuit du 24 février 2010, 89 kilogrammes d'héroïne en provenance de Belgique et a stocké ceux-ci dans un box de garage loué par ses soins au nom de sa compagne et auquel il avait accès ; qu'il a été arrêté le 25 février 2010 alors qu'il sortait de ce box ; qu'ainsi que l'a constaté le juge pénal, il a pris une part active au trafic de stupéfiants qui lui est reproché et ne s'est pas borné à avoir la garde temporaire de l'héroïne en contrepartie d'une somme l'argent ; que si M. B... fait valoir, d'une part, qu'il a été condamné pour les faits d'importation, acquisition, détention et transport non autorisés d'héroïne, et non en raison de la cession de stupéfiants, et, d'autre part, qu'il n'a pu écouler la drogue découverte par les services de police qui en ont effectué la saisie, ces circonstances ne sont pas de nature à faire obstacle, compte tenu des éléments rappelés ci-dessus et faute de preuve contraire, à ce que l'administration regarde M. B... comme ayant eu la libre disposition des 89 kilogrammes d'héroïne saisis le 25 février 2010, au sens des dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts ;

10. Considérant, en troisième lieu, qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, M. B...a été interpellé le 25 février 2010 alors qu'il sortait d'un garage loué par ses soins dans lequel étaient entreposés 89 kilogrammes d'héroïne, qu'il avait importés de Belgique durant la nuit précédente ; que, compte tenu de ces circonstances et en l'absence d'éléments au soutien de ses allégations, il n'est pas fondé à soutenir que la somme de 1 230 euros trouvée sur lui lors de son interpellation serait sans lien avec le trafic de stupéfiants pour lequel il a été condamné ;

11. Considérant, en dernier lieu, qu'il résulte des dispositions du dernier alinéa du 1 de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts citées ci-dessus que, lorsque le contribuable établit que plusieurs personnes ont eu la libre disposition des biens ou de la somme visés au premier et quatrième alinéas de cet article, la base du revenu imposable doit, en principe, être répartie par parts égales entre ces personnes ; que le contribuable comme l'administration peuvent toutefois apporter par tout moyen la preuve que les circonstances de l'espèce imposent une répartition différente ;

12. Considérant que, alors même que le jugement pénal retient la participation de plusieurs personnes au trafic d'héroïne en cause, M. B..., sur qui repose la charge d'établir que d'autres personnes avaient également la libre disposition de la drogue saisie, soutient seulement que M. K., qui était à la tête du réseau de trafic de stupéfiants, avait également cette libre disposition ;

13. Considérant qu'il ressort des motifs du jugement pénal du 15 septembre 2014 que le large réseau de trafic de stupéfiants auquel a participé M. B...était dirigé par M. K. ; que ce dernier a été arrêté le 25 février 2010 après avoir tenté de s'enfuir alors qu'il sortait du box dans lequel était entreposée l'héroïne ; qu'un émetteur permettant l'accès à ce garage ainsi que des traces de produits stupéfiants ont été trouvées dans la voiture qu'il utilisait alors ; que M. K. était le gérant de fait de la SARL K., au sein de laquelle travaillait M. B...qui en falsifiait les comptes afin de permettre de blanchir l'argent de la vente des stupéfiants ; que, dans ces conditions, M. B...doit être regardé comme démontrant que M. K. a également eu, au sens des dispositions précitées, la libre disposition de l'héroïne saisie ; qu'il peut dès lors prétendre à n'être imposé que sur la moitié de la valeur vénale des biens saisis ; que si le requérant sollicite une répartition différente conduisant à ne l'imposer que sur 5 % de cette base, il n'appuie cette prétention sur aucun élément de preuve ; que, par suite, la base d'imposition correspondante doit être répartie par moitié entre M. B... et M. K. ; qu'il s'ensuit que la base d'imposition à l'impôt sur le revenu assignée à M. B... au titre de l'année 2010 doit être réduite de la somme de 1 113 500 euros ;

En ce qui concerne les majorations :

14. Considérant qu'aux termes du quatrième alinéa de l'article 1758 du code général des impôts : " En cas d'application des dispositions prévues à l'article 1649 quater-0 B bis, le montant des droits est assorti d'une majoration de 80 %. " ;

15. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 6, 8, 9, 10 et 13 du présent arrêt que l'administration a pu à bon droit, réintégrer au revenu global de M. B...de l'année 2010 la somme de 1 114 730 euros en application des dispositions de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts ; que, par suite, elle était fondée à assortir les droits correspondants de la majoration de 80 % prévue dans cette hypothèse par les dispositions précitées du quatrième alinéa de l'article 1758 du code général des impôts ;

16. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy ne lui a pas accordé la réduction des bases d'imposition à l'impôt sur le revenu qui lui ont été assignées au titre de l'année 2010 à hauteur de 1 113 500 euros ;

Sur les dépens :

17. Considérant qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 35 euros au titre des dépens exposés par M. B...en première instance, correspondant à la contribution à l'aide juridique ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

18. Considérant, d'une part, que M. B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 octobre 2016, par laquelle Me D...a été désigné pour l'assister ; que Me D...n'a pas demandé que lui soit versée par l'Etat la somme correspondant aux frais exposés qu'il aurait réclamée à son client si ce dernier n'avait bénéficié d'une aide juridictionnelle totale ; qu'en outre, M. B...n'établit pas avoir exposé de frais autres que ceux pris en charge par l'Etat après que l'aide juridictionnelle totale lui a été allouée ;

19. Considérant, d'autre part, que si la requête de M. B...devant la présente cour a été présentée, antérieurement à la décision lui octroyant le bénéfice de l'aide juridictionnelle, par MeC..., dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées dans cette requête tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

Article 1er : La base de l'impôt sur le revenu assignée à M. B...au titre de l'année 2010 est réduite d'une somme de 1 113 500 euros.

Article 2 : M. B...est déchargé des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des majorations afférentes correspondant à cette réduction des bases d'imposition.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Nancy est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à M. B...une somme de 35 euros sur le fondement de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B...et au ministre de l'économie et des finances.

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N° 15NC01202


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15NC01202
Date de la décision : 10/11/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Analyses

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Règles générales - Impôt sur le revenu - Détermination du revenu imposable.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières.


Composition du Tribunal
Président : Mme DHIVER
Rapporteur ?: M. Olivier FUCHS
Rapporteur public ?: M. COLLIER
Avocat(s) : BAUER BERNA

Origine de la décision
Date de l'import : 01/08/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2016-11-10;15nc01202 ?
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