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27/04/2017 | FRANCE | N°16NC00026

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre - formation à 3, 27 avril 2017, 16NC00026


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association pour le culte des témoins de Jéhovah de l'est de la France (ACTEF) a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du maire de Deyvillers rejetant sa demande préalable du 3 octobre 2013 tendant à l'indemnisation de préjudices qu'elle estime avoir subis en raison du classement en zone N d'un terrain lui appartenant et de condamner la commune à lui verser une somme de 708 937,89 euros au titre de ces préjudices.

Par un jugement n° 1302975 du 10 novembre 2015, le trib

unal administratif a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une r...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association pour le culte des témoins de Jéhovah de l'est de la France (ACTEF) a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du maire de Deyvillers rejetant sa demande préalable du 3 octobre 2013 tendant à l'indemnisation de préjudices qu'elle estime avoir subis en raison du classement en zone N d'un terrain lui appartenant et de condamner la commune à lui verser une somme de 708 937,89 euros au titre de ces préjudices.

Par un jugement n° 1302975 du 10 novembre 2015, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 8 janvier 2016 et le 3 août 2016, l'association pour le culte des témoins de Jéhovah de l'est de la France, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif ;

2°) de condamner la commune de Deyvillers à lui verser une somme de 708 936 euros ;

3°) de mettre à la charge de la commune une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la commune a engagé sa responsabilité pour faute en raison de l'illégalité de certaines décisions d'urbanisme, de son attitude à l'égard du projet qui n'a pas été neutre, ainsi qu'en méconnaissant diverses dispositions du droit international : l'article 1 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les articles 9, 10, 11 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales pris isolément et combinés avec l'article 14 ;

- la commune a également engagé sa responsabilité sans faute sur le fondement de l'article L. 160-5 du code de l'urbanisme et de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que l'association détenait des droits acquis à raison de trois décisions de non-opposition à des déclarations préalables et qu'elle a subi une charge spéciale et exorbitante hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi ;

- la commune engage sa responsabilité sans faute en raison de la rupture d'égalité devant les charges publiques compte tenu de la différence de classement d'une zone similaire à celle comprenant le terrain de l'association ;

- l'association n'a commis aucun fait susceptible d'atténuer la responsabilité sans faute de la commune ou de l'en exonérer ;

- elle justifie de la réalité et du montant de ses préjudices.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 31 mai 2016 et le 23 septembre 2016, la commune de Deyvillers, représentée par MeA..., conclut :

- au rejet de la requête ;

- à ce que soit mise à la charge de l'association pour le culte des témoins de Jéhovah de l'est de la France une somme de 5 000 euros en vertu de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens tirés de la responsabilité pour faute ne peuvent être accueillis ; l'ACTEF ne peut invoquer aucun droit acquis né de décisions de non-opposition à des déclarations de travaux et qui ne sont pas relatives à la création d'un édifice cultuel ; la commune a eu une attitude neutre à l'égard du projet de l'association et s'est bornée à instruire ses demande sans prendre parti dans les conflits né de l'opposition au projet manifestée par certains habitants ; elle n'a pas commis de détournement de pouvoir ; le droit européen et international n'a pas été méconnu ;

- les moyens tirés de la responsabilité sans faute ne peuvent davantage être accueillis, dès lors que l'association ne dispose d'aucun droit acquis nés de décisions d'urbanisme favorables, que l'association avait renoncé à se prévaloir de la condition suspensive tenant à l'obtention d'un permis de construire quand elle a acquis le terrain, qu'elle savait qu'un permis de construire avait antérieurement été refusé, qu'elle ne justifie pas de charge spéciale et exorbitante, ni d'une rupture d'égalité ;

- les conclusions indemnitaires sont irrecevables en ce qu'elles excèdent le montant et les fondements juridiques mentionnés dans la demande préalable ;

- le montant et la réalité des préjudices allégués ne sont pas démontrés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Stefanski, président,

- les conclusions de M. Favret, rapporteur public,

- et les observations de MeC..., pour l'association pour le culte des témoins de Jehovah de l'est de la France, ainsi que celles de MeA..., pour la commune de Deyvillers.

Considérant ce qui suit :

1. Le 15 octobre 2002 l'association pour le culte des témoins de Jéhovah de l'est de la France (ACTEF) a conclu avec la SCI Les vergers fleuris une convention de prestation de services par laquelle le prestataire s'obligeait à signer un compromis de vente assorti d'une clause de substitution pour un terrain adapté à la construction d'une salle d'assemblées cultuelles et à obtenir un permis de construire en ce sens susceptible d'être transféré à l'association.

2. Le 24 janvier 2003, la SCI Les vergers fleuris a signé un compromis de vente pour un montant total de 392 480 euros avec les copropriétaires d'un terrain alors cadastré section A n° 1397 et 1338, situé à Deyvillers, puis cadastré AM n° 67.

3. Le permis de construire un bâtiment à usage de salle de réunions, ainsi qu'un bâtiment de gardiennage et un bâtiment d'accueil, demandé par la SCI Les vergers fleuris le 13 juillet 2004, a été refusé le 4 janvier 2005 par le maire de Deyvillers, sur le fondement notamment du plan local d'urbanisme alors en vigueur approuvé le 21 février 2001 et modifié le 29 octobre 2004. Les motifs du refus tenaient, en premier lieu, à ce que les accès au site depuis la RN 420, route classée à grande circulation, ne répondaient pas aux impératifs de sécurité routière en méconnaissance de l'article R. 111-4 du code de l'urbanisme et à l'article 2 NA 3 du règlement du plan local d'urbanisme, en deuxième lieu, à l'insuffisance de la station communale d'épuration des eaux usées et donc à la méconnaissance de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme relatif à la salubrité publique, enfin, à la violation de l'article 2 NA 1 du règlement du plan local d'urbanisme qui interdisait la création de délaissés de terrain inconstructible.

4. Le 17 février 2005, l'association pour le culte des témoins de Jéhovah de l'est de la France a acheté aux copropriétaires en tant que terrain à bâtir, les parcelles en cause pour un montant de 392 480 euros.

5. Par une délibération du 2 octobre 2009, le conseil municipal de Deyvillers a approuvé la révision de son plan local d'urbanisme, engagée en vue de le rendre compatible avec les orientations du schéma de cohérence territoriale des Vosges centrales arrêté le 4 décembre 2006 et approuvé le 10 décembre 2007. Cette révision a eu notamment pour effet de classer la parcelle cadastrée AM n° 67 en zone naturelle. Le recours pour excès de pouvoir engagé par l'association contre cette révision a été rejeté par un jugement du tribunal administratif de Nancy du 26 juillet 2011, confirmé par la cour administrative d'appel de Nancy le 28 novembre 2013, le pourvoi en cassation engagé contre l'arrêt de la cour n'ayant pas été admis par décision du Conseil d'Etat du 6 mai 2015.

6. Entre 2004 et 2013, la SCI Les vergers fleuris et l'ACTEF ont présenté diverses demandes de certificats d'urbanisme, des déclarations préalables de travaux concernant l'aménagement de voies et des abords du terrain et ont sollicité des permis de construire, ainsi qu'une permission de voirie afin de réaliser un accès à la RN 420, qui ont fait l'objet de décisions de refus de la part de la commune ou des autorités compétentes de l'Etat. Ces décisions ont été confirmées par les juridictions administratives à l'exception d'une opposition et de deux sursis à statuer concernant trois déclarations préalables de travaux.

7. Le 30 septembre 2013, l'association pour le culte des témoins de Jéhovah de l'est de la France a présenté à la commune de Deyvillers une demande préalable en indemnisation de préjudices tenant, d'une part, à la perte de valeur vénale du terrain acheté en tant que terrain à bâtir et devenu inconstructible, d'autre part, aux divers frais exposés pour la réalisation du projet, enfin, au préjudice moral causé à l'association et à ses fidèles. Après rejet de sa demande préalable par le maire le 3 octobre 2013, l'association a saisi le tribunal administratif de Nancy. Elle interjette appel du jugement du 10 novembre 2015 par lequel le tribunal administratif a rejeté sa demande.

8. L'association requérante fonde sa demande sur la responsabilité pour faute de la commune ainsi que sur la responsabilité sans faute.

Sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par la commune de Deyvillers :

I - Sur la responsabilité pour faute :

9. Devant la cour, comme devant le tribunal administratif, l'ACTEF demande la condamnation de la commune de Deyvillers à lui verser une somme de 708 936 euros, correspondant à la perte de valeur vénale du terrain évaluée à 552 859,24 euros, à des frais d'architecte, de géomètre, de bureau d'études, d'huissiers exposés pour l'établissement des dossiers d'urbanisme, au versement des impositions auxquelles elle a été soumise en tant que propriétaire du terrain et au préjudice moral qui aurait été subi par l'association et ses fidèles.

10. Les préjudices allégués résultent pour l'essentiel de l'impossibilité pour l'association d'édifier une salle cultuelle et ses annexes. Toutefois, à supposer même que l'association, qui a acheté le terrain d'assiette en sachant qu'un permis de construire une salle de réunions avait été refusé à la SCI Les vergers fleuris, ait pu en théorie obtenir un permis de construire ces bâtiments sur le fondement du plan d'urbanisme antérieur, elle n'a jamais obtenu de permis de construire. L'inconstructibilité de la parcelle résulte de la révision du plan local d'urbanisme approuvée par délibération du conseil municipal du 9 octobre 2009, qui a classé le terrain d'assiette en zone naturelle. En appel, l'association ne soutient plus, contrairement à ce qu'elle invoquait en première instance, que la commune a commis des fautes en procédant à la révision du plan local d'urbanisme, dont la légalité a d'ailleurs été définitivement confirmée par les juridictions administratives.

A - Sur l'illégalité de "certaines" décisions d'urbanisme :

11. L'ACTEF fait valoir que la commune lui a opposé, sur le fondement du plan local d'urbanisme révisé en 2009, une opposition et deux sursis à statuer à trois déclarations de travaux et que ces décisions ont été annulées par des jugements devenus définitifs du tribunal administratif de Nancy. L'association soutient qu'à la suite de ces annulations, en application de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme, elle a confirmé ses déclarations dans un délai de six mois et qu'en l'absence de réponse de la commune, elle était titulaire d'autorisations tacites en vertu de l'article R. 424-1 du code de l'urbanisme, fondées sur les dispositions du plan local d'urbanisme antérieur à la révision.

12. Toutefois, l'ACTEF n'indique pas en quoi une telle circonstance, qui d'ailleurs n'est pas établie dès lors que la commune a opposé, par lettre du 20 décembre 2011, un rejet à la confirmation de demandes de l'association présentée le 6 novembre précédent, aurait un lien avec les préjudices qu'elle invoque, alors qu'elle n'a pas mis en oeuvre les autorisations qu'elle prétend avoir obtenues et que les déclarations de travaux ne concernaient que des travaux d'aménagement de la parcelle tels que création de voies, sentier, bassin de stockage et aménagement paysager et n'étaient pas de nature à permettre l'édification de bâtiments.

13. A supposer que l'association entende en réalité invoquer les fautes commises par la commune en s'opposant illégalement à ses déclarations préalables de travaux, elle n'établit pas davantage l'existence d'un lien direct entre ces décisions et la perte de valeur vénale de son terrain qui résulte directement de ce que le plan local d'urbanisme révisé en 2009 l'a rendu inconstructible, ni n'indique, parmi les frais dont elle demande l'indemnisation, ceux qui auraient été exposés pour établir ces déclarations de travaux, ni leur montant.

B - Sur les fautes tenant à l'attitude de la commune à l'égard du projet de l'association :

14. L'association pour le culte des témoins de Jéhovah de l'est de la France fait valoir que le maire de Deyvillers et les services instructeurs l'ont d'abord assurée de la faisabilité de son projet, puis qu'à partir de 2004 ou 2005, la commune s'est associée aux démarches des opposants à l'implantation de son projet et a manifesté une attitude hostile révélée par l'opposition systématique à ses demandes, ainsi que par le classement de la parcelle en zone naturelle.

15. En premier lieu, les arguments tirés de l'attitude des services de l'Etat, qui n'ont d'ailleurs pas assuré l'association de la possibilité de réaliser ses projets, mais se sont bornés à instruire ses demandes, ne peuvent être utilement invoqués à l'appui d'une demande tendant à la mise en jeu de la responsabilité de la commune de Deyvillers.

16. En deuxième lieu, il ne résulte pas des pièces du dossier que le maire de Deyvillers aurait encouragé l'association à réaliser ses projets, alors même qu'il a assisté à certaines réunions d'instruction par les services de l'Etat de la demande de permission de voirie déposée par l'association afin de réaliser un accès offrant une sécurité suffisante de sa parcelle à la RN 420.

17. En troisième lieu, si l'association fait état de deux articles de la presse locale mentionnant qu'en novembre 2004 le maire de Deyvillers entendait s'opposer à l'implantation d'un lieu de culte des Témoins de Jéhovah sur la parcelle en cause, il résulte d'autres articles de presse, invoqués par la commune en appel, que le maire et la municipalité n'entendaient pas prendre parti dans la querelle entre les opposants au projet, qui avaient constitué une association intitulée ADED, et l'association pour le culte des témoins de Jéhovah de l'est de la France. Il ne résulte pas davantage des autres pièces du dossier, consistant essentiellement en des articles de presse, que le maire ou la municipalité ont manifesté une attitude systématiquement hostile à l'association, celle-ci ne pouvant utilement invoquer les propos du président de l'association ADED indiquant qu'il allait impliquer les autorités de la commune pour soutenir son action. En outre, à l'exception des trois refus déjà mentionnés opposés à des déclarations préalables de travaux, la légalité de tous les autres actes des deux maires successifs de Deyvillers rejetant des demandes de la SCI Les vergers fleuris ou de l'ACTEF, a été confirmée par les juridictions administratives, tout comme la révision du plan local d'urbanisme de 2009.

18. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que la commune de Deyvillers aurait par une attitude, d'abord favorable, puis hostile au projet de l'ACTEF commis des fautes de nature à engager sa responsabilité.

C - Sur la violation du droit européen :

19. D'une part, aux termes de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé (...) 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la moralité publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

20. Aux termes de l'article 11 de cette convention : " Toute personne a droit à (...) la liberté d'association (...) 2. L'exercice des droits ainsi prévus ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui (...) ".

21. Aux termes des dispositions de l'article 14 : " La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ".

22. Le classement en zone N du terrain dont est propriétaire l'association est intervenu en tenant compte de ses caractéristiques au regard du parti d'aménagement retenu par la commune dans son document d'urbanisme et n'a pas pour effet de porter atteinte à la liberté de religion et à la liberté d'association, quand bien même il ne permet pas la réalisation du projet de construction d'un édifice cultuel que l'association envisageait sur ce terrain et n'est pas davantage constitutif d'une discrimination religieuse.

23. D'autre part, aux termes de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et des principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ".

24. Le classement auquel procède le plan local d'urbanisme révisé n'apparaît pas, compte tenu de ses effets, comme apportant des limites à l'exercice du droit de propriété de l'association requérante qui seraient disproportionnées au regard du but d'intérêt général poursuivi par la délibération contestée. Il ne méconnaît donc pas les stipulations de l'article 1er du protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

25. Ainsi, le moyen tiré par l'association requérante de ce que la perte de valeur vénale de son terrain et les frais qu'elle a exposés auraient un lien avec des violations du droit européen, ne peut être accueilli.

II - Sur la responsabilité sans faute :

A - Sur le moyen fondé sur l'article L. 160-5 du code de l'urbanisme :

26. L'association pour le culte des témoins de Jéhovah de l'est de la France, en se fondant sur l'article L. 160-5 du code de l'urbanisme et de l'article 1 du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, soutient qu'elle a subi une charge spéciale et exorbitante dès lors que plus de 98 % de sa parcelle est devenue inconstructible, que son terrain ne présente plus d'intérêt pour elle si elle ne peut plus y construire un édifice cultuel et que cette charge est hors de proportion avec l'intérêt général qui a conduit au classement de sa parcelle en zone naturelle lors de la révision du plan local d'urbanisme. A cet effet, elle fait valoir qu'il résultait notamment du projet d'aménagement et développement durable qu'il s'agissait de préserver des ouvertures paysagères et de maintenir une coupure verte et la qualité du paysage, ce que permettait déjà le classement antérieur.

27. Aux termes de l'article L. 160-5 du code de l'urbanisme devenu L. 105-1 à compter du 1er janvier 2016 : " N'ouvrent droit à aucune indemnité les servitudes instituées par application du présent code en matière de voirie, d'hygiène et d'esthétique ou pour d'autres objets et concernant, notamment, l'utilisation du sol, la hauteur des constructions, la proportion des surfaces bâties et non bâties dans chaque propriété, l'interdiction de construire dans certaines zones et en bordure de certaines voies, la répartition des immeubles entre diverses zones. / Toutefois, une indemnité est due s'il résulte de ces servitudes une atteinte à des droits acquis ou une modification à l'état antérieur des lieux déterminant un dommage direct, matériel et certain ; cette indemnité, à défaut d'accord amiable, est fixée par le tribunal administratif, qui doit tenir compte de la plus-value donnée aux immeubles par la réalisation du plan d'occupation des sols rendu public ou du plan local d'urbanisme approuvé ou du document qui en tient lieu ".

28. Ces dispositions instituent un régime spécial d'indemnisation exclusif de l'application du régime de droit commun de la responsabilité sans faute de l'administration pour rupture de l'égalité devant les charges publiques. Elles ne font, toutefois, pas obstacle à ce que le propriétaire dont le bien est frappé d'une servitude prétende à une indemnisation dans le cas exceptionnel où il résulte de l'ensemble des conditions et circonstances dans lesquelles la servitude a été instituée et mise en oeuvre, ainsi que de son contenu, que ce propriétaire supporte une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi. (CE 29 juin 2016 n° 375020).

29. Ainsi, l'article L. 160-5 subordonne le principe de non-indemnisation des servitudes d'urbanisme qu'il édicte à la condition que celles-ci aient été instituées légalement, aux fins de mener une politique d'urbanisme conforme à l'intérêt général et dans le respect des règles de compétence, de procédure et de forme prévues par la loi. D'autre part, l'article ne pose pas un principe général et absolu mais l'assortit expressément de deux exceptions touchant aux droits acquis par les propriétaires et à la modification de l'état antérieur des lieux. Enfin, il ne fait pas obstacle à ce que le propriétaire dont le bien est frappé d'une servitude prétende à une indemnisation dans le cas exceptionnel défini comme ci-dessus. Il s'ensuit que l'article L. 160-5 du code de l'urbanisme ne méconnaît pas les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. (CE 11 juillet 2011 n° 317272).

30. Il résulte de l'instruction que le classement en zone inconstructible de la parcelle appartenant à l'ACTEF n'a ni porté atteinte à des droits acquis ni modifié l'état antérieur des lieux.

31. Par ailleurs, l'objet de ce classement de la parcelle de l'association située à l'extérieur du centre du bourg, à la sortie de la commune sans être immédiatement rattachée au noyau urbain existant, vise à respecter l'objectif du SCOT des Vosges centrales avec lequel le plan local d'urbanisme de la commune devait être mis en conformité, prévoyant que l'urbanisation devait se faire autour des noyaux urbains par création d'un habitat groupé. Le classement rendait également le plan local d'urbanisme de la commune compatible avec les objectifs du SCOT tendant au maintien de la couronne forestière spinalienne et à la préservation d'un "vert dégagé". Ainsi, eu égard à l'objet du classement de la parcelle, la perte de valeur vénale de cette dernière, alors au surplus que l'association l'avait acquise en sachant qu'un permis de construire une salle de réunion avait été antérieurement refusé, ne peut être regardée comme faisant peser sur la requérante une charge exorbitante hors de proportion avec les justifications d'intérêt général sur lesquelles reposait ce document d'urbanisme, même si l'association subit une charge spéciale du fait du classement de sa parcelle en zone naturelle.

B - Sur la rupture de l'égalité devant les charges publiques :

32. Contrairement à ce que soutient l'association requérante, la circonstance que les parcelles voisines de la sienne n'ont pas été classées en zone naturelle par la révision du plan local d'urbanisme ne constitue pas une rupture d'égalité devant les charges publiques, dès lors que ces parcelles ne se trouvaient pas dans une situation identique à la sienne.

33. Il résulte de ce qui précède que l'association pour le culte des témoins de Jéhovah de l'est de la France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

34. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Deyvillers, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que l'association pour le culte des témoins de Jéhovah de l'est de la France demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

35. En revanche, il a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces dispositions de mettre à la charge de l'ACTEF une somme de 2 000 euros à verser à la commune de Deyvillers au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Par ces motifs,

DECIDE :

Article 1er : La requête de l'association pour le culte des témoins de Jéhovah de l'est de la France est rejetée.

Article 2 : L'association pour le culte des témoins de Jéhovah de l'est de la France versera à la commune de Deyvillers une somme de 2 000 (deux mille) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association pour le culte des témoins de Jéhovah de l'est de la France et à la commune de Deyvillers.

2

N° 16NC00026


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16NC00026
Date de la décision : 27/04/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité.


Composition du Tribunal
Président : M. MESLAY
Rapporteur ?: Mme Colette STEFANSKI
Rapporteur public ?: M. FAVRET
Avocat(s) : CUNY

Origine de la décision
Date de l'import : 09/05/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2017-04-27;16nc00026 ?
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