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28/12/2017 | FRANCE | N°16NC02694

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre - formation à 3, 28 décembre 2017, 16NC02694


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D...néeA..., a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner solidairement l'Etat et la société Soletanche Bachy France à lui verser une somme en réparation des dommages résultant de la réalisation d'un collecteur des eaux d'exhaure sous l'ancien carreau de la mine Orne à Moyeuvre-Grande, d'ordonner une expertise afin de chiffrer ces dommages ou, à défaut, de condamner solidairement l'Etat et la société Soletanche Bachy France à lui verser une somme de 360 000 euros.

Par

un jugement n° 1303977 du 6 octobre 2016, le tribunal administratif de Strasbourg...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D...néeA..., a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner solidairement l'Etat et la société Soletanche Bachy France à lui verser une somme en réparation des dommages résultant de la réalisation d'un collecteur des eaux d'exhaure sous l'ancien carreau de la mine Orne à Moyeuvre-Grande, d'ordonner une expertise afin de chiffrer ces dommages ou, à défaut, de condamner solidairement l'Etat et la société Soletanche Bachy France à lui verser une somme de 360 000 euros.

Par un jugement n° 1303977 du 6 octobre 2016, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 7 décembre 2016, le 23 juin 2017 et le 6 novembre 2017, Mme A..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 6 octobre 2016 ;

2°) de condamner in solidum l'Etat et la société Soletanche Bachy France à lui verser une somme de 360 000 euros en réparation de son préjudice, assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 septembre 2013.

Elle soutient que :

- l'exception de prescription quadriennale de la loi du 31 décembre 1968 ne pouvait lui être opposée dès lors que son action tendait à ce que l'Etat soit déclaré responsable et non au versement d'une somme d'argent ;

- sa demande dirigée contre l'Etat n'était pas prescrite dès lors qu'aucun délai n'est imparti pour saisir le juge, en l'absence de demande préalable nécessaire pour lier le contentieux en matière de dommages de travaux publics ;

- son action dirigée contre la société Soletanche Bachy France expirait le 4 août 2014 et en tout état de cause, aucun délai n'est opposable à une action en responsabilité en matière de dommages de travaux publics ;

- les garages sont devenus impropres à la location ;

- compte tenu de sa situation économique et pour des raisons d'équité, il n'y avait pas lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 août 2017, la société Soletanche Bachy France, représentée par la SELARL Le Discordre Deleau, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que l'action de Mme A...à son égard est atteinte par la prescription quinquennale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 octobre 2017, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la prescription quadriennale est applicable à une action en responsabilité dirigée contre l'Etat par la victime d'un dommage résultant de travaux publics sans qu'y fasse obstacle l'absence de délai de recours en matière de travaux publics ;

- la perte de valeur d'un bien immobilier n'étant pas un préjudice continu, c'est au plus tard à la date de remise du rapport de l'expert que la réalité et l'étendue d'un tel préjudice ont été connues de manière certaine de sorte que la créance de Mme A...était prescrite au 31 décembre 2009.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de procédure civile ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Michel, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Kohler, rapporteur public,

- et les observations de Me E... pour la société Soletanche Bachy France.

1. Considérant que M.D..., décédé en 2006 et dont l'épouse, née C...A..., est l'héritière, a acquis le 10 septembre 1980 un hangar comprenant douze garages situé sur l'ancien carreau de la mine Orne à Moyeuvre-Grande et qu'il les a mis en location jusqu'en 1998 ; qu'après l'arrêt de l'activité minière, l'Etat, devenu propriétaire du tréfonds, a décidé d'y faire réaliser, par la société Soletanche Bachy France, un collecteur des eaux d'exhaure ; que MmeA..., qui impute à ces travaux la survenance des désordres constatés dans ce hangar, relève appel du jugement du 6 octobre 2016 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la mise en cause in solidum de la responsabilité de l'Etat et de la société Soletanche Bachy France pour dommages de travaux publics, d'ordonner une expertise afin de chiffrer ces dommages ou, à défaut, de condamner in solidum l'Etat et la société Soletanche Bachy France à lui verser une somme de 360 000 euros ;

Sur l'exception de prescription quadriennale opposée par l'Etat :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics susvisé : " Sont prescrites, au profit de l'Etat (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) " ;

3. Considérant, en premier lieu, que si à la date de saisine du tribunal administratif, la recevabilité d'une demande indemnitaire n'était pas, en application de l'article R. 421-1 du code de justice administrative alors en vigueur, subordonnée, en matière de travaux publics, à l'intervention d'une décision préalable de l'administration de nature à lier le contentieux, cette circonstance de droit, relative à la recevabilité d'un recours, est sans incidence sur la possibilité pour l'Etat d'opposer au fond, sur le fondement de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968, l'exception de prescription quadriennale à la créance de Mme A...;

4. Considérant, en second lieu, que M. D...a, par un exploit d'huissier du 24 mars 2003, assigné la société Soletanche Bachy devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Thionville et obtenu, par ordonnance du 8 avril 2003, l'organisation d'une mesure d'expertise pour déterminer notamment l'origine des désordres affectant ses garages ; que le rapport d'expertise, déposé au greffe du tribunal de grande instance le 4 août 2004, selon les écritures de MmeA..., décrit l'origine des dommages subis par les épouxD..., leur étendue et les travaux nécessaires pour y remédier en chiffrant le coût de démolition et de reconstruction du hangar à la somme de 360 000 euros ; que pour l'application des dispositions précitées de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, c'est à cette date que, la réalité et l'étendue des préjudices dont Mme A...demande réparation étant connues et pouvant être exactement mesurées, les droits de créance dont elle est susceptible de se prévaloir à l'encontre de l'Etat à raison de ces dommages, doivent être regardés comme ayant été acquis ; qu'il suit de là que la prescription a commencé à courir le 1er janvier 2005 et qu'en l'absence d'interruption ou de suspension du cours de la prescription après cette date, la créance de Mme A...était prescrite le 31 décembre 2008 ; que contrairement à ce que soutient l'intéressée, la demande qu'elle a présentée le 5 septembre 2013 devant le tribunal administratif, tendant à la mise en cause de la responsabilité in solidum de l'Etat et de la société Soletanche Bachy France et à la réparation des préjudices consécutifs aux travaux, comportait non seulement des conclusions aux fins d'expertise mais également des conclusions tendant à la condamnation de l'Etat au versement d'une indemnité de 360 000 euros ; que cette demande se rapportait donc bien à cette même créance qui était prescrite ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande dirigée contre l'Etat ;

Sur l'exception de prescription opposée par société Soletanche Bachy France :

6. Considérant qu'aux termes de l'article 2244 du code civil, dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 19 juin 2008 : " Une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir " ; qu'aux termes de l'article 2270-1 du même code, dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 19 juin 2008 : " Les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation (...) " ; qu'aux termes de l'article 2224 de ce code, en vigueur depuis le 19 juin 2008 : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. " ; qu'aux termes de l'article 2222 du même code : (...) En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure " ;

7. Considérant, en premier lieu, que si à la date de saisine du tribunal administratif la recevabilité d'une demande indemnitaire n'était pas, en application de l'article R. 421-1 du code de justice administrative alors en vigueur, subordonnée, en matière de travaux publics, à l'intervention d'une décision préalable de nature à lier le contentieux, cette circonstance de droit, relative à la recevabilité d'un recours, est, en tout état de cause, sans incidence sur la possibilité pour la société Soletanche Bachy d'opposer au fond une exception de prescription à la créance de MmeA... ;

8. Considérant, en second lieu, que la créance dont se prévalaient M. et Mme D...à l'encontre de la société Soletanche Bachy France relevait de la prescription décennale prévue par l'article 2270-1 du code civil ; que les dommages dont ils ont demandé réparation doivent être regardés comme s'étant manifestés au plus tard le 4 août 2004, date du dépôt du rapport de l'expertise diligentée par le tribunal de grande instance de Thionville ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que ces dommages se soient aggravés postérieurement à cette date ; qu'il suit de là que la prescription décennale a commencé à courir le 4 août 2004 ; qu'à la suite de l'abrogation des dispositions de l'article 2270-1 du code civil par la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, cette créance a relevé à compter du 19 juin 2008, date de l'entrée en vigueur de cette loi, de la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que le cours de la prescription ait été interrompu ou suspendu postérieurement à cette date qui en a constitué le nouveau point de départ conformément aux dispositions précitées de l'article 2222 du code civil ; qu'il résulte de ce qui précède que la créance de Mme A...sur la société Soletanche Bachy France était déjà prescrite à la date d'enregistrement au greffe du tribunal de sa demande indemnitaire, soit le 5 septembre 2013 ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande dirigée contre la société Soletanche Bachy France ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;

11. Considérant, en premier lieu, que les premiers juges en mettant à la charge de Mme A..., partie perdante, le versement d'une somme de 1 000 euros à la société Soletanche Bachy France au titre des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative n'ont pas fait une inexacte appréciation du montant des frais exposés et non compris dans les dépens en première instance par la société Soletanche Bachy France, qui avait alors eu recours au ministère d'un avocat, ni n'ont fait une inéquitable application de ces dispositions ; qu'il suit de là que les conclusions de Mme A...tendant à l'annulation du jugement attaqué sur ce point doivent être rejetées ;

12. Considérant, en second lieu, que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat et de la société Soletanche Bachy France, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, le versement de la somme que Mme A...demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu en revanche de mettre à la charge de Mme A...le versement à la société Soletanche Bachy France d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des mêmes dispositions ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Mme A...versera à la société Soletanche Bachy France une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...A..., à la société Soletanche Bachy France et au ministre de l'économie et des finances.

4

N° 16NC02694


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16NC02694
Date de la décision : 28/12/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Comptabilité publique et budget - Dettes des collectivités publiques - Prescription quadriennale - Régime de la loi du 31 décembre 1968.

67 Travaux publics.


Composition du Tribunal
Président : M. KOLBERT
Rapporteur ?: M. Alexis MICHEL
Rapporteur public ?: Mme KOHLER
Avocat(s) : BARRE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/01/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2017-12-28;16nc02694 ?
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