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03/06/2019 | FRANCE | N°18NC00075

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre - formation à 3, 03 juin 2019, 18NC00075


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme O...E...ont demandé au tribunal administratif de Besançon, à titre principal, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales ainsi que des majorations correspondantes, mises à leur charge au titre des années 2001 à 2008 et, à titre subsidiaire, de prononcer une décharge partielle de ces rappels en limitant les bases d'imposition à un total de 72 666 euros.

Par un jugement n° 1401339 du 7 novembre 2017, le tribunal administrat

if de Besançon a prononcé un non-lieu partiel à hauteur des dégrèvements accordés...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme O...E...ont demandé au tribunal administratif de Besançon, à titre principal, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales ainsi que des majorations correspondantes, mises à leur charge au titre des années 2001 à 2008 et, à titre subsidiaire, de prononcer une décharge partielle de ces rappels en limitant les bases d'imposition à un total de 72 666 euros.

Par un jugement n° 1401339 du 7 novembre 2017, le tribunal administratif de Besançon a prononcé un non-lieu partiel à hauteur des dégrèvements accordés en cours d'instance, a prononcé une réduction en base du bénéfice non commercial de l'année 2001 de 1 444,29 euros et a rejeté le surplus de leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, respectivement enregistrés les 8 janvier et 8 octobre 2018, M. et MmeE..., représentés par MeM..., demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1401339 du tribunal administratif de Besançon du 7 novembre 2017 ;

2°) à titre principal, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales ainsi que des majorations correspondantes, mises à leur charge au titre des années 2001 à 2008 ;

3°) à titre subsidiaire, de prononcer une décharge partielle de ces rappels en limitant les bases d'imposition à un total de 72 666 euros ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- ils n'ont reçu aucun avis de vérification préalablement à la vérification de comptabilité et à l'examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle dont ils ont fait l'objet au titre des années 2007 à 2009 ;

- les trois propositions de rectifications du 16 décembre 2010 sont insuffisamment motivées ;

- le tableau détaillant les sommes qui auraient été détournées ne mentionne pas l'origine des renseignements obtenus par l'administration ; ils n'ont pas été mis en mesure d'obtenir copie des pièces de la procédure pénale ;

- dans la proposition de rectification relative à l'ensemble du revenu imposable des années 2001 à 2006, l'administration a indiqué qu'ils avaient la possibilité de lui demander une copie des demandes qu'elle a formulées dans le cadre d'un droit de communication adressé à l'autorité judiciaire ; cette phrase les a induits en erreur quant à l'étendue de leurs droits en laissant à penser qu'il ne pouvaient pas obtenir les documents adressés par l'autorité judiciaire à l'administration suite à sa demande et qui fondent les rappels litigieux ; ce faisant, l'administration a manqué à son devoir de loyauté ;

- les rappels afférents aux années 2001 à 2005 sont prescrits, puisque le jugement du 24 mars 2010 a été précédé d'une enquête préliminaire, à laquelle ils n'ont pas eu accès, qui ne constitue pas une instance devant les tribunaux au sens de l'article L. 170 du livre des procédures fiscales et que le jugement précité ne concerne que des faits commis entre le 4 février 2006 et le 4 février 2009 ;

- en cas de détournement, La Banque postale et son assurance, CNP Assurances, indemnisent les clients qui en ont été victimes ; ces indemnités comprennent le capital détourné, les intérêts et les plus-values que les clients auraient réalisés s'ils n'avaient pas été victimes de détournement ; sur les quinze clients qui auraient été victimes de M. E...selon l'administration fiscale, seuls huit ont été indemnisés ; par un jugement du tribunal correctionnel de Lons-le-Saunier du 24 mars 2010, M. E...a été condamné à verser 130 534,62 euros au titre du préjudice matériel subi par La Banque postale ; par un jugement rendu par cette même juridiction le 5 avril 2011, M. E...a été condamné à verser 10 000 euros au titre des dommages et intérêts subis par cette banque et à indemniser deux clients seulement ; par un jugement rendu le 4 février 2014, M. E...a été condamné à verser 41 800 euros de dommages et intérêts à La Banque Postale ; au total, c'est seulement 173 244 euros de dommages et intérêts qui ont été accordés par le tribunal correctionnel ;

- le détournement de 10 000 euros au détriment de M. F...n'est pas établi ;

- les détournements commis au détriment de M. C...E..., pour un total de 23 400 euros, ne sont pas établis ;

- aucun détournement n'a été commis au détriment de MmeK... ;

- les détournements qui auraient été faits au détriment de M. B...sont infondés ;

- les rappels relatifs aux détournements commis au détriment de Mme H...doivent être limités à 16 400 euros ;

- les rappels portant sur les détournements commis au détriment de Mme I...ne sont pas fondés ou doivent être limités en base à 1 500 euros ;

- seuls 5 000 euros ont été détournés au détriment de M. L...en 2008 ;

- les rappels effectués à raison de détournements dont Mme N...aurait été victime ne sont pas justifiés ;

- les détournements qui auraient été faits au détriment de Mme J...ne sont pas établis ;

- les détournements qui auraient été faits au détriment de Mme E...ne sont pas établis ;

- les détournements commis au détriment de M. P...doivent être limités à 5 000 euros au titre de l'année 2005 ;

- le détournement qui aurait été fait au détriment de MmeA..., à hauteur de 5 000 euros, n'est pas établi ;

- aucun détournement n'a été commis au détriment de MmeD....

Par des mémoires en défense, enregistrés les 31 mai et 19 octobre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Vu

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Dhers,

- les conclusions de Mme Peton, rapporteur public,

- et les observations de M.E..., invité par le président de chambre à prendre la parole à l'audience, son avocat étant absent.

Considérant ce qui suit :

1. M.E..., alors directeur du bureau de poste de Moirans-en-Montagne (39), a été révoqué de ses fonctions le 2 octobre 2009 puis a été condamné par trois jugements rendus par le tribunal correctionnel de Lons-le-Saunier les 24 mars 2010, 5 avril 2011 et 4 février 2014 à des peines d'emprisonnement avec sursis pour abus de confiance et usage de faux dans un document administratif par un chargé de mission de service public en raison de détournements de fonds commis, de 2000 à 2009, au détriment de clients de la Banque postale. Son épouse à été condamnée à une peine de quinze jours d'emprisonnement avec sursis pour recel de bien obtenu à l'aide d'un abus de confiance. Après avoir exercé en 2010 un droit de communication auprès de l'autorité judiciaire, l'administration fiscale a procédé à un contrôle sur pièces des revenus obtenus par M. et Mme E...au cours des années 2001 à 2006, à une vérification de comptabilité des requérants portant sur les années 2007 et 2008 et à un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle de M. et Mme E...portant sur les années 2007 et 2008. Après avoir effectué les rectifications issues de ces contrôles dans le cadre de la procédure contradictoire, l'administration a mis en recouvrement en 2011 des rappels d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, au titre des années 2001 à 2008, assortis de pénalités et d'intérêts de retard. M. et Mme E...ont demandé au tribunal administratif de Besançon de prononcer, à titre principal, la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquels ils ont été assujettis au titre des années 2001 à 2008 et des majorations correspondantes, et, à titre subsidiaire, la réduction des suppléments d'imposition en limitant le montant des sommes détournées au montant total de 72 666 euros. Par un jugement du 7 novembre 2017, le tribunal administratif de Besançon a prononcé un non-lieu partiel à hauteur des dégrèvements accordés en cours d'instance, a prononcé une réduction en base du bénéfice non commercial de l'année 2001 de 1 444,29 euros et a rejeté le surplus de leur demande. M. et Mme E...relèvent appel de ce jugement.

Sur la procédure d'imposition :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales : " Un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle d'une personne physique au regard de l'impôt sur le revenu ou une vérification de comptabilité ne peut être engagée sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification (...) ".

3. Il résulte de l'instruction qu'un avis d'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle de M. et MmeE..., relatif aux années 2007 à 2009 et daté du 21 juin 2010, ainsi qu'un avis de vérification de comptabilité, portant sur les années 2007 et 2008, daté du 25 novembre 2010, ont été respectivement notifiés aux requérants les 22 juin et 26 novembre 2010. Par suite, le moyen tiré de la violation de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales doit être écarté.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'administration doit indiquer au contribuable, dans la proposition de rectification, les motifs et le montant des rehaussements envisagés, leur fondement légal et la catégorie de revenus dans laquelle ils sont opérés, ainsi que les années d'imposition concernées. Hormis le cas où elle se réfère à un document qu'elle joint à la proposition de rectification ou à la réponse aux observations du contribuable, l'administration peut satisfaire à cette obligation en se bornant à se référer aux motifs retenus dans une proposition de rectification, ou une réponse aux observations du contribuable, consécutive à un précédent contrôle et qui lui a été régulièrement notifiée, à la condition qu'elle identifie précisément la proposition ou la réponse en cause et que celle-ci soit elle-même suffisamment motivée.

5. M. et Mme E...soutiennent, d'une part, que la proposition de rectification du 16 décembre 2010, relative aux années 2001 à 2006, consécutive à un contrôle sur pièces, et celle du même jour, relative aux bénéfices non commerciaux des années 2007 et 2008, qui conclut une vérification de comptabilité, se bornent à rappeler des faits de manière succincte, d'autre part, que la troisième proposition de rectification, découlant d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle des requérants, relative aux années 2007 à 2009, se contente d'opérer un renvoi à la deuxième et, enfin, que l'administration n'a joint aucune pièce à ces trois propositions de rectifications, hormis dans deux des trois propositions où figure un tableau intitulé " détail des sommes détournées " qui, selon eux, ne comporte aucune explication.

6. La première des trois propositions de rectification précitées, qui résulte d'un contrôle sur pièces, indique qu'elle porte sur l'impôt sur le revenu des années 2001 à 2006, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, indique les motifs des rappels effectués, en l'occurrence l'existence de détournements de fonds commis au cours des six années en cause et imputés à M.E..., et les bases de ces rappels. Cette proposition de rectification comporte un tableau qui détaille, par victime, les détournements dont M. E...s'est rendu coupable de 2001 à 2008. La deuxième proposition de rectification, qui découle d'une vérification de comptabilité, indique qu'elle a trait aux bénéfices non commerciaux des années 2007 et 2008, expose les motifs des rappels en cause, la base des rappels et le montant des rehaussements envisagés et comporte le tableau précité. La troisième proposition de rectification, issue de l'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle des requérants des années 2007 à 2009, et concernant le revenu global du foyer fiscal, précise qu'elle porte sur les bénéfices non commerciaux de 2007 et de 2008 et sur les revenus fonciers de 2009 et indique les bases d'imposition dans ces deux catégories de revenus. En outre, elle se réfère explicitement à la précédente proposition de rectification, concernant les bénéfices non commerciaux de M. E..., identifiée avec précision et notifiée à la même adresse et le même jour, et qui est suffisamment motivée, ainsi qu'il vient d'être dit. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de ces propositions de rectification doit être écarté.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande. ". Il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en oeuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des renseignements obtenus auprès de tiers qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour permettre à l'intéressé de demander que les documents qui contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent. Cette obligation ne s'impose à l'administration que pour les renseignements effectivement utilisés pour fonder les rectifications. Le droit pour le contribuable de demander la copie des documents que l'administration a obtenus de tiers et dont sont issus des éléments qu'elle a effectivement utilisés pour fonder les rectifications d'impôt envisagées, ne peut être mis en oeuvre qu'avant la mise en recouvrement des impositions.

8. M. et Mme E...soutiennent que le tableau qui détaille les sommes qui auraient été détournées par M. E...et qui figure dans la proposition de rectification du 16 décembre 2010, relative aux années 2001 à 2006, consécutive à un contrôle sur pièces, et celle du même jour, relative aux bénéfices non commerciaux des années 2007 et 2008, ne mentionne pas l'origine des informations obtenues par l'administration pour arrêter les bases des impositions de ces huit années. Toutefois, aucune disposition, notamment l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales, n'imposait une telle obligation. En outre, les deux propositions de rectifications précitées indiquent que le 7 avril 2010, le tribunal de grande instance de Lons-le-Saunier a communiqué à l'administration, en application de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales, des pièces de la procédure pénale engagée à l'encontre de M.E..., que la brigade de contrôle et de recherche des impôts du Jura a exercé, le 17 avril 2010, son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire afin d'obtenir communication du jugement rendu le 24 mars 2010 et des pièces relatives à cette affaire et que le 23 novembre 2010, le procureur de la République a fait droit à sa demande. Ces deux actes de la procédure d'imposition mentionnent également que les rappels sont issus des résultats de l'enquête préliminaire de gendarmerie, de l'enquête interne de La Banque postale, du jugement précité du 24 mars 2010 et d'une seconde plainte déposée par La Banque postale le 16 juillet 2010. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du 1er alinéa de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales ne peut qu'être écarté.

9. En quatrième lieu, la troisième proposition de rectification, issue d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle des requérants, précisait qu'ils avaient la possibilité de solliciter de l'administration une copie des demandes qu'elle avait adressées au tribunal de grande instance de Lons-le-Saunier et ce, jusqu'à la date de mise en recouvrement des rappels. M. et Mme E...soutiennent que l'administration a manqué à son devoir de loyauté en leur faisant ainsi croire qu'ils ne pouvaient pas obtenir la communication des documents remis par l'autorité judiciaire à l'administration et qui ont servi à fonder les rappels litigieux. Cependant, la mention en cause est dépourvue de toute ambiguïté et n'indique nullement que les requérants ne pouvaient formuler une demande de copie de ces documents conformément aux dispositions du second alinéa de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales jusqu'à la date de mise en recouvrement des rappels. Par suite, un tel moyen ne peut, en tout état de cause , qu'être écarté.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne le délai de reprise :

10. Aux termes de l'article L. 170 du livre des procédures fiscales, alors applicable aux rappels litigieux : " Même si les délais de reprise prévus à l'article L. 169 sont écoulés, les omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une instance devant les tribunaux ou par une réclamation contentieuse peuvent être réparées par l'administration des impôts jusqu'à la fin de l'année suivant celle de la décision qui a clos l'instance et, au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due. ". Pour l'application de ces dispositions aux omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une instance devant les tribunaux répressifs, seul l'engagement de poursuites, qui inclut la phase de l'instruction conduite par le juge d'instruction, doit être regardé comme ouvrant l'instance. L'ouverture d'une enquête préliminaire, en revanche, n'a pas un tel effet. Lorsque des insuffisances ou omissions d'impositions sont révélées à l'administration fiscale postérieurement à l'ouverture d'une instance, au sens de ces dispositions, le délai spécial de reprise qu'elles prévoient est applicable, alors même que les insuffisances ou omissions d'impositions sont mises en évidence par des pièces de la procédure établies au stade d'une enquête préliminaire.

11. M. et Mme E...soutiennent que les rappels relatifs aux années 2001 à 2005 sont prescrits au motif que le jugement du tribunal correctionnel de Lons-le-Saunier du 24 mars 2010 ne concerne que des faits commis entre le 4 février 2006 et le 4 février 2009 et qu'il a été précédé d'une enquête préliminaire qui ne constitue pas une instance devant les tribunaux au sens des dispositions précitées.

12. Il résulte de l'instruction que ce n'est qu'après qu'elle eut été autorisée le 23 novembre 2010 par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lons-le-Saunier à consulter le dossier de la procédure ouverte à la suite de la plainte déposée par La Banque postale le 16 juillet 2010, que la brigade de contrôle et de recherche des impôts du Jura a eu connaissance des détournements commis par M. E...au titre de la période allant de 2001 à 2005, ces faits ayant conduit à sa condamnation par les deux jugements précités des 5 avril 2011 et 4 février 2014. Par suite, le moyen tiré de ce que les rappels portant sur ces cinq années étaient prescrits lorsque l'administration a notifié la première proposition de rectification du 16 décembre 2010 doit être écarté comme manquant en fait.

En ce qui concerne la charge de la preuve :

13. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. Sur demande du contribuable reçue par l'administration avant l'expiration du délai mentionné à l'article L. 11, ce délai est prorogé de trente jours (...) ". Aux termes de l'article R. 57-1 de ce livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. L'administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la proposition, prorogé, le cas échéant, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de cet article. ". Aux termes de l'article R. 194-1 du même livre : " Lorsque, ayant donné son accord à la rectification ou s'étant abstenu de répondre dans le délai légal à la proposition de rectification, le contribuable présente cependant une réclamation faisant suite à une procédure contradictoire de rectification, il peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition, en démontrant son caractère exagéré (...) ".

14. Il est constant que M. et Mme E...n'ont pas formulé d'observations aux trois propositions de rectifications du 16 décembre 2010 dans le délai prévu par les dispositions précitées. Par suite, la charge de la preuve du caractère exagéré des impositions en litige incombe aux contribuables, en application des dispositions précitées de l'article R. 194-1 du livre de procédures fiscales.

En ce qui concerne des montants des rappels :

15. Aux termes de l'article 92 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus (...) ".

16. En premier lieu, dans ses propositions de rectifications, l'administration a fixé le montant des rappels imposables au titre des années 2001 à 2008 à un total de 304 412,16 euros. Puis, dans sa décision d'admission partielle de la réclamation de M. et MmeE..., l'administration a réduit ce montant à 249 862,16 euros. M. et Mme E...soutiennent que les rappels doivent être limités à la somme de 173 244 euros qui correspondrait au total des montants des dommages et intérêts alloués par le tribunal correctionnel de Lons-le-Saunier à La Banque postale et à des victimes des détournements.

17. L'autorité de chose jugée par une juridiction pénale française ne s'impose au juge administratif qu'en ce qui concerne les constatations de fait qu'elle a retenues et qui sont le support nécessaire du dispositif d'un jugement qu'elle a rendu et qui est devenu définitif, tandis que la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe ou d'acquittement tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité.

18. Dans ses trois jugements des 24 mars 2010, 5 avril 2011 et 4 février 2014, le tribunal correctionnel de Lons-le-Saunier n'a pas déterminé le montant des détournements commis par M. E...au cours des années en litige et les montants des indemnisations qu'il a accordées à ses victimes dans le cadre de leurs actions civiles ne sont revêtus que de l'autorité relative de la chose jugée. Par suite, le moyen ne peut qu'être écarté.

19. En deuxième lieu, la circonstance que La Banque Postale et son assureur, CNP Assurances, n'ont indemnisé que huit personnes ne permet pas d'établir que les rappels seraient surévalués.

20. En troisième lieu, l'administration a intégré dans le revenu imposable de l'année 2008 de M. et Mme E...la somme de 10 000 euros correspondant aux détournements dont M.F... aurait été victime au cours de cette année. En se bornant à soutenir que M.F... a, par le jugement du 5 avril 2011, obtenu une indemnisation de 1 000 euros au titre du préjudice moral qu'il a subi et que les pièces du dossier ne font pas état d'une indemnisation effectuée à son profit par La Banque postale et CNP Assurances, les requérants, qui supportent la charge de la preuve ainsi qu'il vient d'être dit, n'établissent pas que les rappels effectués au titre de 2008 seraient exagérés, alors qu'au demeurant le jugement précité les a condamnés à indemniser La Banque postale à hauteur de 10 000 euros.

21. En quatrième lieu, l'administration a fixé à 23 400 euros le montant total des sommes détournées en 2003, 2006 et 2007 à l'encontre de M. C...E..., frère du requérant. En se bornant à soutenir que ce dernier n'a pas été indemnisé par La Banque Postale et son assureur, CNP Assurances, que le jugement du 5 avril 2011 a déclaré sa constitution de partie civile irrecevable, alors que cette irrecevabilité reposait uniquement sur un motif d'ordre procédural, et que M. C...E...a obtenu 5 000 euros de dommages et intérêts par le jugement rendu le 4 février 2014, alors que ce jugement est dépourvu de l'autorité de la chose jugée sur ce point, les requérants n'établissent pas que les rappels sont infondés.

22. En cinquième lieu, l'administration a fixé à 2 000 euros le montant des sommes détournées en 2003 au détriment de MmeK.... M. et Mme E...n'établissent pas que ce rappel serait injustifié en soutenant que cette dernière n'a pas été indemnisée par La Banque postale et CNP Assurances et qu'elle ne s'est pas portée partie civile.

23. En sixième lieu, l'administration a fixé à 5 178,70 euros le montant total des sommes détournées entre 2001 et 2006 au détriment de M.B..., oncle de M. E.... Les requérants se bornent à soutenir que ces sommes correspondraient, selon le rapport d'enquête de la Banque postale du 14 avril 2009, à des retraits contestés par M.B..., sans que ce rapport fournisse d'explication, et que M. B... n'a pas évoqué ces retraits lors de son audition par la gendarmerie le 9 juillet 2009, mais d'autres malversations d'un montant de 15 200 euros pour lesquelles il a été indemnisé par la Banque postale. Ce faisant, alors que le rapport de La Banque postale du 3 juin 2010 dresse de façon précise une liste des détournements dont M. B...a été victime du 24 mars 2001 au 15 décembre 2006 et qui s'élèvent au total de 5 178,68 euros, les requérants ne démontrent pas que ce montant est exagéré.

24. En septième lieu, l'administration a fixé à 37 189,86 euros le montant des sommes détournées de 2001 à 2004 et de 2006 à 2008 au détriment de MmeH..., montant qui ressort de l'annexe 21-a du rapport de La Banque postale du 3 juin 2010. En soutenant qu'un autre rapport d'enquête de La Banque Postale, qui serait daté du 25 mai 2010, revêtirait un caractère lacunaire en ce que des bordereaux afférents à certains retraits ne seraient pas annexés à ce rapport, que lors de son audition par la gendarmerie le 9 avril 2009, la fille de Mme H...a indiqué que ces retraits ne provenaient pas de sa mère, alors qu'elle n'était pas associée à la gestion des comptes de sa mère, les requérants n'établissent pas que les rappels sont sur ce point exagérés.

25. En huitième lieu, l'administration a fixé à 7 971,20 euros le montant total des détournements dont Mme I...a été victime de 2002 à 2004, en se fondant sur l'annexe 23 c du rapport de La Banque postale du 3 juin 2010. M. et Mme E...font valoir que Mme I...n'a été indemnisée qu'à hauteur de 6 000 euros en principal et qu'elle a déclaré dans son audition du 7 juillet 2009 qu'elle avait retiré 4 500 euros et qu'elle ne mentionne qu'un retrait frauduleux de 1 500 euros en 2008. Toutefois, la circonstance que Mme I...n'a été indemnisée qu'à hauteur de 6 000 euros ne saurait établir qu'elle n'a été victime de détournements que dans cette mesure et le retrait de 4 500 euros qu'elle a déclaré avoir personnellement effectué a été opéré en mai 2007 et non au cours des trois années sur lesquelles portent les rappels en litige. Par suite, M. et Mme E...n'établissent pas que ces rappels sont surévalués.

26. En neuvième lieu, les détournements dont M. L...a été victime en 2001, 2002 et 2008 ont été arrêtés à la somme de 14 146,23 euros par l'administration qui s'est fondée sur l'annexe 25 du rapport de La Banque postale du 3 juin 2010, pour 2001 et 2002, et sur les déclarations de M. E...qui a précisé, lors de sa garde à vue le 5 juillet 2009, avoir détourné 5 000 euros appartenant à M. L...le 11 janvier 2008. La double circonstance que ce dernier ne s'est pas constitué partie civile et n'a été indemnisé par La Banque postale et CNP Assurances qu'à hauteur de 7 400 euros ne saurait établir que les rappels doivent être limités à ce montant. Le fait que M. L...n'a fait état que d'un détournement de 5 000 euros lors de son audition par la gendarmerie le 26 juillet 2009 ne permet pas non plus d'établir que les rappels sont surévalués.

27. En dixième lieu, l'administration a procédé à des rappels d'un montant de 33 500 euros en base, à raison de détournements dont Mme N...a été victime de 2002 à 2006, selon le rapport précité du 3 juin 2010. M. et Mme E...font valoir que Mme N...n'a ouvert un compte à son nom qu'en 2005 et qu'auparavant elle avait un compte joint avec son époux jusqu'à son décès, que Mme N...n'a été indemnisée qu'à hauteur de 10 000 euros en principal, qu'elle a déclaré, lors de son audition du 1er juin 2009, qu'elle n'avait constaté qu'un retrait frauduleux de 500 euros en 2008 et enfin qu'elle ne s'est pas constituée partie civile.Toutefois, la circonstance que Mme N...n'a constaté qu'un retrait frauduleux de 500 euros ne permet pas d'établir qu'il n'y en a pas eu d'autres, notamment sur le compte joint précité. Le montant de l'indemnisation accordée à la victime de M. E...et la circonstance que celle-ci ne s'est pas constituée partie civile ne permettent pas davantage d'établir que les rappels sont, sur ce point, exagérés.

28. En onzième lieu, l'administration s'est fondée sur le rapport du 3 juin 2010 pour arrêter à 10 365 euros le montant total des sommes détournées en 2003, 2004, 2005 et 2007 par M. E...au détriment de MmeJ.... M. et Mme E...ne démontrent pas que ce montant est exagéré en se bornant à soutenir que La Banque postale ne se base que sur les dires de ses enfants, qu'il ne semble pas qu'ils aient été entendus par les gendarmes, que Mme J... n'a pas obtenu d'indemnisation et qu'elle ne s'est pas constituée partie civile.

29. En douzième lieu, l'administration a fixé à 71 291,84 euros le montant total des sommes détournées de 2001 à 2004 par M. E...au détriment de MmeG.... En faisant valoir qu'ils n'ont été condamnés qu'à verser la somme de 41 800 euros à La Banque Postale, après que celle-ci a indemnisé MmeG..., et que le jugement du tribunal correctionnel de Lons-le-Saunier n'indique pas les années concernées par les détournements, les requérants n'apportent pas la preuve, qui leur incombe, de l'exagération des rappels, le jugement du tribunal correctionnel étant dépourvu de l'autorité de la chose jugée en tant qu'il statue sur l'action civile, ainsi qu'il vient d'être dit.

30. En treizième lieu, l'administration a fixé à 41 600 euros le montant total des sommes détournées par M. E...de 2005 à 2008 au détriment de M.P.... M. et Mme E...font valoir que La Banque postale n'a indemnisé la victime qu'à hauteur de 36 078,44 euros et que M. P...ne s'est pas constitué partie civile. Toutefois, le rapport d'enquête de La Poste du 10 avril 2009 fait état de retraits de 10 500 euros le 30 avril 2008, de 13 060 euros le 11 juillet 2008 et de 6 retraits frauduleux en 2007 pour un total de 12 900 euros et les requérants ne produisent aucun élément probant pour établir que ces montants sont exagérés. Par ailleurs, M. E...a reconnu, lors de sa garde à vue le 13 janvier 2010, avoir retiré 5 000 euros en 2005 et 25 960 euros entre le 29 décembre 2006 et le 11 juillet 2008 sur les comptes de M.P.... Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a estimé que la somme totale de 41 600 euros devait être comprise dans les bases d'imposition des années 2005 à 2008.

31. En quatorzième lieu, l'administration a fixé à 5 000 euros le montant d'un détournement effectué en 2008 au détriment de MmeA.... M. et Mme E...font valoir que Mme A...a déclaré, lors de son audition par la gendarmerie le 27 février 2009, qu'elle avait effectué un rachat partiel d'un contrat d'assurance vie pour un montant de 5 000 euros et que ce rachat n'avait pas été opéré frauduleusement. Il ressort de ce même procès-verbal que ce rachat a été effectué en 2007, année qui n'est pas en litige, et que Mme A...conteste avoir donné son accord pour verser à M.E..., le 10 septembre 2008, une autre somme de 5 000 euros. Mme A...a d'ailleurs été indemnisée d'une somme de 5 160, 99 euros, intérêts compris. Dès lors, les requérants n'apportent pas la preuve qui leur incombe que M. E...n'a pas détourné la somme de 5 000 euros au préjudice de Mme A...en 2008.

32. En dernier lieu, l'administration a estimé que M. E...avait détourné en 2006 1 500 euros appartenant à MmeD.... M. et Mme E...font valoir que Mme D...a déclaré lors de son audition par la gendarmerie le 23 mai 2009, qu'elle avait décidé de débloquer 1 500 euros en cédant des actions et que cette somme a été créditée sur son compte. Toutefois, ces faits ne concernent que l'année 2007 qui n'est pas ici en litige et le rapport d'enquête précité de La Poste du 10 avril 2009 indique que sur un contrat " GMO " appartenant à MmeD..., " une avance a été opérée en 2006 pour un montant de 1 500 euros en capital et 203,65 euros en intérêts, soit une dette pour la cliente de 1 703,65 euros " et que " les enquêteurs relèvent qu'à une seule exception, pour Mme H..., aucun document écrit signé par les clients n'atteste de leur volonté de solliciter les avances opérées sur leurs contrats CNP ". Dans ces conditions, les éléments apportés par les requérants ne sont pas de nature à remettre en cause le bien-fondé du redressement concernant la somme susmentionnée de 1 500 euros.

33. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme E...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté le surplus de leur demande. Par suite, leurs conclusions à fin de décharge ainsi que, par voie de conséquence, leurs conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. et Mme E...est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme O...E...et au ministre de l'action et des comptes publics.

2

N° 18NC00075


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 18NC00075
Date de la décision : 03/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Analyses

19-04-02-05-02 Contributions et taxes. Impôts sur les revenus et bénéfices. Revenus et bénéfices imposables - règles particulières. Bénéfices non commerciaux. Détermination du bénéfice imposable.


Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: M. Stéphane DHERS
Rapporteur public ?: Mme PETON
Avocat(s) : CABINET JURIDIQUE ET FISCAL MOULINIER

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2019-06-03;18nc00075 ?
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