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17/10/2019 | FRANCE | N°18NC00305

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 17 octobre 2019, 18NC00305


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... F... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision implicite née le 28 décembre 2014 par laquelle le président de l'université de Franche-Comté lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle et de condamner l'université de Franche-Comté à lui verser la somme de 112 426,60 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi.

Par un jugement n° 1500109 du 7 décembre 2017, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Proc

édure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 février 2018 et le 5 j...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... F... a demandé au tribunal administratif de Besançon d'annuler la décision implicite née le 28 décembre 2014 par laquelle le président de l'université de Franche-Comté lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle et de condamner l'université de Franche-Comté à lui verser la somme de 112 426,60 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi.

Par un jugement n° 1500109 du 7 décembre 2017, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 février 2018 et le 5 juin 2019, Mme F..., représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Besançon du 7 décembre 2017 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision implicite par laquelle le président de l'université de Franche-Comté lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle et la mise en oeuvre des moyens les plus appropriés pour éviter ou faire cesser les attaques auxquelles elle est exposée ;

3°) de condamner l'université de Franche-Comté à lui verser la somme de 107 426,60 euros, assortie des intérêts au taux légal courant à compter de la liaison du contentieux, et la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral, assortie des intérêts au taux légal courant à compter du dépôt de la requête ;

4°) de mettre à la charge de l'université de Franche-Comté la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué a rejeté à tort le moyen tiré de l'erreur de droit commise par le président de l'université, qui a subordonné le bénéfice de la protection fonctionnelle à l'existence d'une procédure pénale ;

- il appartenait au président de l'université de mettre en oeuvre les moyens les plus appropriés pour éviter ou faire cesser les attaques auxquelles elle était exposée ;

- elle a subi une souffrance au travail du fait d'un conflit entretenu par ses collègues au sein du comité de direction créé pour l'assister dans l'élaboration de son dictionnaire ;

- dès lors qu'elle établit l'illégalité fautive du rejet de sa demande de protection fonctionnelle, la responsabilité de l'université est engagée à son égard ;

- le préjudice matériel subi s'élève à 107 426,60 euros et le préjudice moral à la somme de 5 000 euros ;

- un protocole d'accord a été signé avec ses trois anciens collègues de travail, consacrant ses droits et la réalité de son investissement dans le dictionnaire ;

- l'université ne peut pas soutenir que la demande de protection fonctionnelle est nouvelle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 septembre 2018, l'université de Franche-Comté, représentée par la AARPI Thémis, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme F... la somme de 2 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite du président de l'université refusant de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle sont nouvelles en appel et de ce fait irrecevables ;

- le jugement attaqué est entaché d'une dénaturation en ce qu'il a considéré que Mme F... demandait l'annulation d'une décision lui refusant le bénéfice de la protection fonctionnelle alors que sa lettre adressée le 28 octobre 2014 ne comportait pas une telle demande ;

- à supposer que la décision implicite née le 28 décembre 2014 refuse le bénéfice de la protection fonctionnelle, les conclusions à fin d'annulation de cette dernière étaient irrecevables dès lors qu'elle était confirmative du refus opposé le 5 septembre 2013, lequel ne pouvait plus être contesté ;

- le moyen tiré de l'erreur de droit dont la décision serait entachée manque en fait ;

- aucun harcèlement moral n'est démontré ;

- l'université n'a commis aucune illégalité fautive.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Antoniazzi, premier conseiller,

- les conclusions de M. Louis, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., substituant Me B..., avocat de Mme F....

Considérant ce qui suit :

1. Mme F... était maître de conférences en musicologie à l'université de Franche-Comté. Le 28 octobre 2014, elle a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle pour des faits de harcèlement moral et d'appropriation de son travail, dans le cadre de la réalisation d'un ouvrage sur l'Opéra de Paris sous l'Ancien régime. Une décision implicite de rejet est née le 28 décembre 2014 du silence gardé par l'administration. Mme F... fait appel du jugement du 7 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté, d'une part, ses conclusions tendant à l'annulation de cette décision et, d'autre part, ses conclusions tendant à la condamnation de l'université de Franche-Comté à lui verser une somme de 112 426,60 euros en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi.

Sur la régularité du jugement :

2. Les premiers juges, qui ont rejeté la demande de Mme F... comme non fondée, n'étaient pas tenus de se prononcer sur la recevabilité de cette demande. Ainsi, l'université de Franche-Comté n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que le jugement, qui lui a donné satisfaction, est irrégulier faute pour le tribunal administratif de ne pas avoir rejeté cette demande pour irrecevabilité.

Sur le bien-fondé du jugement :

S'agissant de la légalité de la décision implicite de rejet née du silence gardé sur la demande présentée le 28 octobre 2014 tendant au bénéfice de la protection fonctionnelle :

3. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (...) ".

4. Aux termes de l'article 11 de la même loi : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (...) ".

5. Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en oeuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

6. Il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.

7. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la requérante, il ne ressort pas des pièces du dossier que le président de l'université de Franche-Comté ait subordonné l'octroi du bénéfice de la protection fonctionnelle à Mme F... à l'existence d'une procédure pénale. Le moyen tiré d'une telle erreur de droit doit par suite être écarté.

8. En second lieu, pour fonder sa demande de protection fonctionnelle, Mme F... soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral et d'une appropriation de son travail de la part de trois collègues avec lesquels elle a participé, dans le cadre de son activité de maître de conférences, à des travaux de recherche et de publication d'un répertoire consacré aux oeuvres représentées et aux artistes pensionnés à l'Opéra de Paris sous l'Ancien régime.

9. Il ressort des pièces du dossier qu'au cours de l'année 2010, Mme F... a établi une liste de tragédies lyriques destinée à constituer la base d'une publication intitulée " dictionnaire de la tragédie lyrique 1673-1791 ". Toutefois, au cours du dernier trimestre de l'année 2011, la requérante a ensuite décidé de collaborer avec plusieurs professeurs pour développer son projet, et a notamment mis en place un comité directeur pour superviser celui-ci, composé, à partir de janvier 2012, d'un groupe de quatre personnes. Dans le cadre de cette collaboration, la liste d'oeuvres initialement établie par la requérante a été complétée et remaniée par chacun des membres du comité directeur qui ont, en outre, développé une liste relative aux genres, notions et artistes concernés par la période couverte par le projet, et rédigé des modèles destinés à encadrer les contributeurs externes dans leur rédaction de fiches spécialisées. En outre, Mmes C... et E... sont intervenues pour développer le réseau des collaborateurs et nouer des contacts avec un éditeur de l'ouvrage projeté. Enfin, le protocole transactionnel, conclu en janvier 2019 entre la requérante et les membres du comité directeur, pour régler la titularité des droits de chacun sur l'ouvrage à paraître et le répertoire que l'intéressée a publié en décembre 2016 portant sur le même thème sous la forme d'un carnet de recherches, dans les termes dans lesquels il est rédigé, ne révèle nullement la reconnaissance d'une quelconque appropriation irrégulière du travail de l'intéressée. Ainsi, le projet de recherches initié par Mme F... a été développé et enrichi, à sa demande, dans le cadre d'un travail collectif destiné à la publication d'un dictionnaire portant sur un champ beaucoup plus large que celui qu'avait commencé l'intéressée.

10. Par ailleurs, si cette dernière soutient avoir subi de nombreuses remises en cause de son travail et de ses compétences scientifiques, il ressort des pièces du dossier, d'une part, que la qualité de ses recherches a été valorisée par ses collaborateurs et, d'autre part, qu'elle ne conteste pas sérieusement le bien-fondé des reproches qui lui ont été adressés quant à, parfois, un certain manque de rigueur, à sa difficulté à tenir les délais fixés par l'équipe et au caractère parfois peu professionnel de ses réactions. En outre, si Mmes C... et E... ont décidé, sans la consulter, qu'elles rédigeraient seules la préface de l'ouvrage, il est constant que l'intéressée ne s'y est pas opposée, alors qu'elle faisait part régulièrement de ses désaccords sur d'autres points. Contrairement à ce qu'elle soutient, Mme F... s'est elle-même exclue de la collaboration qu'elle avait instaurée en ne répondant plus aux sollicitations des autres membres du comité directeur à partir du 3 avril 2013, à la suite d'une réunion ayant pour objet une mise au point collective, destinée à faire le point sur les difficultés accumulées, à laquelle elle a brusquement mis fin en raison de reproches émis à son égard. Si cette réunion a été à l'origine d'arrêts de travail de l'intéressée pour un syndrome dépressif réactionnel à un conflit professionnel, reconnus imputables au service, les circonstances dans lesquelles elle s'est déroulée ne révèlent par elles-mêmes aucun agissement susceptible d'être qualifié de harcèlement moral. Enfin, contrairement à ce qu'elle affirme, les sites Internet des laboratoires de recherches soutenant le projet mentionnent, conformément à la réalité, que le répertoire a été élaboré en collaboration avec elle entre novembre 2011 et mars 2013, justifiant ainsi de l'investissement de l'intéressée dans le projet.

11. Il résulte de tout ce qui précède que les agissements dénoncés par Mme F... ne sauraient, pris ensemble ou isolément, être regardés comme faisant présumer l'existence d'un harcèlement moral. Dans ces conditions, le président de l'université de Franche-Comté n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que les agissements dénoncés par l'intéressée ne révélaient pas un harcèlement moral et était fondé à refuser la protection fonctionnelle.

S'agissant des conclusions indemnitaires :

12. Mme F... n'ayant pas établi l'illégalité du refus de lui accorder la protection fonctionnelle qui lui a été opposé, ses conclusions tendant à l'indemnisation de préjudices résultant de cette décision ne peuvent qu'être rejetées.

13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la requête, que Mme F... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'université de Franche-Comté, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont Mme F... demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme F... la somme demandée par l'université de Franche-Comté au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme F... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'université de Franche-Comté présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... F... et à l'université de Franche-Comté.

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N° 18NC00305


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NC00305
Date de la décision : 17/10/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-07-10-005 Fonctionnaires et agents publics. Statuts, droits, obligations et garanties. Garanties et avantages divers. Protection contre les attaques.


Composition du Tribunal
Président : M. DEVILLERS
Rapporteur ?: Mme Sandrine ANTONIAZZI
Rapporteur public ?: M. LOUIS
Avocat(s) : DSC AVOCATS - SCP DUFAY SUISSA CORNELOUP WERTHE

Origine de la décision
Date de l'import : 26/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2019-10-17;18nc00305 ?
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