La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/06/2021 | FRANCE | N°19NC01330

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 01 juin 2021, 19NC01330


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les sociétés Lactalis Logistique, Lactalis Europe, Fromagère de Rodez, Lactalis Danemark, BSA, Helvetia compagnie suisse d'assurances et Axa Corporate Solutions Assurance ont demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du 12 mai 2017 par laquelle le préfet des Vosges a rejeté leur demande indemnitaire du 12 avril 2017, de condamner l'Etat à payer les sommes de 27 062,33 euros et 2 477 euros aux sociétés Helvetia et Axa Corporate Solutions ainsi que la somme de 6 031,52 euros aux soci

tés Lactalis Logistique, Lactalis Europe, Fromagère de Rodez, Lactalis D...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les sociétés Lactalis Logistique, Lactalis Europe, Fromagère de Rodez, Lactalis Danemark, BSA, Helvetia compagnie suisse d'assurances et Axa Corporate Solutions Assurance ont demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du 12 mai 2017 par laquelle le préfet des Vosges a rejeté leur demande indemnitaire du 12 avril 2017, de condamner l'Etat à payer les sommes de 27 062,33 euros et 2 477 euros aux sociétés Helvetia et Axa Corporate Solutions ainsi que la somme de 6 031,52 euros aux sociétés Lactalis Logistique, Lactalis Europe, Fromagère de Rodez, Lactalis Danemark et BSA.

Par un jugement n° 1701974 du 12 mars 2019, le tribunal administratif de Nancy a condamné l'Etat à verser à la société Helvetia la somme de 17 723,60 euros, à la société Axa Corporate Solutions la somme de 11 815,73 euros et à la société BSA la somme de 6 031,52 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 2 mai 2019, le préfet des Vosges demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 12 mars 2019 du tribunal administratif de Nancy ;

2°) de rejeter les demandes présentées par les sociétés Lactalis Logistique, Lactalis Europe, Fromagère de Rodez, Lactalis Danemark, BSA, Helvetia compagnie suisse d'assurances et Axa Corporate Solutions Assurance.

Il soutient que :

- les dommages ne peuvent être regardés comme consécutifs à un rassemblement ou un attroupement au sens de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure ;

- le groupe à l'origine des dommages s'est constitué aux seules fins de bloquer l'usine et d'entraver la circulation ;

- en l'absence de caractère anormal et exceptionnel des dommages, la responsabilité de l'Etat pour rupture du principe d'égalité devant les charges publiques n'est pas de nature à être engagée ;

- la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée pour entrave à la libre circulation des biens.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 septembre 2019, les sociétés Lactalis Logistique, Lactalis Europe, Fromagère de Rodez, Lactalis Danemark, BSA, Helvetia compagnie suisse d'assurances et Axa Corporate Solutions Assurance, représentées par Me A..., concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 7 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la responsabilité de l'Etat du fait des attroupements et des rassemblements est de nature à être engagée en application de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, dès lors que les dommages ne constituaient pas la finalité du rassemblement ;

- l'inertie des forces de police est de nature à engager la responsabilité de l'Etat pour rupture de l'égalité devant les charges publiques ;

- la responsabilité de l'Etat est également de nature à être engagée pour entrave à la libre circulation des biens au sein de l'Union européenne.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des assurances ;

- le code de la route ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code pénal ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Grenier, présidente,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me B... pour les sociétés Lactalis Logistique, Lactalis Europe, Fromagère de Rodez, Lactalis Danemark, BSA, Helvetia compagnie suisse d'assurances et Axa Corporate Solutions Assurance.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre d'un mouvement national des producteurs laitiers demandant une revalorisation du prix du lait, les accès à l'usine Lactalis de Corcieux ont été bloqués, le 23 juillet 2015 dans la matinée. La société BSA, société mère du groupe Lactalis, la société Lactalis Logistique, qui assure le transport des marchandises, les sociétés Lactalis Europe, Fromagère de Rodez, Lactalis Danemark et leurs assureurs, les sociétés Helvetia compagnie suisse d'assurances et Axa Corporate Solutions, qui sont subrogées dans les droits de leurs assurés à hauteur de l'indemnité d'assurance qu'elles leur ont versée en application de l'article L. 121-12 du code des assurances, ont adressé une demande indemnitaire préalable au préfet des Vosges, le 12 avril 2017, tendant à ce que l'Etat les indemnise du préjudice résultant de la perte de marchandises subie à la suite de l'interception d'un camion transportant des produits du groupe Lactalis. Le préfet des Vosges a rejeté cette demande le 12 mai 2017. Par un jugement du 12 mars 2019, dont le préfet des Vosges relève appel, le tribunal administratif de Nancy, après avoir estimé que cette action était de nature à engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, a condamné l'Etat à verser respectivement à la société Helvetia la somme de 17 723,60 euros, à la société Axa Corporate Solutions la somme de 11 815,73 euros et à la société BSA la somme de 6 031,52 euros.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction alors en vigueur : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens (...) ". Selon l'article L. 412-1 du code de la route : " Le fait, en vue d'entraver ou de gêner la circulation, de placer ou de tenter de placer, sur une voie ouverte à la circulation publique, un objet faisant obstacle au passage des véhicules ou d'employer, ou de tenter d'employer un moyen quelconque pour y mettre obstacle, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 4 500 euros d'amende. ". L'article 322-1 du code pénal énonce que : " La destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui est punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende, sauf s'il n'en est résulté qu'un dommage léger. ".

3. Le 23 juillet 2015, peu après 10h00, un camion transportant 28 palettes de fromages de la société fromagère de Rodez destinées à être commercialisées au Danemark a été intercepté par un barrage filtrant mis en place par des producteurs de lait autour du rond-point du centre-ville de la commune de Corcieux, alors qu'il s'apprêtait à aller charger d'autres palettes de fromages à l'usine Lactalis située à moins d'un kilomètre du centre-ville de Corcieux. Après avoir forcé ce camion frigorifique à s'arrêter, les manifestants ont ouvert les portes, interrompu le processus de réfrigération pendant deux et dix-huit minutes et distribué une importante partie des marchandises aux passants. Le reste de la cargaison a ultérieurement été détruit, faute de pouvoir être commercialisé en raison de l'interruption de la réfrigération qui rendait les produits impropres à la consommation humaine. Le camion a été en mesure de repartir vers 16h00.

4. Il résulte de l'instruction et notamment des procès-verbaux de la gendarmerie produits par le préfet et du rapport d'expertise réalisé pour le compte des assureurs " marchandises " des sociétés du groupe Lactalis, que le groupe de producteurs laitiers qui a intercepté le camion dans le centre-ville de Corcieux entendait manifester le mécontentement de cette profession dans le cadre d'un mouvement national de revendication à l'appel de plusieurs organisations syndicales au niveau national et départemental en vue d'obtenir une revalorisation du prix du lait. Ce groupe ne s'est ainsi pas constitué et organisé à seule fin de commettre le délit d'entrave à la circulation puni par l'article L. 412-1 du code de la route et celui de dégradation ou détérioration d'un bien appartenant à autrui réprimé par l'article 322-1 du code pénal et ce alors même que la mise en place d'un barrage filtrant, ne présentait pas de caractère spontané mais aurait été préméditée et organisée à l'avance. Par suite, les dommages subis par différentes sociétés du groupe Lactalis en raison de la perte des marchandises transportées par le camion qui a été intercepté à la suite de son immobilisation pendant plusieurs heures sont le fait d'un attroupement ou d'un rassemblement au sens des dispositions de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure citées au point 2 du présent arrêt.

5. Il résulte de ce qui précède que le préfet des Vosges n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a jugé que les préjudices subis par les différentes sociétés du groupe Lactalis étaient de nature à engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.

Sur les frais liés à l'instance :

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 1 500 euros à verser aux sociétés Lactalis Logistique, Lactalis Europe, Fromagère de Rodez, Lactalis Danemark, BSA, Helvetia et Axa Corporate Solutions Assurance au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du préfet des Vosges est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à la société Lactalis Logistique, à la société Lactalis Europe, à la société Fromagère de Rodez, à la société Lactalis Danemark, à la société BSA, à la société Helvetia et à la société Axa Corporate Solutions une somme globale de 1 500 euros titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au préfet des Vosges, à la société Lactalis Logistique, à la société Lactalis Europe, à la société Fromagère de Rodez, à la société Lactalis Danemark, à la société BSA, à la société Helvetia compagnie suisse d'assurances, à la société Axa Corporate Solutions assurance et au ministre de l'intérieur.

2

N° 19NC01330


Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award