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28/09/2021 | FRANCE | N°19NC00226

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 28 septembre 2021, 19NC00226


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner les Hôpitaux civils de Colmar à lui verser une indemnité provisionnelle de 100 000 euros en réparation des préjudices subis en raison des manquements commis lors de sa prise en charge.

Par un jugement n° 1600643 du 23 janvier 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a ordonné, avant de statuer sur les conclusions de sa demande, une expertise médicale.

Par un jugement n° 1600643 du 20 novembre 2018, le tribunal

administratif de Strasbourg a rejeté la demande de M. C..., ainsi que les conclusion...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner les Hôpitaux civils de Colmar à lui verser une indemnité provisionnelle de 100 000 euros en réparation des préjudices subis en raison des manquements commis lors de sa prise en charge.

Par un jugement n° 1600643 du 23 janvier 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a ordonné, avant de statuer sur les conclusions de sa demande, une expertise médicale.

Par un jugement n° 1600643 du 20 novembre 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de M. C..., ainsi que les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin, et mis les frais d'expertise, d'un montant total de 1 237,50 euros, pour moitié à la charge du demandeur et pour moitié à la charge des Hôpitaux civils de Colmar.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 21 janvier 2019, 3 janvier 2020 et 24 septembre 2020, M. B... C..., représenté par Me Mouton, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 20 novembre 2018 ;

2°) à titre principal, d'ordonner une contre-expertise ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner les Hôpitaux civils de Colmar à lui verser une somme de 121 134,85 euros ;

4°) de mettre à la charge des Hôpitaux civils de Colmar une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- à titre principal, il y a lieu d'ordonner une nouvelle expertise dès lors que le rapport du docteur A... est contestable, au regard du déroulement des opérations d'expertise et des éléments incohérents ou inexacts mentionnés dans ce rapport, dont les conclusions sont contradictoires par rapport à celles du rapport des experts désignés par la commission de conciliation et d'indemnisation ;

- à titre subsidiaire, il demande la condamnation des Hôpitaux civils de Colmar, sur le fondement du rapport des docteurs Mauvady et Elalouf retenant des manquements à l'origine d'une perte de chance de retarder la possibilité d'une amputation, à lui verser 20 % des sommes suivantes :

. 2 641 euros, 16 019,50 euros et 3 076,25 euros, au titre, respectivement, des gênes temporaires totale et partielle à hauteur de 50 % et 25 % ;

. 30 000 euros au titre des souffrances endurées, estimées à 5 sur une échelle de 7 par les experts ;

. 92 400 euros au titre de l'atteinte à l'intégrité physique et/ou psychique, évaluée à 35 % ;

. 6 000 euros au titre du dommage esthétique permanent, estimé à 3 sur une échelle de 7 ;

. 5 000 euros au titre du préjudice sexuel, estimé à 1 sur une échelle de 7 ;

. 10 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;

. 83 580 euros et 1 070 euros au titre des frais divers temporaires liés à son besoin d'assistance à hauteur de quatre heures par jour lors des périodes d'incapacité de classe 3 puis de 2 heures par jour au cours des périodes d'incapacité de classe 2 ;

. 100 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, dès lors qu'il ne pourra plus exercer sa profession et qu'il est dévalorisé sur le marché de l'emploi, sa capacité de travail étant limitée à quatre heures par jour au maximum ;

. 256 957,49 euros au titre des dépenses de santé futures, tenant à l'acquisition puis au renouvellement d'une prothèse, qui est indemnisable par application du principe de réparation intégrale, avec capitalisation selon le barème de la Gazette du Palais 2018.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 3 juin 2019 et 27 août 2020, présentés par Me Le Prado, les Hôpitaux civils de Colmar concluent au rejet de la requête.

Ils soutiennent que :

- il n'est pas nécessaire d'ordonner une nouvelle expertise, au regard de la compétence de l'expert désigné par le tribunal, du déroulement des opérations d'expertise et du contenu du rapport ;

- aucune faute n'est établie, en l'absence de retard de diagnostic de nature à retarder l'amputation, ainsi que cela ressort du rapport du docteur A... et de l'avis critique du professeur Batt, et alors, subsidiairement, que le manquement reproché n'a pas de lien direct et certain avec l'amputation de la jambe du patient, qui était inéluctable ; à titre infiniment subsidiaire, le taux de perte de chance ne saurait dépasser 15 % ;

- les sommes demandées, en tant qu'elles excèdent celles sollicitées en première instance, constituent des demandes nouvelles en appel, entachées d'irrecevabilité ;

- les sommes demandées sont excessives ;

- le déficit fonctionnel temporaire ne pourrait être indemnisé que sur une base de 13 euros par jour ;

- les souffrances endurées, le déficit fonctionnel permanent, le préjudice esthétique permanent, le préjudice d'agrément, le préjudice sexuel, le besoin d'assistance par tierce personne et l'incidence professionnelle résultent de l'amputation elle-même et non du prétendu retard de diagnostic ;

- le coût horaire de l'assistance par tierce personne assurée par un membre de la famille est indemnisé par référence au salaire minimum interprofessionnel de croissance horaire à la date de prise en charge, sans majoration pour congés ;

- les dépenses de santé invoquées sont seulement éventuelles, il n'est pas justifié d'une absence de remboursement par la caisse primaire d'assurance maladie ou par la mutuelle ; il y aurait lieu d'adopter le barème 2018 de capitalisation de référence pour l'indemnisation des victimes ou la table de capitalisation préconisée par l'ONIAM.

Par des mémoires enregistrés les 2 juillet 2019 et 23 septembre 2020, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me Welsch, demande à la cour de le mettre hors de cause et de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de M. C....

Il soutient que les conditions à l'indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas remplies dès lors que les préjudices du requérant sont en lien avec sa pathologie initiale et non avec un acte de prévention, de diagnostic ou de soins.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Samson-Dye,

- et les conclusions de M. Barteaux, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... C... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Strasbourg, après avoir ordonné avant dire droit une expertise, a rejeté sa demande tendant à l'engagement de la responsabilité des Hôpitaux civils de Colmar, en raison de manquements qu'il leur reproche d'avoir commis à l'occasion de sa prise en charge.

Sur la contestation de l'expertise réalisée en première instance :

2. En premier lieu, aucune disposition réglementaire applicable aux opérations d'expertise n'oblige l'expert à rédiger un pré-rapport. Dans ces conditions, l'impossibilité pour M. C... de présenter des observations sur le rapport d'expertise lui-même, avant le dépôt de ce document au tribunal, est sans incidence sur la régularité de l'expertise, alors qu'il n'est pas contesté que les parties ont eu connaissance des constatations faites par l'expert et ont eu la possibilité d'émettre des observations.

3. En deuxième lieu, la circonstance que M. A... ait été désigné en qualité d'expert alors qu'il n'avait jamais réalisé d'expertise antérieurement est, par elle-même, sans incidence sur la régularité de la procédure, alors qu'ainsi que l'a relevé le jugement, non contesté sur ce point, M. A... possède les compétences nécessaires en sa qualité d'ancien chef de clinique assistant à l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris et de membre du collège français de chirurgie vasculaire. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que M. A... aurait, en raison de son manque d'expérience, méconnu son office et son obligation d'impartialité à l'égard des docteurs Messer et Ceccanti, ayant participé aux opérations d'expertise pour le compte de l'établissement de santé et de son assureur.

4. En troisième lieu, si M. C... fait état d'erreurs entachant le rapport s'agissant de l'exercice de la conduite automobile et des mentions sur un probable état dépressif sous-jacent suggéré par son apparence, et s'il relève qu'il n'a pas été interrogé sur l'évolution de sa hernie discale ou des lombo-sciatalgies, ces considérations sont sans incidence sur la régularité de l'expertise, et plus largement sur son utilité, dès lors que l'objet de l'expertise était de déterminer si la maladie artérielle du requérant pouvait être ou non détectée plus tôt et si l'intéressé aurait ainsi pu recevoir des traitements ou adopter des mesures permettant d'éviter ou de retarder l'amputation de sa jambe gauche.

5. En quatrième lieu, si le requérant conteste le bien-fondé des appréciations portées par l'expert quant à l'existence ou non d'un manquement ayant conduit à l'établissement tardif du diagnostic sur sa pathologie, de telles considérations ne sont pas de nature à entacher l'expertise ordonnée par les premiers juges d'irrégularité. En outre, la cour dispose d'éléments suffisants pour statuer en toute connaissance de cause, au regard de l'ensemble des documents soumis à l'instruction et incluant, outre le rapport d'expertise du docteur A..., celui qui avait été rédigé par les docteurs Mauvady et Elalouf dans le cadre de la procédure devant la commission de conciliation et d'indemnisation, ainsi que la note critique du professeur Batt, produite pour les Hôpitaux civils de Colmar.

6. Il résulte de ce qui précède qu'aucune irrégularité de l'expertise ordonnée par le tribunal n'est établie et qu'il n'y a pas lieu pour la cour d'ordonner une nouvelle expertise, ainsi que le demande le requérant à titre principal.

Sur la responsabilité des Hôpitaux civils de Colmar :

7. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ".

8. Il résulte de l'instruction que M. C... a souffert de plusieurs pathologies, et notamment de lithiase rénale, de lombosciatalgies gauches, ainsi que d'une oesophagite et d'un ulcère, ayant justifié une prise en charge aux Hôpitaux civils de Colmar à plusieurs reprises, notamment une hospitalisation en octobre 2010 pour lombosciatalgie. Il a été admis aux urgences des Hôpitaux civils de Colmar le 6 septembre 2012 pour une ischémie subaiguë du membre inférieur gauche et une oblitération fémorale commune gauche du tiers moyen, puis une nouvelle fois en avril 2013. Une nécrose du talon gauche est toutefois apparue en juin 2013, et après une excision le 20 septembre 2013, l'intéressé a subi une amputation de la jambe gauche jusqu'au tiers supérieur le 26 septembre 2013.

9. Le requérant recherche la responsabilité pour faute des Hôpitaux civils de Colmar au titre d'un retard de diagnostic de sa pathologie artérielle. Il se prévaut, à cet égard, du rapport rédigé par les docteurs Mauvady et Elalouf dans le cadre de la procédure devant la commission de conciliation et d'indemnisation, qui retient que l'absence de bilan vasculaire chez ce jeune patient fumeur, qui était venu consulter pour des douleurs qui ne trouvaient pas d'explication rachidienne, n'était pas conforme aux règles de l'art. Ces experts relèvent également qu'un diagnostic précoce, avec la proposition de mesures hygiéno-diététiques et médico-rééducatives aurait retardé l'amputation, en retenant un taux de perte de chance entre 15 et 20 %. M. C... se prévaut également de l'avis de la commission de conciliation et d'indemnisation, en date du 27 janvier 2015, qui estime que l'absence d'exploration vasculaire, afin de vérifier la possibilité d'une pathologie artérielle chez un jeune patient au tabagisme important, n'était pas conforme aux bonnes pratiques, et que, notamment, une artériopathie oblitérante par maladie du Buerger aurait dû être recherchée, et qui retient que le retard de diagnostic, dont les effets se sont manifestés à compter du 1er octobre 2010, est à l'origine d'une perte de chance de 20 % d'éviter les dommages subis.

10. Il résulte toutefois de l'ensemble des éléments soumis au contradictoire, en particulier du rapport d'expertise du docteur A... et de la note critique du professeur Batt, que l'intéressé avait subi, le 31 août 2010 puis le 2 septembre 2010, à la suite d'une douleur à la jambe gauche sans lien avec un traumatisme et faisant craindre une phlébite, des examens écho-doppler artériels et veineux des membres inférieurs n'ayant pas révélé d'anomalie. Il ne résulte pas de l'instruction que M. C... présentait, lors de son hospitalisation en octobre 2010 en service de rhumatologie pour douleurs lombaires, des signes cliniques évocateurs d'une pathologie artérielle de la jambe gauche, tels que pied froid, pâleur, rougeur, lésion ou ulcère. Dans ces conditions, l'absence d'investigations pour rechercher une pathologie artérielle lors de cette hospitalisation ne présente pas un caractère fautif, étant précisé au demeurant qu'un examen par écho-doppler réalisé sur les membres inférieurs en mars 2011, dont les experts devant la commission de conciliation et d'indemnisation ne semblaient pas disposer, n'a relevé aucune anomalie. En outre, le diagnostic même de la maladie de Buerger, dont se prévaut le requérant, n'est pas suffisamment établi, au regard des éléments circonstanciés mis en avant par le docteur A... et le professeur Batt, en l'absence d'artères héllicines en tire-bouchon pathognomoniques de cette affection, de symptômes artériels ou veineux affectant les membres supérieurs, de maladie de Raynaud ou de phlébite ou para-phlébite migratrice.

11. Il n'est par ailleurs pas établi, ni même allégué, que des manquements ou retards auraient entaché la prise en charge ultérieure de M. C... par les Hôpitaux civils de Colmar, en particulier à compter de septembre 2012, lorsqu'une ischémie subaiguë du membre inférieur gauche a été diagnostiquée et qu'une artériographie a révélé une thrombose fémorale.

12. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que des fautes imputables aux Hôpitaux civils de Colmar auraient été commises lors de la prise en charge de M. C... par cet établissement. Le requérant n'est, par suite, pas fondé à soutenir, à titre subsidiaire, que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté ses conclusions indemnitaires dirigées contre cet établissement.

13. Sa requête doit, dès lors, être rejetée dans toutes ses conclusions, y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin, aux Hôpitaux civils de Colmar et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

4

N° 19NC00226


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC00226
Date de la décision : 28/09/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-02-02 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation. - Responsabilité pour faute médicale : actes médicaux. - Absence de faute médicale de nature à engager la responsabilité du service public.


Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: Mme la Pdte. Aline SAMSON-DYE
Rapporteur public ?: M. BARTEAUX
Avocat(s) : SCP MONHEIT MONHEIT ANDRE MAI

Origine de la décision
Date de l'import : 05/10/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2021-09-28;19nc00226 ?
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