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21/07/2022 | FRANCE | N°19NC02529

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 21 juillet 2022, 19NC02529


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner le département du Doubs à lui verser une somme de 32 552,50 euros au titre de ses préjudices personnels qu'il estime avoir subis du fait de son accident de circulation du 24 mai 2014, ainsi que la contrevaleur en euros, à la date du jugement, de la somme de 16 789,98 francs suisses (CHF) au titre de ses pertes de revenus.

Par un jugement n° 1700674 du 11 juin 2019, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande et

a mis à sa charge la somme de 1 000 euros à verser au département du Doubs, e...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner le département du Doubs à lui verser une somme de 32 552,50 euros au titre de ses préjudices personnels qu'il estime avoir subis du fait de son accident de circulation du 24 mai 2014, ainsi que la contrevaleur en euros, à la date du jugement, de la somme de 16 789,98 francs suisses (CHF) au titre de ses pertes de revenus.

Par un jugement n° 1700674 du 11 juin 2019, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande et a mis à sa charge la somme de 1 000 euros à verser au département du Doubs, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 5 août 2019 et 18 juin 2020, M. B..., représenté par la Selarl Sorel Huet Lambert-Micoud, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Besançon du 11 juin 2019 ;

2°) de dire et juger que la responsabilité du département du Doubs est engagée en l'absence de l'entretien normal de la RD 44 au niveau de l'intersection avec la RN 57 ;

3°) de condamner le département du Doubs à lui verser les sommes suivantes en réparation de ses préjudices :

* 350 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire total ;

* 1 450 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel de 50 % ;

* 187,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel de 25 %

* 155 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel de 10 % ;

* 7 200 euros au titre du déficit fonctionnel permanent de 8 % ;

* 6 000 euros au titre du dommage esthétique temporaire de 3/7 ;

* 1 500 euros au titre des dommages esthétiques définitifs de 1/7 ;

* 6 000 euros au titre des souffrances endurées de 3,5/7 ;

* 6 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;

* 3 110 euros au titre de l'aide personnelle ;

* 600 euros d'expertise médicale ;

* La contrevaleur en euros de la somme de 16 789,98 CHF correspondant à la période d'absence de revenus du 24 mai 2014 au 24 août 2014 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat les frais d'expertise d'un montant de 600 euros TTC ;

5°) de mettre à la charge du département du Doubs les entiers dépens ainsi que la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la matérialité des faits est établie ;

- les préjudices dont il demande réparation, causés par l'accident de la circulation dont il a été victime le 24 mai 2014, sont la conséquence directe du défaut d'entretien normal de la voie publique à l'intersection des routes D 44 et N 57, à la Cluse-et-Mijoux ;

- le département du Doubs ne démontre pas avoir normalement entretenu l'ouvrage public ;

. la signalisation est insuffisante ; elle ne permet pas d'attirer l'attention des usagers sur la dangerosité du carrefour ;

. des travaux postérieurs à son accident ont été réalisés ce qui démontre que l'ouvrage n'était pas bien entretenu ;

. des accidents réguliers à ce carrefour ont lieu ;

. le risque excédait ce à quoi devait s'attendre un usager ;

- le département ne peut s'exonérer de sa responsabilité en prétendant qu'il roulait à une vitesse excessive, ce qui est au demeurant non prouvé ;

- son préjudice doit être réparé :

. s'agissant du préjudice corporel : une expertise médicale a eu lieu et permet de chiffrer son préjudice fonctionnel temporaire et permanent, ses dommages esthétiques permanent et temporaire, son préjudice d'agrément et le montant de l'aide personnelle que son état a nécessité à un montant total arrondi à 32 000 euros ;

. s'agissant du préjudice financier ; il n'a pas reçu de revenus du 24 mai 2014 au 24 août 2014 ; il sollicite un montant de 14 259,73 euros correspondant à la perte de salaire subie ;

- il a dû faire appel à un expert judiciaire de sorte qu'il a droit à être remboursé de la somme de 600 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 mai 2020, le département du Doubs, représenté par Me Phelip, conclut à titre principal au rejet de la requête d'appel, à titre subsidiaire à une minoration de l'indemnité sollicitée et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de M. B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la matérialité des faits n'est pas établie ; les photographies du véhicule accidenté ne suffisent pas à établir les circonstances du sinistre ;

- la voie publique était normalement entretenue lors de l'accident de M. B... ;

-l'accident litigieux est en tout état de cause imputable à une faute de la victime ;

- les préjudices dont M. B... demande réparation sont surévalués.

La procédure a été communiquée à la société d'assurance maladie suisse Assura qui a communiqué un relevé des prestations allouées à M. B... à la suite de l'accident du 24 mai 2014.

Les parties ont été informées, conformément aux dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de l'irrégularité du jugement attaqué à défaut de mise en cause de l'organisme de sécurité sociale d'affiliation de M. B....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la route ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Roussaux, première conseillère,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public ;

- les observations de Me Scherer, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. Le 24 mai 2014, aux alentours de 17 heures, M. B..., moniteur d'auto-école, a été victime d'un accident de la circulation à l'intersection de la route départementale 44 et de la route nationale 57, non loin du village de la Cluse-et-Mijoux. Le 29 décembre 2016, l'intéressé a demandé au département du Doubs de lui verser une indemnité réparant les préjudices subis en raison d'un défaut d'entretien normal de la voie départementale à cet endroit. Le département du Doubs a implicitement rejeté sa demande. M. B... a demandé au tribunal de Besançon de condamner le département du Doubs à lui verser différentes sommes en réparation des préjudices personnels et matériels qu'il estime avoir subis à ce titre. M. B... relève appel du jugement du tribunal administratif de Besançon du 11 juin 2019 qui a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à la date du jugement : " Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l'assuré ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre. Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après. Si la responsabilité du tiers est entière ou si elle est partagée avec la victime, la caisse est admise à poursuivre le remboursement des prestations mises à sa charge à due concurrence de la part d'indemnité mise à la charge du tiers qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à l'exclusion de la part d'indemnité, de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et au préjudice esthétique et d'agrément. De même, en cas d'accident suivi de mort, la part d'indemnité correspondant au préjudice moral des ayants droit leur demeure acquise (...) L'intéressé ou ses ayants droit doivent indiquer, en tout état de la procédure, la qualité d'assuré social de la victime de l'accident ainsi que les caisses de sécurité sociale auxquelles celle-ci est ou était affiliée pour les divers risques. Ils doivent appeler ces caisses en déclaration de jugement commun. A défaut du respect de l'une de ces obligations, la nullité du jugement sur le fond pourra être demandée pendant deux ans, à compter de la date à partir de laquelle ledit jugement est devenu définitif, soit à la requête du ministère public, soit à la demande des caisses de sécurité sociale intéressées ou du tiers responsable, lorsque ces derniers y auront intérêt (...) ";

3. Il appartient au juge administratif, qui dirige l'instruction, d'ordonner la mise en cause des parties intéressées au litige. En ayant omis de mettre en cause d'office la caisse primaire d'assurance maladie de M. B..., en vue de l'exercice par celle-ci de l'action ci-dessus mentionnée, le tribunal administratif de Besançon a entaché son jugement d'irrégularité. Par suite, il y a lieu d'annuler le jugement du 11 juin 2019 du tribunal administratif de Besançon et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Besançon.

Sur la responsabilité du département du Doubs :

4. Pour obtenir réparation, par le maître de l'ouvrage, des dommages qu'il a subis à l'occasion de l'utilisation d'un ouvrage public, l'usager doit démontrer, d'une part, la matérialité des faits qu'il invoque et la réalité de son préjudice et, d'autre part, l'existence d'un lien de causalité direct entre l'ouvrage et le dommage. Pour s'exonérer de la responsabilité qui pèse ainsi sur elle, il incombe à la collectivité maître d'ouvrage, soit d'établir qu'elle a normalement entretenu l'ouvrage, soit de démontrer la faute de la victime ou l'existence d'un évènement de force majeure, sans que puisse utilement être invoqué le fait du tiers.

5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que l'intersection au niveau de laquelle s'est produit l'accident et la présence d'un arrêt " stop " étaient annoncés, cent cinquante mètres plus haut, par un panneau de signalisation avancée de " stop " de type " AB5 ". La circonstance que le panneau " stop ", présent au niveau de l'intersection, d'une route sinueuse dont le tracé ne permettait pas de le voir depuis une longue distance ne caractérise pas, en l'espèce, un défaut d'entretien normal de la part du département du Doubs dès lors qu'ainsi qu'il vient d'être dit, il était annoncé cent cinquante mètres avant l'intersection. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le requérant, la ligne blanche située à l'intersection, bien que montrant des signes d'usure, n'était pas effacée, et était donc tout à fait visible. Les photographies versées au dossier par les parties, montrent que le carrefour qui n'était pas accidentogène était visible bien avant l'intersection et que la configuration des lieux permettait à un conducteur normalement attentif et qui doit adapter sa vitesse à la largeur et au tracé de la route de comprendre que deux voies allaient se croiser.

6. En deuxième lieu, si M. B... soutient que ce panneau de signalisation avancée n'était pas visible dès lors que des véhicules illégalement garés le cachaient à ce moment, cette circonstance, à la supposer même établie n'est pas imputable au département et reste par elle-même sans incidence sur l'entretien normal de l'ouvrage par la collectivité.

7. En troisième lieu, si le département a cru devoir faire exécuter des travaux de marquage au sol à cet endroit après l'accident, cette circonstance ne saurait manifester, à elle seule, l'existence d'un défaut d'entretien normal.

8. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la voie publique sur laquelle M. B... a eu un accident ne présentait pas un risque excédant ceux auxquels doivent normalement s'attendre les usagers et contre lesquels il leur appartient de se prémunir eux-mêmes en prenant les précautions nécessaires. Dans ces conditions, le département du Doubs justifie avoir normalement entretenu l'ouvrage public en litige et sa responsabilité ne peut être engagée.

9. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions indemnitaires de M. B... ne peuvent être que rejetées.

Sur les dépens :

10. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / (...). ".

11. D'une part les frais d'une expertise non judiciaire, sollicité par M. B... à hauteur de 600 euros, ne sont pas des dépens de l'instance au titre de l'article R. 761-1 précité. En tout état de cause, et en l'absence d'engagement de la responsabilité du département, il n'y a pas lieu de faire droit à de telles conclusions.

12. D'autre part, les dépens, au demeurant inexistants, ne peuvent, en tout état de cause, être mis à la charge du département du Doubs qui n'est pas la partie perdante.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du département du Doubs, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, tout ou partie des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur le même fondement par le département du Doubs.

D E C I D E:

Article 1er : Le jugement n° 1700674 du 11 juin 2019 du tribunal administratif de Besançon est annulé.

Article 2 : La demande de M. B... est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par le département du Doubs sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à la société d'assurance maladie suisse Assura et au département du Doubs.

Délibéré après l'audience du 28 juin 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Grossrieder, présidente,

- Mme Roussaux, première conseillère,

- Mme Picque, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juillet 2022.

La rapporteure,

Signé : S.RoussauxLa présidente,

Signé : S. Grossrieder

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au préfet du Doubs en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

19NC02529 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NC02529
Date de la décision : 21/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Sophie ROUSSAUX
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS SOREL HUET LAMBERT-MICOUD

Origine de la décision
Date de l'import : 16/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-07-21;19nc02529 ?
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