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13/01/2023 | FRANCE | N°22NC02994

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 13 janvier 2023, 22NC02994


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, sur le fondement des disposions de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, de prescrire une expertise en vue de déterminer si les conditions climatiques à Reims le 4 juillet 2022 ont contribué de manière directe ou indirecte au malaise cardiaque de M. B... D... ayant entraîné son décès le 16 juillet 2022.

Par une décision n° 2202627 du 24 novembre 2022, le juge des référés du tribunal adm

inistratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

P...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, sur le fondement des disposions de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, de prescrire une expertise en vue de déterminer si les conditions climatiques à Reims le 4 juillet 2022 ont contribué de manière directe ou indirecte au malaise cardiaque de M. B... D... ayant entraîné son décès le 16 juillet 2022.

Par une décision n° 2202627 du 24 novembre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 30 novembre 2022, Mme D..., représentée par Me Emmanuel Ludot, demande à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance 24 novembre 2022 attaquée ;

2°) de faire droit à sa demande d'expertise.

Elle soutient que :

- le juge des référés a ignoré le contenu des pièces versées au débat, et notamment l'analyse du professeur A..., qui a considéré que le facteur environnemental était l'élément déterminant qui a déclenché le processus ayant abouti à l'arrêt cardiaque dont son époux, M. B... D..., a été victime le 4 juillet 2022 alors que son employeur lui avait fait exécuter dans l'après-midi une tache exceptionnelle par forte chaleur ;

- l'action qu'elle souhaite engager vise à faire reconnaître la responsabilité de l'Etat dans le décès de M. D..., survenu 12 jours après son malaise cardiaque du fait de son inaction climatique et de l'absence de mesures prises pour adapter la législation du travail ;

- seule la mission d'expertise sollicitée permettrait de déterminer s'il existe un lien de causalité entre les conditions climatiques à Reims le 4 juillet 2022 et le malaise cardiaque ayant entraîné le décès.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail et le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que M. B... D..., salarié de la société Must, a été victime d'une crise cardiaque le 4 juillet 2022, après être rentré de son travail. Il est décédé au centre hospitalier de Reims le 16 juillet 2022. Son épouse a, d'une part, demandé à l'Etat de l'indemniser des préjudices liés à ce décès en raison de son inaction climatique et, d'autre part, saisi le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande d'expertise visant à déterminer si les conditions climatiques à Reims entre 15 heures et 17 heures ont pu contribuer à l'accident cardiaque dont M. D... a été victime et à fixer les postes de préjudices indemnisables. Elle fait appel de l'ordonnance par laquelle le premier juge a rejeté sa demande.

Sur la régularité de l'ordonnance du juge des référés du tribunal :

2. Dans son ordonnance, le juge des référés a visé l'ensemble des pièces du dossier et a fondé sa décision sur certains des éléments que ces pièces faisaient apparaître. Le moyen tiré de l'irrégularité ayant consisté à ignorer le contenu des pièces versées au débat, et en particulier le mail du professeur A... rédigé le 18 novembre 2022, soit plus de quatre mois après le décès de M. D..., doit, par suite, être écarté.

Sur la demande d'expertise :

3. Aux termes de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple demande et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction. (...) ".

4. L'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de ces dispositions doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. A ce dernier titre, il ne peut faire droit à une demande d'expertise lorsque, en particulier, elle est formulée à l'appui de prétentions qui ne relèvent manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative, qui sont irrecevables ou qui se heurtent à la prescription. De même, il ne peut faire droit à une demande d'expertise permettant d'évaluer un préjudice, en vue d'engager la responsabilité d'une personne publique, en l'absence manifeste de lien de causalité entre le préjudice à évaluer et la faute alléguée de cette personne.

5. Mme D... fait valoir que sa demande d'expertise s'inscrit dans la perspective d'une action au fond visant à engager la responsabilité de l'Etat pour faute au regard de l'insuffisance des mesures prises en matière de réduction d'émission des gaz à effet de serre et de l'absence de mesures prises pour adapter les dispositions du code du travail et du code de la santé publique. Toutefois, et en premier lieu, il ne ressort pas du dossier que le 4 juillet 2022, ainsi que durant les jours qui ont précédé la crise cardiaque de M. D..., la température ait excédé celles constatées habituellement à cette période, si ce n'est celles de 2021 qui étaient, elles, fraîches pour la saison. Par ailleurs, et en deuxième lieu, selon les écritures mêmes du conseil de la requérante " il est établi et reconnu par l'employeur que ce jour-là, M. D... a effectué, sur ordre, une tache exceptionnelle. Il a dû se rendre chez un concessionnaire afin de décharger le matériel de son véhicule qui était tombé en panne et irréparable vers un nouveau véhicule de fonction, lui occasionnant de la manutention physique sous une chaleur pendant deux heures. ". De même, il ressort du témoignage de Mme D... que le véhicule Citroën Jumpy à décharger était stationné en plein soleil sur le parking du concessionnaire et que la température de l'habitacle dépassait les 50 degrés, ce qui a, effectivement dû rendre les opérations particulièrement difficiles. Dans ces conditions, et alors même que l'insuffisance des mesures prises par l'Etat pour infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national et améliorer la qualité de l'air a été reconnue par le Conseil d'Etat statuant au contentieux, elle n'apparaît pas comme ayant été la cause directe ou indirecte du décès de M. D.... Elle ne saurait, par suite, fonder que soit ordonnée l'expertise sollicitée.

6. Enfin, contrairement à ce qui est invoqué au soutien de la requête, le législateur et le pouvoir réglementaire ont pris des dispositions pour limiter les risques liés au travail à la chaleur. Ainsi, selon notamment les dispositions des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, l'employeur met en œuvre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs en application des principes généraux de prévention. Il doit notamment prendre en compte les conditions de température lors de l'évaluation des risques et mettre en place des mesures de prévention appropriées. Il convient aussi de relever que l'article R. 4225-1 du code du travail prévoit que les postes de travail extérieurs sont aménagés dans la mesure du possible de telle sorte que les travailleurs soient protégés contre les conditions atmosphériques et que l'article R. 4225-2 du même code indique que l'employeur met à la disposition des travailleurs de l'eau potable et fraîche pour la boisson. Enfin, les articles L. 4131-1 à L. 4131-4 du code du travail prévoient que le travailleur dispose d'un droit de retrait de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. En conséquence, pas plus que l'insuffisance des mesures prises pour limiter le réchauffement climatique, la carence invoquée, sans précision aucune, ne permet pas de regarder l'expertise demandée comme présentant le caractère d'utilité requis par les dispositions citées au point 3.

7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande. Sa requête d'appel doit, dès lors, être rejetée.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme D....

La présidente,

Signé : S. Favier

La République mande et ordonne à la Première Ministre, en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 22NC02994


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Numéro d'arrêt : 22NC02994
Date de la décision : 13/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Avocat(s) : LUDOT

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-01-13;22nc02994 ?
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