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11/04/2023 | FRANCE | N°21NC01082

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3ème chambre, 11 avril 2023, 21NC01082


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner la commune de Saint-Claude à lui verser la somme de 10 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 15 juillet 2019, au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de ses conditions de travail.

Par un jugement n° 1901621 du 16 mars 2021, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 avril

2021 et le 17 août 2022, Mme B..., représentée par Me Enard-Bazire, demande à la cour :

1°) d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Besançon de condamner la commune de Saint-Claude à lui verser la somme de 10 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 15 juillet 2019, au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de ses conditions de travail.

Par un jugement n° 1901621 du 16 mars 2021, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 avril 2021 et le 17 août 2022, Mme B..., représentée par Me Enard-Bazire, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Besançon ;

2°) de condamner la commune de Saint-Claude à lui verser la somme de 10 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 15 juillet 2019, au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de ses conditions de travail ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Claude la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les premiers juges ne se sont pas assurés de la possibilité d'engager la responsabilité sans faute de la commune de Saint-Claude ;

- la commune de Saint-Claude a commis une faute dans la gestion de sa pathologie et a méconnu son obligation de sécurité résultant des articles 23 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, des articles 2 et 2-1 du décret n° 85-603 du 10 juin 1985 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale et, enfin, de l'article L. 4121-1 du code du travail ; en 2017, elle a présenté une dermatose mais, en dépit de ses nombreuses demandes et des recommandations formulées par des professionnels de la santé, elle a été contrainte de travailler sans gant ou avec des gants inadaptés à ses réactions allergiques ;

- elle a toujours respecté le règlement, la sécurité et l'hygiène requis dans l'exercice de ses fonctions ;

- la responsabilité sans faute de la commune de Saint-Claude doit, en tout cas, être retenue ;

- les manquements de son employeur l'ont conduit à devoir engager des frais pour l'achat de gants adaptés et ont également engendré des souffrances physiques et morales, ainsi que des troubles dans ses conditions d'existence.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 août 2021, la commune de Saint-Claude, représentée par la SCP CGBG, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de Mme B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les conclusions indemnitaires présentées par Mme B... sur le fondement de la responsabilité sans faute sont irrecevables dès lors qu'elles n'ont pas été précédées d'une demande indemnitaire de nature à lier le contentieux ;

- ces conclusions sont également irrecevables car elles sont nouvelles à hauteur d'appel ;

- elle n'a commis aucune faute ; elle a agi dès qu'elle a eu connaissance de la pathologie dont souffrait Mme B... en commandant des gants adaptés, en saisissant le conseiller prévention, en adressant l'intéressée au médecin du travail et en formulant des recommandations, que Mme B... n'a pas suivie ;

- la cause de l'allergie de Mme B... n'a été relevée que le 21 novembre 2018 et l'intéressée, qui était alors en situation de congés pour raisons de santé, n'a plus travaillé jusqu'à son placement en retraite ;

- ni la réalité des préjudices allégués, ni, en tout cas, le lien entre ces préjudices et les conditions de travail de Mme B... ne sont établis.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la fonction publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 85-603 du 10 juin 1985 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Barteaux, rapporteur public,

- et les observations de Me Tronche pour la commune de Saint-Claude.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... exerçait les fonctions d'adjointe technique territoriale pour le compte de la commune de Saint-Claude et était affectée à l'entretien des locaux de la maison de la petite enfance de cette commune. A compter de l'année 2017, Mme B... a souffert de lésions eczématiques sur les mains. Après avoir bénéficié de plusieurs arrêts de travail en raison de ces lésions, elle a été placée en dernier lieu en arrêt de travail du 9 novembre 2018 au 31 août 2019, date de son admission à la retraite. Par une décision du 5 avril 2019, le maire de la commune de Saint-Claude a reconnu que les lésions eczématiques de Mme B... constituaient une maladie professionnelle. Par un courrier du 12 juillet 2019, Mme B... a sollicité auprès de la commune de Saint-Claude l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de ses conditions de travail. Sa demande a été rejetée par une décision du maire de la commune du 5 septembre 2019. Mme B... fait appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Saint-Claude à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation de ses préjudices.

Sur la recevabilité des conclusions présentées sur le fondement de la responsabilité sans faute :

2. Mme B... s'est bornée à demander au tribunal administratif d'engager la responsabilité de la commune de Saint-Claude en raison de la faute qu'elle a commise en ne lui fournissant pas des gants de protection adaptés à sa pathologie. La responsabilité sans faute étant d'ordre public, Mme B... est toutefois recevable à demander pour la première fois en appel l'engagement de la responsabilité sans faute de la commune et cela quand bien même elle n'a pas fait mention de ce fondement dans sa demande indemnitaire préalable. Les fins de non-recevoir opposées par la commune doivent ainsi être écartées.

Sur la régularité du jugement :

3. Dès lors que la requérante n'avait pas demandé devant les premiers juges la condamnation de la commune sur le terrain de la responsabilité sans faute, le tribunal administratif de Besançon n'a pas entaché son jugement d'irrégularité en ne se prononçant pas explicitement sur l'existence de cette responsabilité. A supposer que Mme B... ait entendu faire valoir, au titre de l'irrégularité du jugement, que les premiers juges auraient dû retenir l'engagement de la responsabilité sans faute de la commune, un tel moyen relève du bien-fondé de la décision juridictionnelle critiquée et non de sa régularité.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de la responsabilité sans faute de la commune:

En ce qui concerne l'engagement de la responsabilité sans faute de la commune :

4. Les dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité, doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Elles déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne.

5. Il résulte de l'instruction que Mme B... a présenté à compter de l'année 2017 des lésions eczématiques aux mains, en raison d'une réaction allergique au méthylisothiazolinone, conservateur présent notamment dans le nettoyant " Enviro-Technik " utilisé par la requérante dans le cadre de ses fonctions auprès de la commune de Saint-Claude. Par un arrêté du 5 avril 2019, le maire de cette commune a d'ailleurs reconnu que ces lésions eczématiques constituaient une maladie professionnelle. Le caractère de maladie professionnelle de ces lésions n'est par ailleurs nullement contesté par la commune défenderesse. Ainsi cette maladie ouvre à Mme B... un droit à réparation par la commune de Saint-Claude, au titre de sa responsabilité sans faute, de ses préjudices personnels, ainsi que de ses préjudices patrimoniaux d'une autre nature que les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique.

En ce qui concerne les fautes de la victime :

6. En premier lieu, la commune fait valoir que Mme B... n'aurait pas respecté les consignes de travail qui lui avait été données car elle superposait deux paires de gants pour travailler et qu'elle ajoutait de l'" Ecodiol " pur dans les produits déjà prêts à l'emploi pour le nettoyage. A considérer même que ces comportements soient établis, il n'est nullement justifié que le fait d'avoir doublé les gants mis à disposition, tout comme l'ajout d' " Ecodiol ", qui n'a pas été référencé par le dermatologue consulté par Mme B... comme l'un des produits potentiellement allergènes, aient contribué à l'apparition des lésions eczématiques.

7. En second lieu, il résulte de l'attestation du dermatologue consulté par la requérante que cette dernière procédait à ses travaux ménagers personnels sans porter de gants de protection. Pour autant, ce document précise qu'après avoir testé les produits ménagers fournis par la commune, ainsi que les produits utilisés personnellement par la victime, seul le nettoyant professionnel " Enviro-Technik " utilisé par Mme B... dans ses fonctions professionnelles présentait du méthylisothiazolinone. Par suite, il n'est pas justifié que le fait pour Mme B... de ne pas mettre de gants lors de ses travaux ménagers personnels ait contribué à ses lésions eczématiques.

8. Il résulte de ce qui précède que la commune n'est pas fondée à faire valoir que Mme B... aurait commis une faute de nature à l'exonérer pour tout ou partie de sa responsabilité.

En ce qui concerne les préjudices indemnisables :

9. En premier lieu, il résulte de l'instruction et notamment de l'attestation du gérant d'un commerce situé à proximité du lieu de travail de la requérante que Mme B... a, après les premières manifestations de ses lésions, été initialement contrainte d'acheter elle-même des gants de protection pour assurer ses tâches de nettoyage pour le compte de la commune de Saint-Claude. Toutefois, en dépit de la demande formulée en ce sens par la cour, la requérante n'a pas été en mesure d'apporter d'éléments permettant d'évaluer l'étendue de ce préjudice. Dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en accordant à la requérante la somme de 20 euros au titre des frais engagés pour acquérir des gants de protection.

10. En deuxième lieu, Mme B... fait valoir que les lésions subies ont engendré des souffrances morales, mais elle n'apporte aucun élément pour établir la réalité de telles douleurs. En revanche, Mme B... est fondée à demander l'indemnisation des préjudices liés aux douleurs physiques et aux troubles dans ses conditions d'existence qu'ont nécessairement engendrés les lésions eczématiques. Il sera fait une juste appréciation de ces préjudices en accordant à Mme B... une somme de 2 500 euros.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de la responsabilité pour faute de la commune :

11. Mme B... fait valoir que la commune de Saint-Claude a commis une faute en ne lui fournissant pas, après l'apparition des premières lésions, des gants adaptés, voire, pendant certaines périodes, en s'abstenant de mettre à sa disposition tous gants pour réaliser ses tâches de nettoyage. Pour autant, la requérante sollicite, sur ce fondement, la réparation des mêmes préjudices que ceux déjà indemnisés au titre de la responsabilité sans faute de la commune. Il n'y a donc pas besoin de se prononcer sur ces dernières conclusions.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté ses conclusions indemnitaires et à demander la condamnation de la commune de Saint-Claude à lui verser la somme de 2 520 euros.

Sur les intérêts :

13. Lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1153 du code civil courent à compter de la réception par la partie débitrice de la réclamation de la somme principale. Il résulte de l'instruction que la réclamation de Mme B... a été reçue le 15 juillet 2019 par la commune de Saint-Claude. Par suite, Mme B... a droit aux intérêts de la somme mentionnée au point 12 à compter de cette date.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée par la commune défenderesse au titre des frais exposés et non compris dans les dépens soit mise à la charge de Mme B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Au contraire, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Saint-Claude la somme de 1 500 euros à verser à Mme B....

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Besançon du 16 mars 2021 est annulé.

Article 2 : La commune de Saint-Claude est condamnée à verser à Mme B... la somme de 2 520 euros. Cette somme portera intérêts à compter du 15 juillet 2019.

Article 3 : La commune de Saint-Claude versera la somme de 1 500 euros à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et à la commune de Saint-Claude.

Délibéré après l'audience du 21 mars 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Wurtz, président de chambre,

- Mme Haudier, présidente-assesseure,

- M. Marchal, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 avril 2023.

Le rapporteur,

Signé : S. A...

Le président,

Signé : C. WURTZLe greffier,

Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne au préfet du Jura, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

N° 21NC01082

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC01082
Date de la décision : 11/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Swann MARCHAL
Rapporteur public ?: M. BARTEAUX
Avocat(s) : SCP GRILLON - BROCARD - GIRE - TRONCHE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-04-11;21nc01082 ?
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