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22/06/2023 | FRANCE | N°21NC01248

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 22 juin 2023, 21NC01248


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme B... A... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales qui leur ont été assignés au titre des années 2015, 2016 et 2017.

Par un jugement n° 1909677 du 2 mars 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande.

La société d'exercice libéral à responsabilité limitée (C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la

décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur les sociétés qui lui ont été as...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme B... A... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales qui leur ont été assignés au titre des années 2015, 2016 et 2017.

Par un jugement n° 1909677 du 2 mars 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande.

La société d'exercice libéral à responsabilité limitée (C... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des suppléments d'impôt sur les sociétés qui lui ont été assignés au titre des années 2015, 2016 et 2017 et des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017.

Par un jugement n° 1909676 du 2 mars 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

I) Par une requête enregistrée le 29 avril 2021, sous le numéro 21NC01248, M. et Mme A..., représentés par Me Hoarau, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1909677 ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions contestées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la proposition de rectification est insuffisamment motivée en violation de l'article L. 57 du livre des procédures en ce que la citation de la proposition de rectification adressée à la société Pharmacie du Breckelberg est elle-même insuffisamment motivée eu égard à la confusion qui règne dans la présentation des résultats chiffrés de la reconstitution ; le principe d'indépendance des procédures ne saurait dispenser le service de motiver les redressements qu'il notifie au bénéficiaire des revenus distribués sur le fondement de l'article 109 du code général des impôts ;

- l'administration ne rapporte pas la preuve de recettes dissimulées au niveau de la société par une reconstitution inintelligible qui est l'œuvre d'un informaticien, de sorte qu'elle ne rapporte pas la preuve de l'existence de revenus distribués entre ses mains ;

- l'administration n'a pas rapporté la preuve qu'il était le maître de l'affaire, qualité qui ne saurait résulter de la seule détention d'une partie du capital ou de la gérance de droit, de sorte qu'il ne saurait être présumé avoir appréhendé de quelconque revenus distribués ;

- la preuve de l'existence de manœuvres frauduleuses n'est pas rapportée.

Par un mémoire enregistré le 29 décembre 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

II) Par une requête enregistrée le 29 avril 2021, sous le numéro 21NC01250, et des mémoires enregistrés le 29 mars 2022 et le 11 juillet 2022, la C..., représentée par Me Hoarau, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1909676 ;

2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions contestées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la vérification de comptabilité et les redressements ont pour origine des renseignements obtenus de tiers que l'administration ne lui a jamais indiqués en violation de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales ;

- le vérificateur l'a privée de la garantie d'un débat oral et contradictoire au cours de la vérification ;

- l'administration a méconnu la garantie du III de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales ;

- la proposition de rectification est insuffisamment motivée en violation de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, eu égard à la confusion qui règne dans la présentation des résultats chiffrés de la reconstitution ;

- l'administration a méconnu l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, en ce qu'elle n'a pas adressé la réponse à ses observations à son mandataire, se bornant à envoyer une copie à son avocat, la privant de la possibilité de saisir la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ;

- l'avis de mise en recouvrement n'a pas été régulièrement notifié à son avocat en violation des articles L. 256 et R. 256-3 du livre des procédures fiscales ;

- la preuve de l'existence de manœuvres frauduleuses n'est pas rapportée.

Par des mémoires enregistrés le 28 octobre 2021 et le 25 mai 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique.

Ont été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Agnel ;

- et les conclusions de Mme Stenger, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La C... exploite une pharmacie à Creutzwald (Moselle). Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité ayant concerné la période du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017. Par une proposition de rectification du 13 décembre 2018, notifiée selon la procédure contradictoire prévue à l'article L. 55 du livre des procédures fiscales, l'administration fiscale a porté à la connaissance de la société qu'elle envisageait des rehaussements de ses bénéfices et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée. Ces rectifications ont été maintenues par lettre du 4 mars 2019 en réponse aux observations de la société. Les suppléments d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée correspondant à ces rectifications ont été mis en recouvrement au cours de l'année 2019. La réclamation préalable de la société du 2 juillet 2019 a été rejetée le 29 octobre 2019. L'administration a regardé M. A..., gérant et associé majoritaire de la C..., comme le bénéficiaire de revenus réputés distribués, imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur le fondement du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, à raison des rehaussements des bénéfices sociaux. L'intéressé, à la suite d'un contrôle sur pièces, a été rendu destinataire, selon la procédure contradictoire prévue à l'article L. 55 du livre des procédures fiscales, de propositions de rectification du 13 décembre 2018 l'informant des rectifications envisagées en conséquence au titre des années 2015, 2016 et 2017. Ces rectifications ont été maintenues par lettre du 4 mars 2019 en réponse aux observations de M. et Mme A.... Les suppléments d'impôt sur le revenu et de contributions sociales ont été mis en recouvrement au cours de l'année 2019. La réclamation préalable de M. et Mme A... du 15 juillet 2019 a été rejetée le 29 octobre 2019. Par les deux requêtes ci-dessus visées, qu'il y a lieu de joindre afin de statuer par un seul arrêt, la C... et M. et Mme A... relèvent appel des jugements du 2 mars 2021 par lesquels le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes tendant à la décharge, en droits et pénalités, de ces impositions supplémentaires au titre des années 2015, 2016 et 2017.

Sur les bénéfices imposables et le chiffre d'affaires taxable de la C... et les pénalités qui lui ont été infligées :

En ce qui concerne la régularité de la procédure :

S'agissant de la vérification de comptabilité :

2. En premier lieu, dans le cas où la vérification de la comptabilité d'une entreprise a été effectuée, soit, comme il est de règle, dans ses propres locaux, soit, si son dirigeant ou représentant l'a expressément demandé, dans les locaux du comptable auprès duquel sont déposés les documents comptables, c'est au contribuable qui allègue que les opérations de vérification ont été conduites sans qu'il ait eu la possibilité d'avoir un débat oral et contradictoire avec le vérificateur de justifier que ce dernier se serait refusé à un tel débat. Il résulte de l'instruction qu'hormis la première intervention inopinée du 24 juillet 2018, la vérification de comptabilité de la société requérante s'est déroulée à sa demande dans les locaux de l'expert-comptable chez qui le vérificateur s'est rendu à trois reprises. La société requérante ne rapporte pas la preuve qu'à ces occasions, le vérificateur se serait refusé à tout échange de vues avec ses représentants. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir qu'elle a été privée de la garantie liée à un débat oral et contradictoire avec le vérificateur.

3. En second lieu, aux termes du dernier alinéa de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales : " En cas de contrôle inopiné tendant à la constatation matérielle des éléments physiques de l'exploitation ou de l'existence et de l'état des documents comptables, l'avis de vérification de comptabilité et la charte des droits et obligations du contribuable vérifié sont remis au contribuable au début des opérations de constatations matérielles. L'examen au fond des documents comptables ne peut commencer qu'à l'issue d'un délai raisonnable permettant au contribuable de se faire assister par un conseil ". Aux termes du III de l'article L. 47 A du même livre : " a. - Dans le cadre du contrôle inopiné mentionné au dernier alinéa de l'article L. 47, lorsque la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, les agents de l'administration peuvent réaliser deux copies des fichiers relatifs aux informations, données et traitements informatiques ainsi que de la documentation relative aux analyses, à la programmation et à l'exécution des traitements mentionnés au IV de l'article L. 13./Ces copies sont scellées selon des modalités définies par arrêté du ministre chargé du budget. Une copie est remise au contribuable ou à son représentant, l'autre copie est conservée par l'administration./A l'issue du délai raisonnable mentionné au dernier alinéa de l'article L. 47, les deux copies sont confrontées ".

4. D'une part, il résulte de ces dispositions que si les agents de l'administration peuvent réaliser deux copies des fichiers visés au a) du III de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales, ils n'y sont pas tenus. Par suite, la circonstance que les agents de l'administration se sont bornés à apposer un marquage numérique dans le disque dur de sauvegarde des données numériques de la Pharmacie du Breckelberg lors du contrôle inopiné du 24 juillet 2018, sans prendre de copie, est sans incidence sur la régularité de la vérification de comptabilité.

5. D'autre part, en ayant apposé ce marquage numérique sur la liste des fichiers, afin d'en garantir l'intégrité, le service s'est borné à effectuer la constatation de l'état de la comptabilité et des moyens d'exploitation, conformément à l'article L. 47 du livre des procédures fiscales, et n'a procédé ni à un traitement informatique et pas davantage à un emport irrégulier de documents ou de données comptables.

S'agissant de la procédure de rectification :

6. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation ". Aux termes de l'article R. 57-1 du livre des procédures fiscales : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée ". Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les rectifications envisagées, de façon à permettre au contribuable de formuler ses observations de façon entièrement utile. En revanche, sa régularité ne dépend pas du bien-fondé de ces motifs.

7. La société requérante reprend en appel, sans précision nouvelle, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la proposition de rectification. Il y a lieu de l'écarter par adoption des motifs retenus à juste titre par les premiers juges.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée ". Pour l'application de ces dispositions, lorsque le mandat donné à un conseil ou à tout autre mandataire par un contribuable pour l'assister dans ses relations avec l'administration ne contient aucune mention expresse habilitant le mandataire à recevoir l'ensemble des actes de la procédure d'imposition, ce mandat n'emporte pas élection de domicile auprès de ce mandataire. Dans ce cas, l'administration n'entache pas la procédure d'imposition d'irrégularité en notifiant l'ensemble des actes de la procédure au contribuable, alors même que le mandat confie au mandataire le soin de répondre à toute notification de redressements, d'accepter ou de refuser tout redressement.

9. Il résulte de l'instruction que l'administration a notifié sa réponse aux observations de la société requérante du 15 février 2019 par une lettre modèle 3926 du 4 mars 2019 adressée par pli recommandé, avec accusé de réception, au siège social de la société, ce pli lui ayant été présenté par les services postaux le 8 mars 2019 qui l'en a avisée. En l'absence de retrait, le pli a été retourné à l'administration par les services postaux le 25 mars 2019 avec la mention " pli avisé et non réclamé ". Il résulte également de l'instruction que le service a adressé une copie de cette lettre de réponse à l'avocat de la société requérante, Me Hoarau, dont il a accusé réception le 11 mars 2019. Si dans ses observations du 15 février 2019 la société requérante a indiqué que Me Hoarau, avocat, la représentait " pour l'ensemble des procédures de rectification et de recouvrement ", il ne résulte pas de cette indication que ce mandataire était ainsi habilité à recevoir l'ensemble des actes de la procédure d'imposition de sorte que ce mandat n'a pas emporté élection de domicile au titre de cette procédure. Par suite, c'est sans irrégularité que l'administration, laquelle a au demeurant également notifié ce document au mandataire, a notifié sa réponse à la société requérante à son siège social.

10. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ". Il résulte de ces dispositions qu'il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en œuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des documents et renseignements obtenus auprès de tiers, qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour mettre à même l'intéressé d'y avoir accès avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent. Lorsque le contribuable lui en fait la demande, l'administration est, en principe, tenue de lui communiquer, alors même qu'il en aurait eu connaissance, les renseignements, documents ou copies de documents obtenus auprès de tiers qui lui sont opposés, afin de lui permettre d'en vérifier l'authenticité ou d'en discuter la teneur ou la portée.

11. La société requérante reprend en appel, sans précision nouvelle, le moyen tiré de la violation par l'administration de la garantie découlant de ces dispositions. Il y a lieu de l'écarter par adoption des motifs retenus à juste titre par les premiers juges.

En ce qui concerne la prescription :

12. Aux termes de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales : " Pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due ". Aux termes de l'article L. 256 du même livre : " Un avis de mise en recouvrement est adressé par le comptable public compétent à tout redevable des sommes, droits, taxes et redevances de toute nature dont le recouvrement lui incombe lorsque le paiement n'a pas été effectué à la date d'exigibilité ". Aux termes de l'article R. 256-6 du même livre : " La notification de l'avis de mise en recouvrement comporte l'envoi au redevable, soit au lieu de son domicile, de sa résidence ou de son siège, soit à l'adresse qu'il a lui-même fait connaître au service compétent de la direction générale des finances publiques ou au service des douanes et droits indirects compétent, de l'" ampliation " prévue à l'article R. * 256-3./Au cas où la lettre recommandée ne pourrait, pour quelque cause que ce soit, être remise au redevable destinataire ou à son fondé de pouvoir, il doit être demandé à la Poste de renvoyer au service compétent de la direction générale des finances publiques ou au service des douanes et droits indirects expéditeur, le pli non distribué annoté :/a) D'une part, de la date de sa première présentation à l'adresse indiquée à la souscription ou, s'il y a lieu, à la nouvelle adresse connue de La Poste ;/b) D'autre part, du motif de sa non-délivrance./Dans cette éventualité, l'" ampliation " renvoyée reste déposée au service compétent de la direction générale des finances publiques ou à la recette des douanes et droits indirects chargé du recouvrement où il peut en être délivré copie, à tout moment et sans frais, au redevable lui-même ou à son fondé de pouvoir ".

13. Il résulte de ce qui a été dit au point 8 ci-dessus que c'est sans irrégularité que l'administration a notifiée au siège de la société requérante, et non pas à son avocat, l'avis de mise en recouvrement du 30 avril 2019 par pli recommandé avec accusé de réception retourné avec la mention " plis avisé non réclamé " le 4 juin 2019. Par suite, la C... n'est pas fondée à soutenir que l'administration aurait méconnu les dispositions ci-dessus reproduites.

En ce qui concerne la charge de la preuve :

14. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " Lorsque l'une des commissions (...) visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission (...). Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission (...). La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge ".

15. Il résulte de l'instruction que les impositions contestées ont été établies suivant la procédure de redressement contradictoire et n'ont pas été acceptées par le contribuable. Dans ces conditions, il incombe à l'administration d'établir, d'une part, la preuve des irrégularités entachant la comptabilité de la société, l'autorisant à reconstituer les résultats de celle-ci, d'autre part, le bien-fondé de cette reconstitution.

En ce qui concerne la comptabilité :

16. Pour rejeter la comptabilité de l'officine de pharmacie de la société requérante comme non probante au titre des années vérifiées, le vérificateur a constaté qu'elle utilisait un logiciel de gestion dénommé LGPI lui ayant permis d'utiliser de manière délibérée une fonction de suppression des recettes mettant en lumière des écarts significatifs entre les quantités vendues de produits et les quantités facturées. Le service a également constaté que 20 % des numéros de factures avaient été supprimés dans la séquence des numéros de factures. Ces anomalies établissent que la comptabilité présentée non seulement n'est pas appuyée de justificatifs de recettes fiables, en l'absence de numérotation continue des factures, mais encore qu'elle ne retrace pas la totalité des ventes réalisées. Par suite, l'administration rapporte la preuve que la comptabilité de la société requérante est affectée de graves irrégularités.

En ce qui concerne la reconstitution des bénéfices :

17. Il résulte de l'instruction, en particulier de la proposition de rectification, que pour procéder à la reconstitution des recettes de l'officine de la société requérante, l'administration a déterminé les recettes supprimées à partir des discordances constatées, d'une part en ce qui concerne l'année 2015, lors de la comparaison des données de ventes et des données du fichier " statistique t_historique_vente " et le chiffrage a été effectué en s'appuyant sur le prix de vente moyen du produit déterminé d'après les ventes de la période, d'autre part en ce qui concerne les années 2016 et 2017 à partir des données dénommées " typeligne=17 " qui correspondent aux ventes supprimées apparaissant sous la mention " purge de données par le menu cession officine ". Les dissimulations toutes taxes comprises de chiffre d'affaires mises ainsi en lumière par le vérificateur s'élèvent à 24 064 euros au titre de l'année 2015, 18 414 euros au titre de l'année 2016 et 17 754 euros au titre de l'année 2017. Si la société requérante soutient que ces écarts sont faibles, une telle circonstance est sans incidence sur le bien-fondé de la reconstitution dès lors que les ventes dissimulées ressortent de son propre logiciel de gestion. Si la société requérante soutient enfin que le service n'a pas justifié la manière de valoriser chaque vente omise, il ressort de la proposition de rectification qu'au titre des années 2016 et 2017 cette indication ressort directement de son logiciel de gestion, tandis que pour l'année 2015, le service a déterminé un prix de vente moyen du produit considéré sur la période. Il résulte de ces éléments que la méthode utilisée ne saurait être regardée comme viciée dans son principe ou sommaire tandis que la société requérante ne se prévaut pas d'une méthode plus complète ou fiable. Par suite, l'administration rapporte la preuve du bien-fondé des impositions litigieuses.

En ce qui concerne les pénalités :

18. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuse ". Aux termes de l'article L. 195 A du livre des procédures fiscales : " En cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable au titre des impôts directs (...), la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l'administration ". Il résulte de ces dispositions qu'il incombe à l'administration, afin de justifier l'application de la pénalité pour manœuvres frauduleuses, de rapporter la preuve de l'existence de procédés ayant pour but d'égarer l'administration dans l'exercice de son pouvoir de contrôle destinés à masquer des omissions déclaratives délibérées.

19. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la C... n'est pas fondée à soutenir que les pénalités devraient être déchargées en conséquence de la décharge des droits en principal.

20. Pour appliquer des pénalités pour manœuvres frauduleuses sur le fondement des dispositions précitées de l'article 1729 du code général des impôts, l'administration a relevé que l'utilisation, sur l'ensemble de la période vérifiée, par la société requérante, du logiciel permissif LGPI permettant la suppression de factures ainsi que les minorations de recettes correspondants, constitue un comportement visant à égarer l'administration fiscale dans l'exercice de son pouvoir de contrôle. Le gérant de la société a utilisé le logiciel permissif à de multiples reprises, au cours de la période vérifiée, pour occulter une partie du chiffre d'affaires de l'officine tout en donnant l'apparence de la sincérité à une comptabilité en réalité inexacte. L'accès à cet outil informatique a supposé la saisine d'un mot de passe réservé au seul usage du gérant et un parcours dans les menus informatiques. Ces éléments établissent que la société requérante a eu recours à des procédés destinés à égarer l'administration ou à restreindre son pouvoir de contrôle, justifiant que les impositions contestées soient assorties de pénalités pour manœuvres frauduleuses. L'administration fiscale doit, par suite, être regardée comme ayant suffisamment établi les manœuvres frauduleuses justifiant la majoration de 80 % contestée.

Sur les revenus de capitaux mobiliers de M. et Mme A... et les pénalités qui leur ont été assignées :

En ce qui concerne la régularité de la procédure :

21. Il ressort de la proposition de rectification du 13 décembre 2018 adressée à M. A... qu'afin de déterminer les bases d'imposition des revenus de capitaux mobiliers découlant des recettes dissimulées par la C..., le service s'est appuyé sur la proposition de rectification adressée à cette société et qui était jointe dans les annexes 16 à 50. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus, que la proposition de rectification adressée à la société Pharmacie du Breckelberg était suffisamment motivée. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la proposition de rectification qui lui a été adressée serait insuffisamment motivée, en méconnaissance de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, en ce qu'elle cite la proposition de rectification adressée à la société Pharmacie du Breckelberg.

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

22. Aux termes de l'article 109 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ". Aux termes de l'article 110 du même code : " Pour l'application du 1° du 1 de l'article 109, les bénéfices s'entendent de ceux qui ont été retenus pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés ". En cas de refus des propositions de rectification par le contribuable qu'elle entend imposer en tant que bénéficiaire de sommes regardées comme distribuées, il incombe à l'administration d'apporter la preuve que celui-ci en a effectivement disposé. Toutefois, le contribuable qui, disposant seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société, est en mesure d'user sans contrôle de ses biens comme de biens qui lui sont propres et doit ainsi être regardé comme le seul maître de l'affaire, est présumé avoir appréhendé les distributions effectuées par la société qu'il contrôle, la circonstance qu'il n'aurait pas effectivement appréhendé les sommes correspondantes ou qu'elles auraient été versées à des tiers étant sans incidence à cet égard.

23. La vérification de comptabilité de la C... a mis en lumière la dissimulation par cette dernière de recettes provenant de son exploitation qui ont été réintégrées dans son bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés des années 2015, 2016 et 2017. Le bien-fondé de ces réintégrations a été reconnu ci-dessus et il y a lieu d'écarter les moyens identiques soulevés de ce chef par M. A... par les mêmes motifs. Ces bénéfices non déclarés n'ayant pas été comptabilisés, ils n'ont été ni mis en réserve, ni incorporés au capital social. Ils constituent, par suite, en application des dispositions ci-dessus reproduites de l'article 109 du code général des impôts, des revenus distribués imposables entre les mains de leurs bénéficiaires dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.

24. Afin de regarder M. A... comme le maître de l'affaire, l'administration a relevé que l'intéressé était l'associé unique et le gérant de la société Pharmacie du Breckelberg. Dans ces conditions, M. A..., qui détient la majorité du capital social, qui en outre assurait seul la marche des affaires, en particulier la maîtrise du logiciel LGPI, et disposait seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société Pharmacie du Breckelberg, doit être regardé comme le seul maître de l'affaire et doit, en conséquence, être présumé avoir appréhendé les sommes désinvesties par la société. M. A..., en se bornant à contester sa qualité de maître de l'affaire, n'apporte pas la preuve de ce qu'il n'a pas été le bénéficiaire de ces revenus.

En ce qui concerne les pénalités :

25. En premier lieu, il résulte de ce qui a été exposé ci-dessus que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que les pénalités devraient être déchargées en conséquence de la décharge des droits en principal.

26. En second lieu, pour assortir les impositions en litige de la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses, l'administration a relevé que M. A..., seul maître de l'affaire, était le seul à disposer, au sein de la C..., de l'habilitation délivrée par l'éditeur du logiciel, pour utiliser la fonction de purge des factures. Par ailleurs, elle a constaté que lors des absences de M. A..., aucune utilisation de cette fonction permissive n'avait eu lieu. Enfin, elle a estimé que l'utilisation, sur l'ensemble de la période vérifiée, de la fonction de purge des factures au moyen de laquelle avaient été supprimées des factures constituait un comportement visant, d'une part, à délibérément minorer les recettes de l'officine dont il assurait la gérance tout en conservant l'apparence d'une comptabilité régulière, et, visant, d'autre part, à égarer l'administration dans l'exercice de son pouvoir de contrôle. Dès lors, eu égard à ces constatations, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, de la réalité des manœuvres frauduleuses de M. A.... Il s'ensuit que c'est à bon droit que l'administration a infligé aux contribuables les pénalités en litige.

27. Il résulte de tout ce qui précède que la C... et M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leurs demandes. Par suite, leurs requêtes doivent être rejetées en toutes leurs conclusions y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Les requêtes ci-dessus visées de la C... et de M. et Mme A... sont rejetées.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à C..., à M. et Mme B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 1er juin 2023, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président de chambre,

M. Agnel, président assesseur,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 juin 2023.

Le rapporteur,

Signé : M. AgnelLe président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

N°s 21NC01248 et 21NC01250 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC01248
Date de la décision : 22/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: M. Marc AGNEL
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : HOARAU-GIRARD

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-06-22;21nc01248 ?
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