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06/07/2023 | FRANCE | N°21NC03099

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 2ème chambre, 06 juillet 2023, 21NC03099


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision implicite de rejet né du silence gardé par le ministre de l'agriculture sur sa demande indemnitaire formée le 27 novembre 2020 et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 20 334,84 euros au titre des préjudices qu'il estime avoir subis.

Par un jugement n° 2100672 du 1er octobre 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la décision du 28 septembre 2020 du directeur du lycée d

'enseignement général, technologique et professionnel agricole de Rethel prononça...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision implicite de rejet né du silence gardé par le ministre de l'agriculture sur sa demande indemnitaire formée le 27 novembre 2020 et de condamner l'Etat à lui verser une somme de 20 334,84 euros au titre des préjudices qu'il estime avoir subis.

Par un jugement n° 2100672 du 1er octobre 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a annulé la décision du 28 septembre 2020 du directeur du lycée d'enseignement général, technologique et professionnel agricole de Rethel prononçant le licenciement de M. A... au cours de la période d'essai et rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er décembre 2021 et le 2 février 2023, M. A..., représenté par Me Marbot, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 1er octobre 2021 en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 20 334,84 euros au titre des préjudices qu'il estime avoir subis ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier dans la mesure où il n'a demandé l'annulation que de la décision implicite du 27 janvier 2021 par laquelle le ministre de l'agriculture a rejeté sa demande indemnitaire ; en annulant la décision du 28 septembre 2020, les premiers juges, ont statué ultra petita ;

- la décision du 28 septembre 2020 a été prise par une autorité incompétente ;

- n'étant pas soumis à une période d'essai en l'absence de contrat, son licenciement revêt le caractère d'une sanction disciplinaire et méconnaît le principe général des droits de la défense qui lui est applicable ; aucun délai de prévenance n'a été respecté préalablement à la convocation à l'entretien qui s'est tenu le 28 septembre 2020 ; il n'a été informé ni de l'objet de cet entretien ni des motifs du licenciement envisagé, ni des garanties dont il disposait en termes de consultation de son dossier ou de la possibilité de se faire assister ;

- elle est entachée d'une erreur de fait dans la mesure où les propos qui lui sont reprochés ne sont pas établis ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation dans la mesure où seule sa manière de servir lui est reprochée alors même qu'il dispose d'une liberté pédagogique en application de l'article L. 912-1-1 du code de l'éducation ;

- la décision de le licencier lui a causé un préjudice moral qui peut être évalué à 3 000 euros et un préjudice financier qui doit être évalué à 17 334,84 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 avril 2022, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'éducation ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 68-934 du 22 octobre 1968 ;

- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Mosser,

- et les conclusions de Mme Stenger, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a été recruté en qualité d'agent contractuel de catégorie A afin d'exercer les fonctions d'enseignant à temps incomplet du 1er septembre 2020 au 31 août 2021. Il a été affecté à l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricoles de Rethel (ci-après EPLEFPA de Rethel), afin d'y donner des cours de français et de philosophie. Au regard des propos tenus dans le cadre de ses fonctions d'enseignant, le directeur de l'EPLEFPA de Rethel a remis M. A... au cours d'un entretien préalable qui a eu lieu le 28 septembre 2020 un courrier précisant qu'il était mis fin à sa période d'essai et qu'il était licencié à compter du 30 septembre 2020. Par une décision du 29 septembre 2020, le ministre de l'agriculture a prononcé le licenciement de M. A... au cours de la période d'essai avec effet au 30 septembre 2020. M. A... relève appel du jugement du 1er octobre 2021 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en tant qu'il a rejeté ses conclusions indemnitaires.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier et notamment des conclusions de la requête de M. A... en première instance que ce dernier a demandé l'annulation de la décision implicite de rejet né du silence gardé par le ministre de l'agriculture sur sa demande indemnitaire formée le 27 novembre 2020 et la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 20 334,84 euros au titre des préjudices qu'il estime avoir subis. La décision implicite de rejet de sa demande indemnitaire ayant pour seul effet de lier le contentieux à l'égard de l'objet de sa demande, c'est par une exacte interprétation des conclusions de M. A... que les premiers juges n'ont pas visé la demande tendant à l'annulation de la décision implicite née le 27 janvier 2021. En revanche, c'est à tort qu'ils ont redirigé ces conclusions à fin d'annulation contre la décision du 28 septembre 2020 par laquelle le directeur du lycée d'enseignement général, technologique et professionnel agricole de Rethel a mis fin à sa période d'essai et l'a licencié à compter du 30 septembre 2020 dès lors que M. A... n'avait présenté aucune conclusions en ce sens. Par suite, il y a lieu d'annuler l'article 1er du jugement prononçant l'annulation de cette décision du 28 septembre 2020.

Sur la responsabilité :

En ce qui concerne l'existence d'une illégalité fautive :

3. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a été recruté par contrat d'engagement à durée déterminée par le ministre de l'agriculture pour assurer les fonctions d'enseignant et a été affecté à l'établissement public local d'enseignement et de formation professionnelle agricoles de Rethel. Il ressort de son bulletin de paie que M. A... était rémunéré sur le budget de l'Etat et non sur le budget propre de l'établissement public local. Le ministre de l'agriculture étant l'autorité de nomination et l'autorité hiérarchique de cet enseignant, il lui appartenait de prononcer son licenciement. Le 29 septembre 2020, un arrêté de licenciement a été adopté par le ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Cet arrêté, devenu définitif faute d'avoir été contesté dans le délai de recours contentieux, a retiré implicitement mais nécessairement la décision du 28 septembre 2020 par laquelle le directeur du lycée d'enseignement général, technologique et professionnel agricole de Rethel avait prononcé le licenciement de M. A.... Par suite, M. A... ne peut utilement se prévaloir des vices affectant cet acte.

4. D'une part, aux termes de l'article 9 du décret du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'Etat pris pour l'application des articles 7 et 7 bis de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " le licenciement en cours (...) de période d'essai ne peut intervenir qu'à l'issue d'un entretien préalable. / Aucune durée de préavis n'est requise lorsque la décision de mettre fin au contrat intervient en cours (...) d'une période d'essai ". En application de ces dispositions, l'article 2 du contrat prévoyait qu'il ne deviendrait " définitif qu'à l'issue d'une période d'essai de 61 jours, soit du 01/09/2020 au 31/10/2020 " et que " durant cette période, la rupture du contrat s'effectue, par l'une ou l'autre des parties, sans préavis ".

5. D'autre part, aux termes de l'article 5 du décret du 22 octobre 1968 relatif au recrutement d'agents contractuels pour assurer l'enseignement dans les lycées, collèges et cours professionnels agricoles : " les deux premiers mois [des] fonctions [des professeurs contractuels] sont considérés comme une période d'essai et un licenciement pendant cette période ne peut donner lieu ni à préavis ni au versement d'une indemnité ".

6. Il est constant que si le contrat d'engagement de M. A..., lequel prévoit explicitement à son article 2 une période d'essai conformément aux dispositions précitées de l'article 9, a été signé par le ministre le 14 septembre 2020, il n'a pas été signé par M. A.... Toutefois, les agents contractuels de l'Etat sont placés vis-à-vis de leur administration dans une situation légale et réglementaire. Ainsi, l'article 5 du décret du 22 octobre 1968 précité qui est spécialement applicable aux agents contractuels employés dans les établissements publics d'enseignement agricole, dont le requérant fait partie, prévoit une période d'essai de deux mois. Dans ces conditions, contrairement à ce que ce dernier soutient, il a fait l'objet d'un licenciement avant le terme de sa période d'essai et non d'une sanction disciplinaire. Une telle décision constitue cependant une mesure prise en considération de la personne de l'agent contractuel et celui-ci doit être mis à même de demander la communication de son dossier et de présenter ses observations. Il ressort des pièces du dossier que M. A... n'a pas eu l'opportunité de solliciter la communication de son dossier et n'a pas été reçu en entretien par le ministre préalablement à l'édiction de l'arrêté du 29 septembre 2020. Par suite, en admettant qu'il ait invoqué l'illégalité de cet arrêté, il est fondé à soutenir que son licenciement a été adopté au terme d'une procédure irrégulière.

7. Il ressort des pièces du dossier et en particulier du rapport du 28 septembre 2020 rédigé par le directeur de l'EPLEFPA que le vendredi 25 septembre, celui-ci a été saisi en raison des propos inappropriés tenus par M. A..., rapportés par les élèves de la terminale sciences et technologies de l'agronomie et du vivant (STAV). M. A... a été reçu en entretien pour évoquer ces faits le jour même. Le lundi suivant, le directeur a recueilli directement auprès des élèves concernés de nouveaux propos outranciers. Si M. A... conteste avoir tenu de tels propos, il ne démontre pas, par la seule production d'attestations, postérieures à la décision de licenciement, soulignant son professionnalisme lors de deux remplacements ponctuels à la fin de l'année 2020 et en février 2021 dans deux établissement différents, que les déclarations qui lui sont reprochées ne sont pas établies. Dans ces conditions, la matérialité des faits en cause doit être regardée comme étant établie.

8. Les propos tenus par M. A... devant des élèves ayant un caractère raciste, homophobe et injurieux, ils ne sauraient entrer dans le cadre de la liberté pédagogique garantie aux enseignants par les dispositions l'article L. 912-1-1 du code de l'éducation. Eu égard à la gravité de telles déclarations, la décision de mettre fin à son contrat en cours de période d'essai est justifiée et proportionnée.

En ce qui concerne les préjudices :

9. Lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'une décision administrative pour un vice de procédure, il appartient au juge administratif de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si compte tenu de la nature et de la gravité de cette irrégularité procédurale, la même décision aurait pu légalement intervenir et aurait été prise, dans les circonstances de l'espèce, dans le cadre d'une procédure régulière.

10. Le ministre de l'agriculture ayant adopté la décision du 29 septembre 2020 sans avoir préalablement convoqué M. A... à un entretien, ni l'avoir mis à même de demander la communication de son dossier, ce dernier a été privé d'une garantie. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit aux points 7 et 8 que la décision de licenciement en cours de période d'essai est justifiée eu égard au caractère homophobe, raciste et outrancier des propos tenus par M. A... devant sa classe. Il s'en déduit que le ministre aurait pris la même décision dans le cadre d'une procédure régulière et les préjudices invoqués par l'agent ne peuvent être regardés comme étant la conséquence de cette irrégularité procédurale. Il s'ensuit que les conclusions indemnitaires présentées par M. A... sur le fondement de l'illégalité fautive de son licenciement doivent être rejetées.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à se plaindre de ce que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande indemnitaire. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée par M. A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : L'article 1er du jugement du 1er octobre 2021 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est annulé.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.

Délibéré après l'audience du 22 juin 2023, à laquelle siégeaient :

M. Agnel, président,

Mme Brodier, première conseillère,

Mme Mosser, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juillet 2023.

La rapporteure,

Signé : C. MosserLe président,

Signé : M. Agnel

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de l'alimentation en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

N° 21NC03099


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC03099
Date de la décision : 06/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. AGNEL
Rapporteur ?: Mme Cyrielle MOSSER
Rapporteur public ?: Mme STENGER
Avocat(s) : MARBOT

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-07-06;21nc03099 ?
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