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27/09/2023 | FRANCE | N°23NC01691

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 27 septembre 2023, 23NC01691


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête du 22 avril 2020, enregistrée sous le n°2000821, Mme E... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner le centre hospitalier de Troyes à lui verser à titre de provision la somme de 40 000 euros.

Par une seconde requête enregistrée sous le n°2201710, Mme E... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en Champagne de condamner sur le fondement de la faute, le centre hospitalier de Troyes et la société hospitalière d'assuran

ces mutuelles, assureur de l'hôpital, à lui verser une indemnité provisionnelle de 150...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une requête du 22 avril 2020, enregistrée sous le n°2000821, Mme E... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner le centre hospitalier de Troyes à lui verser à titre de provision la somme de 40 000 euros.

Par une seconde requête enregistrée sous le n°2201710, Mme E... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en Champagne de condamner sur le fondement de la faute, le centre hospitalier de Troyes et la société hospitalière d'assurances mutuelles, assureur de l'hôpital, à lui verser une indemnité provisionnelle de 150 000 euros à valoir sur son entier préjudice corporel. La caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne a présenté des conclusions tendant à ce que soit mise à la charge conjointe du centre hospitalier de Troyes et de la société hospitalière d'assurances mutuelles, à titre de provision, la somme de 20 731,43 euros en remboursement de prestations exposées pour le compte de son assurée et une somme de 1 114 euros au titre l'indemnité forfaitaire de gestion.

Par une ordonnance n° 2000821, 2201710 du 15 mai 2023, après avoir joint les deux requêtes, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons en Champagne a condamné conjointement le centre hospitalier de Troyes et la société Relyens Mutual Insurance à verser :

- la somme de 96 542, 24 euros à Mme A... E... à titre de provision sur la réparation de son préjudice ;

- une indemnité provisionnelle de 20 731, 43 euros et une somme de 1114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion à la caisse primaire d'assurance-maladie du Val-de-Marne ;

- la somme de 1 500 euros à Mme E... et la somme de 1 200 euros à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 31 mai 2023, 15 juin 2023 et 7 août 2023, le centre hospitalier de Troyes et la société Relyens Mutual Insurance, représentés par Me Le Prado, demandent à la cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du 31 mai 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Châlons en Champagne ;

2°) de rejeter les demandes présentées par Mme C... et la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne devant le juge des référés du tribunal administratif de Châlons en Champagne ;

3°) de rejeter les demandes présentées par Mme C... devant la Cour.

Elle soutient que :

- l'ordonnance du juge des référés est insuffisamment motivée ;

- le juge des référés a considéré, à tort, que la prise en charge de Mme E... par le centre hospitalier de Troyes, le 21 décembre 2015, a été défaillante et constitutive d'une faute dans l'organisation du service de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Troyes et de son assureur,

- le juge des référés a jugé, à tort, qu'il ne pouvait être reproché à Mme E... une quelconque responsabilité dans la survenue du dommage pour avoir décidé de quitter le service des urgences avant d'avoir été examinée le 22 décembre 2015 au matin et qu'il n'existe aucun lien de causalité suffisamment direct entre la prétendue faute et les préjudices subis ;

- même dans l'hypothèse où la faute et le lien causal seraient reconnus, il ressort des pièces du dossier que les soignants de la clinique de la main ont commis des fautes qui doivent minorer la responsabilité du centre hospitalier de Troyes ;

- le juge des référés a procédé à une évaluation excessive des préjudices subis par l'intéressée ;

-les conclusions formulées par Mme E... devant la Cour sont irrecevables car elle sollicite en appel une somme supérieure à celle demandée en première instance ;

- le juge des référés a jugé à tort qu'en vertu du dernier alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne a droit au versement de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

-certaines des demandes de la CPAM du Val-de-Marne tendant au remboursement de ses débours ne sont pas imputables à la prétendue faute du centre hospitalier de Troyes.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juillet 2023, Mme E..., représentée par Me Périer-Chapeau, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête d'appel formée par le centre hospitalier de Troyes et la société Relyens Mutual Insurance ;

2°) par la voie de l'appel incident :

- de réformer l'ordonnance du 15 mai 2023 par laquelle juge des référés du tribunal administratif de Châlons en Champagne a limité à la somme de 96 542,24 euros l'indemnité au versement de laquelle il a condamné conjointement le centre hospitalier de Troyes et la société Relyens Mutual Insurance en réparation du préjudice qu'elle a subi ;

- de porter à la somme de 165 302,08 euros le montant de l'indemnité provisionnelle due au titre de la réparation de son préjudice.

3°) de mettre à la charge in solidum du centre hospitalier de Troyes et la société Relyens Mutual Insurance une somme de 2500 euros à lui verser au titre de l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

4°) en cas d'exécution forcée, de condamner in solidum le centre hospitalier de Troyes et la société Relyens Mutual Insurance à supporter les sommes retenues par l'huissier en application des articles A 444-31 et suivants du code de commerce.

Elle soutient que :

- la prise en charge de Mme E... par le centre hospitalier de Troyes, le 21 décembre 2015, a été défaillante et constitutive d'une faute dans l'organisation du service de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Troyes et de son assureur au regard notamment des conclusions de l'expert ;

-au regard des pièces du dossier, il existe un lien de causalité direct entre les fautes commises par le centre hospitalier de Troyes et les préjudices qu'elle a subi ;

- le centre hospitalier de Troyes et la société Relyens Mutual Insurance n'apportent pas la preuve de l'existence d'une faute du personnel de la clinique de la main ;

- il ressort des pièces qu'elle fournit qu'elle aurait dû se voir allouer une somme de 165 302,08 euros à titre de provision en réparation des divers préjudices qu'elle a subi.

La requête a été communiquée le 15 juin 2023 à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne qui n'a pas produit d'observations.

La requête a été communiquée le 21 juin 2023 à la mutuelle Aubéane qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Le 19 décembre 2015, Mme A... E... s'est brûlée à la main gauche avec l'eau chaude du robinet, au niveau de la face dorsale de la main. Elle s'est rendue le lendemain, au service des urgences du centre hospitalier de Troyes où des soins locaux lui ont été administrés, un antalgique prescrit et un rendez-vous fixé pour le lendemain avec le service de dermatologie de l'hôpital. Le 21 décembre 2015, le praticien du service de dermatologie du centre hospitalier de Troyes qui l'a reçu a diagnostiqué une brûlure grave et un syndrome des loges, et a adressé la patiente à la clinique de la main de Troyes où celle-ci a été examinée le jour même. Lors de cet examen, un pansement a été réalisé avec des compresses humides et de la Biafine et un antibiotique a été prescrit à la patiente. Cependant, le soir même, Mme E... a ressenti des douleurs à la main et leur intensité de plus en plus importante a conduit l'intéressée à se rendre au service des urgences du centre hospitalier de Troyes vers 23h50. La patiente a quitté le service des urgences à 1h39 de sa propre initiative sans avoir été vue par un médecin ni avoir bénéficié d'un contrôle de l'état de sa main par l'ouverture du pansement. Le 22 décembre 2015, compte-tenu de l'exacerbation des douleurs, elle s'est présentée aux environs de 9h à la clinique de la main. Au vu de l'examen réalisé et du diagnostic posé de syndrome des loges massif, Mme E... y a été hospitalisée et opérée le jour même. Le 23 décembre 2015, Mme E... a été réopérée et amputée de l'annulaire en raison d'une ischémie avec nécrose et pour éviter des complications septiques. Le 26 décembre 2015, Mme E... a été autorisée à quitter la clinique avec prescription de soins locaux et des traitements antibiotique et antalgique. Une rééducation a été entreprise à partir du 30 décembre 2015. Le 22 février 2016, au cours de soins infirmiers, l'infirmière a décelé une mise à nu de l'articulation au niveau du 5ème doigt. Le praticien de la clinique de la main a décidé de réaliser une intervention d'arthrodèse le 26 février 2016. Du 23 janvier 2018 au 8 février 2019, Mme E... a subi six nouvelles interventions chirurgicales de reconstruction avec une greffe de peau prélevée à l'aine. Mme E... qui souffre d'un état dépressif, conserve des douleurs au niveau de la main gauche en cas de mobilisation active du poignet ou des doigts de la main gauche, des douleurs " fantôme " au niveau du doigt amputé et éprouve une raideur ainsi qu'une limitation importante de la mobilité des doigts restants. Elle se plaint également de douleurs et de sensations de démangeaison au pli de l'aine correspondant à la cicatrice du prélèvement de la greffe de peau. Mme E... a saisi le 8 janvier 2019 le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande d'expertise au contradictoire du centre hospitalier de Troyes. L'expert désigné par ordonnance du 8 janvier 2019 a déposé son rapport le 13 mai 2019. Sur une nouvelle saisine du 22 avril 2020, enregistrée sous le n°2000821 où Mme E... demandait au juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner le centre hospitalier de Troyes à lui verser à titre de provision la somme de 40 000 euros, le tribunal a ordonné une nouvelle expertise avec comme chefs de mission de déterminer une date de consolidation et de fixer l'étendue des préjudices. Le second rapport d'expertise a été déposé le 12 mai 2021 et retient que l'état de Mme E... est consolidé à la date du 17 juillet 2020. A la suite de cette expertise, Mme E... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de condamner sur le fondement de la faute, le centre hospitalier de Troyes et la société hospitalière d'assurances mutuelles, assureur de l'hôpital, à lui verser une indemnité provisionnelle de 150 000 euros à valoir sur son entier préjudice corporel sur le fondement des dispositions de l'article R.541-1 du code de justice administrative. La caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne a présenté des conclusions tendant à ce que soit mise à la charge conjointe du centre hospitalier de Troyes et de la SHAM, à titre de provision, la somme de 20 731,43 euros en remboursement de prestations exposées pour le compte de son assurée et une somme de 1 114 euros au titre l'indemnité forfaitaire de gestion. Dans le cadre de la présente instance, le centre hospitalier de Troyes et la société Relyens Mutual Insurance forment appel de de l'ordonnance rendue le 15 mai 2023 par le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne qui les condamnent conjointement à verser la somme de 96 542, 24 euros à Mme A... E... à titre de provision sur la réparation de son préjudice ainsi qu' une indemnité provisionnelle de 20 731, 43 euros et une somme de 1 114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion à la caisse primaire d'assurance-maladie du Val-de-Marne.

Sur la fin de non recevoir opposée par le centre hospitalier de Troyes et la société Relyens Mutual Insurance aux conclusions de Mme E... visant à porter à la somme de 165 302,08 euros le montant de l'indemnité provisionnelle due au titre de la réparation de ses préjudices :

2. En premier lieu, la personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur ; que cette personne n'est toutefois recevable à majorer ses prétentions en appel que si le dommage s'est aggravé ou s'est révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement qu'elle attaque ; qu'il suit de là qu'il appartient au juge d'appel d'évaluer, à la date à laquelle il se prononce, les préjudices invoqués, qu'ils l'aient été dès la première instance ou le soient pour la première fois en appel, et de les réparer dans la limite du montant total demandé devant les premiers juges ; qu'il ne peut mettre à la charge du responsable une indemnité excédant ce montant que si le dommage s'est aggravé ou révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué.

3. En second lieu, il importe donc d'abord de vérifier pour l'ensemble des préjudices dont la réparation est demandée par Mme E... en appel, si le montant n'excède pas celui demandé en première instance puis, si tel est le cas, si le dommage qu'elle a subi s'est aggravé ou a révélé toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué.

4. S'agissant du préjudice invoqué concernant l'aide à la tierce personne pour la période postérieure à la consolidation fixée le 17 juillet 2020, le juge des référés avait accordé la totalité de la somme demandée en première instance par Mme E..., soit 7 656 euros. Mme E... sollicite en appel le versement d'une provision de 30 000 euros. Néanmoins, elle ne justifie, ni d'une aggravation du dommage ni du fait que le dommage se serait révélé dans toute son ampleur postérieurement à l'ordonnance rendue par le juge des référés. Elle n'est donc pas recevable à demander la majoration de la provision allouée au titre de ce préjudice.

5. S'agissant du préjudice invoqué au titre des dépenses de santé actuelles, Mme E... avait sollicité en première instance le versement d'une somme de 7 954,98 euros mais le juge des référés ne lui a accordé qu'une provision de 396 euros. Elle est donc recevable en appel à solliciter le versement de la somme de 7 954,98 euros demandée en première instance.

6. S'agissant du préjudice invoqué au titre des frais exposés pour l'assistance par deux médecins conseils, un chirurgien de la main et un psychiatre, au cours des opérations d'expertise, assistance qui a été utile, et les frais de transport en train, en taxi et en voiture particulière pour se rendre aux rendez-vous médicaux et aux hospitalisations, Mme E... avait sollicité en première instance le versement d'une somme de 6 138,30 euros mais le juge des référés ne lui a accordé qu'une provision de 4 860 euros correspondant aux frais d'assistance . Elle est donc recevable en appel à solliciter le versement de la somme de 6 053,28 euros inférieure à celle demandée en première instance prenant en compte les frais de déplacement.

7. S'agissant du préjudice invoqué au titre de l'indemnisation de l'aide par tierce personne avant consolidation et en lien avec la faute, le juge des référés avait accordé la totalité de la somme demandée en première instance de 17 130,24 euros. Il convient de relever que Mme E... ne demande plus que la somme de 12 359,73 euros en appel car elle a bénéficié du versement de la somme de 4 770,51 euros au titre de la prestation de compensation du handicap. Elle est recevable à minorer sa demande de provision sur ce point.

8. S'agissant du préjudice invoqué au titre les frais médicaux futurs correspondant à quinze séances de psychothérapie, Mme E... avait sollicité en première instance le versement d'une somme de 825 euros mais le juge des référés a refusé de lui accorder cette provision. Elle est donc recevable en appel à solliciter le versement de la somme de 825 euros demandée en première instance.

9. S'agissant du préjudice invoqué lié à la perturbation de ses études universitaires et de sa formation, Mme E... avait sollicité en première instance le versement d'une somme de 60 000 euros mais le juge des référés ne lui a accordé qu'une provision de 5 000 euros. Elle est donc recevable en appel à solliciter le versement d'une somme de 20 000 euros inférieure à celle demandée en première instance.

10. S'agissant du préjudice lié au retard de l'intégration dans la vie professionnelle et à la restriction de ses capacités de travail due à son handicap, Mme E... avait sollicité en première instance le versement d'une somme de 50 000 euros mais le juge des référés ne lui a accordé qu'une provision de 5 000 euros. Elle est donc recevable en appel à solliciter le versement de la somme de 20 000 euros, inférieure à celle demandée en première instance.

11. S'agissant du préjudice lié aux frais d'adaptation du véhicule, Mme E... avait sollicité en première instance le versement des sommes de 3 109,90 euros et de 27 262,64 euros mais le juge des référés a refusé de lui accorder cette provision. Elle est donc recevable en appel à solliciter le versement de la somme de 3 109,90 euros demandée en première instance.

12. S'agissant du préjudice lié au déficit fonctionnel temporaire en lien avec la faute, Mme E... avait sollicité en première instance le versement d'une somme de 12 162,25 euros mais le juge des référés ne lui a accordé que le versement de la somme de 8 000 euros. Elle est donc recevable en appel à solliciter le versement d'une somme de 10 000 euros inférieure à celle demandée en première instance.

13. S'agissant du préjudice d'agrément, Mme E... avait sollicité en première instance le versement d'une somme de 15 000 euros mais le juge des référés ne lui a accordé que le versement de la somme de 500 euros. Elle est donc recevable en appel à solliciter le versement d'une somme de 5 000 euros inférieure à celle demandée en première instance.

14. S'agissant du préjudice sexuel, Mme E... avait sollicité en première instance le versement d'une somme de 3 000 euros mais le juge des référés ne lui a pas accordé cette provision. Elle est donc recevable en appel à solliciter le versement d'une somme de 2 000 euros inférieure à celle demandée en première instance.

15. Mme E... est également recevable à solliciter la confirmation des montants alloués par le juge des référés en première instance au titre des préjudices liés aux souffrances endurées, au préjudice esthétique temporaire, au déficit fonctionnel permanent et au préjudice esthétique permanent.

Sur la recevabilité des conclusions tendant à la condamnation in solidum du centre hospitalier de Troyes et de la société Relyens Mutual Insurance à supporter les sommes retenues par l'huissier en application des articles A 444-31 et suivants du code de commerce :

16. La présente requête relève de la compétence de la juridiction administrative et, en conséquence, de la procédure d'exécution prévue par les dispositions du code de justice administrative. Il suit de là que les conclusions de Mme E... tendant à la condamnation in solidum du centre hospitalier de Troyes et de la société Relyens Mutual Insurance à supporter les sommes retenues par l'huissier en application des articles A 444-31 et suivants du code de commerce sont irrecevables.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

17. Il résulte de l'instruction que le juge des référés a répondu, avec une motivation suffisante, aux arguments et conclusions avancés par les parties. Il suit de là que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'ordonnance attaquée doit être écarté.

Sur la demande de provision :

18. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ". Pour faire application de ces dispositions et regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état.

19. En application du premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie de ce code ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé.

20. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise rendu par le professeur D... que les lésions séquellaires subies par Mme E... résultent d'une complication induite par la compression mécanique liée au pansement posé à la clinique de la main, qui n'a pas été ouvert lors de la consultation du 21 décembre 2015 au service des urgences du centre hospitalier de Troyes. Le centre hospitalier de Troyes et la société Relyens Mutual Insurance imputent l'évolution anormale de la brûlure à un syndrome des loges au niveau de la main au regard notamment du diagnostic posé en ce sens le 21 décembre 2015 par le dermatologue du centre hospitalier de Troyes et du rapport d'expertise amiable remis le 24 mai 2016 par le docteur B.... Cependant, il ressort des réponses aux dires détaillées rédigées par le professeur D... et figurant dans son rapport que la disparition des douleurs de Mme E... après la réalisation du pansement permet à elle seule de réfuter l'existence préalable d'un syndrome des loges, que les loges étant des compartiments dont les parois sont inextensibles, la tension présente à l'intérieur ne peut pas se propager au niveau des tissus environnants et qu'anatomiquement, il n'existe pas de loge musculaire au niveau du carpe. Ces réponses permettent donc d'écarter l'existence de ce syndrome, en l'espèce.

21. Il ressort également du rapport d'expertise que l'évolution de tout pansement expose à l'apparition d'une douleur caractérisant " un pansement serré " résultant de l'apparition d'un œdème d'installation secondaire au niveau des doigts, que, dans la mesure où cet état est reconnu et traité tôt par l'ouverture du pansement, on assiste à un retour à la normale avec disparition des douleur et enfin, s'agissant d'une situation d'urgence, qu'il incombe à tout praticien, qu'il ait ou non réalisé le pansement, de contrôler sa bonne tolérance.

22. En l'espèce, Mme E... s'est présentée au service des urgences du centre hospitalier de Troyes le 21 décembre 2015 vers 23h50 et en est repartie le 22 décembre 2015 vers 1h39 sans que son pansement n'ait été ouvert et sans que sa main n'ait été examinée par un médecin alors qu'elle se plaignait de douleurs intenses. La prise en charge de la patiente par le centre hospitalier de Troyes a donc été défaillante, ce qui constitue une faute dans l'organisation du service de nature à engager sa responsabilité ainsi que celle de son assureur.

23. S'agissant du choix de Mme E... de quitter les urgences sans avoir été examinée, elle soutient sans être sérieusement contredite qu'elle a été informée par le personnel des urgences qu'aucun chirurgien n'était disponible et que son pansement ne pourrait pas être contrôlé avant le lendemain matin. Dès lors, il ne peut être retenu aucune responsabilité à son encontre dans la survenue du dommage. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que si l'intéressée avait pu bénéficier de soins conformes aux règles de l'art, elle n'aurait conservé aucune limitation fonctionnelle au niveau de sa main. En conséquence, il existe un lien direct et certain entre la faute commise par le centre hospitalier de Troyes et les lésions séquellaires subies par Mme E....

24. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'existence de l'obligation n'était pas sérieusement contestable, en l'espèce, et que le centre hospitalier de Troyes et la société Relyens Mutual Insurance ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne les a condamnés à verser une provision à Mme E....

Sur le montant de la provision :

S'agissant des préjudices patrimoniaux de Mme E...:

Quant aux dépenses de santé actuelles :

25. Au regard des pièces produites, Mme E... ne prouve pas que des frais d'intervention et d'hospitalisation sont restés à sa charge après remboursement de la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne et de la Mutuelle Aubeane au-delà de la provision allouée par le premier juge de 396 euros correspondant à des frais d'attèle sur mesure et à des frais de gants compressifs. En revanche, il résulte de l'instruction qu'elle a supporté des frais de franchise de 150 euros qui doivent être pris en compte dans l'indemnité provisionnelle allouée.

Quant aux frais de déplacement :

26. Si Mme E... critique l'absence de prise en compte de ses frais de déplacements et de ceux de membres de son entourage qui l'ont accompagnée pour se rendre à des rendez-vous médicaux et au moment des admissions à l'hôpital dans le calcul de la provision, la mention par la caisse primaire d'assurance maladie des frais de transport dans les prestations payées à son assurée rend incertaine l'évaluation des frais de déplacement restés à sa charge. Il suit de là que la demande de provision présentée à ce titre doit être rejetée.

Quant aux frais liés à l'assistance par tierce personne avant consolidation :

27. Le premier juge avait accordé une provision de 17 130,24 euros s'agissant des frais liés à l'assistance par tierce personne avant consolidation. Néanmoins, en appel, Mme E... ne demande plus que la somme de 12 359,73 euros car elle a bénéficié du versement de la somme de 4770,51 euros au titre de la prestation de compensation du handicap. En conséquence, la provision allouée en première instance doit être ramenée à 12 359,73 euros.

Quant aux dépenses de santé futures :

28. Mme E... invoque à ce titre les frais médicaux futurs correspondant à quinze séances de psychothérapie. Néanmoins, le montant des sommes qui ne sera pas pris en charge par l'assurance maladie ou par sa mutuelle à ce titre n'est pas établi. Il suit de là que la demande de provision présentée à ce titre doit être rejetée.

Quant au préjudice universitaire et de formation :

29. Si Mme E... fait valoir que la survenue du dommage l'a empêchée de réaliser son projet professionnel de devenir traductrice à l'ONU, le seul témoignage de la sœur de l'intéressée ne suffit pas pour estimer que ce projet était suffisamment abouti. Dès lors, il n'y a pas lieu de majorer la provision de 5 000 euros accordée par le juge au titre de ce préjudice.

Quant au préjudice lié au retard de l'intégration dans la vie professionnelle et à la restriction de ses capacités de travail due à son handicap :

30. Mme E... fait valoir, en appel, qu'elle a dû quitter le poste de téléconseillère qu'elle a occupé pendant 2 mois en raison de crampes particulièrement intenses ressenties suite à l'utilisation de l'ordinateur. Néanmoins, l'attestation qu'elle a elle-même rédigé est insuffisante pour justifier que la provision de 5000 euros accordée par le premier juge au titre de ce préjudice soit majorée.

Quant au préjudice lié aux frais d'adaptation du véhicule :

31. S'agissant de ce préjudice, Mme E... se contente de produire un justificatif de rendez-vous pour une leçon de conduite sur un véhicule aménagé le 7 juillet 2023. Elle ne justifie pas avoir obtenu son permis de conduire. Dès lors, ce préjudice ne présente pas un caractère certain et aucune provision ne peut être allouée à ce titre.

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux de Mme E... :

Quant au préjudice lié au déficit fonctionnel temporaire en lien avec la faute

32. Il ne résulte pas de l'instruction et notamment des pièces produites par les parties que la provision de 8000 euros accordée par le premier juge doive être remise en cause ou majorée.

Quant au préjudice d'agrément :

33. Il résulte de l'instruction que Mme E... est inapte à la reprise du basketball qu'elle pratiquait régulièrement ainsi qu'à toute activité sportive ou de loisir exigeant l'usage des deux membres supérieurs. Au regard de l'importance de cette inaptitude, la provision de 500 euros accordée par le premier juge est insuffisante pour réparer ce préjudice et il y a donc lieu d'allouer à l'intéressée une provision de 1500 euros.

Quant au préjudice sexuel :

34. Il résulte de l'instruction et notamment des conclusions de l'expert et du sapiteur psychiatre qu'il n'existe aucun problème mécanique à réaliser l'acte sexuel. Il suit de là qu'aucune provision ne peut être allouée à ce titre.

Quant au préjudice lié au déficit fonctionnel permanent en lien avec la faute :

35. Le centre hospitalier de Troyes et la société Relyens Mutual Insurance soutiennent que le juge des référés n'a procédé à aucune vérification quant à la perception d'une aide dont bénéficierait Mme E... qui aurait pour objet la prise en charge des frais liés à la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne dans les actes de la vie quotidienne. Cependant, aucun élément du dossier ne montre que Mme E... aurait bénéficié d'une telle aide. En conséquence, la provision allouée par le premier juge sur ce point doit être maintenue.

Quant aux préjudices liés aux souffrances endurées, au préjudice esthétique temporaire et au préjudice esthétique permanent :

36. En se bornant à faire valoir de manière très générale que le premier juge a effectué une évaluation excessive des préjudices et que les sommes allouées devront être ramenées à de plus justes proportions, le centre hospitalier de Troyes et la société Relyens Mutual Insurance n'apportent aucun élément permettant de remettre en cause la provision accordée au titre des préjudices liés aux souffrances endurées, au préjudice esthétique temporaire et au préjudice esthétique permanent dont Mme E... demande la confirmation.

Sur les conclusions relatives à la provision accordée à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne :

En ce qui concerne le remboursement des débours :

37. En premier lieu, le centre hospitalier de Troyes fait valoir, à ce titre, que la CPAM du Val-de-Marne inclut à tort dans son attestation d'imputabilité le séjour de Mme E... à la clinique de la main qui s'est déroulé du 22 au 24 décembre 2015. Néanmoins, le séjour en hospitalisation à la clinique de la main de Troyes est consécutif à la faute commise au centre hospitalier de Troyes dans la nuit du 21 au 22 décembre 2015 et a été pris en charge par l'assurance-maladie. La caisse primaire d'assurance-maladie du Val-de-Marne l'a donc justement fait figurer sur son attestation d'imputabilité.

38. Le centre hospitalier de Troyes soutient aussi qu'en l'absence même de faute du service des urgences et si le pansement de la patiente avait pu être ouvert, il est certain que les lésions de sa main directement causées par son accident domestique auraient justifié d'importants traitements et de nouvelles hospitalisations ainsi que des frais médicaux, infirmiers et pharmaceutiques. Toutefois, cette argumentation repose sur une hypothèse qui ne s'est pas déroulée et qui ne peut donner lieu à une réduction des frais accordés à la CPAM en première instance sur cette base.

En ce qui concerne l'indemnité forfaitaire de gestion :

39. Aux termes du neuvième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " En contrepartie des frais qu'elle engage pour obtenir le remboursement mentionné au troisième alinéa ci-dessus, la caisse d'assurance maladie à laquelle est affilié l'assuré social victime de l'accident recouvre une indemnité forfaitaire à la charge du tiers responsable et au profit de l'organisme national d'assurance maladie. Le montant de cette indemnité est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu, dans les limites d'un montant maximum de 910 euros et d'un montant minimum de 91 euros. A compter du 1er janvier 2007, les montants mentionnés au présent alinéa sont révisés chaque année, par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale et du budget, en fonction du taux de progression de l'indice des prix à la consommation hors tabac prévu dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour l'année considérée. ".

40. Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 15 décembre 2022 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2023 : " Les montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale sont fixés respectivement à 115 € et 1 162 € au titre des remboursements effectués au cours de l'année 2023. ".

41. Au regard de ces dispositions, le droit de la CPAM à obtenir l'indemnité forfaitaire de gestion de 1162 euros n'est pas sérieusement contestable. Le juge des référés l'a donc justement accordé sans qu'il soit besoin d'attendre le dépôt d'un recours au fond.

Sur les frais liés au litige :

42. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

ORDONNE:

Article 1er : La somme de 96 542,24 euros que le centre hospitalier de Troyes et la société Relyens Mutual Insurance ont été conjointement condamnées à verser à Mme E... par l'ordonnance du 15 mai 2023 à titre de provision sur son entier préjudice est ramenée à 92 921,73 euros.

Article 2 : L'ordonnance du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est réformée en ce qu'elle a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A... E..., au centre hospitalier de Troyes, à la société Relyens Mutual Insurance, à la mutuelle Aubéane et à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne.

La présidente de la Cour

Signé : P. Rousselle

La République mande et ordonne à la préfète de l'Aube en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 23NC01691


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Numéro d'arrêt : 23NC01691
Date de la décision : 27/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Avocat(s) : PERIER-CHAPEAU ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 01/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2023-09-27;23nc01691 ?
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