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12/03/2024 | FRANCE | N°21NC02439

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 12 mars 2024, 21NC02439


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Pharmacie de l'Esplanade et la société Pharmacie Saint-Urbain ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg, par deux recours distincts, d'annuler l'arrêté du 16 janvier 2019 par lequel le directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) Grand Est a autorisé la SELAS Pharmacie Saint-Thomas à transférer son officine de pharmacie du 8 rue de la Division Leclerc au 2 rue Alice Guy à Strasbourg, ainsi que les décisions implicites de rejet nées du sil

ence gardé par la ministre des solidarités et de la santé sur le recours hiérarchique de ch...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Pharmacie de l'Esplanade et la société Pharmacie Saint-Urbain ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg, par deux recours distincts, d'annuler l'arrêté du 16 janvier 2019 par lequel le directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) Grand Est a autorisé la SELAS Pharmacie Saint-Thomas à transférer son officine de pharmacie du 8 rue de la Division Leclerc au 2 rue Alice Guy à Strasbourg, ainsi que les décisions implicites de rejet nées du silence gardé par la ministre des solidarités et de la santé sur le recours hiérarchique de chacune d'entre elle.

La société Pharmacie Rivetoile a également demandé l'annulation de l'arrêté du 16 janvier 2019.

Par un jugement nos 1904454, 1905453, 1905677 du 15 juillet 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a admis l'intervention de la chambre syndicale des pharmaciens du Bas-Rhin, annulé l'arrêté du 16 janvier 2019 et rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 2 septembre 2021, la SELAS Pharmacie Saint-Thomas, représentée par Me Marcantoni, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les demandes de première instance des sociétés Pharmacie de l'Esplanade, Pharmacie Rivetoile et Pharmacie Saint-Urbain et l'intervention de la chambre syndicale des pharmaciens du Bas-Rhin ;

3°) de mettre à la charge de ces trois sociétés et de la chambre syndicale des pharmaciens du Bas-Rhin une somme de 3 500 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le quartier d'accueil du transfert n'avait pas été correctement délimité, alors qu'aucune disposition ne fait état d'une superficie maximale ou d'un nombre maximal d'habitant d'un quartier, que la délimitation en cause avait été précédemment retenue sans être censurée par le tribunal et que la présence de deux avenues aisément franchissables est sans incidence sur le bien-fondé du périmètre retenu ;

- le tribunal ne pouvait annuler l'arrêté contesté pour ce seul motif, dès lors qu'une erreur quant à la délimitation du quartier d'accueil n'emporte aucune conséquence sur l'appréciation du caractère optimal de la desserte en médicaments de la population ; même en raisonnant à l'échelle d'un quartier plus réduit, délimité par l'avenue Jean Jaurès voire l'avenue du Rhin, le transfert s'effectue néanmoins vers un secteur où l'importante évolution démographique justifie l'implantation d'une nouvelle officine, avec 4 271 habitants pour la nouvelle officine ;

- les autres conditions du transfert sont satisfaites, dès lors que la population d'origine restera desservie par neuf officines dont quatre sont situées en moyenne à 300 mètres de l'emplacement d'origine et que l'accessibilité de l'officine sera favorisée.

Par un mémoire enregistré le 21 octobre 2021, l'ARS Grand Est, représentée par Me Amiet et Me Graff, conclut :

- à l'annulation du jugement du 15 juillet 2021 du tribunal administratif de Strasbourg ;

- au rejet des demandes de première instance des sociétés Pharmacie de l'Esplanade, Pharmacie Rivetoile et Pharmacie Saint-Urbain et de l'intervention de la chambre syndicale des pharmaciens du Bas-Rhin ;

- à ce que le versement d'une somme de 3 000 euros soit mis à la charge des sociétés Pharmacie de l'Esplanade, Pharmacie Rivetoile et Pharmacie Saint-Urbain et de la chambre syndicale des pharmaciens du Bas-Rhin au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé en tant qu'il écarte la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir des demandeurs et en tant qu'il retient une illégalité de l'autorisation de transfert ;

- c'est à tort que les premiers juges ont écarté cette fin de non-recevoir, en l'absence de justification d'un impact sur l'activité des trois pharmacies en question, et plus particulièrement pour la pharmacie de l'Esplanade, dont l'officine n'est pas située dans le quartier litigieux ; l'intervention volontaire de la chambre syndicale aurait dû être déclarée également irrecevable de ce fait, d'autant que son objet statutaire ne lui permet pas d'intervenir dans un litige mettant en cause des intérêts particuliers divergents de pharmaciens, qu'elle ne justifie pas en quoi un transfert d'officine porterait atteinte à l'intérêt général de la profession, ni de ce que les pharmacies demanderesses étaient ses adhérents ;

- c'est à tort que les premiers juges ont ajouté une condition relative à la taille et à la population maximales d'un quartier ;

- c'est à tort que les premiers juges ont mis en cause la délimitation retenue pour le quartier d'accueil du transfert alors que le périmètre retenu est délimité par une limite naturelle et trois infrastructures, qu'il comprend une superficie et une population correspondant à 10 % de la commune de Strasbourg et où la densité est supérieure à la moyenne et que les voies qu'il comprend sont aisément franchissables ;

- les trois conditions cumulatives prévues pour établir le caractère optimal de la desserte en médicaments au regard des besoins de la population résidente sont satisfaites et l'approvisionnement en médicaments de la population résidente du quartier d'origine n'est pas compromise.

Par un mémoire enregistré le 25 octobre 2021, la chambre syndicale des pharmaciens du Bas-Rhin, représentée par Me Daver et Me Fontaine, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle intervient au soutien des demandeurs, puisque l'annulation du jugement porterait une atteinte manifeste au respect des intérêts et droits qu'elle défend, permettant un transfert vers un lieu d'implantation ne respectant pas les conditions posées par la loi ;

- les moyens invoqués par la société requérante ne sont pas fondés ; l'ARS n'a pas respecté les conditions de délimitation du quartier d'accueil, les frontières retenues sont incohérentes et discontinues, il n'y a pas d'unité géographique dans ce quartier immensément étendu ; la population résidant effectivement au sein du secteur qui aurait pu être retenu comme quartier d'accueil ne justifie pas un transfert, qui aurait dû être orienté vers le secteur Starlette ;

- d'autres motifs justifiaient l'annulation de l'autorisation de transfert litigieuse, tenant à l'absence de l'optimisation de la desserte s'agissant du nouvel emplacement et au défaut de délimitation conforme à la réglementation du quartier de départ.

Par un mémoire enregistré le 23 novembre 2021, la SELARL Pharmacie de l'Esplanade, représentée par Me Tabiou, conclut au rejet de la requête et des conclusions de l'ARS Grand Est et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Pharmacie Saint-Thomas une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle justifie de son intérêt pour agir, alors qu'elle est située à moins de 500 mètres du nouvel emplacement envisagé et que le transfert entraînera une perte de patientèle ;

- la pharmacie Saint-Thomas et l'ARS n'ont ni qualité ni intérêt à demander l'annulation du jugement car l'autorisation du transfert est désormais caduque ;

- les difficultés invoquées dans la demande de sursis à exécution ne sont pas établies ;

- c'est à bon droit que les premiers juges ont annulé l'arrêté litigieux, qui était entaché d'erreur manifeste d'appréciation quant à la délimitation du quartier d'accueil, ainsi que d'une erreur de droit en ce qu'il ne mentionne aucun nom de voie, aucune limite naturelle et aucune infrastructure de transport, contrairement à ce qu'exige l'article L. 5 125-3-1 du code de la santé publique.

- le départ compromettrait l'approvisionnement nécessaire en médicaments du quartier d'origine ;

- aucune autorisation ne pouvait être accordée à une SELAS en dissociation qui n'avait pas régularisé sa situation dans les délais impartis, ce qui était le cas de la société Pharmacie Saint-A..., dont la dissolution pouvait intervenir à tout moment ;

- le quartier d'accueil présente une forte densité de pharmacies, la population devait être appréciée restrictivement, certains logements nouveaux correspondants à des relogements, l'offre de soins y est limitée et comprend peu de prescripteurs, l'accessibilité de l'emplacement projeté n'est pas satisfaisante ;

- les pharmacies d'ores et déjà présentes dans le quartier d'accueil permettent une réponse optimale aux besoins en médicaments de la population résidente ;

- la pharmacie Saint-Thomas a déjà déposé une nouvelle demande, reprenant la délimitation appropriée évoquée par les premiers juges.

Par un mémoire enregistré le 22 décembre 2022, la SELARL Pharmacie Rivetoile, représentée par Me Batot, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Pharmacie Saint-Thomas au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le transfert de la pharmacie requérante a été autorisé par un nouvel arrêté du 20 juillet 2022, sur la base d'un quartier d'accueil défini différemment, ce qui confirme l'illégalité de l'arrêté du 16 janvier 2019 ;

- elle justifie d'un intérêt pour agir dès lors qu'elle est l'une des pharmacies les plus proches du lieu d'accueil projeté, situé à 600 mètres, et qu'elle est fortement susceptible d'être impactée par le transfert ;

- c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que le quartier d'accueil avait été incorrectement défini ; la superficie retenue est disproportionnée au regard du caractère urbain des lieux et ne tient pas compte des délimitations naturelles de la zone, difficiles à franchir pour un piéton, et en particulier de l'avenue du Rhin ; il n'a pas été tenu compte de la population déjà présente à proximité de l'emplacement projeté, dans la limite du quartier tel qu'elle aurait dû être fixée, cette population étant suffisamment approvisionnée par les officines existantes, la population existante n'ayant pas vocation à connaître d'évolution significative ;

- l'autorisation de transfert est de nature à aggraver la concentration des officines dans le quartier d'accueil.

Par un mémoire enregistré le 25 septembre 2023, la SELARL Pharmacie Saint-Urbain, représentée par Me Luttringer, conclut au rejet de la requête et des conclusions de l'ARS Grand Est et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Pharmacie Saint-Thomas au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- un arrêté autorisant le transfert a été délivré le 16 décembre 2021, puis retiré le 12 avril 2022, avant qu'une nouvelle autorisation de transfert soit délivrée le 20 juillet 2022 ;

- c'est à bon escient que le tribunal a estimé que le quartier d'accueil retenu dans l'arrêté litigieux était trop étendu géographiquement et démographiquement ; l'avenue du Rhin devait être considérée comme une infrastructure de transport majeur délimitant le quartier ; aucune évolution démographique prévisible ne pouvait être prise en compte ; le transfert projeté ne répond à aucun besoin additionnel en médicaments dans le quartier d'accueil, où il existe déjà un nombre important d'officines ;

- le transfert implique un appauvrissement de la desserte en médicaments dans le quartier d'origine.

Par un courrier du 19 janvier 2024, les parties ont été avisées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de relever d'office qu'il n'y a plus lieu de statuer sur l'appel de la société Pharmacie Saint-Thomas contre le jugement ayant annulé l'autorisation de transfert qui lui avait été délivrée par arrêté du 16 janvier 2019, dès lors qu'une nouvelle autorisation de transfert lui a été délivrée par arrêté du 20 juillet 2022.

Par un courrier du 6 février 2024, les parties ont été avisées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de relever d'office l'irrecevabilité des conclusions d'appel de l'ARS, dès lors que celles-ci ont été présentées après l'expiration du délai d'appel, les écritures de l'ARS devant la cour doivent en revanche être regardées comme des observations.

Par un courrier enregistré le 7 février 2024, qui a été communiqué, l'ARS Grand Est a présenté ses observations sur le moyen susceptible d'être relevé d'office et tiré de la tardiveté de son appel.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- l'ordonnance n° 2018-3 du 3 janvier 2018 ;

- le décret n° 2018-672 du 30 juillet 2018 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Samson-Dye, rapporteure,

- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,

- et les observations de Me Zimmerer, pour la société Pharmacie Saint-Thomas, et de Me Detto, pour la chambre syndicale des pharmaciens du Bas-Rhin.

Considérant ce qui suit :

1. Le 30 juillet 2018, la société Pharmacie Saint-Thomas a déposé une demande de transfert de son officine du 8 rue de la Division Leclerc au 2 rue Alice Guy, à Strasbourg. Cette demande a été déclarée complète le 7 août 2018. Le 8 novembre 2018, le conseil régional de l'ordre des pharmaciens a émis un avis favorable à ce transfert, tandis que le représentant de l'union syndicale des pharmaciens d'officines Grand Est et celui de la fédération des syndicats pharmaceutiques de France ont prononcé des avis défavorables respectivement les 16 et 18 octobre 2018. Par un arrêté du 16 janvier 2019, le directeur général de l'agence régionale de santé Grand Est a autorisé la société Pharmacie Saint-Thomas à transférer son officine. Les sociétés Pharmacie de l'Esplanade, Pharmacie Saint-Urbain et Pharmacie Rivetoile ont introduit des recours hiérarchiques contre cet arrêté respectivement les 21, 27 et 29 mars 2019, qui ont fait l'objet de décisions implicites de rejet par la ministre des solidarités et de la santé. Saisi de trois demandes présentées par ces sociétés, le tribunal administratif de Strasbourg, après avoir admis l'intervention de la chambre syndicale des pharmaciens du Bas-Rhin, a annulé l'arrêté du directeur général de l'ARS Grand Est du 16 janvier 2019. La société Pharmacie Saint-Thomas relève appel de ce jugement, que conteste également l'ARS Grand Est.

Sur la recevabilité des conclusions de l'ARS :

2. Lorsqu'un tiers saisit un tribunal administratif d'une demande tendant à l'annulation d'une autorisation administrative individuelle et que le bénéficiaire de cette autorisation fait seul régulièrement appel dans le délai du jugement de première instance, le juge d'appel peut communiquer pour observations cet appel à la personne qui a délivré cette autorisation, qui était partie au litige en première instance et qui s'est abstenue de faire appel dans les délais.

3. Contrairement à ce que fait valoir l'ARS en réponse au courrier qui lui a été adressé sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, elle ne serait pas recevable à contester, après l'expiration du délai de recours, un jugement annulant une de ses décisions dans le cadre de l'instance introduite par le bénéficiaire de l'autorisation annulée, ses conclusions n'étant susceptibles d'être assimilées ni à un appel incident, ni à un appel provoqué.

4. Il résulte en revanche de l'instruction que le courrier d'accompagnement du jugement à l'ARS mentionnait un envoi d'une copie du jugement pour information, alors que cette institution avait qualité pour faire appel, sur le fondement de l'article R. 811-10-2 du code de justice administrative. Faute pour le jugement d'avoir été régulièrement notifié à l'ARS, le mémoire présenté par cette dernière n'a pas été présenté après l'expiration du délai d'appel. Ses conclusions d'appel sont donc, pour ce motif, recevables.

Sur l'intervention de la chambre départementale des pharmaciens :

5. La chambre syndicale des pharmaciens du Bas-Rhin, qui a pour objet, selon ses statuts, de " défendre les intérêts matériels et moraux des pharmaciens d'officine " du département en question, justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour contester une autorisation de transfert concernant, comme en l'espèce, une officine de pharmacie située dans ce département et pour demander le maintien du jugement ayant annulé cette autorisation. Ainsi, il y a lieu d'admettre son intervention devant la cour.

Sur la régularité du jugement :

6. Le jugement expose, de manière suffisamment précise, les raisons pour lesquelles il estime que les diverses officines mentionnées au point 1 justifient d'un intérêt pour demander l'annulation de l'autorisation de transfert en litige, ainsi que celles l'ayant conduit à estimer que le périmètre retenu pour déterminer le quartier d'accueil était illégal. L'ARS Grand Est n'est donc pas fondée à soutenir que le jugement est insuffisamment motivé.

Sur les fins de non-recevoir opposées aux conclusions de première instance :

7. D'une part, il ressort des pièces du dossier que les pharmacies exploitées par les trois sociétés demanderesses sont situées à des distances comprises entre 500 et 650 mètres de l'emplacement où la pharmacie Saint-Thomas doit être implantée, sur le territoire de la même commune, alors qu'elles étaient substantiellement plus éloignées du lieu d'implantation initial. Dans ces conditions, et au regard de la configuration des lieux, leur activité est susceptible d'être impactée par le transfert autorisé. Dès lors, les sociétés Pharmacie de l'Esplanade, Pharmacie Saint-Urbain et Pharmacie Rivetoile justifient d'un intérêt à demander l'annulation de l'arrêté de transfert litigieux, ainsi que l'ont retenu à juste titre les premiers juges, et contrairement à ce que soutient l'ARS.

8. D'autre part, compte tenu de ce qui précède, l'ARS n'est pas fondée à soutenir que l'irrecevabilité des demandes rend irrecevable l'intervention de la chambre syndicale des pharmaciens du Bas-Rhin venant à leur soutien devant les premiers juges. Par ailleurs, compte tenu de l'objet de cette institution, mentionné au point 5, c'est à bon droit que le tribunal a estimé qu'elle avait intérêt à l'annulation de la décision de transfert et a admis son intervention au soutien des demandes, sans qu'y fasse obstacle les circonstances que le litige oppose diverses officines aux intérêts divergents et que les sociétés demanderesses ne figureraient pas parmi ses adhérents. L'ARS n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont admis l'intérêt à intervenir de cette chambre syndicale et la recevabilité de ses conclusions s'associant à celles des sociétés demanderesses.

Sur la légalité de l'autorisation de transfert :

9. Aux termes de l'article L. 5125-18 du code de la santé publique dans sa version issue de l'ordonnance n° 2018-3 du 3 janvier 2018, applicable au regard de la date à laquelle la demande d'autorisation de transfert a été déclarée complète : " Toute création d'une nouvelle officine, tout transfert d'une officine d'un lieu dans un autre et tout regroupement d'officines sont subordonnés à l'octroi d'une licence délivrée par le directeur général de l'agence régionale de santé selon les conditions prévues aux articles L. 5125-3, L. 5125-3-1, L. 5125-3-2, L. 5125-3-3, L. 5125-4 et L. 5125-5. (...) ". Aux termes de l'article L. 5125-3 du même code : " Lorsqu'ils permettent une desserte en médicaments optimale au regard des besoins de la population résidente et du lieu d'implantation choisi par le pharmacien demandeur au sein d'un quartier défini à l'article L. 5125-3-1, d'une commune ou des communes mentionnées à l'article L. 5125-6-1, sont autorisés par le directeur général de l'agence régionale de santé 1° Les transferts et regroupements d'officines, sous réserve de ne pas compromettre l'approvisionnement nécessaire en médicaments de la population résidente du quartier, de la commune ou des communes d'origine. / L'approvisionnement en médicaments est compromis lorsqu'il n'existe pas d'officine au sein du quartier, de la commune ou de la commune limitrophe accessible au public par voie piétonnière ou par un mode de transport motorisé répondant aux conditions prévues par décret, et disposant d'emplacements de stationnement (...) ". Aux termes de l'article L. 5125-3-1 du même code : " Le directeur général de l'agence régionale de santé définit le quartier d'une commune en fonction de son unité géographique et de la présence d'une population résidente. L'unité géographique est déterminée par des limites naturelles ou communales ou par des infrastructures de transport. / Le directeur général de l'agence régionale de santé mentionne dans l'arrêté prévu au cinquième alinéa de l'article L. 5125-18 le nom des voies, des limites naturelles ou des infrastructures de transports qui circonscrivent le quartier.". Enfin, l'article L. 5125-3-2 précise : " Le caractère optimal de la desserte en médicaments au regard des besoins prévu à l'article L. 5125-3 est satisfait dès lors que les conditions cumulatives suivantes sont respectées : 1° L'accès à la nouvelle officine est aisé ou facilité par sa visibilité, par des aménagements piétonniers, des stationnements et, le cas échéant, des dessertes par les transports en commun ; 2° Les locaux de la nouvelle officine remplissent les conditions d'accessibilité mentionnées à l'article L. 111-7-3 du code de la construction et de l'habitation, ainsi que les conditions minimales d'installation prévues par décret. Ils permettent la réalisation des missions prévues à l'article L. 5125-1-1 A du présent code et ils garantissent un accès permanent du public en vue d'assurer un service de garde et d'urgence ; 3° La nouvelle officine approvisionne la même population résidente ou une population résidente jusqu'ici non desservie ou une population résidente dont l'évolution démographique est avérée ou prévisible au regard des permis de construire délivrés pour des logements individuels ou collectifs. ". Les dispositions de l'article L. 5125-3-1 du code de la santé publique, issues de l'ordonnance n° 2018-3 du 3 janvier 2018 relative à l'adaptation des conditions de création, transfert, regroupement et cession des officines de pharmacie, imposent spécialement au directeur général de l'agence régionale de santé, compte tenu de l'impératif de recherche d'une desserte en médicaments optimale au regard des besoins de la population résidente et du lieu d'implantation choisi par le pharmacien demandeur au sein d'un quartier, de mentionner expressément dans l'arrêté, le nom des voies, limites naturelles ou infrastructure de transports qui circonscrivent le quartier d'accueil du projet de transfert, pour assurer l'information claire et intelligible du public concerné.

10. Alors même que les textes législatifs et réglementaires applicables ne définissent pas de superficie ou de population maximales pour identifier un quartier, un secteur qui comprendrait une population très importante, ou d'une superficie particulièrement étendue, est susceptible, en fonction de la configuration des lieux, d'être regardé comme ne constituant pas une unique unité géographique, au sens et pour l'application des dispositions citées au point précédent, et par suite comme ne pouvant être identifié comme un quartier. Il ne saurait donc, en tout état de cause, être reproché aux premiers juges d'avoir pris en considération l'étendue et la population du quartier d'accueil, parmi d'autres éléments et notamment la présence d'axes de transport, pour mettre en cause la légalité du quartier d'accueil retenu par l'ARS dans l'autorisation de transfert litigieuse.

11. Pour apprécier la condition tenant au caractère optimal du lieu d'implantation choisi, le directeur général de l'ARS Grand Est a défini le quartier d'accueil " Neudorf-Musau " comme étant délimité au nord et à l'ouest par le canal du Rhône au Rhin, au sud par la voie de chemin de fer reliant Strasbourg à Kehl et par les rues de la Musau, du Havre et de La Rochelle et à l'est par la rue de la Plaine des Bouchers. Il ressort toutefois des pièces du dossier que le secteur ainsi délimité est traversé par des axes importants au sud, et en particulier par l'avenue Jean Jaurès, axe à quatre voies, aménagé avec un terre-plein central accueillant les rails du tramway. De plus, ce secteur, situé en zone urbaine densément peuplée, s'étend sur une superficie d'environ huit kilomètres carrés et inclut une population résidente qui est de l'ordre d'un sixième de la population totale de la commune. Il ressort ainsi de la configuration des lieux que, compte tenu notamment de la structure des voies de communication, le quartier d'accueil identifié dans l'arrêté litigieux ne présente pas le caractère d'une unité géographique, au sens des dispositions précitées. La délimitation ainsi adoptée n'a pas permis l'examen, prévu à l'article L. 5125-3 du code de la santé publique, du caractère optimal de la desserte en médicaments au regard des besoins de la population résidente.

12. La société requérante soutient qu'à supposer même que l'ARS ait commis une erreur en adoptant ce périmètre, cette erreur n'emporterait aucune conséquence quant à l'appréciation du caractère optimal de la desserte en médicaments de la population, car même en retenant l'avenue Jean Jaurès, voire l'avenue du Rhin, comme limite sud, le transfert serait toujours effectué vers un secteur dont l'importante évolution démographique justifierait l'implantation d'une nouvelle officine. Cependant, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'administration aurait pris la même décision si elle avait retenu un périmètre différent pour la délimitation du quartier d'accueil, alors notamment que la prise en compte d'un quartier d'accueil plus restreint avait conduit l'ARS à refuser, dans un premier temps, l'autorisation de transfert sollicitée par la SELAS Pharmacie Saint-Thomas, par une décision du 22 novembre 2018. Au surplus, l'administration est seule susceptible de demander une substitution de motifs et l'ARS n'a pas soutenu, que ce soit devant la cour ou devant le tribunal, qu'elle aurait pris la même décision si elle avait apprécié les conditions de délivrance de l'autorisation de transfert au regard d'un périmètre distinct.

13. Il suit de là que ni la SELAS Pharmacie Saint-Thomas, ni l'ARS Grand Est ne sont fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté du 16 janvier 2019 portant autorisation de transfert. Leurs appels doivent donc être rejetés, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la SELARL Pharmacie de l'Esplanade.

Sur les frais de l'instance :

14. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par la SELAS Pharmacie Saint-Thomas et l'ARS Grand Est, parties perdantes, doivent dès lors être rejetées.

15. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur le même fondement par les sociétés Pharmacie de l'Esplanade, Pharmacie Saint-Urbain et Pharmacie Rivetoile, ainsi que par la chambre syndicale des pharmaciens du Bas-Rhin, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité des conclusions de cette dernière.

D E C I D E :

Article 1er : L'intervention de la chambre syndicale des pharmaciens du Bas-Rhin est admise.

Article 2 : La requête de la SELAS Pharmacie Saint-Thomas est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de l'agence régionale de santé Grand Est sont rejetées.

Article 4 Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Pharmacie Saint-Thomas, à la société Pharmacie de l'Esplanade, à la société Pharmacie Saint-Urbain, à la société Pharmacie Rivetoile, à la ministre du travail, de la santé et des solidarités et à la chambre syndicale des pharmaciens du Bas-Rhin.

Copie en sera adressée à l'agence régionale de santé Grand Est.

Délibéré après l'audience du 13 février 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Samson-Dye, présidente,

- Mme Roussaux, première conseillère,

- Mme Picque, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 mars 2024.

La présidente-rapporteure,

Signé : A. Samson-DyeL'assesseure la plus ancienne,

Signé : S. Roussaux

La greffière,

Signé : M. A...

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

M. A...

2

N° 21NC02439


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NC02439
Date de la décision : 12/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme SAMSON-DYE
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON-DYE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : FIDAL DIRECTION PARIS

Origine de la décision
Date de l'import : 17/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-12;21nc02439 ?
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