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30/04/2024 | FRANCE | N°22NC01016

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 30 avril 2024, 22NC01016


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 9 juillet 2020 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé à son encontre la sanction disciplinaire de mise à la retraite d'office.





Par un jugement n° 2005235 du 24 février 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.





Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 25 avr

il 2022, M. C... B..., représenté par Me Ferry, demande à la cour :





1°) d'annuler ce jugement ;



2°) d'annuler l'a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 9 juillet 2020 par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé à son encontre la sanction disciplinaire de mise à la retraite d'office.

Par un jugement n° 2005235 du 24 février 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 25 avril 2022, M. C... B..., représenté par Me Ferry, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du ministre de l'intérieur du 9 juillet 2020 ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de procéder à sa réintégration rétroactive dans un emploi identique ou équivalent à celui qu'il occupait, avec les mêmes droits et la même ancienneté, dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, et d'en tirer toutes les conséquences en procédant notamment à la reconstitution de sa carrière, de sa rémunération, de ses droits sociaux, de ses droits à pension de retraite, à compter de la date de mise à la retraite d'office, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de condamner l'Etat à lui verser, d'une part, une somme équivalant aux salaires qu'il aurait perçus entre le 24 juillet 2020 et le jour de sa réintégration effective, s'il n'avait pas été mis à la retraite d'office, au titre de dommages et intérêts, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter de la date d'effet de la mise à la retraite, et d'autre part une somme de 4 500 euros au titre du préjudice moral subi ;

5°) d'ordonner qu'il bénéficie de son grade de brigadier-chef, de son inscription au tableau de major depuis 2017, de son indice de traitement, de sa bonification de retraite et de la récupération de l'intégralité de son reliquat de congés accumulés ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'arrêté litigieux se fonde sur des faits matériellement inexacts, retenant à tort qu'il aurait sollicité le concours de son coéquipier pour l'installation d'un dictaphone dans le véhicule de service de ses collègues ;

- la sanction est entachée d'erreur dans la qualification juridique des faits, il n'a pas manqué à ses obligations déontologiques, les autres circonstances invoquées dans l'arrêté ne présentaient pas le caractère de faute disciplinaire ;

- l'arrêté litigieux est entaché d'erreur de droit ; il n'a pas été condamné par le juge pénal ; l'autorité absolue de la chose jugée par le juge pénal concernant la constatation matérielle des faits s'impose à l'administration ;

- la sanction prononcée à son encontre est disproportionnée.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 juillet 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les moyens invoqués ne sont pas fondés ;

- les conclusions indemnitaires sont irrecevables, dès lors qu'elles sont présentées pour la première fois en appel et qu'elles n'ont pas été précédées d'une réclamation préalable ;

- l'existence des préjudices invoqués n'est pas établie et il n'est pas justifié des sommes demandées.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;

- le décret n° 97-464 du 9 mai 1997 ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Samson-Dye,

- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... est entré dans les cadres de la police nationale le 6 avril 1999 en qualité d'élève gardien de la paix et a été titularisé le 1er avril 2000. Promu brigadier-chef le

1er juillet 2014, il a été affecté au sein d'une des brigades de nuit de la circonscription de sécurité publique (CSP) de Freyming-Merlebach du 1er mars 2017 au 31 août 2019, avant d'être affecté à la CSP de Nancy. Par un arrêté du 9 juillet 2020, le ministre de l'intérieur l'a mis à la retraite d'office, à titre disciplinaire. M. B... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet acte.

2. L'article R. 434-27 du code de la sécurité intérieure dispose : " Tout manquement du policier ou du gendarme aux règles et principes définis par le présent code de déontologie l'expose à une sanction disciplinaire en application des règles propres à son statut, indépendamment des sanctions pénales encourues le cas échéant ". Aux termes de l'article R. 434-2 du code de la sécurité intérieure, qui s'insère au sein des dispositions constituant le code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale : " (...) Au service des institutions républicaines et de la population, policiers et gendarmes exercent leurs fonctions avec loyauté, sens de l'honneur et dévouement ". L'article R. 434-3 de ce code précise que : " Les règles déontologiques énoncées par le présent code de déontologie (...) définissent les devoirs qui incombent aux policiers et aux gendarmes dans l'exercice de leurs missions de sécurité intérieure pendant ou en dehors du service et s'appliquent sans préjudice des règles statutaires et autres obligations auxquelles ils sont respectivement soumis (...) ". L'article R. 434-5 du même code prévoit que : " I. - Le policier ou le gendarme exécute loyalement et fidèlement les instructions et obéit de même aux ordres qu'il reçoit de l'autorité investie du pouvoir hiérarchique, sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 434-12 de ce code : " Le policier ou le gendarme ne se départ de sa dignité en aucune circonstance. / En tout temps, dans ou en dehors du service, y compris lorsqu'il s'exprime à travers les réseaux de communication électronique sociaux, il s'abstient de tout acte, propos ou comportement de nature à nuire à la considération portée à la police nationale et à la gendarmerie nationale. Il veille à ne porter, par la nature de ses relations, aucune atteinte à leur crédit ou à leur réputation. ".

3. Après avoir rappelé le contexte délétère au sein du service de roulement de nuit, l'arrêté litigieux énonce notamment qu'au mois de décembre 2017, M. B... a décidé, sans en aviser sa hiérarchie, de mener une enquête personnelle dans le but de confondre l'un de ses collègues, qu'il soupçonnait d'avoir bloqué sa carte professionnelle par malveillance, en enregistrant secrètement les conversations privées de celui-ci durant le service. Il est précisé qu'à cette fin, le requérant a sollicité le concours de son coéquipier récemment titularisé et placé sous son autorité pour installer un dispositif discret d'enregistrement dans le véhicule de service du chef de la brigade et de son binôme lors de leur vacation du 7 au 8 décembre 2017. En outre, l'arrêté contesté mentionne que pour convaincre son coéquipier, le requérant l'a assuré à tort de la légalité de cette opération comme moyen de preuve et qu'après avoir récupéré auprès de celui-ci l'enregistrement sonore des échanges entre les deux gradés qui avaient tenus des propos injurieux à l'encontre de plusieurs de leurs collègues et d'eux-mêmes, il a rédigé le 4 janvier 2018 un rapport à sa hiérarchie. L'arrêté litigieux indique également que l'intéressé a cautionné la démarche de son coéquipier qui a informé délibérément les autres agents concernés en faisant entendre des extraits de conversation des deux policiers mis sur écoute, à l'insu de ces derniers. Il précise que, par son comportement, M. B... a contribué à exacerber les tensions déjà vives au sein du service et que le chef de brigade, dont l'état de santé psychologique s'est progressivement dégradé après ces faits, s'est donné la mort le 21 janvier 2018. Enfin, l'arrêté attaqué conclut que les faits reprochés à M. B... constituent de très graves manquements aux obligations statutaires et déontologiques, à savoir aux devoirs d'exemplarité, par un comportement indigne des fonctions tenu dans le cadre du service, et de loyauté qui s'imposent aux fonctionnaires de la police nationale, a fortiori à des gradés. Pour déterminer la sanction à infliger à l'intéressé, la décision contestée a tenu compte d'une part, de la dégradation des relations professionnelles perdurant depuis plusieurs années au sein du service, des défaillances de la hiérarchie à la fois dans la gestion des conflits et dans la protection due aux subordonnés ainsi que d'autre part, des difficultés personnelles et de l'état de santé défaillant du requérant consécutivement aux faits.

4. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 3, les manquements disciplinaires reprochés ne portent pas sur le fait que M. B... aurait commis une infraction pénale, mais sur un manquement à ses obligations déontologiques. La circonstance qu'il a été relaxé des faits d'atteinte à l'intimité de la vie privée par captation, enregistrement ou transmission des paroles d'une personne, par un jugement du tribunal correctionnel de Sarreguemines du 21 octobre 2019, ne fait donc pas obstacle à ce qu'il fasse l'objet d'une sanction disciplinaire au titre des faits mentionnés au point précédent. Par ailleurs, ce jugement, dont il est constant qu'il n'est pas devenu définitif, se borne à relaxer M. B... et M. A... aux motifs, d'une part, que les propos enregistrés et ensuite transmis ne concernaient pas la vie privée des policiers en question et, d'autre part, que l'élément moral de l'infraction n'est pas caractérisé, puisque les accusés n'avaient aucunement pour intention de surprendre des conversations intimes mais souhaitaient rapporter la preuve de comportements professionnels dysfonctionnels. Les motifs qui constituent le soutien nécessaire de ce jugement ne sont ainsi pas de nature à mettre en cause, en toute hypothèse, la matérialité des faits mentionnés dans l'arrêté litigieux. Le moyen tiré de ce que la sanction serait entachée d'erreur de droit, en l'absence de condamnation pénale et au regard de l'autorité de la chose jugée par le juge pénal en ce qui concerne la constatation matérielle des faits, doit être écarté.

5. En deuxième lieu, M. B... soutient que l'arrêté le sanctionnant est entaché d'erreur de fait, au motif que c'est son coéquipier, M. A..., qui a proposé d'utiliser son dictaphone et qui l'a posé dans le véhicule de fonction de leurs collègues. Toutefois, la décision contestée ne reproche pas au requérant d'avoir placé lui-même le dispositif, mais d'avoir eu l'idée d'enregistrer secrètement les conversations de l'un de ses collègues pendant le service, d'avoir sollicité le concours de son coéquipier, et de l'avoir convaincu en l'assurant de la légalité de cette opération comme moyen de preuve. L'existence de telles initiatives de la part de M. B... est établie au regard des déclarations que lui-même et M. A... ont effectuées au cours de l'enquête administrative, et qui sont produites par le ministre. Le jugement du tribunal correctionnel de Sarreguemines du 21 octobre 2019, qui les a tous deux relaxés des faits d'atteinte à l'intimité de la vie privée par captation, enregistrement ou transmission des paroles d'une personne, ne comporte en outre, en tout état de cause, pas de mention permettant d'exclure toute intervention de M. B... dans la mise en œuvre de ces écoutes, mais indique qu'il n'est pas contesté que les prévenus ont pris de concert la décision d'installer un enregistreur. Le moyen tiré de l'erreur de fait doit donc être écarté.

6. En troisième lieu, et indépendamment des motifs qui ont pu conduire M. B... à initier un tel stratagème, la démarche consistant à faire enregistrer secrètement les conversations de ses collègues, puis le fait d'avoir, à tout le moins, cautionné la démarche de son co-équipier ayant abouti à la diffusion des enregistrements ainsi obtenus auprès d'autres membres de l'équipe, ce qui a eu pour effet d'exacerber les tensions déjà prégnantes dans le service, constituent des manquements à ses obligations déontologiques de loyauté, de dignité et d'exemplarité. Ces agissements présentent donc le caractère de faute disciplinaire. La circonstance que la transmission à sa hiérarchie d'un rapport relatant les enregistrements et accusant ses collègues de divers faits ne serait pas, par elle-même, fautive, est sans incidence sur l'existence des fautes précédemment mentionnées, tout comme le fait que certaines des accusations portées dans ce rapport ne résulteraient pas d'une appréciation arbitraire, contrairement à ce qu'indique, à titre surabondant, l'arrêté litigieux. M. B... n'est, par suite, pas fondé à soutenir que l'arrêté est entaché d'une erreur dans la qualification juridique des faits.

7. En quatrième lieu, il est vrai que M. B... avait reçu à plusieurs reprises des félicitations de sa hiérarchie, qu'il justifie de bons états de service et qu'il n'a jamais fait l'objet d'une condamnation disciplinaire. Pour autant, les manquements précédemment mentionnés, quand bien même ils ne sont pas constitutifs de comportements répétés, sont incompatibles avec la qualité de fonctionnaire de police, à l'égard duquel une exemplarité particulière est attendue. Ils se sont, de plus, inscrits dans un contexte de tensions particulières opposant les membres de plusieurs équipes de la CSP de Freyming-Merlebach, ayant abouti au suicide de l'un des policiers dont les conversations ont été enregistrées. La gravité de ces manquements ne saurait être atténuée par les allégations de M. B..., à les supposer avérées, quant au rôle de sa hiérarchie ayant abouti au suicide de ce collègue. Dans ces conditions, la sanction de mise à la retraite d'office n'est pas disproportionnée.

8. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du ministre de l'intérieur du 9 juillet 2020, ni à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande. Sa requête doit donc être rejetée dans toutes ses conclusions, y compris celles à fin d'injonction, à fin indemnitaire sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre et tendant à l'octroi d'une somme au titre des frais non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 2 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Samson-Dye, présidente-assesseure,

- M. Denizot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2024

La rapporteure,

Signé : A. Samson-Dye

La présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 22NC01016


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC01016
Date de la décision : 30/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: Mme Aline SAMSON-DYE
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : CABINET FILOR - JURI-FISCAL

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-30;22nc01016 ?
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