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30/04/2024 | FRANCE | N°22NC01055

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 4ème chambre, 30 avril 2024, 22NC01055


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. G... D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du

16 novembre 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin l'a obligé à quitter le territoire français en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé, et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de deux années.





Par une ordonnance n° 2108040 du 7 décembre 2

021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.





P...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... D... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du

16 novembre 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin l'a obligé à quitter le territoire français en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé, et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de deux années.

Par une ordonnance n° 2108040 du 7 décembre 2021, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 28 avril 2022, M. D..., représenté par Me Hentz, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 7 décembre 2021 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 16 novembre 2021 pris à son encontre par la préfète du Bas-Rhin ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer sa situation administrative et de lui délivrer pendant cet examen une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 155 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Hentz, avocat de M. D..., de la somme de 1 500 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- sa demande de première instance est recevable ;

- dans la mesure où il établit l'existence des décisions contestées, l'ordonnance attaquée doit être annulée ;

s'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- il a été privé de son droit à être entendu avant qu'une mesure d'éloignement ne soit prise à son encontre ;

- en méconnaissance du 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, compte tenu de sa durée de présence en France et de l'absence de menace à l'ordre public que son comportement constitue, il ne pouvait faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ;

- en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la décision porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale ;

- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle ;

- en méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, la décision méconnaît l'intérêt supérieur de ses enfants ;

s'agissant de la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire :

- la décision a été prise par une autorité incompétente ;

- dans la mesure où son comportement ne constitue pas une menace à l'ordre public et qu'il ne présentait pas de risque de fuite, la préfète ne pouvait refuser de lui accorder un délai de départ volontaire ;

s'agissant de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français :

- la décision a été prise par une autorité incompétente ;

- la décision est illégale par voie de conséquence ;

- en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la décision porte une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mars 2024, la préfète du Bas-Rhin conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du

29 mars 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Denizot, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant bosnien né le 16 novembre 1997, est entré régulièrement en France le 20 novembre 2017, sous couvert d'un passeport biométrique, en vue de solliciter la reconnaissance du statut de réfugié. Par une décision du 29 juin 2018, la demande d'asile formée par M. D... a été rejetée par l'Office français pour la protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). M. D... a fait l'objet de deux obligations de quitter le territoire français, prises les 15 février 2019 et 12 mars 2021 par le préfet du Doubs. M. D... a effectivement quitté le territoire français le 28 janvier 2020. M. D... a été écroué à la maison d'arrêt de Strasbourg le 7 octobre 2021 et condamné par un jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg le 21 octobre 2021 à une peine de deux mois d'emprisonnement pour refus par un étranger de se soumettre aux modalités de transport et aux obligations sanitaires nécessaires à l'exécution d'office d'une mesure d'éloignement. Par un arrêté du 16 novembre 2021, la préfète du Bas-Rhin a obligé M. D... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être renvoyé et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois. Par une décision du 23 novembre 2021, la préfète du Bas-Rhin a placé M. D... en rétention administrative. M. D... relève appel de l'ordonnance du 7 décembre 2021 par laquelle le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté comme irrecevable sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Il ressort des pièces du dossier que par un arrêté du 16 novembre 2021, la préfète du

Bas-Rhin a obligé M. D... à quitter, sans délai, le territoire français, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois. Le

23 novembre 2021, la préfète du Bas-Rhin a placé M. D... en rétention administrative. Il ressort également des échanges électroniques entre le conseil de M. D... et la préfecture du Bas-Rhin que cet arrêté n'avait pas été communiqué au conseil de M. D... alors que l'intéressé avait été informé de son éloignement. Au demeurant, dans le cas d'un étranger placé en rétention administrative, en vertu de l'article R. 776-18 du code de justice administrative, il appartenait à la préfète du Bas-Rhin de produire les décisions attaquées. Ainsi, et contrairement à ce qu'a indiqué le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg dans l'ordonnance attaquée, la demande de M. D... tendant à l'annulation de l'arrêté du 23 novembre 2021, quand bien même son identification précise n'avait pas été réalisée par l'intéressé, n'était pas dirigée contre des décisions inexistantes.

3. Il résulte de ce qui précède que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande comme irrecevable. L'ordonnance attaquée est irrégulière et doit donc être annulée.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Strasbourg.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

5. En premier lieu, la décision contestée, qui vise notamment les 2° et 5° de l'article

L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et qui fait état de la menace à l'ordre public que son comportement constitue et du maintien de l'intéressé en situation irrégulière, comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Cette décision est donc suffisamment motivée, contrairement à ce qu'allègue M. D....

6. En deuxième lieu, ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé, notamment par son arrêt C-383/13 M. A..., N. R./Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie du 10 septembre 2013, les auteurs de la directive du 16 décembre 2008, s'ils ont encadré de manière détaillée les garanties accordées aux ressortissants des Etats tiers concernés par les décisions d'éloignement ou de rétention, n'ont pas précisé si et dans quelles conditions devait être assuré le respect du droit de ces ressortissants d'être entendus, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union européenne. Si l'obligation de respecter les droits de la défense pèse en principe sur les administrations des Etats membres lorsqu'elles prennent des mesures entrant dans le champ d'application du droit de l'Union, il appartient aux Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles doit être assuré, pour les ressortissants des Etats tiers en situation irrégulière, le respect du droit d'être entendu. Ce droit, qui se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts, ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause.

7. Dans le cadre ainsi posé, et s'agissant plus particulièrement des décisions relatives au séjour des étrangers, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé, dans ses arrêts C-166/13 Sophie Mukarubega du 5 novembre 2014 et C-249/13 Khaled Boudjlida du 11 décembre 2014 visés ci-dessus, que le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Ce droit n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.

8. Enfin, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment de son arrêt du 10 septembre 2013 que toute irrégularité dans l'exercice des droits de la défense lors d'une procédure administrative concernant un ressortissant d'un pays tiers en vue de son éloignement ne saurait constituer une violation de ces droits et, en conséquence, que tout manquement, notamment, au droit d'être entendu n'est pas de nature à entacher systématiquement d'illégalité la décision prise. Il revient à l'intéressé d'établir devant le juge chargé d'apprécier la légalité de cette décision que les éléments qu'il n'a pas pu présenter à l'administration auraient pu influer sur le sens de cette décision et il appartient au juge saisi d'une telle demande de vérifier, lorsqu'il estime être en présence d'une irrégularité affectant le droit d'être entendu, si, eu égard à l'ensemble des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, cette violation a effectivement privé celui qui l'invoque de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent.

9. Il ressort des pièces du dossier, que par un courrier notifié le 9 novembre 2021, M. D... a été informé, dans une langue qu'il comprenait, de la possibilité qu'une mesure d'éloignement soit prise à son encontre. M. D..., qui a produit des documents en réponse à ce courrier et formulé des observations par l'intermédiaire de son conseil le 11 novembre 2021, n'établit pas que l'administration aurait pris une décision différente au regard des éléments qu'il n'aurait pas pu communiquer. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit, en conséquence, être écarté.

10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré ou, n'étant pas soumis à l'obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré ; (...) 5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public (...) ".

11. Il ressort des pièces du dossier que pour obliger M. D... à quitter le territoire français, la préfète du Bas-Rhin s'est fondé à la fois sur le 2° et sur le 5° de l'article L. 611-1 du code précité. Si M. D... fait valoir que son comportement ne constitue pas une menace à l'ordre public, il ne conteste toutefois pas le motif relatif à son maintien irrégulier sur le territoire français. Il résulte de l'instruction que sur la base de ce seul motif, la préfète du Bas-Rhin pouvait prendre à l'encontre de M. D... une obligation de quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré de ce que le comportement de M. D... ne constitue pas une menace à l'ordre public doit être écarté.

12. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

13. Il ressort des pièces du dossier que M. D... serait entré en France en novembre 2017 et a été effectivement éloigné vers la Bosnie le 28 janvier 2020. M. D... fait valoir qu'il réside avec

Mme C... F..., ressortissante bosnienne, qui dispose d'une carte de séjour pluriannuelle valable jusqu'au 18 juillet 2023 et qui est mère de deux enfants français, nés d'une précédente union. En outre, M. D... et Mme F... ont eu un enfant, né le 23 avril 2019, que M. D... a reconnu le 7 juin 2019. Toutefois, si M. D... indique être marié avec Mme F..., sans néanmoins l'établir, l'intéressé, en se bornant à produire des attestations de son entourage ou de Mme F..., qui a seulement indiqué l'héberger à son domicile, ne justifie pas de la réalité et de l'intensité des liens avec Mme F... et leur enfant. A ce titre, le 19 juillet 2021, dans le cadre d'une démarche relative à la déclaration d'un changement de situation auprès de la caisse d'allocations familiales, Mme F... a uniquement indiqué que " elle reprenait une vie commune avec mon conjoint depuis le 17 juillet 2021 " et qu'il s'agissait " du retour d'un ancien conjoint ". Dans ces conditions, compte tenu de l'absence attestée d'une relation ancienne et stable avec Mme F... ainsi que de l'absence de tout élément étayant la nature de sa relation avec son enfant, M. D... n'est pas fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français porterait au droit de M. D... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Dès lors, le moyen tiré de l'inexacte application des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

14. En cinquième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Pour les mêmes motifs qu'exposés précédemment, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas été prise en méconnaissance des stipulations précitées.

15. En dernier lieu, pour les mêmes motifs qu'exposés précédemment, il ne ressort pas des pièces du dossier que la préfète du Bas-Rhin aurait commis une appréciation manifestement erronée des conséquences de la décision portant obligation de quitter le territoire sur la situation personnelle et familiale de l'intéressé.

Sur la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire :

16. En premier lieu, il résulte de ce qui précède qu'il n'est pas établi que la décision portant obligation de quitter le territoire français serait illégale. Par suite, M. D... n'est pas fondé à en exciper l'illégalité à l'encontre de la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire.

17. En deuxième lieu, par un arrêté du 20 octobre 2021, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du 22 octobre 2021, la préfète du Bas-Rhin a donné délégation à M. B... E..., directeur des migrations et de l'intégration, à l'effet de signer tous actes et décisions relevant des attributions dévolues à la direction des migrations et de l'intégration, à l'exception de certaines décisions au nombre desquelles ne figure pas la décision en litige. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de M. E..., signataire de la décision attaquée, manque en fait et doit être écarté.

18. En troisième lieu, la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Cette décision est donc suffisamment motivée contrairement à ce qu'allègue M. D....

19. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; / 2° L'étranger s'est vu refuser la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour au motif que sa demande était manifestement infondée ou frauduleuse ; / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) 2° L'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement (...) 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au 3° de l'article L. 142-1, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 721-6 à L. 721-8, L. 731-1, L. 731-3, L. 733-1 à L. 733-4, L. 733-6, L. 743-13 à L. 743-15 et L. 751-5 ".

20. Il ressort des pièces du dossier que M. D... s'est maintenu sur le territoire au-delà de la validité de son visa. En outre, M. D... a fait l'objet d'une précédente obligation de quitter le territoire français, prise à son encontre le 12 mars 2021 par le préfet du Doubs. Il se trouvait ainsi entrer dans les cas prévus de l'article L. 612-3 précité, permettant de regarder comme établi, sauf circonstance particulière, le risque qu'il se soustraie à l'obligation qui lui avait été faite de quitter le territoire français. Pour ce seul motif, et à supposer même que le comportement de M. D... ne constitue pas une menace à l'ordre public, la préfète du Bas-Rhin pouvait refuser d'accorder un délai de départ volontaire à l'intéressé.

Sur la décision fixant le pays de destination :

21. En premier lieu, il résulte de ce qui précède qu'il n'est pas établi que la décision portant obligation de quitter le territoire français serait illégale. Par suite, M. D... n'est pas fondé à en exciper l'illégalité à l'encontre de la décision fixant le pays à destination duquel il pourra être renvoyé.

22. En deuxième lieu, la décision fixant le pays de destination vise l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et fait état de l'absence de risques de traitements inhumains ou dégradants auxquels serait exposé M. D... en cas de retour dans son pays d'origine. La décision fixant le pays de destination, qui comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, est donc suffisamment motivée, contrairement à ce qu'allègue M. D....

23. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".

24. Si M. D... soutient qu'il encourt des risques de traitements inhumains ou dégradants, il n'établit pas la réalité des risques personnels auxquels il serait exposé en cas de retour dans son pays d'origine. Dans ces conditions, le moyen tiré de la violation des stipulations et dispositions précitées doit être écarté.

Sur la décision d'interdiction de retour sur le territoire français :

25. En premier lieu, il résulte de ce qui précède qu'il n'est pas établi que la décision portant obligation de quitter le territoire français serait illégale. Par suite, M. D... n'est pas fondé à en exciper l'illégalité à l'encontre de la décision lui interdisant de retourner sur le territoire français.

26. En deuxième lieu, par un arrêté du 20 octobre 2021, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du 22 octobre 2021, la préfète du Bas-Rhin a donné délégation à M. B... E..., directeur des migrations et de l'intégration, à l'effet de signer tous actes et décisions relevant des attributions dévolues à la direction des migrations et de l'intégration, à l'exception de certaines décisions au nombre desquelles ne figure pas la décision en litige. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de M. E..., signataire de la décision attaquée, manque en fait et doit être écarté.

27. En troisième lieu, la décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.

28. La décision portant interdiction de retour sur le territoire vise les articles L. 612-6 et

L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et mentionne que l'examen de la situation de l'intéressé a été fait en tenant compte des critères cités par ce dernier article, que

M. D... a fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement, qu'il ne peut se prévaloir de l'intensité de liens avec la France et que le comportement de l'intéressé constitue une menace à l'ordre public. La préfète du Bas-Rhin a ainsi motivé sa décision avec tous les critères prévus à l'article L. 612-10 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le moyen tiré de ce que la décision serait insuffisamment motivée doit être écarté comme manquant en fait.

29. En quatrième lieu, pour les mêmes motifs qu'exposés précédemment, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision interdisant à M. D... de retourner sur le territoire français aurait été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

30. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ". Il résulte de ces dispositions que lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, le préfet assortit, en principe et sauf circonstances humanitaires, l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour. La durée de cette interdiction doit être déterminée en tenant compte des critères tenant à la durée de présence en France, à la nature et l'ancienneté des liens de l'intéressé avec la France, à l'existence de précédentes mesures d'éloignement et à la menace pour l'ordre public représentée par la présence en France de l'intéressé.

31. Si M. D... soutient que la préfète du Bas-Rhin aurait commis une erreur dans l'appréciation des circonstances humanitaires qu'il a pu faire valoir, il n'assortit cependant son moyen d'aucune justification permettant d'en apprécier le bien-fondé.

32. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 16 novembre 2021, par lequel la préfète du Bas-Rhin l'a obligé à quitter, sans délai, le territoire français, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit de retourner sur le territoire français pour une durée de vingt-quatre mois. Par voie de conséquence, les conclusions de la requête aux fins d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : L'ordonnance n° 2108040 du 7 décembre 2021 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg est annulée.

Article 2 : La demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Strasbourg et le surplus des conclusions de la requête sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... D..., à Me Hentz et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

Délibéré après l'audience du 2 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- M. Denizot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2024.

Le rapporteur,

Signé : A. Denizot

La présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : N. Basso

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N. Basso

2

N° 22NC01055


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC01055
Date de la décision : 30/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GHISU-DEPARIS
Rapporteur ?: M. Arthur DENIZOT
Rapporteur public ?: M. MICHEL
Avocat(s) : HENTZ

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-30;22nc01055 ?
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