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20/10/2011 | FRANCE | N°10NT00693

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 20 octobre 2011, 10NT00693


Vu la requête, enregistrée le 12 avril 2010, présentée pour M. Thierry A et Mme Séverine A, demeurant ..., par Me Vouin, avocat au barreau de Bordeaux ; M. et Mme A demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 07-2165 du 11 février 2010 du tribunal administratif de Caen en tant qu'il a limité à 15 000 euros la somme que le centre hospitalier de Saint-Lô a été condamné à leur verser à chacun en réparation du préjudice moral subi à raison du décès de leurs enfants Nicolas et Camille ;

2°) de condamner ledit établissement à leur verser la somme tota

le de 100 000 euros chacun ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Sai...

Vu la requête, enregistrée le 12 avril 2010, présentée pour M. Thierry A et Mme Séverine A, demeurant ..., par Me Vouin, avocat au barreau de Bordeaux ; M. et Mme A demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 07-2165 du 11 février 2010 du tribunal administratif de Caen en tant qu'il a limité à 15 000 euros la somme que le centre hospitalier de Saint-Lô a été condamné à leur verser à chacun en réparation du préjudice moral subi à raison du décès de leurs enfants Nicolas et Camille ;

2°) de condamner ledit établissement à leur verser la somme totale de 100 000 euros chacun ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Lô la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Ils soutiennent :

- que l'enfant Nicolas n'a pas bénéficié des soins post-natals appropriés faute de diagnostic initial ;

- qu'ils ont été privés des informations relatives aux risques encourus en cas de nouvelle grossesse ;

- que l'absence d'autopsie est sans incidence sur la portée de la faute dès lors que l'enfant a survécu six mois et qu'aucun des examens utiles n'ont été pratiqués pendant cette période ; qu'il n'ont pas été clairement informés de la nécessité de l'autopsie confiée à un pathologiste spécialisé en neuro-pédiatrie en vue de la recherche d'une éventuelle pathologie alors que leur fils est décédé d'une infection pulmonaire et que l'existence d'une pathologie d'ordre génétique avait été exclue ; que le tribunal administratif ne pouvait réduire la responsabilité du centre hospitalier à raison de leur refus de faire pratiquer une expertise ;

- qu'ils ont été privés de la possibilité de renoncer à une nouvelle grossesse à risque et que leur préjudice moral doit être intégralement réparé ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire, enregistré le 20 juillet 2010, présenté par la caisse primaire d'assurance maladie de la Manche, qui indique qu'elle ne souhaite pas intervenir dans le cadre de la présente affaire ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 24 novembre 2010, présenté pour le centre hospitalier de Saint-Lô, par Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à ce que le jugement attaqué soit annulé en tant qu'il a reconnu sa responsabilité ;

Il soutient :

- que les époux A ont été informés de la nécessité de faire pratiquer une autopsie sur le corps de leur premier enfant ; qu'ils n'ont pas souhaité rencontrer le docteur Laisney, chef du service de pédiatrie, avant d'envisager une seconde grossesse ; que leur attitude a concouru de façon certaine à les priver des informations qui auraient pu leur être communiquées sur les risques encourus en cas de nouvelle grossesse ;

- que l'absence de diagnostic des causes du décès de l'enfant Nicolas ne présente pas un caractère fautif dès lors qu'il souffrait d'une pathologie très rare, que de nombreux examens ont été réalisés et que si le tableau clinique avait été aussi évocateur que l'ont affirmé les premiers juges le diagnostic aurait été posé le 20 novembre 1996 par le neuro-pédiatre qui l'a examiné ;

- qu'à supposer même qu'une faute puisse lui être reprochée, elle n'a pu entraîner que la perte d'une chance d'éviter le dommage dont les époux A demandent la réparation ;

- qu'il n'est pas établi que ces derniers auraient renoncé à concevoir un second enfant s'ils avaient été informés des risques de récidive limités à 25 % et que l'absence de diagnostic serait à l'origine directe de la conception spontanée par les époux A d'un second enfant porteur du même handicap ;

- qu'en refusant une autopsie ils ont contribué à l'incertitude d'une seconde grossesse à risque ;

- que par suite, l'évaluation du préjudice subi par les époux A ne peut être que très faible et en tout état de cause inférieure à 15 000 euros ;

Vu le mémoire, enregistré le 28 décembre 2010, présenté pour M. et Mme A, qui concluent aux mêmes fins que leur requête, par les mêmes moyens, ainsi qu'au rejet des conclusions incidentes présentées par le centre hospitalier ;

Ils soutiennent en outre que si la pathologie présentée est inhabituelle, elle s'inscrit dans une pathologie génétique d'une famille parfaitement identifiée et que les signes cliniques que présentait Nicolas étaient suffisants pour orienter les recherches ;

Vu le mémoire, enregistré le 23 septembre 2011, présenté pour le centre hospitalier de Saint-Lô, qui conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 29 septembre 2011 :

- le rapport de Mme Gélard, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Degommier, rapporteur public ;

- et les observations de Me Vouin, avocat de M. et Mme A ;

Considérant que, le 10 juillet 1996, Mme A, alors âgée de 23 ans, a accouché au centre hospitalier de Saint-Lô de son premier enfant ; que l'enfant, Nicolas, a été hospitalisé à de nombreuses reprises en raison de rechutes infectieuses systématiques de type bronchiolites et est décédé le 2 janvier 1997 ; que, le 21 juin 1998, Mme A a accouché d'un deuxième enfant dans le même établissement hospitalier ; que l'enfant, prénommée Camille, présentait à la naissance les mêmes symptômes d'hypotonie que son frère, et est décédée le 15 janvier 2000 ; que, le 15 octobre 2007, M. et Mme A ont saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Saint-Lô à leur verser une indemnité de 100 000 euros chacun en réparation du préjudice moral subi par eux ; que, par un jugement avant dire droit du 3 février 2009 ledit tribunal a ordonné une expertise médicale, laquelle a été confiée par une ordonnance du même jour au docteur Mselati, qui a déposé son rapport le 4 août 2009 ; que, par un jugement du 11 février 2010, le tribunal administratif de Caen a condamné le centre hospitalier de Saint-Lô à verser la somme de 15 000 euros à chacun des parents ; que les époux A interjettent appel dudit jugement en tant qu'il a limité leur indemnisation à cette somme ; que, par la voie de l'appel incident, le centre hospitalier de Saint-Lô sollicite l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il l'a condamné à indemniser M. et Mme A ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise, que si l'enfant Nicolas, qui présentait des signes cliniques d'hypotonie dès la naissance, est sorti de l'hôpital le 24 juillet sans diagnostic précis, avec la seule évocation d'une hémorragie méningée, les examens effectués par la suite et notamment les échographies réalisées les 17 juillet et 12 septembre 1996, le scanner pratiqué le 18 juillet suivant et l'examen d'imagerie par résonance magnétique effectué le 17 octobre 1996 ont permis d'écarter l'hémorragie méningée suspectée initialement et de révéler une atrophie cortico-sous-corticale et une atrophie cérébelleuse ; que par ailleurs si au cours d'une réunion pluridisciplinaire qui s'est tenue le 20 novembre 1996, en présence du docteur Laisney, chef du service de pédiatrie au centre hospitalier de Saint-Lô, et à laquelle a participé un neuro-pédiatre, une biopsie musculaire a été envisagée, cet examen, qui nécessitait une anesthésie générale, n'a pas pu être pratiqué avant le décès de l'enfant en raison des troubles respiratoires dont il souffrait ; qu'enfin, dans un courrier du 8 septembre 1999, le professeur Munnich, responsable du département de génétique et de l'unité de génétique clinique de l'hôpital Necker - Enfants malades de Paris, a confirmé que l'enfant Camille présentait une forme extrêmement rare d'amyotrophie spinale avec atrophie olivo-ponto-cérébelleuse, difficile à diagnostiquer, et que son frère était probablement décédé de la même maladie ; que l'expert confirme par ailleurs que les soins administrés à Nicolas par le centre hospitalier de Saint-Lô pendant ses 6 mois de vie ont été adaptés aux troubles neurologiques, digestifs et respiratoires chroniques qu'il présentait et que la gravité de sa maladie était à l'origine des souffrances qu'il a endurées ; qu'enfin, il est constant que le pronostic des formes de type I de l'hypoplasie ponto cérébelleuse est extrêmement négatif, le décès survenant en général dans la première année de vie de l'enfant ; que, dans ces conditions, les époux A ne sont pas fondés à soutenir que le centre hospitalier de Saint-Lô n'aurait pas accompli toutes les diligences nécessaires en vue d'établir le diagnostic des troubles dont souffrait leur fils Nicolas et ne lui aurait pas apporté des soins appropriés durant ses nombreuses hospitalisations ;

Considérant cependant qu'il résulte de l'instruction, que dès le 22 juillet 1996, le médecin accoucheur de Mme A indiquait que l'état de l'enfant Nicolas était préoccupant et que l'examen neurologique de celui-ci était anormal ; que si à cette date, et au vu des résultats du scanner réalisé le 18 juillet 1996, une hémorragie méningée était suspectée ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le tableau clinique présenté par l'enfant Nicolas, qui avait fait l'objet d'hospitalisations répétées jusqu'à son décès, et les résultats de l'examen d'imagerie par résonance magnétique pratiqué le 17 octobre 1996, qui révélaient une atrophie cortico-sous-corticale et une atrophie cérébelleuse, auraient dû amener le centre hospitalier de Saint-Lô, même en l'absence de diagnostic certain, à informer les parents de l'enfant des différentes hypothèses envisageables quant à la cause du décès de leur fils, des risques éventuels d'une maladie génétique, même si celle-ci n'était pas encore déterminée précisément, et des conséquences en terme de récidive éventuelle pour une future grossesse ; que, d'ailleurs, le compte rendu d'une échographie cérébrale réalisée le 29 juin 1998, alors que Mme A était enceinte de son deuxième enfant, indiquait l'existence d'un antécédent d'anomalie cérébrale dans la famille ; qu'en se bornant à préciser que le docteur Laisney leur avait exprimé sa totale disponibilité afin de réfléchir à l'avenir obstétrical à envisager après le décès du premier enfant le centre hospitalier n'établit pas que les parents de l'enfant auraient été suffisamment informés des risques, même encore incertains, encourus dans l'hypothèse d'une nouvelle grossesse ; que, dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que la responsabilité du centre hospitalier de Saint-Lô devait être engagée à ce titre ; que toutefois, en refusant l'autopsie du corps de leur premier enfant, dont le diagnostic n'avait pas été clairement posé en dépit des signes cliniques constatés depuis sa naissance, les époux A doivent être regardés comme ayant concouru, même de façon totalement involontaire, à la réalisation du dommage dont ils sollicitent la réparation ; qu'eu égard au risque de récurrence de 25 % de la maladie après un premier enfant atteint, ils ne peuvent être indemnisés que de la perte de chance d'échapper au dommage subi ; qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'en mettant à la charge du centre hospitalier les deux tiers des conséquences dommageables dont M. et Mme A demandent la réparation et en fixant leur préjudice moral à 15 000 euros chacun, compte tenu du partage de responsabilité sus rappelé, les premiers juges ont fait une inexacte appréciation de la situation ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme A ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a limité la condamnation du centre hospitalier de Saint-Lô à leur verser la somme de 15 000 euros chacun ; que pour les motifs rappelés ci-dessus, les conclusions d'appel incident du centre hospitalier de Saint-Lô seront également rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier de Saint-Lô, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le paiement à M. et Mme A de la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête présentée par M. et Mme A est rejetée.

Article 2 : Les conclusions du centre hospitalier de Saint-Lô sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. Thierry et Mme Séverine A et au centre hospitalier de Saint-Lô.

Délibéré après l'audience du 29 septembre 2011, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Gélard, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 20 octobre 2011.

Le rapporteur,

V. GÉLARDLe président,

I. PERROT

Le greffier,

A. MAUGENDRE

La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 10NT00693
Date de la décision : 20/10/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. DEGOMMIER
Avocat(s) : VOUIN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2011-10-20;10nt00693 ?
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