La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/02/2014 | FRANCE | N°12NT00965

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 07 février 2014, 12NT00965


Vu la requête, enregistrée le 10 avril 2012, présentée pour la commune de Commana, représentée par son maire, par la SELARL AVOXA, avocat au barreau de Rennes ; la commune de Commana demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 10-1746 du 7 février 2012 par lequel le tribunal administratif de Rennes l'a condamnée à verser aux consorts A...une indemnité de 5 000 euros tous intérêts compris, au titre du préjudice lié aux troubles de jouissance résultant du refus du maire du 6 février 2003 d'accorder l'autorisation de clôturer la parcelle A 1600 dont ils sont propri

étaires ;

2°) de rejeter les demandes présentées par les consorts A...de...

Vu la requête, enregistrée le 10 avril 2012, présentée pour la commune de Commana, représentée par son maire, par la SELARL AVOXA, avocat au barreau de Rennes ; la commune de Commana demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 10-1746 du 7 février 2012 par lequel le tribunal administratif de Rennes l'a condamnée à verser aux consorts A...une indemnité de 5 000 euros tous intérêts compris, au titre du préjudice lié aux troubles de jouissance résultant du refus du maire du 6 février 2003 d'accorder l'autorisation de clôturer la parcelle A 1600 dont ils sont propriétaires ;

2°) de rejeter les demandes présentées par les consorts A...devant le tribunal ;

3°) de mettre à la charge des consorts A...une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que :

- la demande de première instance était prescrite dès lors que M. et Mme A... ont demandé réparation à raison des faits d'arrachage des clôtures ayant eu lieu respectivement les 16 août 1993 et 30 juin 1994 et que la première demande préalable a été formulée le 7 juin 2007 ;

- la décision du 6 février 2003 par laquelle le maire a interdit à M. A... d'entreprendre des travaux de pose d'une clôture apparaissait justifiée au regard des motifs retenus tant par le tribunal de grande instance de Quimper que par la cour d'appel de Rennes ; les deux juridictions avaient conclu à l'existence d'une servitude de passage grevant la parcelle n° 1600 au profit des parcelles voisines ;

- la décision du 6 février 2003 n'est à l'origine d'aucun préjudice ; le préjudice moral et

les troubles des conditions d'existence des consorts A...ne sont pas établis ; les consorts A...ont demandé une indemnisation de leur préjudice moral se décomposant en un préjudice lié aux voies de fait prétendument commises par la commune de Commana et en un préjudice lié aux prises de position de la commune qui auraient eu pour effet de les stigmatiser et de les marginaliser auprès de la population ; la juridiction administrative est incompétente pour allouer une indemnisation à raison de prétendus agissements assimilables à une voie de fait ; les prises de position de la commune à l'égard des consorts A...ne sont pas établies ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 12 juin 2012, présenté pour les consorts A...par Me Lahalle, avocat au barreau de Rennes, tendant au rejet de la requête et au versement par la commune de Commana d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

ils soutiennent que :

- le tribunal administratif de Rennes a pour partie retenu l'argument tenant à la prescription quadriennale puisqu'il a rejeté l'essentiel de leurs prétentions ; le tribunal a précisé dans son jugement que l'indemnisation à laquelle était condamnée la commune ne concernait pas l'arrachage des clôtures effectué respectivement les 16 août 1993 et 30 juin 1994 mais résultait de l'interdiction qui leur a été opposée le 6 février 2003 de clôturer leur propriété et par conséquent de disposer de leur bien ; c'est le jugement du 1er février 2005 par lequel le tribunal administratif a fait droit à leur demande tendant à obtenir l'annulation de la décision du 6 février 2003 qui a permis de déterminer la faute commise par la collectivité ; la demande préalable faisant suite à ce jugement a été adressée à la collectivité le 30 décembre 2009, dans le délai de prescription quadriennale ;

- la circonstance que la décision du 6 février 2003 était apparue comme justifiée lorsqu'elle a été prise est sans incidence sur la solution du litige dès lors que cette décision a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Rennes du 1er février 2005 et que tant le tribunal de grande instance de Morlaix que la cour d'appel de Rennes ont conclu à l'absence d'emprise irrégulière et se sont déclarés incompétents au profit de la juridiction administrative ;

- leurs préjudices sont avérés et justifiés tant dans leur principe que dans leur montant ; le refus réitéré et illégal du maire de Commana a entraîné des préjudices dès lors qu'entre le 1er janvier 2003 et le 31 décembre 2006, ils ont été confrontés à des dénigrements systématiques auprès de la population de Commana, des articles hostiles dans la presse locale, des passages répétés sur leur propriété mettant à mal leur tranquillité, des tentatives de cambriolage ;

Vu le mémoire, enregistré le 20 juillet 2012, présenté pour la commune de Commana, tendant aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens ;

elle soutient en outre que :

- s'agissant des prétendus troubles nés de l'interdiction de se clore du 6 février 2003, la demande indemnitaire datant du 7 juin 2007 n'a pu concerner que des troubles postérieurs au 31 décembre 2002 et les créances nées de troubles antérieurs au 31 décembre 2002 sont prescrites ;

- la décision d'interdire à M. A... d'entreprendre des travaux de pose d'une clôture était justifiée par l'existence d'une servitude de passage grevant la parcelle A 1600 au bénéfice des parcelles cadastrées section A 1596, 1597 et 1598 ; en vertu de l'article L. 441-3 du code de l'urbanisme, en vigueur à la date de la décision annulée, l'autorité compétente en matière de permis de construire peut faire opposition à l'édification d'une clôture lorsque celle-ci fait obstacle à la libre circulation des piétons admise par les usages locaux ; le maire de Commana a pu, sans commettre d'erreur, estimer que l'installation d'une clôture était de nature à faire obstacle à la libre circulation des piétons admise par un usage local ;

- les préjudices allégués ne sont pas établis ; rien n'empêchait les consortsA..., comme l'avait fait précédemment M. C... A..., de poser une clôture avec un grillage entre la voie utilisée pour le passage et le restant de leur propriété, ce qui aurait évité l'ensemble des désagréments dont ils se plaignent aujourd'hui ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 12 septembre 2012, présenté pour M. et Mme A..., tendant aux mêmes fins que dans leurs précédentes écritures, par les mêmes moyens ;

ils soutiennent en outre que :

- le jugement du 1er février 2005 est revêtu de l'autorité de la chose jugée ;

- leurs préjudices résultent tant de l'attitude de la commune à leur égard que de l'impossibilité d'empêcher l'intrusion de piétons sur leur parcelle ;

- à supposer qu'une servitude de passage existait sur leur propriété, ils étaient tout de même fondés à clore leur parcelle ; la libre circulation des piétons n'est pas remise en cause par le projet de clôture, dès lors qu'il existe de nombreuses autres possibilités de circulation pour les piétons ;

- à la supposer légale, la décision du 6 février 2003 n'autorisait pas le maire à se faire justice lui-même en arrachant à plusieurs reprises tant les panneaux que la clôture installée par les consortsA... ; si la commune a procédé à ces arrachages, c'était moins en raison d'un prétendu usage local que parce qu'elle se considérait comme propriétaire de la partie litigieuse de la parcelle en cause ;

Vu le mémoire, enregistré le 16 octobre 2012, présenté pour la commune de Commana, tendant aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens ;

elle soutient en outre que :

- contrairement à ce que soutiennent les consortsA..., elle ne revendique pas la propriété d'une partie de la parcelle en cause ; la lettre du 16 août 1993 qualifie de chemin rural la rue de Keranna et non le chemin litigieux ;

- est sans influence la circonstance qu'il existe d'autres voies d'accès ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 21 novembre 2012, présenté pour M. et Mme A..., tendant aux mêmes fins que dans leurs précédentes écritures, par les mêmes moyens ;

Vu le mémoire, enregistré le 5 mars 2013, présenté pour la commune de Commana, tendant aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 8 avril 2013, présenté pour M. et Mme A... tendant aux mêmes fins que dans leurs précédentes écritures, par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 janvier 2014 :

- le rapport de Mme Tiger-Winterhalter, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public ;

- et les observations de MeB..., représentant la commune de Commana ;

1. Considérant que le maire de la commune de Commana (Finistère) a par une décision du 6 février 2003 interdit aux consortsA..., propriétaires indivis, en qualité d'ayant droit de leur père décédé, d'une parcelle de 511 m² cadastrée A n° 1600 située sur le territoire cette commune, d'effectuer des travaux de pose d'une clôture sur le chemin matérialisant une servitude de passage longeant leur propriété ; que cette décision a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Rennes du 1er février 2005 devenu définitif ; que la commune de Commana relève appel du jugement du 7 février 2012 de ce même tribunal la condamnant à verser aux consorts A...une indemnité de 5 000 euros au titre des troubles de jouissance subis à raison de l'illégalité fautive de la décision du 6 février 2003 ;

Sur l'exception de prescription quadriennale :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 : " Sont prescrites au profit de l'Etat, des départements et des communes (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) " ; qu'aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. (...) " ;

3. Considérant que pour fixer le point de départ de la prescription au 1er janvier 2006, le tribunal administratif de Rennes a relevé que les consorts A...devaient être regardés comme ayant eu connaissance de l'existence d'une illégalité fautive de la commune de Commana par le jugement du 1er février 2005 annulant la décision du maire de cette commune du 6 février 2003 qui leur interdisait d'effectuer des travaux de pose d'une clôture sur le chemin longeant leur parcelle ; que la demande indemnitaire préalable ayant été notifiée le 7 juin 2007 à la commune de Commana, les premiers juges étaient fondés à écarter l'exception de prescription quadriennale soulevée par cette dernière ;

Sur la responsabilité :

4. Considérant, ainsi qu'il a été dit au point 1, que la décision du maire de Commana du 6 février 2003 interdisant aux consorts A...d'effectuer des travaux de pose d'une clôture sur le chemin longeant leur propriété a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Rennes du 1er février 2005 ; que les circonstances, invoquées par la commune, que cette décision paraissait justifiée au vu des jugements rendus par la juridiction judiciaire établissant le droit de propriété des consorts A...sur la parcelle en cause et qu'il existerait un usage local, au sens des dispositions de l'article L. 441-3 du code de l'urbanisme alors applicables, admettant la libre circulation des piétons, ne sont pas de nature à exonérer la commune de la responsabilité qu'elle encourt à raison de l'illégalité fautive de la décision du 6 février 2003 ;

Sur le préjudice :

5. Considérant que le refus d'accorder l'autorisation de clôturer leur propriété a privé les consorts A...de la libre disposition de leur parcelle qui, maintenue ouverte à la circulation publique et non à la seule desserte des terrains bénéficiaires de la servitude de passage constatée par le juge judiciaire, a subi le passage de piétons et de véhicules ; que l'appréciation à laquelle s'est livrée le tribunal en évaluant à 5 000 euros tous intérêts compris l'indemnité due au titre des troubles de jouissance subis par les défendeurs n'est pas excessive ;

6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la commune de Commana n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes l'a condamnée à verser aux consorts A...une indemnité de 5 000 euros, tous intérêts compris ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Commana une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche, ces dispositions font obstacle ce que soit mise à la charge des consorts A...la somme que demande la commune de Commana au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Commana est rejetée.

Article 2 : La commune de Commana versera aux consorts A...une somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Commana et aux consortsA....

Délibéré après l'audience du 17 janvier 2014, où siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Aubert, président-assesseur,

- Mme Tiger-Winterhalter, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 7 février 2014.

Le rapporteur,

N. TIGER-WINTERHALTER Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

N. CORRAZE

La République mande et ordonne au préfet du Finistère en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

''

''

''

''

2

N° 12NT00965


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 12NT00965
Date de la décision : 07/02/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Nathalie TIGER-WINTERHALTER
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : LAHALLE

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2014-02-07;12nt00965 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award