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12/06/2014 | FRANCE | N°12NT02787

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 12 juin 2014, 12NT02787


Vu la requête, enregistrée le 4 octobre 2012, présentée pour Mme A... B..., demeurant..., par Me Jackson, avocat au barreau de Paris ; Mme B... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 11-3759 du 2 août 2012 du tribunal administratif d'Orléans en tant qu'il a limité à 4 240,50 euros la somme globale que le centre hospitalier de Dreux a été condamné à lui verser en réparation des préjudices résultant du décès de son compagnon ;

2°) de condamner le centre hospitalier à lui verser la somme globale de 52 000 euros en réparation de ses préjudices ou, à

titre subsidiaire, de retenir la perte de chance de survie de son compagnon ;

3°) ...

Vu la requête, enregistrée le 4 octobre 2012, présentée pour Mme A... B..., demeurant..., par Me Jackson, avocat au barreau de Paris ; Mme B... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 11-3759 du 2 août 2012 du tribunal administratif d'Orléans en tant qu'il a limité à 4 240,50 euros la somme globale que le centre hospitalier de Dreux a été condamné à lui verser en réparation des préjudices résultant du décès de son compagnon ;

2°) de condamner le centre hospitalier à lui verser la somme globale de 52 000 euros en réparation de ses préjudices ou, à titre subsidiaire, de retenir la perte de chance de survie de son compagnon ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Dreux la somme de 2 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient :

- que le centre hospitalier de Dreux n'a pas pris en compte les résultats de l'électrocardiogramme réalisé à 4 heures 20 ; que le traitement adapté à l'état de santé de M. C... n'a débuté que vers 9 heures dans le service de soins intensifs cardiologiques où il a été transféré vers 8 heures 30 ; que des examens complémentaires auraient dû être réalisés dans l'urgence et qu'une prise en charge en cardiologie aurait dû être décidée immédiatement ; que le traitement de l'infarctus du myocarde dont souffrait son compagnon n'a pas été effectué selon les règles de l'art ;

- qu'en transférant M. C... en service d'endocrinologie le centre hospitalier de Dreux a commis une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service ; qu'en le transférant ensuite à l'hôpital de Chartres pour une coronarographie alors que cet établissement n'est pas doté de service de chirurgie cardiaque, le centre hospitalier a manqué de prudence ; que ces transferts ont considérablement ralenti la prise en charge effective de son compagnon ;

- que l'aggravation de l'infarctus du myocarde dont souffrait M. C... et son décès sont directement liés au retard de sa prise en charge lorsqu'il est arrivé aux urgences de Dreux à 3 heures 02 ; qu'à titre subsidiaire, ce retard lui a fait perdre une chance de survie ;

- que le préjudice moral qu'elle a subi en raison du décès de son compagnon dans des conditions " douteuses " doit être apprécié en fonction de son jeune âge ; qu'elle n'a pas été prévenue de l'hospitalisation de son compagnon, qui a quitté la vie sans être entouré de ses proches ; que son préjudice moral sera évalué à 30 000 euros ;

- que le décès de son concubin lui a occasionné un préjudice économique certain dès lors qu'elle est désormais privée des revenus de celui-ci, dont le montant avoisinait les 1 000 euros mensuel net ; que se préjudice sera chiffré à 20 000 euros ;

- qu'elle est fondée à solliciter le remboursement des frais d'obsèques qu'elle a pris en charge à hauteur de 2 000 euros ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 28 août 2013, présenté pour le centre hospitalier général de Dreux, par Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il l'a condamné à verser la somme globale de 4 240,50 euros à Mme B... en réparation des préjudices résultant du décès de M. C... ;

il soutient :

- que la requérante ne critique pas la motivation du jugement attaqué ; que sa requête sera déclarée irrecevable ou rejetée par adoption des motifs ;

- qu'elle ne justifie ni de la réalité, ni de l'étendue du préjudice économique qu'elle réclame pour un montant de 20 000 euros ; que, dans un précédent arrêt, la cour a estimé qu'il n'était pas établi que M. C... vivait de manière régulière au même domicile que ses enfants et contribuait à leur entretien ; que Mme B... n'établit pas davantage qu'elle percevait une pension alimentaire du père de ses enfants ;

- que la requérante ne saurait prétendre sans aucun justificatif au remboursement des frais d'obsèques qu'elle n'établit pas avoir acquittés ;

- que la qualité de concubine de Mme B... est extrêmement douteuse dès lors que M. C... n'habitait pas au domicile qu'elle occupait avec ses enfants ; que lors de son hospitalisation, ce dernier n'a pas mentionné son nom parmi les personnes à contacter ; que c'est à tort que les premiers juges lui ont accordé la somme de 3 500 euros en réparation d'un préjudice d'affection qui n'est pas démontré ;

Vu le mémoire enregistré le 19 mai 2014 présenté par la caisse primaire d'assurance maladie d'Eure-et-Loire qui se borne à indiquer qu'elle n'entend pas contester le jugement attaqué ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 mai 2014 :

- le rapport de Mme Gélard, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Degommier, rapporteur public ;

1. Considérant que M. C... a été hospitalisé en urgence au centre hospitalier de Dreux le 4 janvier 2006 à 3 heures 02 en raison de douleurs abdominales aigües et de vomissements ; que l'intéressé a été transféré au service d'endocrinologie à 5 heures 10, puis orienté à 8 heures 30 vers l'unité de soins intensifs cardiologiques où une prise de sang a confirmé le diagnostic d'une akinésie apicale et latérale haute ; qu'à 9 heures, le patient a été fibrinolysé à la métalyse puis transféré au centre hospitalier de Chartres en vue de la réalisation d'une coronarographie puis vers l'hôpital Foch de Suresnes pour une mise sous assistance circulatoire ; qu'après avoir subi plusieurs interventions, Abdkader C... est décédé le 18 janvier 2006, à l'âge de 37 ans ; que par un jugement du 3 juillet 2008, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté comme irrecevables les conclusions indemnitaires présentées par Mme B..., ex-compagne de Abdkader C... tendant à la réparation de leurs préjudices respectifs, pour défaut de réclamation préalable et a ordonné avant dire droit sur la responsabilité du centre hospitalier une expertise, qui par une ordonnance du 29 juillet 2008 du président de ce tribunal a été confiée au docteur Anys ; que sur la base du rapport de cet expert déposé le 19 novembre 2008, le tribunal a estimé le 26 février 2009 que la responsabilité du centre hospitalier de Dreux était engagée en raison du retard de diagnostic et du retard de prise en charge adaptée qui en est résulté pour AbdkaderC..., a fixé à 50 % la perte de chance d'éviter son décès et a condamné cet établissement à verser la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice d'affection de leurs deux enfants et rejeté le surplus des demandes ; que par un arrêt du 16 décembre 2010, la cour infirmant partiellement ce jugement a estimé que la requérante pouvait également solliciter l'indemnisation des souffrances endurées par Abdkader C...de son vivant au nom de ses enfants et a alloué à chacun d'eux une somme de 1 000 euros compte tenu de la perte de chance retenue ; que le 3 mai 2011, Mme B... a adressé une nouvelle réclamation préalable au centre hospitalier de Dreux, laquelle a été rejetée le 31 août 2011 ; qu'elle a alors saisi le tribunal administratif le 21 octobre 2011 ; que, par un jugement du 2 août 2012, les premiers juges qui ont écarté la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier tirée de la méconnaissance de l'autorité relative de la chose jugée, ont confirmé le retard de diagnostic et de prise en charge adapté de Abdkader C...et ont condamné l'hôpital à verser à Mme B... la somme de 3 500 euros en réparation de son préjudice d'affection et celle de 740,50 euros en remboursement des frais d'obsèques ; que l'intéressée fait appel de ce jugement en tant qu'il a limité à 4 240,50 euros le montant de ses préjudices ; que le centre hospitalier de Dreux conteste le même jugement, par la voie de l'appel incident, en tant qu'il l'a condamné à indemniser Mme B... ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier tirée de l'irrecevabilité de la requête pour défaut de motivation ;

Sur la responsabilité du centre hospitalier de Dreux :

2. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise qu'alors que Abdkader C...s'était présenté le 4 janvier 2006 à 3 heures 02 aux urgences du centre hospitalier de Dreux avec des douleurs abdominales aigües et des vomissements, qu'il était fumeur et présentait des antécédents familiaux cardiaques et que les résultats de l'électrocardiogramme réalisé à 3 heures 20 laissaient suspecter des signes correspondant à cette affection, le diagnostic d'infarctus du myocarde n'a été posé par les services du centre hospitalier de Dreux qu'à 8 heures 30 ; que dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que le retard de diagnostic et de prise en charge de l'infarctus du myocarde chez Abdkader C... était constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'établissement hospitalier ; que, d'autre part, si Mme B... soutient qu'en transférant le père de ses enfants en service d'endocrinologie le centre hospitalier aurait commis une faute supplémentaire dans l'organisation et le fonctionnement du service, il résulte toutefois de l'instruction que l'orientation du patient vers ce service a été effectuée sur la base des symptômes observés et que ces faits ne révèlent pas une mauvaise organisation du service mais doivent être regardés comme la conséquence exclusive du retard de diagnostic initial ; qu'enfin, il ne résulte pas de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que le transfert de Abdkader C...à l'hôpital de Chartres pour une coronarographie alors que cet établissement n'est pas doté d'un service de chirurgie cardiaque, serait également constitutif d'une faute dès lors, d'une part, qu'il n'est pas établi que l'état de santé du patient justifiait à cet instant son transfert immédiat en vue d'une intervention chirurgicale et que, d'autre part, seule l'imagerie résultant de la coronarographie a mis en évidence l'obstruction des trois troncs des artères coronaires qui a nécessité la mise en place de deux stents en dépit de laquelle l'état circulatoire et cardiaque de l'intéressé ne s'est pas amélioré ; que dès lors, Mme B... n'est pas fondée à soutenir qu'une faute distincte de celle résultant du retard de diagnostic et de prise en charge de Abdkader C..., qui a été retenue à... ;

Sur les préjudices :

3. Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que les premiers symptômes d'AbdkaderC..., qui présentait des facteurs de risques importants, sont apparus vers minuit, que la mortalité globale hospitalière de l'infarctus du myocarde est de 7 %, que l'efficacité de la fribrinolyse est optimale durant les 3 premières heures et que le taux de mortalité augmente ensuite ; que dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont, sur la base du rapport d'expertise, fixé à 50 % la perte de chance de l'intéressé de se soustraire aux dommages corporels qu'il a subis puis à son décès ;

5. Considérant en premier lieu, d'une part, que si Mme B... sollicite une revalorisation de son préjudice d'affection, évalué à 7 000 euros par les premiers juges, il n'est toutefois pas contesté qu'elle ne vivait plus avec M. C... à la date à laquelle ce dernier a été hospitalisé au centre hospitalier de Dreux ; que si elle soutient en particulier qu'elle n'a pas été prévenue immédiatement de l'état de santé de celui-ci, il ne résulte pas de l'instruction que l'intéressé ait communiqué ses coordonnées à l'hôpital lors de son admission aux urgences ou même ultérieurement ; que, d'autre part, si le centre hospitalier, par la voie de l'appel incident, estime quant à lui excessive la somme accordée par le tribunal administratif au même titre, il est cependant constant que Abdkader C... et ses deux enfants, nés respectivement les 8 juin 1999 et 8 février 2001 ont habité ensemble au moins jusqu'en 2003 ; qu'il s'ensuit que c'est par une exacte appréciation du préjudice d'affection subi par Mme B... que les premiers juges l'ont fixé à la somme de 7 000 euros dont la moitié a été mise à la charge du centre hospitalier pour tenir compte du pourcentage de perte de chance retenu ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que si la requérante soutient que le décès de Abdkader C...lui a causé un préjudice économique certain dès lors qu'elle est désormais privée des revenus de celui-ci, dont le montant avoisinait 1 000 euros par mois, il est toutefois constant, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, que le couple s'était séparé ; que, par ailleurs, Mme B... ne justifie ni du versement d'une pension alimentaire, ni de versements ponctuels de la part d'Abdkader C...au profit de ses enfants ; que dans ces conditions, elle n'est pas fondée à solliciter, ainsi que le tribunal l'a estimé, la réparation de ce chef de préjudice ;

7. Considérant enfin, que Mme B... justifie par la production d'une facture d'une entreprise de pompes funèbres libellée à son nom avoir acquitté la somme de 1 481 euros pour les frais d'obsèques d'Abdkader C..., montant dont elle sollicitait d'ailleurs le remboursement dans sa réclamation préalable présentée le 3 mai 2011 ; qu'en revanche, elle ne justifie pas de dépenses complémentaires au même titre ; que par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que Mme B... pouvait obtenir le remboursement de ces frais, à hauteur de 50 %, compte tenu du pourcentage de perte de chance retenu ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a limité à 4 240,50 euros la somme que le centre hospitalier de Dreux a été condamné à lui verser en réparation de ses propres préjudices ; que, pour les motifs évoqués ci-dessus, les conclusions d'appel incident du centre hospitalier seront également rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier de Dreux, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à Mme B... de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions d'appel incident du centre hospitalier de Dreux sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au centre hospitalier de Dreux et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Eure-et-Loir.

Délibéré après l'audience du 27 mai 2014, à laquelle siégeaient :

- M. Coiffet, président,

- Mme Specht, premier conseiller,

- Mme Gélard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 juin 2014.

Le rapporteur,

V. GÉLARDLe président,

O. COIFFET

Le greffier,

C. GUÉZO

La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales et de la santé publique en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 12NT02787


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 12NT02787
Date de la décision : 12/06/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. COIFFET
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. DEGOMMIER
Avocat(s) : DEREC

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2014-06-12;12nt02787 ?
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