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03/06/2016 | FRANCE | N°15NT00780

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 03 juin 2016, 15NT00780


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Orne environnement a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner l'Etat à lui verser la somme de 37 575 177,11 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices que lui ont causé les trois refus opposés par le préfet du l'Orne les 4 février 2006, 8 juillet 2009 et 3 mars 2010 aux demandes d'autorisation que la société avait formées, au titre de la législation sur les installations classées, en vue de l'exploitation, sur le territoire de la commune de Mo

nnai (Orne), d'un centre de stockage de déchets non dangereux, d'un centre de tr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Orne environnement a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner l'Etat à lui verser la somme de 37 575 177,11 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation des préjudices que lui ont causé les trois refus opposés par le préfet du l'Orne les 4 février 2006, 8 juillet 2009 et 3 mars 2010 aux demandes d'autorisation que la société avait formées, au titre de la législation sur les installations classées, en vue de l'exploitation, sur le territoire de la commune de Monnai (Orne), d'un centre de stockage de déchets non dangereux, d'un centre de tri, d'une plate-forme de compostage et d'une unité de traitement des terres souillées.

Par un jugement avant dire droit n°1001552 du 21 décembre 2012, le tribunal administratif de Caen, a en premier lieu, admis que l'illégalité des arrêtés de refus, qui résultait d'annulations contentieuses devenues définitives, était de nature à engager la responsabilité de l'Etat, en deuxième lieu, écarté les prétentions de la société Orne Environnement au titre du préjudice moral et de l'atteinte son image, en troisième lieu, jugé que le manque à gagner subi par la société Orne environnement devait être intégralement indemnisé en prenant en compte une durée d'autorisation de seize années, décomptée du 4 février 2008, date à laquelle elle aurait dû bénéficier d'une autorisation d'exploiter, et en quatrième lieu ordonné une expertise tendant à l'évaluation du montant des bénéfices que la société Orne Environnement pouvait raisonnablement attendre de l'exploitation sur la période ainsi définie.

L'expert a déposé son rapport le 1er août 2014.

Par un jugement n°1001552 du 31 décembre 2014 le tribunal administratif de Caen, statuant au fond, a condamné l'État à verser à la société Orne Environnement la somme principale de 10 305 000 euros, assortie d'intérêts au taux légal à compter du 16 avril 2010, ces intérêts étant eux-mêmes capitalisés à chaque date anniversaire.

Procédure devant la cour :

I - Par un recours enregistré le 2 mars 2015 sous le n°15NT00780 et des mémoires, enregistrés les 21 avril 2015 et 9 mars 2016, le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie demande à la cour d'annuler le jugement avant dire droit du 21 décembre 2012 du tribunal administratif de Caen et de rejeter la demande de la société Orne Environnement.

Il soutient :

- Sur la régularité du jugement attaqué, que ce jugement est entaché de défaut de motivation et de contradiction de motifs, dès lors le tribunal administratif a écarté de manière lapidaire l'argument de l'administration selon lequel la société Orne Environnement ne justifiait pas, en tout état de cause, des capacités financières nécessaires, les premiers juges ayant estimé que le projet était viable, tout en admettant ne pas être en mesure d'évaluer le préjudice subi ;

- Sur le bien-fondé du jugement attaqué, que

. la faute liée à l'illégalité des trois refus successifs opposés par le préfet de l'Orne à la demande d'exploitation d'un centre de stockage et de tri de déchets à Monnai ne saurait engager la responsabilité de l'Etat, puisque les préjudices invoqués trouvent leur cause exclusive dans la décision du 22 mars 2011 par laquelle le préfet de l'Orne a refusé à l'intimée l'autorisation d'exploiter, décision définitive et qui n'a fait l'objet d'aucune contestation ;

. les refus illégalement opposés au pétitionnaire n'étaient pas de nature à engager la responsabilité de l'État à raison des préjudices invoqués par la société requérante dès lors qu'un autre motif de refus, tiré de l'insuffisance des capacités techniques et financières, aurait valablement pu être opposé au pétitionnaire ;

. les premiers juges ne pouvaient sans erreur de droit considérer comme établi le lien de causalité entre la faute invoquée et les pertes d'exploitation sur seize années ; en effet, la possibilité d'investir, pour la société Orne environnement, n'a été grevée que jusqu'à l'ultime refus final résultant de l'arrêté du 22 mars 2011 ; à compter de la date où ce dernier refus était devenu définitif il était loisible à la société de réinvestir dans un autre projet ;

. les premiers juges auraient dû tenir compte, pour fixer le quantum de l'indemnité, de la nature du préjudice, la réparation devant être mesurée par rapport à une perte de chance sérieuse et non par rapport à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, ce qui impliquait de ne pas indemniser l'intégralité du manque à gagner ;

. la société Orne Environnement n'apportant pas la preuve de la viabilité économique du projet, c'est à tort que le tribunal administratif a tenu le préjudice allégué pour réel et certain ;

. il faut tenir compte de l'imprudence fautive de la société Orne Environnement, qui a accepté de prendre le risque, qui s'est réalisé, d'une perte de la maîtrise foncière des parcelles concernées, en ne procédant pas à leur acquisition, qui représentait un coût négligeable au regard des sommes nécessaires à la mise en oeuvre du projet.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 20 mai 2015 et 22 mars 2016, la société Orne Environnement conclut au rejet de ce recours et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun des moyens du recours n'est fondé.

II - Par un recours enregistré le 2 mars 2015 sous le n°15NT00781 et des mémoires, enregistrés les 21 avril 2015 et 9 mars 2016, le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie demande à la cour d'annuler le jugement du 31 décembre 2014 du tribunal administratif de Caen et de rejeter la demande de la société Orne Environnement.

Il soutient

- sur la régularité du jugement attaqué, que

. ce jugement est entaché de défaut de motivation, le tribunal administratif ayant totalement éludé les arguments de défense de l'Etat ;

. les premiers juges ont statué ultra petita en accordant une somme supérieure à celle demandée par la société Orne Environnement ;

- sur le bien-fondé du jugement attaqué, que

. le jugement du 31 décembre 2014 sera annulé par voie de conséquence de l'annulation du jugement avant dire droit du 21 décembre 2012.

. la nature du préjudice, qui tient de la perte d'une chance et ne peut donc donner lieu à indemnisation intégrale, n'a pas été prise en compte ;

. en ce qui concerne le chiffre d'affaires escompté, il n'a pas été tenu compte des aléas de l'exploitation ; la société Orne Environnement n'a pas justifié de sa capacité à réaliser ses prévisions de stockage, compte tenu de l'incertitude quant à l'obtention des marchés publics nécessaires en ce qui concerne les ordures ménagères, de la volatilité des contrats privés en ce qui concerne les déchets industriels, incertitudes qui ne peuvent être levées par les mentions figurant au plan départemental d'élimination des déchets ménagers, lequel a été approuvé en 2007 et ne prend pas en compte l'impact des mesures adoptées par les pouvoirs publics pour réduire les quantités de déchets mis en décharge ; si l'autorisation avait été délivrée, l'existence de capacités excédentaires au niveau du département et la coexistence du site envisagé avec des concurrents autorisés à exploiter des sites proches jusque fin 2012 aurait conduit à une limitation des tonnages accueillis sur le site de la société requérante ;

. le montant des frais financiers a été sous-évalué.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 19 mai 2015 et 22 mars 2016, la société Orne Environnement conclut au rejet de ce recours et à ce qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun des moyens du recours n'est fondé.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Francfort, président-assesseur,

- les conclusions de M. Durup de Baleine, rapporteur public,

- les observations de MmeA..., représentant le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, et celles de MeB..., représentant la société Orne environnement.

Une note en délibéré présentée pour le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer a été enregistrée le 26 mai 2016.

1. Considérant que la société Orne Environnement a déposé le 13 avril 2005 une demande d'autorisation en vue de l'exploitation, sur le territoire de la commune de Monnai (Orne), d'un centre de stockage de déchets non dangereux, d'un centre de tri, d'une plate-forme de compostage et d'une unité de traitement des terres souillées ; que l'arrêté du 4 février 2008 par lequel le préfet de l'Orne a refusé de faire droit à cette demande a été annulé par jugement du 10 avril 2009 du tribunal administratif de Caen, confirmé le 22 juin 2010 par la cour administrative d'appel de Nantes ; que l'arrêté du 8 juillet 2009 par lequel le préfet de l'Orne a rejeté une deuxième fois la demande de la société Orne Environnement a été annulé par jugement du 13 novembre 2009, devenu définitif, du tribunal administratif de Caen ; que, par jugement du 22 octobre 2010, devenu définitif, ce même tribunal a annulé l'arrêté du 3 mars 2010 par lequel le préfet de l'Orne a, pour la troisième fois, rejeté la demande de la société ; que la demande de la société Orne environnement a fait l'objet d'une quatrième décision de refus, en date du 22 mars 2011, laquelle n'a pas été contestée ; qu'après avoir lié le contentieux par une demande préalable présentée le 12 avril 2010, la société Orne Environnement a saisi le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices subis par elle du fait de l'illégalité des trois refus annulés par la juridiction administrative ;

2. Considérant que par un jugement avant dire droit du 21 décembre 2012, le tribunal administratif de Caen, après avoir jugé que l'illégalité des arrêtés des 4 février 2008, 8 juillet 2009 et 3 mars 2010 était de nature à engager la responsabilité de l'Etat, a d'une part rejeté les conclusions indemnitaires de la société présentées au titre du préjudice moral et d'autre part décidé qu'avant de statuer sur le surplus des prétentions de la société, relatives à son manque à gagner, il serait procédé à la nomination d'un expert chargé " d'évaluer le montant des bénéfices que la requérante pouvait raisonnablement attendre de l'exploitation du centre de stockage de déchets non dangereux, du centre de tri, de la plate-forme de compostage et de l'unité de traitement des terres souillées, objets de sa demande déposée le 13 avril 2005, si elle avait obtenu, le 4 février 2008, et pour une durée de seize années comprenant le délai de mise en service du site, l'autorisation d'exploiter qu'elle demandait " ; qu'après remise du rapport d'expertise le 1er août 2014 et par un jugement au fond du 31 décembre 2014, le tribunal administratif de Caen a condamné l'Etat à payer à la société Orne Environnement la somme de 10 305 000 euros, avec intérêts au taux légal décomptés du 16 avril 2010, les intérêts échus à chaque date anniversaire étant eux-mêmes capitalisés ;

3. Considérant que par deux recours distincts qu'il y a lieu de joindre, dès lors qu'ils visent des jugements se rattachant à la même instance et qu'ils ont fait l'objet d'une instruction commune, le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie relève respectivement appel du jugement avant dire droit du 21 décembre 2012 et du jugement au fond en date du 31 décembre 2014 en tant que, par ces décisions, le tribunal administratif de Caen a, d'une part, statué sur le principe de la responsabilité de l'Etat et renvoyé à une expertise pour la détermination du manque à gagner, et d'autre part, prononcé la condamnation de l'Etat à indemniser la société Orne environnement de son manque à gagner à concurrence des montants rappelés au point précédent ;

Sur la régularité des jugements attaqués :

4. Considérant, en premier lieu, que le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie invoque la contradiction de motifs qui entacherait le jugement avant dire droit du 21 décembre 2012 dès lors que, selon lui, les premiers juges ne pouvaient affirmer que le projet de la société était viable tout en ne s'estimant pas en mesure d'évaluer le préjudice causé à la société ; que toutefois la contradiction de motifs invoquée n'est en tout état de cause susceptible d'affecter que le bien-fondé de la décision juridictionnelle attaquée et non sa régularité ;

5. Considérant, en deuxième lieu, que l'administration a soutenu devant le tribunal administratif que la responsabilité de l'Etat ne pouvait être engagée dès lors que la société Orne Environnement n'aurait en tout état de cause pas eu les capacités financières nécessaires pour réaliser l'opération en vue de laquelle elle avait sollicité une autorisation d'exploiter ; qu'en écartant cette argumentation au motif que son bien-fondé ne ressortait pas de l'instruction, les premiers juges ont suffisamment motivé leur appréciation, dès lors que l'exposé de cette prétendue insuffisance de capacité financière, qui n'avait du reste été retenue par le préfet du Calvados à l'occasion d'aucun des quatre refus successivement opposés à la société, n'était assortie d'aucune argumentation circonstanciée ;

6. Considérant, enfin, que le ministre fait grief aux premiers juges d'avoir condamné l'Etat à verser à la société Orne environnement une somme supérieure à celle qu'elle sollicitait dans le dernier état de ses conclusions ; qu'il ressort des pièces du dossier de première instance que la société Orne Environnement, qui ne sollicitait que 7 958 000 euros au titre de son manque à gagner à la date du jugement avant dire droit, a réévalué le montant de ses prétentions après le dépôt du rapport d'expertise, portant l'indemnisation demandée au montant de 10 305 000 euros afin qu'il soit tenu compte du caractère taxable, à l'impôt sur les sociétés, de l'indemnité sollicitée ; que cependant l'ensemble des prétentions ainsi rehaussées de la société, qui se rattachaient au même fait générateur et demeuraient en tout état de cause dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée dans sa demande introductive d'instance, étaient de ce fait recevables ; que le tribunal administratif n'a dès lors pas statué au-delà des conclusions qui lui étaient soumises ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie n'est pas fondé à invoquer l'irrégularité des jugements qu'il conteste ;

Sur le bien-fondé des jugements attaqués :

En ce qui concerne le principe de la responsabilité :

8. Considérant que les illégalités des arrêtés de refus des 4 février 2008, 8 juillet 2009 et 3 mars 2010, qui ont été constatées par les décisions juridictionnelles définitives mentionnées au point 1, constituent par elles-mêmes des fautes de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; que la société Orne environnement est par suite en droit d'obtenir réparation des préjudices directs et certains qu'elle a subis du fait de ces décisions illégales ;

En ce qui concerne le lien de causalité entre les refus d'exploitation et préjudices invoqués par la société Orne environnement :

9. Considérant en premier lieu, que le ministre conteste que les refus irrégulièrement opposés au pétitionnaire étaient de nature à engager la responsabilité de l'État à raison des préjudices invoqués par la société Orne environnement, dès lors qu'un autre motif de refus, tiré du défaut de capacités techniques et financières, aurait valablement pu être opposé au pétitionnaire ; qu'il résulte toutefois de l'instruction que la société intimée a pour associée unique la société OIS (Omnium d'Investissement pour le Stockage), laquelle a elle-même pour associé paritaire la société OIE (Omnium d'Investissement pour le stockage), qui dépend du groupe ECT, acteur majeur dans le secteur du stockage des déchets, lequel s'est engagé à supporter les risques financiers de l'opération engagée par la société Orne environnement tout en justifiant, selon les données non contestées avancées par cette société, de capitaux propres à concurrence 45 millions d'euros ; que dans ces conditions l'Etat, qui n'a d'ailleurs jamais évoqué un tel motif au cours des différentes procédures administratives, n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait régulièrement pu décider d'un refus d'autorisation en se fondant sur l'insuffisance des capacités financières de la société Orne environnement pour mener à bien le projet d'exploitation envisagé ;

10. Considérant, en deuxième lieu, que le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie soutient que l'impossibilité pour la société Orne environnement de réaliser son projet d'exploitation résulte, non pas des trois refus illégaux mentionnés ci-dessus, mais du quatrième refus, opposé le 22 mars 2011, lequel n'a pas été contesté par la société intimée ;

11. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que cet ultime refus a été motivé par la perte par la société requérante de la maitrise des terrains nécessaires à cette exploitation, les promesses de vente consenties par les divers propriétaires étant alors arrivées à terme sans avoir pu donner lieu à réalisation, du fait des refus illégaux successivement opposés par le préfet de l'Orne ;

12. Considérant, d'autre part, que la société Orne environnement a conclu en 2004 avec les propriétaires des terrains nécessaires à la réalisation du centre de stockage de Monnai des promesses de ventes qui lui assuraient la maîtrise foncière du site jusqu'au 31 décembre 2009 ; que le ministre n'est dès lors pas fondé à invoquer l'imprudence fautive dont la société Orne environnement aurait fait preuve en s'abstenant, en l'absence de toute obligation réglementaire, de procéder immédiatement à l'acquisition de l'ensemble des parcelles nécessaires à l'exploitation ;

13. Considérant, en troisième lieu, que si le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie soutient que la société Orne environnement n'aurait pas apporté la preuve de la viabilité économique de son projet, il résulte de ce qui a été dit au point 9 que l'incapacité de la société de faire face aux investissements nécessaires ne ressort pas de l'instruction ; que la circonstance que la société ait révisé à la baisse le montant qu'elle réclamait au titre de son préjudice commercial n'est pas de nature en elle-même à caractériser une incertitude quant au caractère profitable de l'exploitation, lequel résulte de l'instruction et notamment des données issues du rapport de l'expertise ordonnée en première instance, venant conforter les enseignements issus des analyses croisées, par deux experts-comptables agissant respectivement pour le compte de la société et de l'Etat, des chiffres prévisionnels d'activité communiqués par la société Orne environnement ;

14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préjudice subi par la société Orne environnement du fait de l'impossibilité de mettre en oeuvre son projet d'exploitation résulte entièrement des fautes commises par l'Etat dans l'exercice par le préfet de l'Orne de son pouvoir de police des installations classées ;

En ce qui concerne l'étendue du préjudice indemnisable :

15. Considérant, en premier lieu, s'agissant de la période de responsabilité, que le ministre soutient qu'à compter du refus définitivement opposé le 22 mars 2011 à la société Orne environnement, fondé sur l'absence de maîtrise foncière des terrains, il était loisible à cette société, qui n'avait exposé aucun investissement et bénéficiait d'un plan de financement immédiatement et intégralement mobilisable, d'investir dans un autre projet, et que par suite la période de responsabilité doit être limitée à la période allant du 4 février 2008, date du premier refus annulé, au 22 mars 2011, date du dernier refus devenu définitif ;

16. Considérant qu'ainsi que le soutient la société, la conception par la société Orne environnement d'un nouveau projet entrant dans son objet social, soit " l'acquisition, l'exploitation et la gestion d'un centre de stockage et de gestion des déchets situé dans le département de l'Orne " comportait notamment l'identification de nouveaux terrains aptes à recevoir les installations considérées ainsi que la recherche de leur maitrise foncière ; qu'un nouveau projet aurait été tributaire de l'évolution du plan d'élimination des déchets ménagers du département de l'Orne, notamment en ce qui concerne la localisation du site ; que la société est de plus fondée à soutenir que le comportement prévisible de l'administration, compte tenu de son attitude passée, faisait courir à un tel projet un risque déraisonnable d'échec ; qu'en conséquence le ministre n'est pas fondé à soutenir que la période de responsabilité de l'Etat devrait prendre fin à la date du 22 mars 2011 à laquelle l'impossibilité de mettre en exploitation le site de Monnai a acquis un caractère définitif ; que dès lors, l'administration n'apportant pas d'éléments selon lesquels l'administration n'aurait pas délivré l'autorisation pour la totalité de la période sollicitée par la société Orne environnement si elle n'avait pas refusé cette autorisation pour des motifs irréguliers, le préjudice subi par la société intimée s'étend sur l'ensemble de cette période, soit une durée de seize années courant à compter du 4 février 2008, date à laquelle elle aurait dû bénéficier d'une autorisation d'exploiter ;

17. Considérant, en second lieu, que le ministre soutient qu'en tout état de cause la réparation due à la société Orne environnement devrait être mesurée par rapport à la perte d'une chance d'exploiter, et non par rapport à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée, et qu'en conséquence il n'y a pas lieu d'indemniser la société intimée de l'intégralité de son manque à gagner ;

18. Considérant, d'une part, que la société Orne environnement ne se trouvant pas en concurrence avec d'autres demandeurs, et le ministre ne démontrant pas, ainsi qu'il a été dit, que l'autorisation aurait pu lui être régulièrement refusée pour d'autres motifs que ceux opposés à tort, l'autorisation au titre des installations classées constituait la seule condition manquante pour permettre l'exploitation effective du site ; que contrairement à l'argumentation soutenue par le ministre, la société Orne environnement, dont la situation n'est pas comparable à celle d'un concurrent évincé dans le cadre d'un marché public, n'aurait pas seulement disposé d'une chance sérieuse d'exploiter les installations pour lesquelles elle sollicitait une autorisation, mais d'un droit à les exploiter, si elle avait été en possession d'une autorisation, et par suite d'un droit à recueillir les bénéfices attachés à cette exploitation, dont elle n'a été privée que par les refus illégaux opposés par le préfet du Calvados ;

19. Considérant, d'autre part, que la société Orne environnement est fondée à se prévaloir du contexte administratif propre à son activité, marqué par l'encadrement exercé par les pouvoirs publics au travers des obligations réglementairement mises à la charge des particuliers comme des entreprises en matière de collecte des déchets, ainsi que par l'élaboration de Plans Départementaux d'Elimination des Déchets Ménagers et Assimilés (PEDMA) opposables, lesquels comportent des prévisions sur les évolutions économiques et démographiques ainsi que l'évolution de la production de déchets, fixe des objectifs de collecte et de valorisation par type de déchets en tenant compte des besoins et des capacités des zones voisines hors de son périmètre d'application et prévoit obligatoirement des centres de stockage de déchets ultimes ; qu'elle est également fondée, compte tenu de la nécessaire limitation du transport des déchets, due tant aux impératifs réglementaires qu'aux coûts de transport, à se prévaloir de l'absence d'alea concurrentiel majeur dans l'exercice de son activité d'enfouissement des déchets ; que de ce fait la société Orne environnement justifie, en raison de l'environnement administratif et du contexte économique propre à son domaine d'activité, de circonstances permettant de faire regarder comme certain, dans son principe, le manque à gagner invoqué ;

En ce qui concerne le montant du préjudice :

20. Considérant que la société Orne environnement a droit, à titre de réparation intégrale de son préjudice, à l'intégralité des bénéfices qu'elle pouvait raisonnablement attendre de 1'exploitation du centre de stockage de déchets non dangereux, du centre de tri, de la plate-forme de compostage et de l'unité de traitement des terres souillées, objets de sa demande déposée le 13 avril 2005, si elle avait obtenu le 4 février 2008, et pour une durée de seize années comprenant le délai de deux ans nécessaire à la mise en service du site, l'autorisation d'exploiter qu'elle demandait ;

21. Considérant, en premier lieu, que dès lors qu'il résulte de l'instruction, d'une part que la société Orne environnement avait présenté un projet compatible avec les quantités à traiter telles qu'elles résultaient du plan départemental d'élimination des déchets ménagers et assimilés de l'Orne et, d'autre part, que la mise en exploitation du site supposait un délai de préparation de deux années, le ministre ne peut sérieusement exiger de la société de produire, afin de justifier de ses perspectives d'exploitation, les projets ou propositions de contrats passés avec des collectivités publiques, s'agissant des déchets ménagers, ou avec des entreprises, s'agissant des déchets industriels banals ;

22. Considérant, en deuxième lieu, que l'Etat, qui ne développe aucune argumentation circonstanciée, ne justifie pas que le montant des frais financiers prévisionnels, tel qu'il a été réévalué à l'issue des opérations d'expertise, aurait été fixé à un niveau inadéquat ;

23. Considérant, en troisième lieu, que le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie se prévaut de l'incertitude qui affecte nécessairement une exploitation sur une longue période, ainsi que de l'imparfaite réalisation des prévisions du PEDMA en ce qui concerne la quantité de déchets enfouies, pour soutenir qu'il conviendrait d'opérer une réfaction sur les tonnages que la société aurait réellement eu à traiter, et par suite sur le chiffre d'affaires entrant dans le calcul du manque à gagner à indemniser ;

24. Considérant d'une part, que le PEDMA élaboré en novembre 2007, prenait en compte un enfouissement annuel total de 120 000 tonnes de déchets non dangereux dans le département de l'Orne ; que si le ministre, versant à l'instruction des comptes-rendus de la commission consultative de suivi de ce plan, établit que les quantités réellement enfouies se sont établies à 75 000 tonnes en 2011 et à 91 000 tonnes en 2012, il n'établit pas, en se limitant aux résultats de deux années de mise en oeuvre de ce plan, au demeurant contradictoires entre eux et dépourvus de toute explication précise, la réalité d'une surestimation des besoins d'enfouissement ; d'autre part, que le préjudice dont se prévaut la société Orne environnement est assis sur les données retenues par l'expert commis par le tribunal administratif, lequel a procédé à une réfaction de 20 % par rapport au tonnage maximal sollicité dans la demande irrégulièrement rejetée de la société Orne environnement ; que dans ces conditions le ministre, qui n'apporte pas élément suffisamment précis, n'est pas fondé à soutenir que les premiers juges auraient fait une appréciation exagérée du montant de l'indemnisation à laquelle la société Orne environnement a droit ;

25. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 31 décembre 2014, le tribunal administratif de Caen a condamné l'Etat à verser à la société Orne environnement la somme de 10 305 000 euros avec intérêts au taux légal, eux-mêmes capitalisés, à compter du 16 avril 2010 ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

26. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Orne environnement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le recours du ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera à la société Orne environnement une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer et à la société Orne Environnement.

Une copie sera adressée au préfet de l'Orne.

Délibéré après l'audience du 13 mai 2016, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. Francfort, président-assesseur,

- M. Mony, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 3 juin 2016.

Le rapporteur,

J. FRANCFORT

Le président,

H. LENOIR

Le greffier,

C. GOY

10

2

N° 15NT00780...


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 15NT00780
Date de la décision : 03/06/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

44-02-03 Nature et environnement. Installations classées pour la protection de l'environnement. Responsabilité.


Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: M. Jérôme FRANCFORT
Rapporteur public ?: M. DURUP de BALEINE
Avocat(s) : SELARL HUGLO LEPAGE et ASSOCIES CONSEIL

Origine de la décision
Date de l'import : 26/12/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2016-06-03;15nt00780 ?
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