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29/03/2017 | FRANCE | N°15NT01502

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 29 mars 2017, 15NT01502


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Armor SNC a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 704 856,62 euros toutes taxes comprises (TTC) à la suite des sujétions imprévues qu'elle a rencontrées dans l'exécution du marché public de travaux en date du 14 octobre 2009 relatif au balisage de l'accès au port de Molène.

Par un jugement n° 1101672 du 26 février 2015, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requêt

e et des mémoires, enregistrés les 24 avril 2015, 11 avril 2016 et 14 juin 2016, la société EMCC ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Armor SNC a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 704 856,62 euros toutes taxes comprises (TTC) à la suite des sujétions imprévues qu'elle a rencontrées dans l'exécution du marché public de travaux en date du 14 octobre 2009 relatif au balisage de l'accès au port de Molène.

Par un jugement n° 1101672 du 26 février 2015, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 24 avril 2015, 11 avril 2016 et 14 juin 2016, la société EMCC (entreprises Morillon Corvol Courbot) venant aux droits de la société Armor SNC, représentée par MeB..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement n° 1101672 du 26 février 2015 du tribunal administratif de Rennes ;

2°) à titre principal, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 704 856,62 euros TTC, outre les intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2010, outre capitalisation des intérêts ;

à titre subsidiaire, de condamner l'Etat au paiement :

- de la somme de 181 515,62 euros TTC au titre des travaux effectivement réalisés ;

- de la somme de 374 039,43 € TTC au titre des travaux complémentaires générés par le changement de méthodologie ;

- de la somme de 26 560,76 € correspondant aux études complémentaires résultant du changement de méthodologie.

- de la somme de 127 524,69 € TTC au titre du surcoût lié aux travaux d'injection ;

3°) en tout état de cause, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, le dossier de consultation des entreprises ne permettait en aucun cas de connaître la nature du sol qui allait être rencontrée ;

• le rapport de la société SOS Plongée contient des informations relatives uniquement à l'état de la surface et à l'état apparent de la roche, qui ne sont pas de nature à l'éclairer sur la nature profonde de la roche qui devait être découverte lors des opérations de mise en oeuvre des micropieux forés ou d'ailleurs des pieux trépanés et forés ;

• l'existence d'échantillons de roches disponibles à la subdivision des phares et balises à Brest, d'une carte géologique de l'archipel de Molène et la possibilité d'effectuer des investigations complémentaires, figurant dans le cahier des clauses techniques particulières, ne constituent à l'évidence que de la littérature destinée à donner une apparence à un dossier géotechnique qui n'en avait aucune ;

- les travaux réalisés étaient en toutes hypothèses indispensables à la parfaite réalisation de l'ouvrage et doivent ainsi être rémunérés ;

- elle est en toutes hypothèses fondée à solliciter la condamnation de l'Etat sur un strict fondement contractuel dès lors que ses demandes indemnitaires trouvent leur origine dans une modification en cours de chantier du principe constructif ; alors qu'elle avait pensé pouvoir réaliser les travaux à moindre coût en présentant une variante, acceptée et contractualisée, il est apparu en cours de chantier qu'il était nécessaire de revenir à la solution de base ; la modification des travaux a clairement été acceptée puis contractualisée par la maitrise d'ouvrage au moyen d'ordres de services notifiés qui s'imposaient et emportaient modification des dispositions initiales du marché ; les conséquences de ces modifications doivent incontestablement être prises en charge sur un fondement contractuel par la maîtrise d'ouvrage.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 17 septembre 2015 et 21 novembre 2016, le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la société EMCC n'est pas recevable à invoquer, pour la première fois devant la cour et après l'expiration du délai d'appel, un nouveau fondement de responsabilité ;

- aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Un nouveau mémoire présenté pour la société EMCC a été enregistré le 28 février 2017 à 18h39, mais non communiqué.

Par ordonnance du 9 février 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 2 mars 2017 à 12 heures en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Bouchardon, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public ;

- et les observations de Me Guyard, avocate de la société EMCC.

Une note en délibéré, présentée pour la société EMCC, a été enregistrée le 15 mars 2017.

1. Considérant que, par un acte d'engagement accepté le 14 octobre 2009, la direction départementale de l'équipement et de l'agriculture du Finistère a confié à la société Armor SNC la réalisation des travaux de balisage de l'accès au port de Molène pour un prix ferme et actualisable de 636 794,65 euros TTC ; que la maîtrise d'oeuvre a été confiée à la subdivision des phares et balises du Finistère ; que l'offre retenue, correspondant à la variante proposée par la société Armor, prévoyait de sceller dans le rocher sous chaque future balise une embase métallique à l'aide de micro-pieux forés, cette embase étant destinée à accueillir le pieu de signalisation ; qu'en cours d'exécution du chantier, cette solution a été abandonnée, les premiers forages réalisés en mai et juin 2010 ayant mis en évidence une hétérogénéité du sol, une organisation des roches par strates fissurées ainsi que la présence de cavités entre les strates, incompatibles avec la mise en oeuvre du procédé constructif prévu ; qu'une solution consistant en la mise en oeuvre de pieux forés par trépanage et battage, correspondant à la solution de base de l'appel d'offres, a finalement été privilégiée ; que lors de la mise en oeuvre de cette nouvelle solution de pieux battus, la société Armor SNC a de nouveau été confrontée à des difficultés d'exécution en raison de la présence de cavités qu'elle a comblées par des injections de coulis ; que les travaux ont été réceptionnés avec effet au 2 septembre 2010 ; que la société Armor a alors adressé un projet de décompte final au maître d'oeuvre pour un montant de 1 344 524,66 euros TTC ; qu'à la suite de la notification du décompte général par le maître d'ouvrage pour un montant de 639 668,04 euros TTC, elle a formé une réclamation en demandant que les coûts supplémentaires qu'elle avait supportés du fait des difficultés rencontrées liées à la nature du sol soient pris en compte ; que la société EMCC venant aux droits de la société Armor SNC relève appel du jugement du 26 février 2015 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 704 856,62 euros en principal, assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 novembre 2010, à la suite des sujétions imprévues qu'elle a rencontrées dans l'exécution du marché public des travaux relatifs au balisage de l'accès au port de Molène ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

En ce qui concerne les sujétions techniques imprévues :

2. Considérant que ne peuvent être regardées comme des sujétions techniques imprévues au sens du code des marchés publics que des difficultés matérielles rencontrées lors de l'exécution d'un marché, présentant un caractère exceptionnel, imprévisibles lors de la conclusion du contrat et dont la cause est extérieure aux parties ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du marché de travaux de balisage de l'accès au port de Molène comporte en son article X " Hypothèses de calcul ", paragraphe A) " Caractéristiques géotechniques ", d'une part, les mentions selon lesquelles " Une étude de sol par lançage aux positions désignées pour la mise en oeuvre des balises a été réalisée. Le rapport de cette étude est joint au présent dossier de consultation " ; que, contrairement à ce que soutient la société requérante, le rapport de la visite de contrôle des zones P1 " Basse Real " et P 2 " Roche Goulin " effectuée par une entreprise de travaux sous-marins le 29 juillet 2008, joint au dossier de consultation des entreprises, contient des informations relatives à la nature profonde de la roche en mentionnant, s'agissant de la zone P1, que " la roche présente de nombreuses fissures avec des veines apparentes (...) très peu de résistance mécanique aux chocs (...). Phénomène d'effritement et de fractures de la roche. On note dans la zone d'évitage de la chaîne de la bouée provisoire de balisage du chenal un arasement systématique des têtes de roches par le simple phénomène de ragage de la chaîne sur le fond, ce qui confirme une faible résistance... " et, s'agissant de la zone P2, que " la roche présente une meilleure résistance mécanique, mais comporte le même type de veines qu'en P1 avec une stratification visible... " ; que, d'autre part, l'article X du CCTP précise également que des échantillons de roches et une carte géologique de l'archipel de Molène " sont disponibles à la subdivision à Brest " et que " les hypothèses de sol nécessaires au calcul de la fiche des pieux seront déterminées en fonction de ces éléments " ; qu'il résulte de ces stipulations qu'il incombait à l'entreprise de préparer ses calculs en fonction des éléments d'information géologiques et géotechniques dont elle pouvait ainsi disposer ;

4. Considérant qu'il résulte également de l'instruction que c'est en raison de la nature du terrain naturel sus-décrite au point 3, en particulier de l'organisation des roches par strates fissurées, qu'après le début des travaux la société Armor a craint la réalisation d'ancrages médiocres si elle s'en tenait à sa variante et a proposé, lors d'une réunion tenue le 8 juin 2010, une solution par pieux battus, par une combinaison de trépanage et de battage avec forages préalables de décompression si nécessaire, constituant une véritable " modification du principe constructif " et revenant en fait à mettre en oeuvre la solution de base prévue dans l'appel d'offres ; que, par suite, la société Armor doit être regardée comme ayant été informée, ou au moins mise à même de s'informer, de l'hétérogénéité de la roche constituant le substratum du sol dans lequel devaient être implantées par forage les pieux des balises ; que les difficultés qu'elle a rencontrées sont ainsi dues à son propre choix de la variante qu'elle avait proposée et à l'insuffisante étude de la faisabilité de cette variante au regard des informations géologiques sur la nature du sol marin dont elle pouvait disposer ; que, dans ces conditions, la rencontre d'une géologie différente de celle initialement envisagée est exclusivement imputable à la société requérante et les sujétions auxquelles celle-ci a été soumise ne peuvent dès lors être regardées comme imprévisibles et extérieures ; qu'il suit de là que la requérante ne saurait obtenir l'indemnisation des prestations résultant de telles sujétions ;

En ce qui concerne les travaux supplémentaires :

S'agissant des travaux demandés par le maître d'ouvrage :

5. Considérant que le cocontractant de l'administration peut demander à être indemnisé, sur la base du contrat, des travaux supplémentaires réalisés sur ordre de service, ainsi que de ceux qui ont été réalisés sans ordre de service mais qui étaient indispensables à l'exécution du contrat dans les règles de l'art, sans qu'il soit besoin de rechercher si ces travaux supplémentaires ont ou non, par leur importance, bouleversé l'économie du marché ;

6. Considérant que si le procédé finalement adopté, consistant en la mise en oeuvre de tubes directement encastrés au moyen d'une combinaison de trépanage et de battage, avec éventuels forages préalables de décomposition, en lieu et place de la fixation dans les rochers sous chaque future balise d'une embase métallique à l'aide de micro-pieux forés, a été accepté par le maître d'oeuvre et a fait l'objet d'ordres de service des 10 et 18 juin 2010, ces ordres de service réservent expressément la question de la prise en charge des surcoûts générés par cette modification et il n'en résulte pour le maître d'ouvrage aucune plus-value sur l'ouvrage prévu au contrat ; qu'en tout état de cause, à supposer que les travaux invoqués puissent être regardés comme des travaux supplémentaires, en se bornant à produire pour la première fois en appel une lettre de contestation du 30 juin 2010 recommandée avec accusé de réception dont rien n'établit qu'elle aurait été reçue par le service maritime interdépartemental auquel elle est adressée, la société EMCC ne justifie pas avoir effectivement contesté dans le délai d'un mois prévu par l'article 14.4 du CCAG travaux le bordereau n° 1 de prix provisoires prévus par l'ordre de service n° 2010-05 du 29 juin 2010 qui lui a été notifié le lendemain ; que la société requérante ne saurait dès lors davantage prétendre à une indemnisation à ce titre ;

S'agissant des prestations indispensables :

7. Considérant que si elle sollicite l'indemnisation du coût des travaux générés par l'injection d'un coulis dans les vides annulaires entre le terrain et le pieu, de nature à favoriser un meilleur comportement des balises tout au long de leur existence, la société EMCC n'apporte en appel aucun élément de nature à établir que cette prestation, qui n'a pas été décidée par le maître d'ouvrage, a été indispensable à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art ; que cette prestation ne saurait, par suite, donner lieu à indemnisation tant en ce qui concerne les travaux proprement dits que " les heures passées d'ingénieur et de projeteur correspondantes " ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société EMCC n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que la société EMCC demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société EMCC est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société EMCC (entreprises Morillon Corvol Courbot) venant aux droits de la société Armor SNC et au ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2017, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président,

- Mme Loirat, président-assesseur,

- M. Bouchardon, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 29 mars 2017.

Le rapporteur,

L. BOUCHARDON

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

M. A...

La République mande et ordonne au ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 15NT01502


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 15NT01502
Date de la décision : 29/03/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Laurent BOUCHARDON
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : SELARL ARMEN

Origine de la décision
Date de l'import : 11/04/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2017-03-29;15nt01502 ?
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