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06/10/2017 | FRANCE | N°16NT00126

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 06 octobre 2017, 16NT00126


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. N... L...et Mme J... F...épouse L...ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à les indemniser ainsi que leurs enfants des préjudices résultant de la contamination de M. L... par le virus de l'hépatite C. La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Ille-et-Vilaine a, quant à elle, demandé la condamnation de l'Etablissement français du sang (EFS) à lui rembo

urser les frais exposés pour son assuré M.L....

Par un premier jugement n...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. N... L...et Mme J... F...épouse L...ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à les indemniser ainsi que leurs enfants des préjudices résultant de la contamination de M. L... par le virus de l'hépatite C. La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Ille-et-Vilaine a, quant à elle, demandé la condamnation de l'Etablissement français du sang (EFS) à lui rembourser les frais exposés pour son assuré M.L....

Par un premier jugement n° 1205091, 1300077 du 12 mars 2015, le tribunal administratif de Rennes a, avant de statuer sur les demandes présentées par les épouxL..., reconnu que l'indemnisation des préjudices subis par eux incombait à l'ONIAM et a ordonné un complément d'expertise médicale aux fins de décrire l'état de santé de M. L... et de préciser l'étendue des préjudices en lien avec cette contamination, enfin a sursis à statuer sur les conclusions de la CPAM d'Ille-et-Vilaine dans l'attente des résultats de cette expertise.

Par un second jugement n° 1205091, 1300077 du 19 novembre 2015, le tribunal administratif de Rennes a :

- condamné l'ONIAM à verser à M. L... la somme de 220 154,04 euros, sous déduction de la provision de 60 000 euros déjà versée ;

- condamné l'ONIAM à verser à Mme L... la somme de 8 000 euros en réparation de ses préjudices propres, ainsi qu'une somme de 3 000 euros pour chacun de ses enfants mineurs H...et MarieL...;

- condamné l'EFS à verser à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine la somme de 243 586,99 euros en remboursement des dépenses de santé actuelles relatives au syndrome hépatique, à la cardiopathie, et à l'affection diabétique, et des dépenses de santé futures relatives au syndrome hépatique et à la cardiopathie, l'EFS devant rembourser par ailleurs, sur justificatifs et dans la limite d'une somme de 1 901 716,89 euros, les frais futurs relatifs au traitement antidiabétique suivi par M. L... ;

- enfin mis à la charge définitive de l'ONIAM les frais de l'expertise ordonnée par le jugement du 12 mars 2015, liquidés et taxés à la somme de 1 300 euros.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête n°16NT00126 et des mémoires enregistrés les 18 janvier, 25 avril et 14 novembre 2016 l'Etablissement français du sang, représenté par MeB..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) à titre principal, d'annuler ces jugements des 12 mars et 19 novembre 2015 du tribunal administratif de Rennes en tant que celui-ci l'a condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine les sommes précitées, et de rejeter les conclusions de la demande de la CPAM d'Ille-et-Vilaine ;

2°) à titre subsidiaire, de réformer ces jugements en réduisant de 168 960,90 euros la somme lui incombant ;

3°) de condamner la CPAM d'Ille-et-Vilaine aux entiers dépens de première instance et d'appel et de mettre à sa charge la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il prend acte de la décision du 17 février 2016 du Conseil d'Etat statuant au contentieux, aux termes de laquelle le tiers payeur qui a exposé des dépenses pour la prise en charge d'un assuré contaminé par le virus de l'hépatite C peut exercer un recours subrogatoire à l'encontre de l'EFS sans avoir à établir que celui-ci a commis une faute ;

- il ne peut être condamné que s'il apparaît qu'il est couvert par une assurance ; or, dans le cas d'espèce, peuvent être responsables de la contamination de M. L...par le virus de l'hépatite C les IGG anti-varicelle administrés le 28 novembre 1978, fournis par le centre national de transfusion sanguine, et le culot de globules rouges administré en 1979 et provenant du centre régional de transfusion sanguine de Rennes ; ces établissements étaient assurés auprès de sociétés d'assurance différentes ; or la présomption d'imputabilité instituée par l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 ne l'est qu'au profit des victimes ; l'assureur ne peut être tenu que dans la limite de ses obligations contractuelles et la garantie d'assurance ne peut être recherchée que si la fourniture, par l'établissement assuré, du produit à l'origine de la contamination est démontrée ; l'ONIAM et l'EFS sont soumis aux mêmes conditions lorsqu'ils sollicitent la garantie des assureurs des anciens centres de transfusion sanguine repris par l'EFS, à savoir la démonstration de la fourniture d'un produits sanguin labile à l'origine de la contamination par le VHC par un centre de transfusion déterminé ; dès lors que l'EFS est dans l'incapacité de déterminer la provenance du produit sanguin à l'origine de la contamination de M. L...par le VHC, il se trouve dans l'impossibilité d'appeler en garantie un quelconque assureur ce qui rend également impossible la mise en jeu de la couverture assurantielle ;

- l'existence d'un contrat d'assurance ne permet pas de garantir l'effectivité de la prise en charge du risque dès lors que cette question relève de la compétence du juge judiciaire et non du juge administratif ; si la cour estimait que l'EFS ne justifie pas de son absence d'assurance au cas d'espèce, il conviendrait de poser une question préjudicielle aux juridictions judiciaires ;

- à titre subsidiaire, il y a lieu de réformer le jugement attaqué du 19 novembre 2015 quant au montant de la créance de la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine ; en effet, dès lors qu'il n'est pas possible d'imputer totalement et certainement la maladie cardiaque de M. L...au traitement antiviral, c'est à tort que les premiers juges ont mis à la charge de l'EFS les débours exposés à hauteur de 168 960,90 euros par la CPAM à ce titre ; le tribunal ne pourra, par ailleurs, faire droit à la demande de cet organisme s'agissant de l'indemnité forfaitaire de gestion qu'à hauteur de 10 euros.

Par des mémoires enregistrés les 17 mars 2016 et 25 avril 2017 M. N...L..., Mme J...L...et leurs enfants, H...et O...L..., représentés par MeG..., concluent au rejet de la requête de l'Etablissement français du sang et des conclusions présentées par l'ONIAM et à ce que soit mise à la charge de ces deux établissements la somme de 4 000 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que les moyens invoqués par l'EFS et par l'ONIAM ne sont pas fondés.

Une mise en demeure a été adressée le 13 octobre 2016 à la Mutuelle nationale des caisses d'épargne.

Par un mémoire enregistré le 17 octobre 2016 l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par MeI..., s'en remet à la sagesse de la cour en ce qui concerne le mérite de l'appel formé par l'Etablissement français du sang.

Par des mémoires enregistrés les 18 octobre 2016 et 11 avril 2017 la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine, représentée par Me DiPalma, conclut au rejet de la requête de l'Etablissement français du sang et des demandes de l'ONIAM, à la capitalisation des intérêts sur les sommes qui lui ont été attribuées en première instance et à ce que soient mis à la charge solidaire de ces deux établissements la somme de 1055 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, les dépens et la somme de 4000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par l'Etablissement français du sang ne sont pas fondés.

II. Par une requête n°16NT00139 et un mémoire enregistrés les 18 janvier et 28 avril 2016, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par MeI..., demande à la cour de réformer le jugement du tribunal administratif de Rennes du 19 novembre 2015 en tant qu'il l'a condamné à verser à M. L...la somme de 125 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent et, à titre subsidiaire, de réduire la somme mise à sa charge au titre de ce chef de préjudice.

Il soutient que :

- M. L...est désormais guéri du virus de l'hépatite C et, la pathologie liée à la cirrhose ayant évolué favorablement, seule la date du 6 janvier 2016 peut être retenue comme date de consolidation de l'état de santé de M. L...et non le 25 septembre 2012 ;

- le taux de 40% de déficit fonctionnel permanent ne saurait être retenu ; seul un taux de 8% peut être retenu pour le déficit fonctionnel permanent imputable à la cirrhose; le taux de 10% fixé par l'expert s'agissant de la prise en compte du diabète ne peut être retenu comme imputable au VHC que pour moitié ; enfin aucune imputabilité directe et certaine entre la cardiopathie présentée par M. L...et le traitement anti-VHC ne peut être retenue alors que l'expert relève une étiologie incertaine de cette cardiopathie et l'existence d'autres facteurs causals ; seuls 85% des 10% de déficit fonctionnel permanent fixés pour la cardiopathie sont imputable au VHC ; ainsi, l'évaluation du déficit fonctionnel permanent imputable à la contamination par le VHC ne peut excéder 15% (10% pour la cirrhose et 5% pour le diabète) et, subsidiairement, 23,5% (10% pour la cirrhose, 5% pour le diabète et 8,5% pour la cardiopathie) ;

-l'évaluation du déficit fonctionnel permanent à hauteur de 125 000 euros est manifestement excessive ; compte tenu de l'âge de M. L...et d'une date de consolidation au 6 janvier 2016, il convient en définitive de retenir un taux de déficit fonctionnel permanent de 13%, soit une somme de 17 384 euros ou, subsidiairement avec un taux de 21,5%, la somme de 33 769 euros.

Par des mémoires enregistrés les 29 février 2016 et 11 avril 2017 la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine, représentée par Me DiPalma, conclut au rejet de la requête de l'ONIAM, à la capitalisation des intérêts sur les sommes qui lui ont été attribuées en première instance et à ce que soient mis à la charge solidaire de l'ONIAM et de l'EFS la somme de 1 055 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, les dépens et la somme de 4000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens invoqués par l'ONIAM ne sont pas fondés.

Par des mémoires enregistrés les 17 mars 2016 et 25 avril 2017, M. N...L..., Mme J...L...et leurs enfants, H...et O...L..., représentés par MeG..., concluent au rejet de la requête de l'ONIAM et à ce que soit mise à la charge de cet établissement et de l'EFS la somme de 4 000 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que les moyens invoqués par l'ONIAM ne sont pas fondés.

Par des mémoires enregistrés les 25 avril et 14 novembre 2016, l'Etablissement français du sang, représenté par MeB..., réitère en invoquant les mêmes moyens les conclusions qu'il a présentées à titre principal dans l'instance 16NT00126.

Une mise en demeure a été adressée le 13 octobre 2016 à la Mutuelle nationale des caisses d'épargne.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;

- l'article 67 de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009, modifié par l'article 72 de la loi n°2012-1404 du 17 décembre 2012 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coiffet,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- les observations de MeC..., représentant l'Etablissement français du sang, et de Me Costard, représentant les consortsL....

1. Considérant que la requête n° 16NT00126 présentée par l'Etablissement français du sang (EFS) et la requête n° 16NT00139 présentée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) sont dirigées contre les mêmes jugements et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt ;

2. Considérant que M. N... L..., né en 1974, s'est vu diagnostiquer une hépatite C le 10 septembre 2007 ; qu'estimant que sa contamination était imputable aux transfusions sanguines reçues au centre hospitalier universitaire de Rennes en 1978 et 1979, alors qu'enfant il était traité pour un lymphome lymphoblastique, il a adressé le 18 avril 2011 une demande d'indemnisation à l'ONIAM, qui a ordonné une expertise confiée au docteur Le Gueut ; que le rapport de cet expert a été déposé le 22 octobre 2012 ; qu'au vu de ce rapport, l'ONIAM n'a pas formulé d'offre indemnitaire, mais a décidé d'ordonner une nouvelle expertise, à laquelle M. L... a refusé de participer ; que ce dernier et son épouse, en son nom propre et au nom de ses enfants alors mineurs, ont, respectivement le 14 décembre 2012 et le 9 janvier 2013, saisi le tribunal administratif de Rennes de demandes tendant à ce que soit mise à la charge de l'ONIAM l'indemnisation des préjudices subis par eux du fait de la contamination de M.L... ; que, par un premier jugement du 12 mars 2015, le tribunal administratif de Rennes a, avant de statuer sur les demandes présentées par les épouxL..., et après avoir reconnu que l'indemnisation des préjudices subis par les demandeurs incombait à l'ONIAM, ordonné un complément d'expertise médicale aux fins de décrire l'état de santé de M. L... et de préciser l'étendue des préjudices en lien avec cette contamination ; que l'expert désigné par le tribunal, le docteur Le Floch, gastro-entérologue, a remis son rapport le 22 avril 2015 ; que par un second jugement du 19 novembre 2015, la juridiction a condamné l'ONIAM à verser, d'une part, à M. L... la somme de 220 154,04 euros, sous déduction de la provision de 60 000 euros déjà versée, d'autre part, à Mme L... une somme de 8 000 euros en réparation de ses préjudices propres, ainsi qu'une somme de 3 000 euros pour chacun de ses enfants, H...et O...L..., enfin a condamné l'EFS à verser à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Ille-et-Vilaine la somme de 243 586,99 euros en remboursement des dépenses de santé actuelles relatives au syndrome hépatique, à la cardiopathie, et à l'affection diabétique, et des dépenses de santé futures relatives au syndrome hépatique et à la cardiopathie, l'EFS devant rembourser par ailleurs, sur justificatifs et dans la limite de 1 901 716,89 euros, les frais futurs relatifs au traitement antidiabétique suivi par M. L... ;

3. Considérant que, sous le n°16NT00126, l'Etablissement français du sang demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures, à titre principal, d'annuler ces jugements du tribunal administratif de Rennes des 12 mars 2015 et 19 novembre 2015 en tant qu'il a été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine les sommes précitées, et, subsidiairement, de réformer ces jugements à hauteur de 168 960,90 euros ; que, sous le n°16NT00139, l'ONIAM demande à la cour, à titre principal, de juger que l'état de santé de M. L... ne peut être regardé comme consolidé avant le 6 janvier 2016 et que le déficit fonctionnel permanent retenu doit être réduit, de même que la somme de 125 000 euros à laquelle il a été condamné à ce titre, et, subsidiairement, d'estimer qu'il ne peut être retenu un lien de causalité direct et certain entre la cardiopathie présentée par M. L...et sa contamination par le VHC et de fixer le taux de déficit fonctionnel permanent total imputable à la contamination par le VHC à 13% et subsidiairement à 21.5%, enfin de juger que l'indemnisation n'excédera pas la somme de 21 037 euros ou, à titre subsidiaire, la somme de 38 581 euros ;

Sur l'action subrogatoire de la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine contre l'Etablissement français du sang :

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique dans sa rédaction applicable : " Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite B ou C ou le virus T-lymphotropique humain causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang réalisée sur les territoires auxquels s'applique le présent chapitre sont indemnisées au titre de la solidarité nationale par l'office mentionné à l'article L. 1142-22 dans les conditions prévues à la seconde phrase du troisième alinéa de l'article L. 3122-1, aux deuxième et troisième alinéas de l'article L. 3122-2, au premier alinéa de l'article L. 3122-3 et à l'article L. 3122-4, à l'exception de la seconde phrase du premier alinéa. / (...) L'office et les tiers payeurs ne peuvent exercer d'action subrogatoire contre l'Etablissement français du sang, venu aux droits et obligations des structures mentionnées à l'avant-dernier alinéa, si l'établissement de transfusion sanguine n'est pas assuré, si sa couverture d'assurance est épuisée ou encore dans le cas où le délai de validité de sa couverture est expiré. " ;

5. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que l'Etablissement français du sang ne peut être condamné à rembourser les débours exposés par la caisse primaire d'assurance maladie au profit de son assuré social victime avérée d'une contamination transfusionnelle par le VHC que lorsque cet établissement peut lui-même bénéficier d'une garantie par les assureurs des structures qu'il a reprises ou par ses propres assureurs ; qu'une telle garantie n'est possible qu'à la condition, d'une part, que le ou les centres de transfusions sanguines fournisseurs du ou des produits effectivement administrés à la victime soient identifiés et, d'autre part, qu'ils soient assurés, que leur couverture d'assurance ne soit pas épuisée ou encore que le délai de validité de cette couverture ne soit pas expiré ;

6. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction, notamment des rapports d'expertise des docteurs Le Gueut et Le Floch, que M. L...a reçu entre le 22 octobre 1978 et le 14 juin 1979, au cours de son hospitalisation au CHU de Rennes, plusieurs transfusions sanguines ainsi que des IGG anti-varicelle qui lui ont été administrés le 28 novembre 1978 ; que l'inventaire précis des culots globulaires transfusés, qui provenaient tous du centre de transfusion (CTS) de Rennes, a été établi par le professeur Le Gall le 24 octobre 2007, et qu'il en est résulté qu'un seul donneur ne pouvait être identifié ; que, par ailleurs, il est constant que les produits sanguins dont sont tirées les IGG anti varicelles, qui ont été fournies par le centre national de transfusion sanguine, proviennent de nombreux dons sanguins différents qu'il n'est pas possible d'identifier ; que, dans ces conditions, le produit sanguin qui est à l'origine de la contamination de M. L...ne saurait provenir que de deux établissements parfaitement identifiés ;

7. Considérant, d'autre part, qu'il est constant que le CTS de Rennes était, pour les années 1978 et 1979, assuré sous les n° de police 69 899 563 et 7 786 979 respectivement auprès de la société AGF, selon la déclaration de sinistre effectuée le 24 février 2012, et auprès de la Compagnie Groupe Ancienne Mutuelle ; qu'il est également non contesté que le centre national de transfusion sanguine était couvert par une police d'assurance ; que l'EFS ne saurait par suite, sans l'établir d'ailleurs par un quelconque commencement de preuve, avancer en appel qu'il subsisterait une incertitude sur les centres de transfusion sanguine ayant fourni les produits sanguins incriminés ; qu'en se bornant, par ailleurs, à invoquer la circonstance que la police d'assurance n° 69 899 563 évoquée ci-dessus n'a pu être retrouvée dans les archives de l'établissement ainsi que l'absence de réponse des deux compagnies d'assurance précitées à sa demande de précision sur la couverture assurantielle du CTS de Rennes, l'Etablissement français du sang ne rapporte pas davantage, par cette argumentation, la preuve, qui lui incombe, de l'absence ou de l'épuisement de la couverture assurantielle de l'établissement ; que, dans ces conditions, et alors même qu'il est impossible de déterminer lequel des deux établissements concernés a fourni le produit à l'origine de la contamination (CTS de Rennes et CNTS), c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine était fondée, par la voie de l'action subrogatoire, à demander à l'EFS le remboursement des débours qu'elle a exposés du fait de la contamination de M. L... par le virus de l'hépatite C ; que les conclusions présentées par cet établissement à titre principal ne peuvent par suite qu'être rejetées ;

Sur les droits à indemnisation de M.L... :

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. L... a été diagnostiqué positif au virus de l'hépatite C le 10 septembre 2007 ; qu'un traitement antirétroviral par bithérapie associant Interferon et Ribavirine a été engagé en décembre 2007 et a permis une négativation de la charge virale au 6ème mois de traitement ; que le fibroscan réalisé en mai 2008 a révélé un état de fibrose hépatique F3 à F4 ; qu'alors que le traitement antirétroviral était en cours, M. L... a dû être hospitalisé le 31 octobre 2008 pour un tableau d'insuffisance cardiaque globale congestive ; que la bithérapie a alors été arrêtée ; que les examens réalisés au cours de son hospitalisation ont mis en évidence une cardiomyopathie dilatée évoluée, nécessitant la mise en place d'un traitement médicamenteux, puis la pose d'un défibrillateur automatique en janvier 2009 ; que, si cette intervention a permis une nette amélioration de la pathologie cardiaque de M. L..., l'intéressé reste atteint d'une dyspnée de stade 2 ; que M. L... s'est, par ailleurs, vu diagnostiquer au mois d'août 2009 un diabète, qui a nécessité une nouvelle hospitalisation et une insulinothérapie ; que l'intéressé s'est vu, après avoir subi plusieurs arrêts de travail, reconnaître la qualité de travailleur handicapé en 2010 et est placé en invalidité de 1ère catégorie depuis le mois de janvier 2011 ; que, s'il a conservé son poste de chargé de clientèle dans un établissement bancaire, il a dû réduire son temps de travail à 77,87 % ; que la biopsie hépatique réalisée en novembre 2011 a mis en évidence un score Métavir A2F4 ;

En ce qui concerne la date de consolidation de l'état de santé de M.L... :

9. Considérant que le professeur Le Gueut, expert désigné par l'ONIAM, a estimé que l'état de santé de M. L... était " stabilisé " au 25 septembre 2012, date de son rapport, le traitement antiviral administré à l'intéressé ayant permis d'annuler la charge virale dans son organisme ; que, toutefois, le docteur Joly-Le Floch, désigné par le tribunal administratif, a, quant à lui, en tenant compte du traitement administré à M. L... du 6 mai au 22 octobre 2014, estimé que ce dernier devait être regardé comme " guéri de l'hépatite C, 6 mois plus tard soit le 11 avril 2015 ", relevant cependant la persistance d'une cirrhose à caractère évolutif ; qu'il y a lieu, dès lors, compte tenu de ces constatations médicales qu'aucun élément ne permet de remettre en cause, de fixer au 11 avril 2015 et non au 25 septembre 2012, date retenue par les premiers juges, la date de consolidation de l'état de santé de M.L... et de tenir compte de cette date pour la détermination des préjudices subis par celui-ci ; que, par voie de conséquence, l'ONIAM ne peut sérieusement soutenir que, faute de pouvoir fixer une date de " stabilisation " de l'état de santé de M.L..., seule une indemnisation provisionnelle devrait lui être allouée en réparation des préjudices qu'il subit ;

En ce qui concerne le taux du déficit fonctionnel permanent :

10. Considérant que le docteur Joly-Le Floch a évalué le déficit fonctionnel permanent (DFP) subi par M. L... à 40 %, dont 20 % au titre de la cirrhose, 10 % au titre du diabète et 10 % au titre de la cardiopathie séquellaire, avec, pour ce dernier pourcentage, un taux de certitude de 85 à 90% ; que les premiers juges ont retenu sur cette base un taux global de DFP de 38 ,5% ;

11. Considérant, en premier lieu, que, s'agissant de la cirrhose dont est atteint M. L..., il résulte de l'instruction que le docteur Joly-Le-Floch a, le 22 avril 2015, après avoir rappelé le barème Eska qui attribue 10 à 40% à une cirrhose non décompensée et celui du concours médical qui fixe 10 à 20% de DFP pour une cirrhose Child A, décidé de retenir une valeur moyenne de 20%, " compte tenu de la bonne compensation actuelle de la cirrhose " en précisant qu'il s'agissait d'un taux " plancher " de DFP pour le patient dont l'état hépatique était stabilisé mais qui présentait une hypertension portale débutante, indiquant enfin que ce taux pourrait être revu en aggravation en cas d'évolution défavorable de la maladie hépatique ; qu'aucun élément de l'instruction ne permet de remettre en cause la pertinence de cette appréciation sérieusement étayée par l'expert ; que l'ONIAM n'est, par suite, pas fondé à revendiquer qu'un taux de 10% soit retenu à ce titre ;

12. Considérant, en deuxième lieu, s'agissant de la prise en compte du diabète affectant M. L..., que le même expert, après avoir indiqué que le virus de l'hépatite C était responsable d'une augmentation de 70 % du risque de diabète et relevé qu'il n'existait pas d'antécédent de cette pathologie dans la famille de l'intéressé et que la prise de poids constatée chez celui-ci n'était pas suffisante pour expliquer la pathologie, a estimé que celle-ci était totalement imputable au virus de l'hépatite C ; qu'en l'absence de tout élément scientifique ou médical précis versé aux débats permettant de remettre en cause cette appréciation, l'ONIAM n'est pas fondé à demander que le diabète dont souffre M. L...ne soit estimé que pour moitié imputable au VHC ;

13. Considérant, en troisième lieu, que, s'agissant de la cardiopathie révélée chez la victime en 2008, il résulte de l'instruction qu'en réponse à la question précise posée par le tribunal dans son jugement du 12 mars 2015, le docteur Joly-Le Floch a, dans son rapport d'expertise, indiqué que le traitement antirétroviral par Interferon administré à M. L... constituait le facteur révélateur de la décompensation cardiaque d'une cardiomyopathie dont l'origine était plus incertaine ; qu'il a, à cet égard, précisé que l'amélioration de la fonction cardiaque du patient après l'arrêt de ce traitement ne lui avait toutefois pas permis de retrouver une capacité cardiaque normale, ce qui laissait présumer l'existence d'un état antérieur, sans que celui-ci puisse être évalué avec précision en l'absence d'échographie cardiaque pratiquée avant le début du traitement antiviral ; que l'expert a, dans ces conditions, retenu une imputabilité partielle de la cardiopathie à l'hépatite C et à son traitement, qu'il a évaluée à un niveau compris entre 85 % et 90 % pour tenir compte d'une incertitude concernant les antécédents de M. L... ; que, sur la base de cette appréciation qui n'est là aussi contredite par aucun élément d'ordre médical versé aux débats, les premiers juges ont pu à juste titre retenir, contrairement à ce que soutiennent en appel l'EFS et l'ONIAM, que 85% des conséquences de la cardiopathie étaient susceptibles d'être imputés au virus de l'hépatite C et à son traitement ; qu'il suit de là que le pourcentage total de DFP de 38,5 % retenu par les juges de première instance doit être confirmé ;

14. Considérant, toutefois, en quatrième lieu, et ainsi qu'il a été rappelé au point 9, que la date de consolidation de l'état de santé de M. L...doit être fixée au 11 avril 2015 ; que, compte tenu de l'âge de ce dernier à cette date et du pourcentage de DFP de 38,5% confirmé par le présent arrêt, l'indemnité mise à la charge de l'ONIAM au titre du déficit fonctionnel permanent subi par M. L... doit être ramenée à la somme de 109 340 euros ; que l'office est ainsi fondé à solliciter la réformation du jugement attaqué, lequel a retenu à ce titre une somme de 125 000 euros ;

Sur la créance et les demandes de la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine :

15. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que l'EFS n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont mis à sa charge les débours exposés par la CPAM pour le traitement de la cardiopathie de M.L..., soit une somme de 168 960,90 euros ;

16. Considérant que la somme totale de 243 586,99 euros que l'EFS a été condamné par le tribunal administratif de Rennes à verser à la CPAM d'Ille-et-Vilaine, et qui est confirmée par le présent arrêt, a commencé à porter intérêts à compter du 19 novembre 2015, date de lecture du jugement ; qu'ainsi que le demande la CPAM en appel, ces intérêts peuvent être capitalisés à compter du 18 octobre 2016, date de sa demande à laquelle était due au moins une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

17. Considérant que la somme de 1037 euros que l'Etablissement français du sang a été condamné à verser à la CPAM d'Ille-et-Vilaine au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion peut être actualisée et portée 1055 euros ;

18. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de saisir le juge judiciaire d'une question préjudicielle, que l'Etablissement français du sang n'est pas fondé à solliciter la réformation des jugements attaqués ; que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est, quant à lui, fondé à obtenir la réformation du jugement du tribunal administratif de Rennes du 19 novembre 2015 dans la mesure énoncée au point 14 ;

Sur la charge des dépens :

19. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser les frais de l'expertise judiciaire liquidés et taxés à la somme de 1 300 euros par l'ordonnance du 31 août 2015 à la charge exclusive de l'ONIAM ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

20. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à la charge de chacune des parties les sommes qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête n°16NT00126 de l'Etablissement français du sang est rejetée.

Article 2 : La somme totale de 220 154,04 euros que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales a été condamné par le tribunal administratif de Rennes à verser à M. L...est ramenée à 204 494,04 euros .

Article 3 : Les intérêts courant à compter du 19 novembre 2015 sur la somme de 243 586,99 euros que l'Etablissement français du sang a été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine seront capitalisés à la date du 18 octobre 2016 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 4 : La somme de 1037 euros que l'Etablissement français du sang a été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion est portée 1055 euros.

Article 5 : Le jugement n° 1205091, 1300077 du tribunal administratif de Rennes en date du 19 novembre 2015 est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 2 et 4.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et les conclusions présentées par les consorts L...et la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à l'Etablissement français du sang, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine, à M. N...L..., à Mme J...L...et à la mutuelle nationale des caisses d'épargne.

Délibéré après l'audience du 19 septembre 2017, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- Mme Le Bris, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 6 octobre 2017.

Le rapporteur,

O. CoiffetLe président,

I. Perrot

Le greffier,

M. Laurent

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

5

N° 16NT00126, 16NT00139


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 16NT00126
Date de la décision : 06/10/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-05-03 Responsabilité de la puissance publique. Recours ouverts aux débiteurs de l'indemnité, aux assureurs de la victime et aux caisses de sécurité sociale. Subrogation.


Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : SCP DUROUX-COUERY

Origine de la décision
Date de l'import : 17/10/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2017-10-06;16nt00126 ?
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