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23/02/2018 | FRANCE | N°16NT03940

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 23 février 2018, 16NT03940


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La communauté de communes du pays de Baud a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner conjointement et solidairement l'Etat, la société EGTP et la société Colas centre ouest, sur le fondement des principes régissant la garantie décennale des constructeurs, à lui verser la somme de 407 000 euros HT.

Par un jugement n°1303360 du 6 octobre 2016, le tribunal administratif de Rennes a condamné conjointement et solidairement l'Etat, la SA Colas centre ouest et la SNC Eiffage travaux publi

cs ouest à verser une somme de 211 000 euros hors taxe à la communauté de commu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La communauté de communes du pays de Baud a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner conjointement et solidairement l'Etat, la société EGTP et la société Colas centre ouest, sur le fondement des principes régissant la garantie décennale des constructeurs, à lui verser la somme de 407 000 euros HT.

Par un jugement n°1303360 du 6 octobre 2016, le tribunal administratif de Rennes a condamné conjointement et solidairement l'Etat, la SA Colas centre ouest et la SNC Eiffage travaux publics ouest à verser une somme de 211 000 euros hors taxe à la communauté de communes du pays de Baud, a condamné l''Etat à garantir la SA Colas centre ouest à hauteur de 80 % de la condamnation prononcée, a condamné la SNC Eiffage travaux publics ouest à garantir la SA Colas centre ouest à hauteur de 13 % de la condamnation prononcée, a condamné la SNC Eiffage travaux publics ouest à garantir l'Etat à hauteur de 13 % de la condamnation prononcée et enfin a condamné conjointement et solidairement la SNC Eiffage travaux publics ouest et la SA Colas centre ouest à garantir l'Etat à hauteur de 7 % de la condamnation prononcée.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 décembre 2016, régularisée le 26 décembre 2016, la société Eiffage Route Ouest, venant aux droits de SNC Eiffage travaux publics, elle-même venant aux droits de la SA EGTP, représentée par MeC..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 6 octobre 2016 du tribunal administratif de Rennes ;

2°) de rejeter la demande de la communauté de communes " Baud Communauté " comme irrecevable ;

3°) à titre subsidiaire de rejeter la demande de la communauté de communes " Baud Communauté " au fond ;

4°) de condamner l'Etat à garantir la société Eiffage Route Ouest de l'intégralité des condamnations éventuellement mises à sa charge ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande déposée par la communauté de communes du pays de Baud devant le tribunal administratif était irrecevable dès lors qu'elle visait une partie qui n'existe pas, la société EGTP, qui a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 14 février 2011, antérieurement à la demande ;

- l'expert ne retient aucune responsabilité de la société EGTP dès lors que selon lui la réalisation était conforme aux stipulations contractuelles et que les entreprises ne pouvaient avoir connaissance des contraintes de service de la zone et ne pouvaient donc conseiller le maître d'ouvrage ; l'expert a écarté l'argument de l'Etat selon lequel la société EGTP aurait complètement escamoté la réalisation de la couche de fondation en l'intégrant dans la couche de forme en indiquant qu'il n'y avait pas eu d'escamotage de la part de l'entreprise dans la mise en oeuvre des différents matériaux ; l'affirmation de l'Etat selon laquelle la société EGTP aurait mis en oeuvre une granulométrie non pas de 0/100, conforme au marché, mais de 0/150 a été contredite à plusieurs reprises par l'expert ; le CCTP prévoyait une granulométrie de 0/63 et non pas de 0/100 et la DDTM a décidé unilatéralement de modifier cette exigence dans l'appel d'offre et dans le marché de travaux ; les entreprises ont, quand elles le pouvaient, suppléé la carence de la maîtrise d'oeuvre qui a été défaillante sur les études en amont ; elles ont respecté les termes du marché et rempli leur devoir de conseil ; le maître d'ouvrage a lui-même été défaillant en ne fournissant pas d'étude de faisabilité.

Par un mémoire en défense et d'appel incident, enregistré le 24 février 2017, la société Colas Centre Ouest, représentée par MeD..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de la société Eiffage Route Ouest comme irrecevable ;

2°) de rejeter l'ensemble des demandes formulées à son encontre ;

3°) subsidiairement, de condamner l'Etat, la société Eiffage Route Ouest et la société SBCEA Audo à la garantir des sommes mises à sa charge en principal, dommages intérêts, intérêts et frais de toute sorte ;

4°) de mettre à la charge de la société Eiffage Route Ouest, le cas échéant solidairement avec toutes parties succombantes, à lui payer la somme de 5 000 euros par application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête adressée par télécopie le 5 décembre 2016 à la cour est irrecevable dès lors qu'elle ne visait aucune partie intimée en défense, en méconnaissance de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ; cette irrégularité a été corrigée le 26 décembre 2016, soit postérieurement à l'expiration du délai d'appel ;

- elle n'a participé qu'au programme de travaux pour l'année 2004 et ne saurait être condamnée conjointement et solidairement avec la société EGTP ;

- le programme de 2004 a été attribué à un groupement d'entreprises temporaire ; chaque entreprise n'est tenue qu'à raison de ses travaux propres, sauf démonstration d'une solidarité subsistante ;

- les désordres ne revêtent pas un caractère décennal ; les désordres ne sont pas généralisés, mais localisés, ils ne sont pas cause d'impropriété à l'usage, l'atteinte à la solidité reste dans l'ordre du dommage futur et hypothétique ;

- le jugement a retenu à tort qu'elle a utilisé des matériaux non conformes au CCTP ;

- les entreprises ont fait valoir leur devoir de conseil en rajoutant une protection des voiries en phase provisoire ;

- la définition et la conception des ouvrages ont été défaillantes ce qui est imputable à l'Etat.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 avril 2017, la communauté de communes " Centre Morbihan Communauté ", qui s'est substituée à la communauté de communes " Baud Communauté ", représentée par MeB..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) à titre subsidiaire, de rejeter les demandes des sociétés Eiffage Route Ouest et Colas Centre Ouest, de réformer le jugement querellé en ce qu'il a limité l'indemnité devant lui être versée à la somme de 211 000 euros HT et de condamner conjointement et solidairement l'Etat, la société EGTP et la société Colas Centre Ouest, au titre des désordres affectant les ouvrages à lui verser la somme de 407 000 euros HT, avec intérêts et capitalisation des intérêts à compter du 18 septembre 2013 ;

3°) de mettre conjointement et solidairement à la charge de l'Etat, de la société EGTP et de la société Colas Centre 0uest la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête adressée par télécopie le 5 décembre 2016 à la cour est irrecevable dès lors qu'elle ne visait aucune partie intimée en défense, en méconnaissance de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ; cette irrégularité a été corrigée le 26 décembre 2016, soit postérieurement à l'expiration du délai d'appel, le 7 décembre 2016 ;

- par voie de conséquence, l'appel incident de la société Colas Centre Ouest est irrecevable ;

- ses conclusions tendant à mettre en cause la société EGTP sont recevables ;

- les désordres affectant la chaussée de la zone d'activités de " Ty Er-Douar- Le Douarin ", qui la rendent impropre à sa destination et en compromettent la solidité, engagent la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale ;

- les sociétés Eiffage Route Ouest et Colas Centre Ouest ont manqué à leur devoir de conseil à l'égard du maître d'ouvrage ;

- si la réalisation du programme des travaux de 2003 a été confiée à la seule entreprise EGTP, la société Colas Centre Ouest était membre du groupement d'entreprises solidaire formé avec la société EGTP auquel a été attribué le programme de travaux de 2004 ; les sociétés Eiffage Route Ouest et Colas Centre Ouest ont toutes deux participé à la construction de l'ouvrage en cause ;

- c'est à tort que le tribunal a limité son indemnisation à la somme de 211 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juin 2017, la société SBCEA Audo, représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de mettre à la charge de la société Colas Centre Ouest et/ou de toute autre partie succombante le paiement de la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a été mise hors de cause par le tribunal ;

- seule la société Colas Centre Ouest demande à titre subsidiaire qu'elle soit intégralement garantie par la société SBCEA Audo mais ne motive ni ne fonde ses prétentions à son encontre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juin 2017, les ministres de la transition écologique et solidaire et de la cohésion des territoires demandent à la cour :

1°) de rejeter la requête de la SNC Eiffage Travaux Publics Ouest et l'appel incident de la société Colas Centre Ouest Ouest ;

2°) à titre subsidiaire, de confirmer le jugement en tant qu'il a limité la garantie de l'Etat à 80 % des condamnations prononcées à l'égard de la SNC Eiffage Travaux Publics Ouest et la société Colas Centre Ouest.

Ils soutiennent que :

- sa mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) se limitait à la finalisation du volet urbanistique de la zone d'activités ;

- le maître d'ouvrage n'a jamais clairement indiqué que la zone artisanale avait en réalité une vocation industrielle impliquant le passage répété de poids-lourds de gros tonnage ;

- elle ne disposait d'aucun élément lui permettant d'anticiper l'évolution du trafic, l'expert ne pouvant retenir rétroactivement une voirie de catégorise T3+ ;

- la société EGTP n'a pas réalisé la couche de fondation, qu'elle a intégrée à la couche de forme, l'exécution des travaux par cette entreprise et la société Colas étant gravement déficiente ;

- le coût des travaux de remise en état de la chaussée correspond à une voirie destinée à un trafic supérieur à celui initialement prévu, qui ne saurait être pris en charge par l'Etat et prolongerait la durée de vie de cet ouvrage, générant une plus value pour la communauté de communes requérante.

La clôture de l'instruction a été fixée le 29 décembre 2017.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique ;

- le rapport de Mme Tiger-Winterhalter, présidente-assesseure ;

- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public ;

- les observations de Me C...représentant la société Eiffage Route Ouest ;

- les observations de MeF..., représentant la société Colas Centre Ouest ;

- et les observations de Me E...représentant la communauté de communes " Centre Morbihan Communauté ".

1. Considérant que la communauté de communes du pays de Baud dite " Baud Communauté ", à laquelle s'est substituée la communauté de communes " Centre Morbihan Communauté ", a réalisé une zone d'activités à vocation artisanale et industrielle, dénommée zone de " Ty-Er-Douar - Le Douarin " ; que les travaux de voirie ont donné lieu à la passation de trois marchés de travaux ; que les programmes de travaux de 2003 et de 2006 ont été confiés à la société EGTP, tandis que le programme de travaux de 2004 a été confié à un groupement solidaire constitué de cette même société et de la société Colas Centre Ouest ; que le lot n°1 " construction des réseaux eaux usées et eaux pluviales " du programme de travaux de 2003 a été attribué à la société SBCEA Audo ; que la direction départementale de l'équipement (DDE) du Morbihan, devenue depuis le 1er janvier 2010 la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) du Morbihan, s'est vue confier une mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage en 2002 pour le volet urbanistique ainsi qu'une mission de maîtrise d'oeuvre pour l'ensemble des travaux de voirie ; que ces travaux ont été réceptionnés sans réserve en 2007 en ce qui concerne les travaux relatifs à la chaussée ; que, toutefois, des désordres consistant notamment en un faïencage de la chaussée ont été constatés à partir de l'année 2010 ; qu'une expertise a été ordonnée, à la demande de la communauté de communes, le 12 juillet 2010 ; que l'expert a déposé son rapport au greffe du tribunal administratif de Rennes le 31 mai 2012 ; que par un jugement du 6 octobre 2016, ce même tribunal a condamné conjointement et solidairement l'Etat ainsi que les sociétés EGTP et Colas Centre Ouest à verser à la communauté de communes la somme de 211 000 euros HT, sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs, ainsi que la somme de 19 110,67 euros au titre des frais d'expertise ; que le tribunal a, d'une part, condamné l'Etat à garantir la société Colas Centre Ouest à hauteur de 80 % de la condamnation prononcée à son encontre et, d'autre part, condamné la SNC Eiffage Travaux Publics Ouest à garantir la Société Colas Centre Ouest et l'Etat à hauteur de 13 % chacune des condamnations prononcées à leur encontre ; qu'enfin, la société SNC Eiffage Travaux Publics Ouest et la Société Colas Centre Ouest ont été condamnées à garantir conjointement et solidairement l'Etat à hauteur de 7 % des condamnations prononcées à son encontre ; que la société Eiffage Route Ouest relève appel de ce jugement et demande, à titre principal, que l'ensemble des conclusions dirigées contre elle soient rejetées et, à titre subsidiaire, que l'Etat soit condamné à la garantir des condamnations prononcées à son encontre ; que la communauté de communes " Centre Morbihan Communauté " demande, à titre principal, le rejet de la requête et à titre subsidiaire, par la voie de l'appel incident et provoqué, que le montant de l'indemnisation de son préjudice soit porté à la somme de 407 000 euros HT ; que l'Etat demande le rejet de la requête de la SNC Eiffage Route Ouest et de l'appel incident de la société Colas Ouest et la confirmation du jugement en ce qu'il limite sa garantie à 80 %, tandis que la société Colas Centre Ouest conclut à titre principal au rejet de la requête et, à titre subsidiaire, par la voie de l'appel incident et provoqué, que la société Eiffage Route Ouest et la société SBEA Audo la garantissent de toutes les condamnations prononcées à son encontre ; que la société SBEA Audo conclut au rejet pur et simple de la requête ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par la communauté de communes et la société Colas Centre Ouest :

2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours " ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment des termes de la requête enregistrée au greffe de la cour le 5 décembre 2016, que les conclusions de la société Eiffage Route Ouest sont clairement dirigées contre la communauté de communes du pays de Baud et l'Etat, même si l'intitulé de la requête ne le mentionne pas expressément ; que, d'ailleurs, dans un mémoire du 26 décembre 2016, dénommé " régularisation ", la requérante précise, dans l'intitulé, les parties mises en cause ; que, dans ces conditions, la fin de non-recevoir opposée par la société Colas Centre Ouest et la communauté de communes, tirée du non respect des dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative doit être rejetée ;

Sur la recevabilité de la demande de première instance de la communauté de communes :

4. Considérant que si la demande de la communauté de communes du Pays de Baud devant le tribunal, postérieurement à la radiation de la société EGTP du registre du commerce et des sociétés le 14 février 2011, est toujours dirigée contre la société EGTP, celle-ci était toujours représentée lors des réunions d'expertise qui se sont déroulées les 18 mai, 15 juin 2011 et le 3 février 2012 et n'établit nullement qu'elle aurait informé la communauté de communes de sa fusion absorption par la SNC Eiffage travaux publics et de sa radiation du registre du commerce et des sociétés ; que, dans ces conditions, la société Eiffage Route Ouest, venue aux droits de la SNC Eiffage travaux publics, elle-même venue aux droits de la société EGTP, n'est pas fondée à soutenir que la demande devant le tribunal administratif de Rennes aurait été irrecevable comme dirigée contre une personne morale n'existant plus ;

Sur l'appel principal de la SNC Eiffage Route Ouest :

5. Considérant qu'il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans ; que cette garantie est due par les constructeurs, en l'absence même de faute imputable à ces derniers, dès lors que les désordres peuvent être regardés comme leur étant imputables au titre des missions qui leur ont été confiées par le maître de l'ouvrage dans le cadre de l'exécution des travaux litigieux ;

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que le revêtement de la chaussée présente dans les zones B et C un faïençage à mailles de 5 à 20 centimètres sur près de 35 % de la surface, plus particulièrement localisé sur les zones de trafic, dans l'axe de la chaussée, sur les ronds-points et devant les entrées des entreprises ; que sur la zone B, au niveau du bâtiment Le Drogo, a été observé un affaissement de la chaussée de 3 à 4 centimètres sur une bande d'un mètre de large et de 30 mètres de longueur ainsi que quelques affaissements de moindre importance, de l'ordre d'un à deux centimètres dans les zones B et C et le rond-point nord ; que le faïencage est accompagné d'un dégravillonnage et de crevasses de 3 à 4 centimètres de profondeur sur le rond-point sud ; que ces désordres, qui n'étaient pas apparents au moment de la réception des lots relatifs aux travaux de voirie réalisés en 2003, 2004 et 2006, et qui permettaient encore une utilisation de la chaussée sans restriction à la date où l'expert a effectué ses constatations, présentent cependant un caractère évolutif et sont de nature à compromettre inéluctablement la solidité de l'ouvrage dans un délai de deux à trois ans ; que, dès lors, ils sont de nature à engager la responsabilité décennale des constructeurs ;

En ce qui concerne l'origine des désordres :

7. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que les désordres affectant la voirie de la zone d'activités proviennent d'un vice de conception consistant d'une part, dans un mauvais dimensionnement de la chaussée par rapport à l'intensité du trafic, notamment de poids-lourds, dans cette zone ; que l'expert judiciaire relève que le dimensionnement retenu, correspondant à une classe de trafic T3-, représentant un trafic quotidien de 50 à 85 poids-lourds dans chaque sens, se situe en limite haute d'une telle classe de trafic, 72 poids-lourds étant sortis de la zone d'activités et 83 y étant entrés lors d'un comptage réalisé en juin 2011, alors même que la zone d'activités n'était pas entièrement lotie à cette date ; que l'expert judiciaire estime qu'une classe de trafic supérieure T3+ aurait dû être retenue lors de la conception de la chaussée ; qu'en outre, alors même que le sol présente une teneur en eau de 20 %, le classant en " moyen ou humide ", les fossés réalisés en bordure de chaussée ne sont pas suffisamment profonds pour drainer le fond de forme et la plateforme d'assise de la chaussée ; que, de plus, la couche de forme, réalisée en matériaux 0/100 sur 40 centimètres d'épaisseur n'est pas conforme aux stipulations des cahiers des clauses techniques particulières VRD des marchés prévoyant un matériau plus fin de type 0/63 ; que le matériau mis en oeuvre, insuffisamment compacté, a ainsi généré une densité insuffisante avec des tassements différentiels de la couche de forme ; qu'enfin, l'expert a relevé des manquements dans la direction et la surveillance des travaux, notamment dans le suivi des contrôles réalisés en cours de chantier ;

En ce qui concerne l'imputabilité des désordres :

8. Considérant que la société requérante soutient que sa responsabilité décennale ne saurait être engagée dès lors qu'elle a mis en oeuvre les matériaux conformément à la demande du maître d'oeuvre et qu'elle a exercé son devoir de conseil dans les limites de ce qui était possible ;

9. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que si, dans le cadre des opérations d'expertise, l'Etat a fait valoir que la société EGTP n'a pas réalisé de couche de fondation et a intégré celle-ci à la couche de forme comprenant au moins partiellement des matériaux de type 0/150, l'expert a explicitement et précisément réfuté ces allégations, en particulier en relevant que les appellations divergent sur la couche de matériaux posée immédiatement sur l'arase des terrassements, qui ne peut être qu'une couche de forme et non une couche de fondation qui est constituée par la tranche de matériaux 0/20 située sous le revêtement de surface et qu'il ne pouvait être reproché à la société EGTP d'avoir " escamoté la couche de fondation " ; que, par ailleurs, la seule production par l'Etat de bons de livraison mentionnant la livraison par la société Carrière Bretagne Sud à la société EGTP de matériaux de type 0/150 ne suffit pas à établir que cette société aurait mis en oeuvre un matériau non conforme pour la réalisation des travaux de voirie dont elle avait la charge, alors que les analyses granulométriques réalisées durant l'expertise ont fait apparaître que le produit réellement mis en place, accepté par le surveillant de chantier et réceptionné sans réserve par la maîtrise d'oeuvre, était à classer en 0/100 comme le prévoyait le bordereau des prix unitaires (BPU) ;

10. Considérant, en deuxième lieu, que s'il est reproché à la société EGTP de n'avoir pas alerté le maître d'ouvrage sur l'humidité des sols, l'absence de dispositif de drainage adapté et l'utilisation de matériaux non conformes aux stipulations du cahier des clauses techniques particulières, il n'est pas contesté que la mise en oeuvre de grave de type 0/100 au lieu de type 0/63 a été effectuée à l'initiative du maître d'oeuvre qui a élaboré le BPU auquel s'est conformée la société requérante ; qu'en outre, les pièces du marché ne comportaient aucun élément relatif aux prévisions de trafic, à la durée de vie escomptée de la chaussée, à l'analyse du sol sur lesquels la société aurait pu se fonder pour alerter le maître d'ouvrage quant à l'inadaptation des matériaux mis en oeuvre ; que, d'ailleurs, la société EGTP, en sa qualité de professionnel des travaux de voirie, a exercé quand elle l'a pu son devoir de conseil et proposé à l'Etat, maître d'oeuvre, de poser, dans le cadre du marché de travaux de 2004, un enduit mono-couche de 4 900 m2 permettant de lier la couche de roulement à la voirie provisoire, qui n'était pas prévu initialement ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Eiffage Route Ouest est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a retenu que sa responsabilité était engagée sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs et l'a condamnée conjointement et solidairement avec l'Etat à verser à la communauté de communes du pays de Baud une somme de 211 000 euros HT ;

Sur les conclusions de la société Colas Centre Ouest tendant à être déchargée de toute responsabilité :

12. Considérant que, comme il a été dit aux points 7 à 10 et comme il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, la réalisation des travaux par les entreprises a été conforme aux stipulations contractuelles et aux directives de la maîtrise d'oeuvre et tant la société Colas Centre Ouest que la société EGTP ne peuvent se voir reprocher un manquement à leur devoir de conseil dès lors que, eu égard notamment au morcellement des phases de l'opération, elles n'avaient accès dans les pièces de leurs marchés à aucun élément de conception, concernant en particulier l'analyse de sol, le trafic attendu et la durée de vie prévisible de l'ouvrage routier ; que les entreprises titulaires des lots VRD n'ayant ainsi en rien participé aux vices de conception, qu'elles ne pouvaient déceler, d'où résultent les désordres, la société Colas Centre Ouest est également fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a retenu que sa responsabilité était engagée sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs et l'a condamnée conjointement et solidairement avec l'Etat à verser à la communauté de communes du pays de Baud une somme de 211 000 euros HT ;

Sur les conclusions d'appel incident et provoqué de la communauté de communes :

13. Considérant que la communauté de communes " Centre Morbihan Communauté " demande, par la voie de l'appel incident et provoqué, que la somme de 211 000 euros qui lui a été allouée par l'article 2 du jugement attaqué soit portée à 407 000 euros, conformément aux estimations de l'expert ; que, toutefois, il résulte de l'instruction que les travaux préconisés par l'expert incluent la restructuration de la chaussée afin qu'elle soit conforme aux caractéristiques d'une chaussée de classe de trafic T3+, afin de tenir compte de l'accroissement inéluctable de la circulation dans la zone d'activités qui n'est pas entièrement lotie, alors que le marché en cause prévoyait une chaussée de classe de trafic T3- ; qu'une telle restructuration apporterait une plus-value à l'ouvrage en améliorant sa solidité et sa durée de vie par rapport aux prévisions initiales du marché ; que, dès lors, ainsi que l'a retenu le tribunal administratif, cette plus-value doit être déduite du coût de reprise des désordres affectant la chaussée qui s'élève ainsi à la somme de 211 000 euros hors taxe ; que, par suite, doivent être rejetées les conclusions d'appel incident de la communauté de communes tendant à ce que la somme qui lui a été allouée par l'article 2 du jugement attaqué soit portée à 407 000 euros ;

Sur les appels en garantie :

14. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 9 à 12 du présent arrêt que la responsabilité de la société EGTP, aux droits de laquelle vient la société Eiffage Route Ouest, et de la société Colas Centre Ouest au titre de la responsabilité décennale n'étant pas engagée, les conclusions d'appel en garantie présentées par celles-ci sont dénuées d'objet ;

Sur les frais d'expertise :

15. Considérant que les frais d'expertise ont été taxés et liquidés à la somme de 19 110,67 euros par l'ordonnance du 6 juin 2012 du juge des référés du tribunal ; qu'il résulte de ce qui est jugé par le présent arrêt qu'il y a lieu de mettre cette somme à la charge de l'Etat ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à la société Eiffage Route Ouest et de la même somme à la société Colas Centre Ouest au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche les conclusions de la communauté de communes " Centre Morbihan Communauté " et de la société SBCEA Audo au titre de ces mêmes dispositions doivent être rejetées ;

D E C I D E :

Article 1er : La somme de 211 000 euros HT que le tribunal administratif de Rennes a condamné solidairement l'Etat, la SNC Eiffage travaux publics et la société Colas Centre Ouest à verser à la communauté de communes du pays de Baud est mise à la charge de l'Etat.

Article 2 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 19 110,67 euros, sont mis à la charge de l'Etat.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 6 octobre 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera respectivement une somme de 1 500 euros chacune à la société Eiffage Route Ouest et à la société Colas Centre Ouest au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête et des autres parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Eiffage Route Ouest, à la société Colas Centre Ouest, à la société SBEA Audo, à la communauté de communes " Centre Morbihan Communauté ", au ministre de la transition écologique et solidaire et au ministre de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Morbihan.

Délibéré après l'audience du 6 février 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Tiger-Winterhalter, présidente assesseure,

- Mme Rimeu, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 23 février 2018.

La rapporteure,

N. TIGER-WINTERHALTERLe président,

L. LAINÉ

La greffière,

V. DESBOUILLONS

La République mande et ordonne au préfet du Morbihan en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N°16NT03940 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 16NT03940
Date de la décision : 23/02/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Nathalie TIGER-WINTERHALTER
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : SCP JOURDA FAIVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 06/03/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2018-02-23;16nt03940 ?
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