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03/12/2019 | FRANCE | N°18NT01112

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 03 décembre 2019, 18NT01112


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... C... a demandé au tribunal administratif d'Orléans :

1°) d'annuler la décision du ministre de l'agriculture du 30 août 2015 rejetant sa demande de décision concernant la régularisation de ses congés, la perte des bonifications de retraite et la notification des sommes versées depuis le 30 avril 2014 ainsi que sa demande préalable d'indemnisation formée le 25 juin 2015 ;

2°) de condamner l'Etat au paiement d'une somme de 205 958,49 euros avec intérêts au taux légal à compter du

30 juin 2015 ;

3°) à titre principal, d'enjoindre à l'Etat de solder ses congés payés de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... C... a demandé au tribunal administratif d'Orléans :

1°) d'annuler la décision du ministre de l'agriculture du 30 août 2015 rejetant sa demande de décision concernant la régularisation de ses congés, la perte des bonifications de retraite et la notification des sommes versées depuis le 30 avril 2014 ainsi que sa demande préalable d'indemnisation formée le 25 juin 2015 ;

2°) de condamner l'Etat au paiement d'une somme de 205 958,49 euros avec intérêts au taux légal à compter du 30 juin 2015 ;

3°) à titre principal, d'enjoindre à l'Etat de solder ses congés payés de l'année 2014 soit sous la forme de jours portés sur un " compte épargne-temps " (CET), de lui notifier le solde de ses jours figurant sur son CET, de lui attribuer ses droits à bonification de retraite pour la période du 30 avril 2014 au 1er mars 2015 et de lui justifier le montant des sommes versées hors bulletin de paie depuis le 1er mai 2014, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir et ce, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à l'Etat, de réexaminer sa demande concernant le solde de ses congés payés 2014, ses droits à bonification de retraite pour la période du 30 avril 2014 au 1er mars 2015 et le montant des sommes versées hors bulletins de paie depuis le 1er mai 2014, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et ce, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 1503899 du 9 janvier 2018, le tribunal administratif d'Orléans a dans ses articles 1 et 2 condamné l'Etat à payer à Mme C..., d'une part, les sommes de 19 750 euros en réparation de ses préjudices et 21 662 euros à titre de rappels de traitements, d'autre part, lui a enjoint de verser à l'intéressée le montant de l'indemnité d'éloignement selon les modalités fixées au point 15 du jugement, enfin, a indiqué dans son article 3 que ces sommes porteront intérêts à compter du 30 juin 2015.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 12 mars et le 26 juin 2018, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 1ers à 3 de ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 9 janvier 2018 ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif dans cette mesure.

Il soutient que :

- en premier lieu, la requête est bien recevable ; elle n'est pas entachée de tardiveté ; son signataire a bien bénéficié d'une délégation de signature régulièrement publiée ;

- en second lieu, le jugement est à plusieurs titres entaché d'irrégularité ; d'une part, le tribunal a manqué à l'exigence d'impartialité en se fondant sur " des clichés condescendants et outranciers " à l'égard de l'outre-mer ; d'autre part, la procédure suivie devant le tribunal est irrégulière ; conformément aux dispositions de l'article R. 431-10 du code de justice administrative, c'est l'administrateur supérieur du territoire qui devait défendre l'Etat devant le tribunal or il n'a pas été appelé dans la cause ; enfin, le tribunal pour retenir que le départ de Mme C... de Wallis et Futuna était indépendant de sa volonté a soulevé d'office un moyen qui n'était pas d'ordre public en estimant que la réalité matérielle des faits retenus à son encontre dans l'arrêté du 30 avril 2014 n'était pas établie ;

- en troisième lieu, sur le fond,

* c'est à tort que les premiers juges ont, après avoir estimé (points 10 à 15) que l'éviction de Mme C... était indépendante de sa volonté, jugé que l'Etat était tenu de régulariser l'indemnité d'éloignement qui lui était due, et d'autre part, ont refusé de faire droit à la demande de compensation pour un montant de 6 079,93 euros versé en trop à ce titre ; l'interruption du séjour de Mme C... ne saurait être regardée comme indépendante de sa volonté puisqu'elle trouve son origine dans ses propres agissements qui ont rendu son maintien en fonction incompatible avec l'intérêt du service ; il y a matière ensuite à compensation contrairement à ce qu'a estimé le tribunal qui a retenu à tort la prescription issue de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 ;

* c'est à tort que les premiers juges ont mis à la charge de l'Etat la somme de 9 500 euros au titre des pertes de revenus subies par Mme C... ; il a en effet été mis fin à ses fonctions par un arrêté du 30 avril 2014 de l'administrateur supérieur des îles de Wallis-et-Futuna ; puis le ministre de l'agriculture a par un arrêté du 16 mai 2014 affecté cet agent en administration centrale à compter du 1er mai 2014 avant qu'il soit ensuite muté, par un arrêté du 10 septembre 2014 à la direction départementale des territoires du Loiret dans le service " eau, environnement et forêt " ; Mme C... a prolongé son séjour sur place de sa propre initiative ; rien ne faisait obstacle à ce qu'elle quitte Wallis-et-Futuna après le 1er mai 2014 de sorte que les préjudices dont elle aurait prétendument souffert du fait de la prolongation de son séjour sur place ne sont imputables qu'à un choix personnel ; l'affectation administrative de Mme C... avait pris fin le 1er mai 2014 par l'effet de l'arrêté du 16 mai dont la légalité n'a jamais été contestée ; elle ne pouvait donc plus prétendre à obtenir le supplément de traitement attaché à l'exercice effectif d'un poste dans la collectivité concernée ;

* c'est à tort que les premiers juges ont condamné l'Etat à verser à Mme C... la somme de 5 000 euros en réparation d'un préjudice moral ; la mesure prise à l'encontre de cet agent le 30 avril 2014, entachée certes d'incompétence, ne pouvait être regardée comme " excédant manifestement les pouvoirs de l'administrateur supérieur " ; la circonstance évoquée dans le jugement qu'aucune procédure disciplinaire n'ait été entreprise à l'encontre de Mme C... est sans incidence dès lors que l'arrêté du 30 avril 2014 pris sur le fondement de l'article 8 de la loi du 29 juillet 1961 peut être fondé sur l'intérêt du service ; l'arrêté en question ne figurait pas au dossier de première instance ; la prudence gardée en première instance par le ministre de l'agriculture qui ne dispose pas d'informations sur les circonstances antérieures au retour de Mme C... en métropole, ne saurait être regardée comme révélant un " motif inavoué ", ainsi que l'a indiqué le tribunal ;

* c'est à tort que les premiers juges ont condamné l'Etat à verser à Mme C... la somme de 5 250 euros en réparation du préjudice qui résulterait de la perte effective et définitive d'une partie de son droit à congé ; en effet, aucun préjudice n'était en réalité établi ; aucun texte n'impose à l'administration de solder les droits à congé d'un agent à l'occasion d'une mutation, telle que celle prononcée par l'arrêté du 16 mai 2014 ; Mme C... ne soutient pas non plus avoir présenté avant le 31 décembre une demande expresse par la voie hiérarchique tendant à abonder son compte épargne temps ainsi que le prévoit l'article 2 de l'arrêté du 17 décembre 2002 ; le montant retenu par le tribunal est en tout état de cause manifestement surévalué compte tenu des éléments auxquels il est possible de se référer.

Par un mémoire enregistré le 21 juin 2018 et 12 avril 2019, Mme C..., représentée par Me Silvestre, conclut au rejet de la requête pour irrecevabilité et au fond et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable pour tardiveté et n'a pas été signée par une personne disposant d'une délégation régulière ;

- les moyens invoqués par le ministre ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi du 3 juin 1950 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n°96-1028 du 27 novembre 1996 ;

- le décret n°84-972 du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l'Etat ;

- le décret n° 2002-634 du 29 avril 2002 portant création du compte épargne temps dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature ;

- l'arrêté du 28 août 2009 ;

- l'arrêté du 17 décembre 2002 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coiffet,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., fonctionnaire du corps des ingénieurs de l'agriculture et de l'environnement, a été affectée en qualité de cheffe du bureau " forêts " à la direction des services agricoles de Wallis et Futuna à compter du 14 mars 2011, cette affectation étant renouvelée à compter du 1er mars 2013 pour une nouvelle durée de deux ans. Son concubin, M. A... a été initialement placé en position de disponibilité afin d'éviter une séparation du couple, puis a été réintégré le 27 septembre 2012 et affecté également à la direction des services agricoles de Wallis et Futuna en qualité de chef de service formation et développement. Par un arrêté du 30 avril 2014, l'administrateur supérieur des îles de Wallis et Futuna a mis fin aux fonctions de Mme C... et l'a remise à la disposition de son administration d'origine, M. A... ayant fait simultanément l'objet d'une mesure identique. Par un arrêté du 16 mai 2014 prenant effet à compter du 1er mai 2014, Mme C... a été temporairement affectée en administration centrale à d'autres " structures des services déconcentrés ". Elle a ensuite été mutée par un arrêté du 10 septembre 2014 à la direction départementale des territoires du Loiret dans le service " eau, environnement et forêt ". Elle a, le 25 juin 2015, saisi son administration d'une demande réceptionnée le 30 juin 2015 tendant à la réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait, d'une part, des irrégularités commises dans le déroulement de sa carrière lorsqu'elle était en fonction sur le territoire de Wallis-et-Futuna, d'autre part, des conséquences de l'illégalité affectant l'arrêté du 30 avril 2014 pris par l'administrateur supérieur Wallis-et-Futuna résultant de l'annulation de cette dernière décision prononcée par un jugement définitif du 17 novembre 2014 du tribunal administratif de Mata-Utu. Le montant de l'indemnité réclamée au titre de ces deux chefs de préjudice s'élevait à la somme globale de 205 958,49 euros. Sa demande a été rejetée implicitement le 30 août 2015. Mme C... a alors saisi le tribunal administratif d'Orléans d'une demande de condamnation de l'Etat à lui verser la somme mentionnée précédemment en réparation des préjudices subis du fait des comportements fautifs de l'administration.

2. Le ministre de l'agriculture et de l'alimentation relève appel du jugement du 9 janvier 2018 par lequel ce tribunal a condamné l'Etat, d'une part, à verser à Mme C... les sommes de 19 750 et de 21 662 euros et, d'autre part, lui a enjoint de verser à l'intéressée le montant de l'indemnité d'éloignement selon les modalités fixées au point 15 du jugement.

Sur la recevabilité de la requête :

3. D'une part, " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R.751-3 à R.751-4-1. ". Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué du 9 janvier 2018 a été notifié au ministre de l'alimentation et de l'agriculture, via l'application Télérecours, le 11 janvier 2018. L'appel formé le 12 mars 2018 par le ministre de l'agriculture et de l'alimentation l'a ainsi été dans le délai de deux mois prévu par l'article R.811-2 du code de justice administrative et n'était, par suite, pas tardif. La fin de non-recevoir opposée sur ce point par Mme C... ne peut ainsi qu'être écartée.

4. D'autre part, aux termes de l'article R.811-10 du code de justice administrative : " Devant la cour administrative d'appel, l'Etat est dispensé de ministère d'avocat soit en demande, soit en défense, soit en intervention. Sauf dispositions contraires, les ministres intéressés présentent devant la cour administrative d'appel les mémoires et observations produits au nom de l'Etat. " et aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du gouvernement : " ... peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : 1° Les secrétaires généraux des ministères, les directeurs d'administration centrale, (...) 2° Les chefs de service, directeurs adjoints, sous-directeurs,... ". Il ressort des pièces versées au dossier que Mme E..., directrice des affaires juridiques du ministère de l'agriculture nommée par décret du 23 juillet 2015 a, par une décision du 24 mars 2016 modifiant la décision du 3 septembre 2015 portant délégation de signature et publiée au Journal Officiel du 7 avril 2016, donné délégation de signature à M. D..., administrateur civil, à l'effet de signer au nom du ministre de l'agriculture tous actes à l'exception des décrets dans la limite des attributions de la sous-direction du droit de l'administration, de la concurrence et des procédures juridiques communautaires, cette dernière sous-direction étant chargée de traiter le contentieux national en matière de personnel. Par suite, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que la requête signée par M. D... serait irrecevable faute pour ce dernier d'avoir bénéficié d'une délégation de signature régulièrement publiée.

Sur la régularité du jugement attaqué :

5. En premier lieu, si le tribunal, pour statuer sur la demande tendant à indemniser les pertes directes de revenus que M. A... estime avoir subies, a indiqué dans le point 13 de son jugement que le régime de traitement en litige n'était conçu " que pour compenser des troubles dans leurs conditions d'existence que peuvent éprouver des fonctionnaires européens acceptant de se dépayser hors d'Europe ", tant cette appréciation éclairée par la référence faite au point 14 " aux contraintes spécifiques du milieu ", que l'utilisation du terme " rapatriement " pour évoquer le retour de Mme C... en métropole ne caractérisent pas, en dépit du caractère inapproprié des termes utilisés, un manquement au principe d'impartialité.

6. En deuxième lieu, selon l'article R.431-9 du code de justice administrative : " Sous réserve des dispositions de l'article R.431-10(...), les mémoires en défense et les mémoires en intervention présentés au nom de l'Etat sont signés par le ministre intéressé ". Selon l'article R.431-10 du même code : " L'Etat est représenté en défense par le préfet ou par le préfet de région lorsque le litige, quelle que soit sa nature, est né de l'activité des administrations civiles de l'Etat dans le département ou la région. (...) (...) Devant le tribunal administratif de Wallis-et-Futuna, les recours, les mémoires en défense et les mémoires en intervention présentés au nom de l'Etat sont signés soit par le ministre chargé de l'outre-mer ou son délégué, soit par l'administrateur supérieur ou son délégué ". Il ressort des pièces du dossier que Mme C... a été affectée à compter du 1er octobre 2014 à la direction départementale des territoires du Loiret dans le service " eau, environnement et forêt " et a ensuite, le 25 juin 2015, présenté au ministre de l'agriculture une demande indemnitaire relative à sa situation statutaire ainsi qu'à la réparation des préjudices résultant de la fin de ses fonctions à ... prononcée par les services du ministère de l'agriculture. Cette demande d'indemnisation a, le 30 août 2015, été rejetée implicitement par le ministre de l'agriculture. Dès lors, et conformément aux dispositions précitées du code de justice administrative, ce dernier, qui avait d'ailleurs, en raison du principe d'unicité des services de l'Etat, toujours la possibilité de transmettre la procédure dont il était saisi à une autorité administrative relevant d'un autre ministère dont il estimait l'intervention nécessaire, était bien compétent pour représenter l'Etat dans la présente instance sans que le premier juge soit tenu d'appeler dans la cause l'administrateur supérieur du territoire H... et Futuna. Par suite, le moyen tiré d'une irrégularité affectant le jugement attaqué comme étant intervenu en méconnaissance des dispositions précitées des articles R. 431-9 et R. 431-10 du code de justice administrative doit être écarté.

7. En troisième lieu, il résulte de l'instruction, en particulier des éléments versés au dossier de première instance, que Mme C... a, dans son recours, expressément sollicité la réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait, d'une part, des irrégularités commises dans le déroulement de sa carrière lorsqu'elle était en fonction sur le territoire H...-et-Futuna, d'autre part, des conséquences de l'illégalité affectant l'arrêté préfectoral du 30 avril 2014 retenue par un jugement définitif du 17 novembre 2014 du tribunal administratif de Mata-Utu. Mme C... a d'ailleurs joint à sa demande indemnitaire copie de ce jugement. Le ministre de l'agriculture et de l'alimentation ne saurait ainsi sérieusement soutenir que le tribunal aurait soulevé d'office un moyen qui n'était pas d'ordre public en estimant, après avoir regardé comme indépendant de la volonté de Mme C... son départ H... et Futuna, que la réalité matérielle des comportements fautifs allégués à son encontre dans l'arrêté du 30 avril 2014 n'était pas établie. Le moyen tiré de l'irrégularité qu'aurait commise le premier juge en répondant à un moyen qui n'était pas soulevé doit dès lors être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué dans la limite des conclusions d'appel :

En ce qui concerne l'indemnité d'éloignement restant due à la suite de la remise de Mme C... à disposition de son administration d'origine :

8. Aux termes de l'article 2 de la loi du 3 juin 1950 susvisée fixant les conditions d'attribution des soldes et indemnités des fonctionnaires civils et militaires relevant du ministère de la France d'outre-mer, les conditions de recrutement, de mise en congé ou à la retraite de ces mêmes fonctionnaires : " Pour faire face aux sujétions particulières inhérentes à l'exercice de la fonction publique dans les territoires d'outre-mer, les fonctionnaires civils visés à l'article 1er recevront : / 2° Une indemnité destinée à couvrir les sujétions résultant de l'éloignement pendant le séjour et les charges afférentes au retour, accordée au personnel appelé à servir en dehors soit de la métropole, soit de son territoire, soit du pays ou territoire où il réside habituellement, qui sera déterminée pour chaque catégorie de cadres à un taux uniforme s'appliquant au traitement et majorée d'un supplément familial. Elle sera fonction de la durée du séjour et de l'éloignement et versée pour chaque séjour administratif, moitié avant le départ et moitié à l'issue du séjour. ". Et aux termes de l'article 5 du décret susvisé du 27 novembre 1996 relatif à l'attribution de l'indemnité d'éloignement aux magistrats et aux fonctionnaires titulaires et stagiaires de l'Etat en service à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles ... : " Lorsqu'un séjour de deux ans ouvrant droit au bénéfice de l'indemnité prend fin avant son terme, les dispositions ci-après sont applicables : 1° L'agent qui a effectué moins de douze mois de services n'a pas droit à la seconde fraction de l'indemnité. Il conserve le bénéfice de la totalité de la première fraction de l'indemnité si l'interruption du séjour est indépendante de sa volonté. Dans le cas contraire, le montant de la première fraction de l'indemnité est calculé au prorata de la durée du service accompli ; / 2° L'agent qui a effectué au moins douze mois de services conserve le bénéfice de la première fraction de l'indemnité. Il a droit à l'intégralité de la seconde fraction de l'indemnité si l'interruption du séjour est indépendante de sa volonté. Dans le cas contraire, le montant de la seconde fraction de l'indemnité est calculé au prorata de la durée du service accompli. / Pour l'application du présent article, le déplacement d'office prononcé à l'issue d'une procédure disciplinaire ne vaut pas circonstance indépendante de la volonté de l'agent concerné. "

9. Il résulte de l'instruction que l'administration a versé le 23 mai 2014, sur le fondement des dispositions rappelées au point précédent, la seconde fraction de l'indemnité d'éloignement due à Mme C..., soit 25 928,56 euros, en limitant le versement de la somme due au titre du solde de cette seconde fraction à un prorata d'indemnité fixé par référence à la période allant de mars 2013 à avril 2014. Toutefois, et ainsi qu'il a été rappelé plus haut, l'arrêté du 30 avril 2014 de l'administrateur supérieur des iles H... et Futuna, qui a mis fin au séjour de Mme C... sur le territoire et qui est directement à l'origine des modalités contestées du calcul de la fraction de l'indemnité d'éloignement qui lui est due, a été annulé par un jugement définitif du 17 novembre 2014 du tribunal administratif de Mata-Utu. Par ailleurs, Mme C... n'a fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire justifiant légalement un déplacement d'office. Dans ces conditions, l'interruption de l'affectation à ... en deçà de son terme normal de Mme C... résulte du seul comportement gravement irrégulier de l'administration et est donc indépendante de la propre volonté de l'intéressée. Cette dernière avait donc droit au versement du solde de la seconde fraction de l'indemnité d'éloignement correspondant à la période de mars 2014 à mars 2015, ce dernier mois correspondant au terme normal de son affectation à ....

10. Il résulte de l'instruction, notamment de la lecture du tableau des éléments de calcul que l'administration elle-même a versé aux débats en première instance, que le montant total de l'indemnité d'éloignement à laquelle pouvait prétendre Mme C... au titre de sa période normale d'affectation de quatre années s'élève à la somme totale de 109 615, 57 euros, décomptée en quatre fractions de 26 053,72 euros et de 27 853,95 euros au titre du premier séjour puis de 27 853,95 euros et de 27 853,95 euros au titre du deuxième séjour, compte tenu de ce qui a été indiqué au point 9 quant au droit de l'intéressée à percevoir l'intégralité de l'indemnité d'éloignement. Il est constant et non contesté que Mme C... n'a, en réalité, perçu au titre de cette même indemnité qu'une somme globale de 104 089,69 euros. Dans ces conditions, la demande de compensation présentée par l'administration au titre d'un trop perçu allégué de 6 079,93 euros au profit de l'Etat ne peut, en tout état de cause, qu'être rejetée. Par suite, le moyen tiré de l'existence d'un trop-perçu en faveur de Mme C... doit être écarté.

En ce qui concerne les pertes directes de revenus résultant de la remise de Mme C... à la disposition de son administration d'origine :

11. Mme C... avait sollicité devant le tribunal l'indemnisation du préjudice lié au différentiel de traitement perçu sur la période du 1er mai 2014 au 28 février 2015, période pendant laquelle cet agent a perçu une rémunération sur la base d'une affectation en métropole. Les premiers juges, qui ont retenu que cet agent avait effectivement quitté ... le 30 juillet 2014, ont cependant estimé que le préjudice invoqué ne portait que sur la période du 1er mai au 30 juillet 2014, ce que Mme C... ne conteste pas devant la cour. Si le ministre soutient que le préjudice indemnisé n'existerait pas dès lors que, par l'arrêté du 30 avril 2014 de l'administrateur supérieur, il a été mis fin dès le 1er mai 2014 aux fonctions de cet agent sur le territoire qu'il pouvait quitter immédiatement, il ne résulte toutefois pas de l'instruction que l'arrêté du 16 mai 2014 du ministre de l'agriculture, qui affectait temporairement Mme C..., sans plus de précision, en administration centrale à compter du 1er mai 2014, soit rétroactivement, ait été notifié à l'intéressée. En revanche, il résulte des éléments versés au dossier que cet agent n'a eu connaissance, comme d'ailleurs son compagnon, qu'à la fin du mois de juillet 2014 de sa nouvelle affectation dans le département du Loiret. Dans ces conditions, et dès lors qu'il n'est ni établi ni même sérieusement allégué, compte tenu des difficultés particulières résultant d'un départ brutal et non anticipé de cette collectivité d'outremer, que Mme C... aurait pu quitter Wallis-et-Futuna avec sa famille avant le 31 juillet 2014, cette dernière pouvait prétendre à percevoir un traitement destiné à compenser les contraintes spécifiques de son affectation sur cette collectivité, soit son traitement indiciaire majoré du coefficient applicable localement. Il résulte de l'instruction que l'application de ce coefficient de majoration justifie l'allocation à l'intéressée par le premier juge de la somme de 9 500 euros. Par suite, le moyen tiré du caractère erroné de la période retenue par le tribunal s'agissant de la détermination du préjudice subi du fait de la mutation irrégulière de Mme C... doit être écarté.

En ce qui concerne le préjudice moral :

12. Il résulte de l'instruction que Mme C... a subi un préjudice moral du fait des conditions gravement irrégulières dans lesquelles il a été mis fin à ses fonctions en étant remis à disposition de son administration d'origine par un arrêté du 30 avril 2014 de l'administrateur supérieur des îles H... et Futuna alors qu'aucun comportement fautif justifiant une telle décision n'est établi ni même sérieusement allégué. Par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a mis à la charge de l'Etat le versement à Mme C... d'une somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral subi par cette dernière.

En ce qui concerne la perte des droits à congé :

13. Aux termes de l'article 1er du décret n°84-972 du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l'Etat : " Tout fonctionnaire de l'Etat en activité a droit, dans les conditions et sous les réserves précisées aux articles ci-après, pour une année de service accompli du 1er janvier au 31 décembre, à un congé annuel d'une durée égale à cinq fois ses obligations hebdomadaires de service. Cette durée est appréciée en nombre de jours effectivement ouvrés. (...) " et aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 17 décembre 2002 fixant les règles d'ouverture, de fonctionnement, de gestion et de fermeture du compte épargne-temps, ainsi que les modalités de son utilisation par l'agent, au ministère de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer : " Le compte épargne-temps est alimenté une fois par année civile, à l'initiative de l'agent. Cette demande annuelle d'alimentation du compte doit parvenir au chef du service d'affectation de l'agent, sous couvert de la voie hiérarchique, au plus tard le 31 décembre de l'année civile au titre de laquelle des jours sont épargnés. ".

14. Il résulte de l'instruction que si Mme C... n'a pas pris ses congés annuels au titre de l'année 2014, congés dont le décompte est automatiquement établi selon les modalités définies par le décret du 26 octobre 1984 mentionné au point 13, elle n'établit pas, alors qu'aucune disposition légale ou réglementaire, non plus qu'aucun principe, n'impose à l'administration de solder les droits à congés d'un agent à l'occasion d'une mutation, avoir demandé à son administration le bénéfice ou le report des congés en question. Le ministre est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'il y avait lieu de l'indemniser au titre de la perte de ses droits à congés annuels alors que cette perte ne résulte que de la seule carence de cet agent.

15. En revanche, il résulte de l'instruction que Mme C... n'a pas été en mesure d'entreprendre des démarches nécessaires auprès de son administration pour l'alimentation de son compte épargne-temps selon les modalités prévues par les dispositions de l'article 2 de l'arrêté du 17 décembre 2002 mentionnées au point 13, faute d'avoir eu communication des informations détenues par les services de l'administrateur supérieur des Iles H... et Futuna. Le ministre ne soutient pas avoir pu obtenir à ce jour la communication de ces informations nécessaires pour la remise à niveau du compte épargne-temps de l'intéressé. Par suite, il y a lieu, en application des dispositions du décret du 29 avril 2002 portant création du compte épargne temps dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature et de l'arrêté du 28 août 2009 pris pour son application, de déterminer le préjudice subi du fait de cette carence fautive par référence au montant d'indemnisation d'un jour de congé fixé, pour les agents de catégorie A, à 125 euros brut soit 113,09 euros nets. Sur cette base, Mme C... qui a, devant les premiers juges, évalué à vingt-cinq jours l'ensemble des droits à congés qui ne lui ont ainsi pas été crédités à raison de son séjour à Wallis-et-Futuna, montant que le ministre ne conteste pas, peut ainsi prétendre au versement d'une indemnité d'un montant total de 2 830 euros réparant le préjudice subi du fait de cette carence.

16. En conséquence, et s'agissant de l'indemnisation des jours de congés au titre de la réduction du temps de travail, le ministre est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui devra être réformé sur ce point, les premiers juges ont retenu une somme de 5 250 euros.

17. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le ministre de l'agriculture et de l'alimentation est seulement fondé dans la mesure de ce qui a été dit au point 16 à obtenir la réformation du jugement attaqué et à ce que la somme de 5 250 euros mise à sa charge au titre de la perte définitive des congés non pris par Mme C... soit ramenée à un montant de 2 830 euros.

Sur les frais de l'instance :

18. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du ministre de l'agriculture et de l'alimentation qui, est la partie principalement perdante dans la présente instance, le versement de la somme de 1 500 euros à Mme C... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : L'Etat est condamné à payer à Mme C... la somme de 2 830 euros au titre de ses droits à congés. Cette somme portera intérêts à compter du 30 juin 2015.

Article 2 : Le jugement n° 1503899 du tribunal administratif d'Orléans du 9 janvier 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du ministre est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera à Mme C... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par Mme C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et à Mme F... C....

Copie en sera délivrée à l'administrateur supérieur H... et Futuna.

Délibéré après l'audience du 15 novembre 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. B..., président assesseur,

- Mme Gélard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 3 décembre 2019.

Le rapporteur

O. CoiffetLe président

H. LENOIR

Le greffier

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de l'alimentation en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 18NT01112 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT01112
Date de la décision : 03/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : SILVESTRE

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-12-03;18nt01112 ?
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