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23/01/2020 | FRANCE | N°18NT00762

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 1ère chambre, 23 janvier 2020, 18NT00762


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Espace Grammont a demandé au tribunal administratif d'Orléans de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2008, 2009 et 2010 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour les années 2008 à 2011.

Par un jugement n° 1503943 du 19 décembre 2017, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par un

e requête et des mémoires, enregistrés les 20 février 2018, 6 novembre 2019, 12 novembre 2019, 14 no...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Espace Grammont a demandé au tribunal administratif d'Orléans de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2008, 2009 et 2010 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour les années 2008 à 2011.

Par un jugement n° 1503943 du 19 décembre 2017, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 20 février 2018, 6 novembre 2019, 12 novembre 2019, 14 novembre 2019 et 5 décembre 2019, la société Espace Grammont, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer cette décharge ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- les dispositions de l'article L. 48 du livre des procédures fiscales n'ont pas été respectées ; le respect de ces dispositions constitue une garantie pour le contribuable ;

- s'agissant de la reconstitution du chiffre d'affaires " billetterie ", elle n'a procédé à aucune fraude sur l'années 2009 et 2010, et n'a pas tenu de " double billetterie " ; dès lors, l'hypothèse retenue par l'administration et selon laquelle une proportion des entrées " cartes club " étaient en réalité des entrées payantes ne peut être valablement retenue, cette hypothèse supposant l'existence d'une double billetterie ; cette hypothèse n'est pas non plus cohérente avec les choix retenus par l'administration pour l'année 2008 ; l'administration n'a pas suivi l'avis de la commission départementale, qui préconisait la prise en compte d'un taux d'entrées gratuites global de 44,95% pour 2009 et 39,77% pour 2010 ;

- s'agissant de la reconstitution du chiffre d'affaires " vestiaires ", l'administration n'a pas suivi l'avis de la commission départementale, qui préconisait une méthode alternative fondée sur le chiffre d'affaires global ;

- la majoration pour manquement délibéré n'est pas justifiée ; ni l'élément matériel, ni l'élément intentionnel ne sont caractérisés.

Par un mémoire en défense et des mémoires en réplique, enregistrés les 16 août 2018, 7 novembre 2019 et 4 décembre 2019, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la SAS Espace Grammont ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- et les conclusions de Mme Chollet, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société par actions simplifiée (SAS) Espace Grammont exerce une activité de discothèque. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a porté sur la période du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2010, étendue au 30 avril 2011 en matière de taxe sur la valeur ajoutée. L'administration, après avoir considéré que la comptabilité de la société n'était pas probante, a procédé à la reconstitution de son chiffre d'affaires. Par deux propositions de rectification des 15 décembre 2011 et 21 décembre 2012, le service vérificateur a porté à la connaissance de la société les rectifications opérées tant en matière d'impôt sur les sociétés qu'en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Saisie par la société, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires a émis un avis partiellement favorable au maintien des rectifications lors de la séance du 26 novembre 2014. Après mise en recouvrement et rejet de sa réclamation, la société a demandé au tribunal administratif d'Orléans de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2008, 2009 et 2010 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour la période du 1er janvier 2008 au 30 avril 2011. Elle relève appel du jugement du 19 décembre 2017 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des motifs du jugement attaqué que le tribunal administratif d'Orléans, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a suffisamment motivé ce jugement, tant en ce qui concerne le bien-fondé des impositions en litige qu'en ce qui concerne le bien-fondé de la majoration pour manquement délibéré. Dès lors, à supposer que la société ait entendu invoquer le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué, ce moyen doit, en tout état de cause, être écarté.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :

3. Aux termes de l'article L. 48 du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'à un stade ultérieur de la procédure de rectification contradictoire l'administration modifie les rehaussements, pour tenir compte des observations et avis recueillis au cours de cette procédure, cette modification est portée par écrit à la connaissance du contribuable avant la mise en recouvrement, qui peut alors intervenir sans délai. ".

4. A la suite de l'interlocution qui s'est déroulée le 17 décembre 2014, un compte-rendu de cet entretien, accompagné des conséquences financières modifiées à la baisse, a été adressé par voie postale à la société. Ce compte-rendu, daté du 18 décembre 2014, a été présenté le 20 décembre 2014, mais n'a été retiré que le 2 janvier 2015. En raison de l'expiration imminente du délai de reprise, l'administration a, dans le même temps, adressé à la société, par voie d'huissier, les deux avis de mise en recouvrement. Ces avis de mise en recouvrement, datés du 23 novembre 2014, ont ainsi été notifiés à la société le 24 décembre 2014.

5. La société fait valoir qu'à la date à laquelle elle a retiré le pli contenant le compte-rendu de l'interlocution, c'est-à-dire le 2 janvier 2015, les impositions en cause avaient déjà été mises en recouvrement, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 48 du livre des procédures fiscales. Toutefois, la société n'expose pas en quoi elle aurait été empêchée, du fait de l'irrégularité alléguée, de faire valoir ses droits. La seule circonstance que les dispositions de l'article L. 48 du livre des procédures fiscales se trouvent dans une section intitulée " garanties du contribuable en cas de vérification de comptabilité " ne saurait, à elle seule, justifier le fait qu'elle ait été effectivement privée d'une garantie. Dans ces conditions, l'irrégularité alléguée n'ayant privé le contribuable d'aucune garantie, elle n'a pu avoir d'influence sur la décision de rectification.

En ce qui concerne le bien-fondé des impositions :

S'agissant du caractère non probant de la comptabilité :

6. Pour estimer que la comptabilité de la société n'était pas probante, le service s'est fondé, pour l'année 2008, sur les irrégularités de billetterie qui ont notamment été constatées par le tribunal de grande instance de Tours le 15 décembre 2009 et par la cour d'appel d'Orléans. Pour les années 2009 et 2010, le service s'est fondé sur la constatation de pertes importantes de données informatiques comptables et sur le non-respect des procédures de sauvegarde et de conservation des données comptables. A supposer que la société ait entendu contester le caractère non-probant de sa comptabilité, l'administration fiscale établit, ainsi qu'il lui incombe, l'existence d'inexactitudes graves et répétées de nature à rendre la comptabilité irrégulière.

S'agissant de la reconstitution du chiffre d'affaires " Billetterie " :

7. Après avoir constaté que le nombre de détenteurs de la " carte club " était d'environ 300, alors que la société en revendiquait environ 3000, le vérificateur a estimé que 90% des billets " carte club " ne correspondaient pas à des entrées gratuites et que ces entrées devaient ainsi être regardées comme ayant donné lieu à une recette d'entrée. Cependant, aucune recette correspondant à la vente de ces tickets n'ayant été comptabilisée, l'hypothèse retenue par le vérificateur suppose l'existence d'une double billetterie. Or il est constant que l'existence d'une double billetterie n'a concerné que l'année 2008. En outre, la société, pour justifier du nombre important de billets " carte club ", fait valoir que, pour remplir ses salles, et comme cela se pratique habituellement dans la profession, elle a délivré un nombre important de billets d'entrée gratuits. La société précise que ces billets ne correspondaient pas aux autres catégories de billets gratuits existants (demoiselles, étudiants, bouteille), et que, ne disposant pas d'une catégorie " divers ", elle a enregistré ces entrées, dans son système de billetterie, dans la catégorie " carte club ". Ces allégations sont cohérentes avec le taux global d'entrées gratuites de l'ordre de 40% constaté en 2008. A l'inverse, en estimant que 90% des entrées " carte club " avaient donné lieu à une recette de billetterie, le raisonnement suivi par le vérificateur aboutit à un taux global d'entrée gratuites pour 2009 et 2010 de l'ordre de 20%, qui n'est ainsi pas cohérent avec le taux de 40% constaté pour 2008. Dans ces conditions, la société est fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration a rectifié le chiffre d'affaires " billetterie " pour les années 2009 et 2010. Par suite, il y a lieu de prononcer la réduction des impositions qui en découlent.

S'agissant de la reconstitution du chiffre d'affaires " Vestiaires " :

8. Si la commission départementale des impôts a, dans son avis, improprement fait mention du chiffre d'affaires total de chaque exercice, il ressort clairement de cet avis que la commission a entendu d'abord calculer une recette " vestiaires " moyenne par entrée pour l'année 2013, afin d'en déduire, grâce au nombre d'entrées totales des années vérifiées, la recette " Vestiaires " pour chacune de ces années. A la suite de cet avis, l'administration a bien procédé de cette sorte afin de déterminer la recette " Vestiaires " des années vérifiées. Il suit de là que le moyen tiré de ce que l'administration fiscale n'a pas suivi sur ce point l'avis de la commission manque en fait.

9. L'imposition ayant été établie conformément à l'avis de la commission, il appartient à la société, en application des dispositions de l'article 192 du livre des procédures fiscales, de prouver l'exagération de la rectification.

10. La société fait valoir qu'une méthode d'évaluation basée sur le ratio " recette vestiaire pour 2013 " sur " chiffre d'affaires global de 2013 " serait plus appropriée car elle a, en 2013, sélectionné une clientèle plus aisée. Toutefois, cette circonstance, à la supposer établie, a également une incidence sur la méthode basée sur le chiffre d'affaires global. Dès lors, la société n'établit pas que l'administration aurait commis une erreur de principe dans le choix de sa méthode.

Sur les pénalités :

11. L'article 1729 du code général des impôts dispose que : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : (/) a. 40 % en cas de manquement délibéré ; (...) ".

12. Pour justifier de la majoration pour manquement délibéré, l'administration met en avant l'importance des minorations de déclarations. Or, s'agissant des recettes vestiaires, le vérificateur a précisé que les déclarations de la société impliquaient qu'en moyenne 80% des clients ne prenaient pas de vestiaire, ce qui n'était pas réaliste au regard des pratiques habituelles. Il suit de là que l'administration établit l'intention délibérée d'éluder l'impôt. Elle était donc fondée à appliquer aux impositions établies à raison des minorations de recettes la majoration pour manquement délibéré prévue par l'article 1729 du code général des impôts.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la société Espace Grammont est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a refusé de prononcer la réduction, en droits et pénalités, des impositions supplémentaires mises à sa charge résultant de la rectification opérée sur le chiffre d'affaires " Billetterie " au titre des exercices 2009 et 2010. En revanche, la société n'est pas fondée à demander que soit prononcée la décharge, en droits et pénalités, des impositions résultant de la reconstitution du chiffre d'affaires " Vestiaires ".

Sur les frais liés au litige :

14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la SAS Espace Grammont sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif d'Orléans est annulé en tant qu'il ne prononce pas la réduction des impositions de la SAS Espace Grammont résultant de la reconstitution du chiffre d'affaires " Billetterie ".

Article 2 : Les bases d'imposition de l'impôt sur les sociétés dû par la SAS Espace Grammont au titre des exercices clos en 2008, 2009 et 2010 et les montants taxés à la taxe sur la valeur ajoutée au titre des années 2008 à 2011 sont réduites conformément aux motifs exposés au point 7 du présent arrêt.

Article 3 : La SAS Espace Grammont est déchargée, en droits et pénalités, de la différence entre les cotisations supplémentaires d'impôts sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2008, 2009 et 2010 et celles qui résultent de l'article 2 du présent arrêt.

Article 4 : La SAS Espace Grammont est déchargée, en droits et pénalités, de la différence entre les rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre des années 2008 à 2011 et ceux qui résultent de l'article 2 du présent arrêt.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Espace Grammont et au ministre de l'action et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 6 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Bataille, président de chambre,

- M. Geffray, président assesseur,

- M. A..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 23 janvier 2020.

Le rapporteur,

H. A...Le président,

F. Bataille

Le greffier,

C. Croiger

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT00762


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 18NT00762
Date de la décision : 23/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. BATAILLE
Rapporteur ?: M. Harold BRASNU
Rapporteur public ?: Mme CHOLLET
Avocat(s) : SCP BERSAGOL PIRO et PERROT

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-01-23;18nt00762 ?
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