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31/01/2020 | FRANCE | N°18NT00428

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 31 janvier 2020, 18NT00428


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Compagnie européenne de transports de l'Atlantique (CETRA) et la société Carboloire ont demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à leur verser respectivement les sommes de 1 360 063, 12 euros et 70 281 euros, en indemnisation des préjudices nés des dommages causés au navire Michel DSR le 1er décembre 2010.

Par un jugement n° 1508589 du 21 décembre 2017, le tribunal administratif de Nantes a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une req

uête, enregistrée le 1er février 2018, la Compagnie européenne de transports de l'Atlantique ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Compagnie européenne de transports de l'Atlantique (CETRA) et la société Carboloire ont demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à leur verser respectivement les sommes de 1 360 063, 12 euros et 70 281 euros, en indemnisation des préjudices nés des dommages causés au navire Michel DSR le 1er décembre 2010.

Par un jugement n° 1508589 du 21 décembre 2017, le tribunal administratif de Nantes a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er février 2018, la Compagnie européenne de transports de l'Atlantique et la société Carboloire, représentées par le cabinet d'avocats Quimbert, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1508589 du tribunal administratif de Nantes du 21 décembre 2017 ;

2°) de condamner l'Etat à verser la somme de 1 360 063, 12 euros à la Compagnie européenne de transports de l'Atlantique et la somme de 70 281 euros à la société Carboloire en réparation des dommages causés le 1er décembre 2010 au navire Michel DSR ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de cinq mille euros à verser à chacune d'entre elles au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la responsabilité de l'Etat du fait des crimes et délits, commis à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou des rassemblements, résultant des dispositions de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, est engagée ; les destructions et les atteintes au navire sont le fait d'un groupe agissant de manière collective et spontanée ; la préméditation n'est pas établie ; la défaillance de l'Etat est établie puisque des gendarmes étaient présents et ont quitté les lieux ;

- en ce qui concerne les préjudices :

o la Compagnie européenne de transports de l'Atlantique a subi un préjudice s'élevant à 1 360 063, 12 euros, correspondant à 1 350 000 euros de préjudice lié à l'immobilisation du navire entre le 1er décembre 2010 et le 14 janvier 2011, 1 042 euros de fourniture de sabords, 3 570 euros de pose de sabords, 395,84 euros et 387,84 euros de visite du Bureau Véritas, 198 euros de taxe de stationnement, 1 571.37 euros de remplacement des vitrages, 311, 90 euros de fourniture de contreplaqué, 272, 50 euros de frais d'appareillage, 196,75 euros de frais de prestation des Pilotes de la Loire, 1 058, 46 euros de frais de sortie du terminal agro-alimentaire, 1 058, 46 euros de frais d'entrée du bassin ; en outre, une expertise complémentaire peut être ordonnée pour estimer le désavantage concurrentiel résultant de l'impossibilité pour le navire de réaliser des transports et transferts au port de Montoir ;

o la société Carboloire a subi un préjudice s'élevant à 70 281 euros, correspondant à 15 997, 15 euros représentant la valeur du calcaire, 7 617, 70 euros de frais de transport du calcaire, 210 euros pour l'utilisation d'un chargeur pour l'approche du quai, 2 871 euros correspondant au chargement du navire, 708 euros correspondant à la taxe sur les marchandises et sur le navire, 7 200 euros correspondant au coût du transport du calcaire par Cetra, 3 353, 25 euros correspondant à la fourniture de sable du pilier, 3 694, 16 euros pour le chargement des camions à Tonnay Charente, 1 847, 08 euros pour les pesées, 26782, 66 euros pour le transport par camions entre Tonnay et Montoir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 septembre 2019, le ministre de l'intérieur indique qu'il incombe au préfet de la Loire-Atlantique de représenter l'Etat en appel en application des dispositions de l'article R. 811-10-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 septembre 2019, le préfet de la Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- à titre principal, il invoque la prescription quadriennale résultant des dispositions de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 ; le fait générateur est constitué par les actions menées par les dockers le 1er décembre 2010 dans le port de Montoir-de-Bretagne ; le fait générateur était connu des sociétés requérantes dès cette date ;

- à titre subsidiaire, le régime de responsabilité de l'Etat du fait des attroupements et rassemblements, alors prévu à l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, ne peut s'appliquer :

o il n'est pas contesté que les actions à l'origine des préjudices des sociétés requérantes constituent un délit de dégradation d'un bien appartenant à autrui et un délit de menace et d'intimidation réprimés par les articles 322-1, 322-12 et 434-5 du code pénal ;

o il n'est pas contesté que les actions ont été perpétrées par violence ;

o ces actions ne peuvent être regardées comme résultant d'un attroupement ou d'un rassemblement en raison de leur caractère prémédité, planifié et organisé ;

o l'Etat n'a pas failli à sa mission de protection des personnes et des biens dès lors que les services de gendarmerie n'ont pas été sollicités pour faire cesser les actions ; cette circonstance serait de nature à exonérer l'Etat d'au moins une partie de sa responsabilité ;

- à titre très subsidiaire, le préjudice des sociétés requérantes doit être réduit :

o les sociétés doivent justifier que leurs préjudices n'ont pas déjà été indemnisés dans le cadre d'un contrat d'assurance ;

o le préjudice commercial lié à la perturbation de l'exploitation du navire Michel entre le 1er décembre 2010 et le 14 janvier 2011 n'est pas établi faute de production du carnet de commandes et en période de congés de fin d'année ;

o le décompte effectué par la société Carboloire relatif au transport du calcaire par camion apparait erroné, puisqu'elle demande l'indemnisation d'une livraison de 1 847 tonnes, supérieures aux 1 200 tonnes de la cargaison du navire Michel.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code pénal ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B..., première conseillère,

- les conclusions de M. Besse, rapporteur public,

- et les observations de M. A..., représentant le préfet de la Loire-Atlantique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 1er décembre 2010, le navire Michel DSR, cargo sablier construit en 2009-2010 appartenant à la Compagnie européenne de transports de l'Atlantique (CETRA), avec une cargaison de 1 200 tonnes de calcaire appartenant à la société Carboloire transportée depuis Tonnay Charente, a entrepris des manoeuvres de déchargement autonome de sa cargaison dans le port de Montoir-de-Bretagne (Loire-Atlantique). Des dockers et du personnel du port se sont violemment opposés au déchargement qui devait se faire de manière automatique et ont commis des dégradations sur le navire qui a dû quitter le port de Montoir-de-Bretagne sans avoir pu livrer sa cargaison. La société CETRA, armateur du navire, et la société Carboloire, propriétaire de la cargaison, ont saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à les indemniser des préjudices résultant des événements du 1er décembre 2010. La CETRA et la société Carboloire relèvent appel du jugement du 21 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande de condamnation de l'Etat.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. L'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, alors en vigueur, dispose que : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens (...) ".

3. Si la société CETRA, armateur du navire Michel DSR, et la société Carboloire, propriétaire de la cargaison du cargo sablier, invoquent le caractère spontané et non prémédité des actions menées par les dockers et le personnel du port de Montoir-de-Bretagne le 1er décembre 2010, il résulte de l'instruction, notamment des procès-verbaux de gendarmerie, que lors du blocage des opérations de déchargement du cargo sablier, vers sept heures du matin puis à nouveau quelques heures plus tard un peu avant quatorze heures, a été relevée la présence d'un certain nombre de véhicules appartenant à des dockers qui n'étaient pas de service ce jour-là. Il résulte ainsi des constatations opérées par les services de gendarmerie que tous les dockers, y compris ceux qui n'étaient pas de service, étaient présents le 1er décembre 2010 par solidarité, alors qu'il n'est pas contesté, ainsi que le soutient le préfet intimé, que le personnel du port de Montoir-de-Bretagne avait été informé, auparavant, de l'arrivée du navire Michel DSR et de ses caractéristiques permettant un déchargement autonome sans le concours des dockers et des personnels portuaires. En outre, il résulte de l'instruction qu'après les tentatives de déchargement de la matinée du 1er décembre 2010, le navire a été surveillé par un véhicule qui effectuait des allers et retours réguliers sur le quai le long duquel le cargo était amarré tandis que les dockers et personnels portuaires sont intervenus quelques minutes après la nouvelle tentative de déchargement en début d'après-midi vers quatorze heures. Il résulte enfin de l'instruction que deux personnes revêtues d'un masque sont brièvement montés à bord du bateau par force et ont menacé le personnel du navire Michel DSR. Il résulte de tout ce qui précède, eu égard aux circonstances ainsi relatées, que les dégradations causées au cargo sablier et à sa cargaison ne peuvent être regardées comme consécutives à un attroupement ou un rassemblement au sens de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, alors en vigueur, mais apparaissent consécutives à un mouvement structuré et organisé, pendant plusieurs heures, au seul motif d'empêcher toute manoeuvre de déchargement du bateau dans le port de Montoir-de-Bretagne. Dès lors, les sociétés requérantes ne peuvent soutenir que la responsabilité sans faute de l'Etat serait engagée à raison de ces dégradations sur le fondement précité.

4. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'exception de prescription opposée à titre principal par le préfet de la Loire-Atlantique, que la société CETRA et la société Carboloire ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat.

Sur les frais du litige :

5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la CETRA et la société Carboloire demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la Compagnie européenne de transports Atlantique et de la société Carboloire est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la Compagnie européenne de transports Atlantique, à la société Carboloire et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera adressée pour information au préfet de la Loire-Atlantique.

Délibéré après l'audience du 14 janvier 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Rivas, président-assesseur,

- Mme B..., première conseillère.

Lu en audience publique le 31 janvier 2020.

La rapporteure,

M. B...Le président,

L. LAINÉ

La greffière,

V. DESBOUILLONS

La République mande et ordonne au préfet de Loire-Atlantique en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT00428


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT00428
Date de la décision : 31/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Marie BERIA-GUILLAUMIE
Rapporteur public ?: M. BESSE
Avocat(s) : QUIMBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-01-31;18nt00428 ?
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