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17/07/2020 | FRANCE | N°18NT03529

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 17 juillet 2020, 18NT03529


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... C... a demandé au tribunal administratif d'Orléans :

1°) Sous le n° 1501666 :

- d'annuler la décision par laquelle la société Orange a implicitement rejeté sa demande adressée le 9 janvier 2015 tendant au versement d'une somme de 50 000 euros en réparation du préjudice résultant de la gestion fautive de sa carrière, à la reconstitution de sa carrière à compter du 1er janvier 1994 et que soit prise en compte des conséquences pécuniaires de cette reconstitution, soit le versem

ent d'une somme de 29 397,77 euros, le versement d'une somme de 30 000 euros en réparation d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... C... a demandé au tribunal administratif d'Orléans :

1°) Sous le n° 1501666 :

- d'annuler la décision par laquelle la société Orange a implicitement rejeté sa demande adressée le 9 janvier 2015 tendant au versement d'une somme de 50 000 euros en réparation du préjudice résultant de la gestion fautive de sa carrière, à la reconstitution de sa carrière à compter du 1er janvier 1994 et que soit prise en compte des conséquences pécuniaires de cette reconstitution, soit le versement d'une somme de 29 397,77 euros, le versement d'une somme de 30 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité du refus de France Télécom d'établir des listes d'aptitude et des tableaux d'avancement depuis le 26 novembre 2004, et enfin, le versement d'une somme de 42 172,77 euros en réparation du préjudice subi du fait de la minoration de sa pension de retraite ;

- de condamner la société Orange à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la gestion fautive de sa carrière ;

- d'ordonner la reconstitution de sa carrière en le réintégrant dans le corps des conducteurs de travaux au 7ème échelon, avec une ancienneté acquise de 8 mois, à compter du 1er janvier 1994 et rétablir rétroactivement les promotions d'échelons jusqu'à ce jour ;

- de condamner la société Orange à lui verser la somme de 29 397,77 euros quitte à parfaire, en réparation de la perte de traitement et accessoires à ce traitement résultant de cette reconstitution, après l'avoir indexée sur l'évolution annuelle du point d'indice, et de procéder au versement des cotisations correspondantes au service des pensions de retraite de La Poste et de France Télécom ;

- de condamner la société Orange à lui verser la somme de 42 172,77 euros, quitte à parfaire, en réparation du préjudice subi du fait de la minoration de sa pension de retraite ;

- de condamner la société Orange à lui verser la somme de 30 000 euros quitte à parfaire, en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité du dispositif de promotion interne mis en place depuis le 26 novembre 2004 en l'absence d'établissement de listes d'aptitude et de tableaux d'avancement depuis le 26 novembre 2004 ;

- de mettre à la charge la société Orange la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2°) Sous le n° 1503013 :

- d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé sur sa demande, adressée à la société Orange le 11 mai 2015, tendant à l'établissement de listes d'aptitude et de tableaux d'avancement au titre des années 1993 à 2004, d'une part, à l'établissement de listes d'aptitude et tableaux d'avancement ou à l'organisation d'examens professionnels, au titre des années 2005 à 2011, d'autre part, et de le nommer conducteur des travaux dès le 1er janvier 1994 ;

- d'enjoindre à la société Orange de procéder à l'établissement de listes d'aptitude et de tableaux d'avancement pour le corps des conducteurs de travaux au titre des années 1993 à 2004 ;

- d'enjoindre à la société Orange de procéder à l'établissement de listes d'aptitude et de tableaux d'avancement ou de procéder rétroactivement à l'organisation d'examens professionnels au titre des années 2005 à 2011 ;

- d'enjoindre à la société Orange de le nommer dans le corps des conducteurs de travaux à compter du 1er janvier 1994 ;

- de mettre à la charge de la société Orange la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement nos 1501666, 1503013 du 11 juin 2018, le tribunal administratif d'Orléans a condamné la société Orange à verser à M. C... une somme de 800 euros, tous intérêts confondus, et a rejeté le surplus de ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 19 septembre 2018, 20 novembre 2019 et 6 et 12 février 2020, M. C..., représenté par Me E..., demande à la cour :

1°) à titre principal, d'annuler pour irrégularité le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 11 juin 2018 et de renvoyer l'affaire à cette juridiction ;

2°) à titre subsidiaire :

- de réformer le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 11 juin 2018 en ce qu'il ne lui a pas donné entièrement satisfaction ;

- d'annuler les décisions implicites du président de la société Orange mentionnées ci-dessus ;

- en conséquence, à titre principal :

* de condamner la société Orange à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la gestion fautive de sa carrière ;

* d'ordonner la reconstitution de sa carrière en le réintégrant dans le corps des conducteurs de travaux au 7ème échelon, avec une ancienneté acquise de huit mois, à compter du 1er janvier 1994 et rétablir rétroactivement les promotions d'échelons jusqu'à ce jour ;

* de condamner la société Orange à lui verser la somme de 29 397,77 euros quitte à parfaire, en réparation de la perte de traitement et accessoires à ce traitement résultant de cette reconstitution, après l'avoir indexée sur l'évolution annuelle du point d'indice, et de procéder au versement des cotisations correspondantes au service des pensions de retraite de La Poste et de France Télécom ;

* de condamner la société Orange à lui verser la somme de 10 000 euros, quitte à parfaire, au titre du préjudice subi du fait du retard pris pour reconstituer sa carrière ;

* de condamner la société Orange à lui verser la somme de 42 172,77 euros, quitte à parfaire, en réparation du préjudice subi du fait de la minoration de sa pension de retraite ;

* de condamner la société Orange à lui verser la somme de 30 000 euros quitte à parfaire, en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité du dispositif de promotion interne mis en place depuis le 26 novembre 2004 en l'absence d'établissement de listes d'aptitude et de tableaux d'avancement depuis le 26 novembre 2004 ;

3°) de mettre à la charge de la société Orange la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier, en ce qu'il n'a pas répondu au moyen tiré de ce que la société Orange était tenue sur la base de plusieurs jurisprudences du Conseil d'Etat, d'établir rétroactivement des listes d'aptitudes au titre des années 2004 à 2011 ;

- à titre principal, il est fondé à obtenir la reconstitution de sa carrière au plan administratif et financier, à compter du 1er janvier 1994, et, en conséquence, à se voir verser le rappel des traitements et des primes ; il est en droit, en effet, de se prévaloir du blocage illégal de sa carrière depuis le 1er janvier 1994 et jusqu'au 1er mai 2013, date de son départ en retraite, le 20 janvier 2011, illégalité d'ailleurs reconnue par la cour et donc de la nécessité de procéder à sa reconstitution ; il peut invoquer une illégalité sans avoir au préalable obtenu une annulation par le juge de l'excès de pouvoir ; l'arrêt du 20 janvier 2011 par lequel la cour a jugé que cette illégalité lui a causé un préjudice de carrière et a engendré des troubles dans ses conditions d'existence implique qu'il soit procédé à la reconstitution de sa carrière à compter de la date à laquelle ce blocage est intervenu et jusqu'à la parution des décrets rétablissant les possibilités de promotion, à savoir de 1993 à 2004 ; s'il n'a pu démontrer alors avoir perdu une chance sérieuse de promotion c'est parce que la société Orange avait soit perdu, soit refusé de communiquer les documents relatifs à sa carrière ; il convient que lui soit attribué rétroactivement le grade de conducteur de travaux sur le service des lignes (CDTXL) au 7ème échelon avec une ancienneté acquise au 1er janvier 1994 ; la reconstitution de sa carrière implique ainsi, d'une part, de le faire bénéficier d'un rappel de traitement pour un montant évalué à 29 397,77 euros et, d'autre part, qu'il soit enjoint à la société Orange de verser les cotisations correspondantes au service des pensions de retraite ;

- il est fondé à être indemnisé du préjudice résultant du retard pris par la société Orange à procéder à cette reconstitution qui doit être évalué à la somme de 10 000 euros ;

- il est également fondé à être indemnisé du préjudice résultant de la minoration de sa retraite à raison du blocage de sa carrière, préjudice qui ne saurait être évalué à moins de 42 172,77 euros.

- à titre subsidiaire, s'il devait être considéré qu'il ne dispose pas d'un droit à reconstitution de sa carrière, il sera enjoint nécessairement à la société Orange de procéder à l'établissement de listes d'aptitude et de tableaux d'avancement pour le grade de CDTXL de 1994 à 2004 et de 2004 à 2011 (plutôt que 2013) ; plusieurs décisions du Conseil d'Etat, des cours et des jugements de tribunaux administratifs ont reconnu cette nécessité. L'établissement de listes d'aptitude s'impose également s'agissant de l'établissement de listes d'aptitude et de tableaux d'avancement sur la période de 2005 à 2011. Le refus d'établir de tels liste est illégal. Le dispositif de promotion interne instauré à compter de 2004 en tant qu'il ne prévoit qu'une seule voie de promotion interne est en effet illégal au regard des dispositions de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 ; celle illégalité qui a été reconnue par plusieurs juridictions est à l'origine d'un préjudice moral et de troubles dans ses conditions d'existence ainsi que d'un préjudice de carrière qui doivent être évalués à la somme totale de 30 000 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 25 octobre 2019, 11 décembre 2019 et 7 février 2020, la société Orange représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1500 euros soit mise à la charge de M. C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens présentés par M. C... ne sont pas fondés.

L'instruction a été close au 6 mai 2020, date d'émission d'une ordonnance prise en application des dispositions combinées des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Un mémoire, présenté pour la société Orange, a été enregistré le 23 juin 2020, postérieurement à la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée ;

- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;

- la loi n° 96-660 du 26 juillet 1996 ;

- le décret n° 54-865 du 2 septembre 1954 modifié ;

- le décret n°76-4 du 6 janvier 1976 ;

- le décret 85-1238 du 25 novembre 1985 ;

- le décret n° 90-1225 du 31 décembre 1990 ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

- et les observations de Me D..., substituant Me E..., représentant M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C... est entré au service des Postes et Télécommunications en 1972 et a, par la suite, intégré France Télécom devenue la société Orange. Après avoir occupé le grade d'auxiliaire, il a été promu agent d'exploitation du service des lignes (AEXSL) le 4 septembre 1978. Dans le cadre de la réforme mise en place par la loi du 2 juillet 1990, il a opté en faveur de la conservation de son grade intégrant ainsi la catégorie des personnels de France Telecom dits " reclassés " Il a été promu conducteur de travaux (CDTXL) le 31 mai 2011, puis chef de secteur (SCEC) le 1er octobre 2012 et a fait valoir ses droits à la retraite le 1er juin 2013. Estimant avoir subi un préjudice à raison du blocage de sa carrière, il a introduit en juillet 2005 un recours devant le tribunal d'Orléans qui, par un jugement du 6 novembre 2008, a rejeté sa demande. Il a fait appel de cette décision et, par un arrêt n° 08NT03464 du 20 janvier 2011 devenu définitif, la cour administrative d'appel de Nantes a, d'une part, estimé que M. C... ne démontrait pas qu'il aurait eu une chance sérieuse d'accéder au grade hiérarchiquement supérieur et, d'autre part, a condamné solidairement l'Etat et France Télécom à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice de carrière et des troubles subis dans ses conditions d'existence du fait de l'absence fautive de toute possibilité de promotion interne pour les fonctionnaires " reclassés " au sein de France Télécom.

2. Par une lettre du 9 janvier 2015, M. C... a adressé une réclamation à la société Orange tendant à obtenir la réparation des préjudices subis du fait de la gestion défectueuse de sa carrière, la reconstitution de sa carrière depuis 1994, la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi résultant de la perte de traitement induite par l'absence de reconstitution de sa carrière depuis le 1er janvier 1994, la réparation des préjudices subis du fait de l'absence de listes d'aptitude et de tableaux d'avancement depuis le 26 novembre 2004 et, enfin, la réparation du préjudice subi du fait de la minoration de sa pension depuis son départ à la retraite le 1er mai 2013. L'absence de réponse sur sa demande a fait naître à la date du 12 mars 2015 une décision implicite de rejet de sa demande. Parallèlement, par une lettre du 11 mai 2015, il a adressé une nouvelle demande à la société Orange, en vue de l'établissement de listes d'aptitude et de tableaux d'avancement au titre des années 1993 à 2004, d'une part, de l'établissement de listes d'aptitude et tableaux d'avancement ou de l'organisation d'examens professionnels, au titre des années 2005 à 2011, d'autre part, et de sa nomination dans le corps des conducteurs de travaux dès le 1er janvier 1994. L'absence de réponse sur sa demande a fait naître une décision implicite de rejet à la date du 13 juillet 2015.

3. Le requérant a, le 12 mai 2015, saisi le tribunal administratif d'Orléans de demandes tendant, d'une part, à l'annulation des décisions implicites de rejet par la société Orange de ses demandes tendant à l'établissement de listes d'aptitude au titre des années 1993 à 2010, d'autre part, à la condamnation de cette société à lui verser les sommes de 10 000 euros, 29 397,77 euros, 42 172,77 euros et 50 000 euros au titre respectivement des préjudices nés du retard pris par son employeur pour opérer la reconstitution de sa carrière, de la perte de rémunération en résultant, de la minoration de son droit à pension de retraite et de son préjudice de carrière, enfin d'ordonner la reconstitution de sa carrière en le réintégrant dans le corps des conducteurs de travaux au 7ème échelon, avec une ancienneté acquise de huit mois, à compter du 1er janvier 1994 et rétablir rétroactivement les promotions d'échelons jusqu'à ce jour. Il relève appel du jugement du 11 juin 2018 par lequel cette juridiction a limité la condamnation de la société Orange à lui verser une somme de 800 euros, tous intérêts confondus, et a rejeté le surplus de ses demandes. M. C... maintient, à titre principal, ses différentes demandes et, à titre subsidiaire, sollicite l'allocation d'une somme de 30 000 euros au titre de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence ainsi que du préjudice de carrière subis depuis l'année 2004. La société Orange conclut au rejet de la requête.

Sur la régularité du jugement attaqué :

4. Contrairement à ce qui est allégué par le requérant, il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que le tribunal a aux points 10 à 12 expressément répondu au moyen selon lequel la société Orange aurait été tenue d'établir rétroactivement des listes d'aptitudes - pour l'accès de l'intéressé au corps de conducteur de travaux du service des lignes - au titre des années 2004 à 2011. Par suite, M. C... n'est pas fondé à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité pour n'avoir pas répondu à ce moyen.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

S'agissant des conclusions principales :

En ce qui concerne le droit invoqué à la reconstitution rétroactive de la carrière, le préjudice de carrière, les préjudices liés à la gestion de celle-ci et à la minoration de la pension :

5. M. C... soutient, en premier lieu, que l'illégalité d'une mesure susceptible de priver le fonctionnaire de son droit à promotion et avancement est de nature à lui permettre de bénéficier d'une reconstitution de sa carrière. Si effectivement les décisions administratives ne peuvent légalement disposer que pour l'avenir, s'agissant toutefois des décisions relatives à la carrière des fonctionnaires ou des militaires, il peut être dérogé à ce principe par l'administration en leur conférant une portée rétroactive, dans la seule mesure où ces décisions permettent d'assurer la continuité de la carrière d'un agent ou de procéder à la régularisation de sa situation.

6. En premier lieu, il y a lieu de rappeler que le Conseil d'Etat a, dans sa décision n°304438 du 11 décembre 2008, jugé que l'illégalité qui entachait le refus de modifier les dispositions statutaires concernant les fonctionnaires " reclassés " de France Télécom afin de mettre en place des dispositifs de promotion interne n'impliquait pas la reconstitution de leur carrière. Par suite, il en découle qu'il n'est pas nécessaire qu'une décision rétroactive intervienne pour assurer la continuité de la carrière de M. C... ou régulariser sa situation. Il résulte par ailleurs de l'instruction que la cour, par l'arrêt du 20 janvier 2011 cité au point 1, a, estimé que l'intéressé qui avait accédé au grade d'agent d'exploitation du service des lignes (AEXSL) de France Télécom le 4 septembre 1979 n'avait pas été privé d'une chance sérieuse d'accéder au grade supérieur de conducteur des travaux du service des lignes (CDTXL). Comme il a été rappelé au point 1, M. C... a été promu à ce grade le 31 mai 2011, puis, chef de secteur (SCEC) le 1er octobre 2012. Or il ne résulte d'aucun élément de l'instruction, notamment de ses appréciations sur ses mérites professionnels au titre des années 2004, 2005, 2006 et 2012, et alors même que M. C... aurait rempli les conditions statutaires pour être promu, que ces promotions auraient pu intervenir plus tôt. La société Orange n'a pas ainsi commis de faute en refusant de procéder à la reconstitution de la carrière de cet agent, notamment, et en tout état de cause, par l'établissement de listes d'aptitude à titre rétroactif pour la période comprise entre 1993 et 2004 et sur laquelle au demeurant le précédent arrêt de la cour du 20 janvier 2011 s'est prononcée. Par voie de conséquence, les conclusions présentées par M. C... tendant à l'annulation du refus implicite de son employeur de reconstituer tant sur un plan administratif que financier sa carrière et celles relatives tant au préjudice né du retard pris par son employeur pour opérer cette reconstitution évalué à 10 000 euros qu'à la perte de rémunération invoquée, arrêtée à 29 397,77 euros, et enfin à la minoration de son droit à pension de retraite évaluée à 42 172,77 euros ne peuvent qu'être rejetées.

7. M. C... soutient, en second lieu, que la gestion défectueuse de sa carrière, résultant notamment de la perte de son dossier administratif ne lui a pas permis d'établir la réalité du préjudice de carrière dont il entend se prévaloir, lui causant ainsi un préjudice qu'il évalue à la somme de 50 000 euros.

8. Il résulte de l'instruction que la cour, par l'arrêt du 20 janvier 2011 cité au point 1, a jugé qu'en faisant application des décrets régissant les statuts particuliers des corps de "reclassement" qui étaient devenus illégaux à compter de la cessation des recrutements externes le 1er janvier 2002 et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires "reclassés" après cette date, le président de France Télécom avait commis une illégalité fautive engageant la responsabilité de cette société et que l'Etat avait également commis une faute en attendant le 26 novembre 2004 pour édicter les dispositions organisant les possibilités de promotion interne pour les fonctionnaires des corps de reclassement. Du fait des illégalités fautives ainsi relevées, lesquelles concernaient nécessairement les erreurs commises en ce qui concerne la gestion de sa carrière, M. C... a été indemnisé à hauteur d'une somme totale de 5 000 euros tous intérêts compris du préjudice né des troubles dans ses conditions d'existence et du préjudice moral. Il est constant que le pourvoi qu'il avait formé contre cet arrêt devant le Conseil d'Etat a été rejeté par une décision du 22 décembre 2011. Dans ces conditions, M. C... n'est pas fondé à soutenir que la somme de 5 000 euros qui lui a été allouée au titre d'un préjudice moral et de troubles dans les conditions d'existence, par un arrêt définitif, n'indemniserait pas suffisamment le " blocage de carrière " dont lui-même, à l'instar des autres fonctionnaires " reclassés " a été victime.

9. Toutefois, M. C... établit que, malgré l'avis favorable émis par la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) le 13 février 2014 quant à la communication par son employeur de ses évaluations annuelles et ce, après plusieurs refus persistants, il n'a finalement pu obtenir les appréciations arrêtées sur sa manière de servir que pour les années 2004, 2005, 2006 et 2012, le tribunal administratif de Paris qui avait été saisi le 2 juillet 2014 ayant estimé, par un jugement du 14 octobre 2015, que les autres documents communicables sollicités devaient être regardés comme ayant été définitivement perdus. Dans ces conditions, le requérant est fondé à soutenir que la mauvaise tenue fautive de son dossier administratif et le refus de son employeur de communiquer les documents afférents à sa carrière, notamment ses évaluations, ouvre droit à réparation de ce préjudice, lequel doit être nécessairement regardé comme distinct de celui déjà indemnisé par l'arrêt définitif de la cour le du 20 janvier 2011, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté dans son principe par la société Orange qui n'a pas fait d'appel incident sur ce point. Il y a lieu, toutefois, de faire une plus juste appréciation de l'étendue du préjudice subi en portant la somme de 800 euros accordée par les premiers juges à un montant de 2 800 euros. Le jugement attaqué sera réformé dans cette mesure.

S'agissant des conclusions subsidiaires :

En ce qui concerne le refus de la société Orange d'établir des listes d'aptitude à titre rétroactif pour la période comprise entre 1993 et 2004 :

10. Ainsi qu'il a été rappelé au point 5, par dérogation au principe selon lequel les décisions administratives ne peuvent légalement disposer que pour l'avenir, il est possible pour l'administration de conférer une portée rétroactive aux décisions relatives à la carrière des fonctionnaires ou des militaires, dans la mesure nécessaire pour assurer la continuité de la carrière de l'agent intéressé ou procéder à la régularisation de sa situation. Mais, d'une part, l'illégalité entachant le refus de modifier les dispositions statutaires concernant les fonctionnaires des corps de reclassement de France Télécom afin de mettre en place des dispositifs de promotion interne n'impliquait pas la reconstitution de leur carrière, d'autre part, l'arrêt du 20 janvier 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a indemnisé M. C... pour le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence subis en raison des illégalités fautives commises par France Télécom et l'Etat mais a rejeté sa demande d'indemnisation d'un préjudice de carrière et financier au motif qu'il n'établissait pas avoir été privé d'une chance sérieuse d'accéder au corps de conducteur de travaux du service des lignes hiérarchiquement supérieur, n'impliquait que la société Orange procède rétroactivement à la reconstitution de la carrière du requérant pour la période visée en établissant des listes d'aptitude à titre rétroactif. Par suite, les conclusions tendant à l'annulation du refus qui lui a été opposé par la société Orange d'établir des listes d'aptitude à titre rétroactif pour la période comprise entre 1993 et 2004 et les conclusions indemnitaires au titre des préjudices qui en résulteraient directement ne peuvent qu'être rejetées.

En ce qui concerne le refus de la société Orange d'établir des listes d'aptitude à titre rétroactif pour la période comprise entre 2005 et 2010 :

11. Pour soutenir que le refus qui lui a été opposé par la société Orange est fautif, M. C... fait valoir que le dispositif de promotion interne mis en place par France Télécom à compter de 2004 est illégal en ce qu'il ne prévoit qu'une voie de promotion interne unique, sous la forme du concours.

12. D'une part, aux termes de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...), non seulement par voie de concours (...), mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : 1°) Examen professionnel 2°) Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil (...) ". En vertu de l'article 10 de la même loi, dont l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications prévoit l'application à l'ensemble des corps de fonctionnaires de France Télécom, les statuts particuliers pris par décret en Conseil d'Etat peuvent déroger, après avis du conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat, à certaines des dispositions du statut général qui ne correspondraient pas aux besoins propres de ces corps ou aux missions que leurs membres sont destinés à assurer.

13. D'autre part, aux termes de l'article 1er du décret du 26 novembre 2004 susvisé : " Les dispositions des décrets mentionnés en annexe sont abrogées en tant qu'elles prévoient pour les corps de France Télécom les recrutements externes, la répartition des emplois à pourvoir par la voie interne et la voie externe et une période probatoire ou un stage avant la titularisation. " et aux termes de l'article 2 de ce même texte : " Les recrutements par la voie interne ou par l'une des voies offertes au titre de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée, prévus pour les corps de France Télécom par les décrets mentionnés en annexe ne sont ouverts qu'aux fonctionnaires des corps de France Télécom ". L'article annexe à ce décret mentionne le corps des conducteurs de travaux des lignes de France Télécom, créé par le décret n° 90-1225 du 31 décembre 1990 relatif au statut particulier du corps du service des lignes de France Télécom et régi par le décret n° 54-865 du 2 septembre 1954.

14. En ce qui concerne la période postérieure à l'entrée en vigueur du décret du 24 novembre 2004 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de France Télécom, alors même que la société Orange fait valoir qu'elle a fait le choix de privilégier le concours interne, cette circonstance ne la dispensait pas, en application des dispositions précitées de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984, et alors que cette autre voie de promotion était prévue par le décret du 2 septembre 1954 modifié portant règlement d'administration public pour la fixation du statut particulier du corps du service des lignes des postes télégraphes et téléphone et par le décret du 31 décembre 1990 évoqué au point précédent relatif au statut particulier du corps du service des lignes de France Télécom, de procéder à l'établissement de listes d'aptitude ou de tableaux d'avancement permettant la promotion interne des fonctionnaires. Par suite, la responsabilité de France Télécom est susceptible d'être engagée au titre des années 2005 à 2010, dès lors que cette période n'a pas été examinée par le précédent arrêt de la cour du 20 janvier 2011.

15. Il résulte de l'instruction que la société Orange a depuis l'année 2005 procédé à la promotion interne d'un nombre de fonctionnaires reclassés allant de 400 à 600 environ selon les années. Par ailleurs, il n'est pas établi que cette société n'aurait pas fait application des dispositions réglementaires applicables, résultant des statuts particuliers des différents corps de fonctionnaires considérés, notamment celui de conducteur de travaux du service des lignes, et déterminant les modalités de promotion interne fixées pour chaque corps. Enfin, et ainsi qu'il a été rappelé au point, au point 1, M. C... a été promu à ce grade le 31 mai 2011, puis, chef de secteur (SCEC) le 1er octobre 2012. M. C... ne démontre pas avoir lui-même été privé d'une chance sérieuse d'accéder plus tôt à des grades d'avancement par inscription sur liste d'aptitude, s'il en avait été établi une pour la période litigieuse. Il ne disposait ainsi, en l'absence de tout droit acquis à une quelconque promotion de grade, d'aucun droit particulier à reconstitution de carrière. Par suite, ses conclusions indemnitaires tendant à ce qu'il soit tiré les conséquences financières d'une telle reconstitution doivent être rejetées.

16. En revanche, il sera fait une juste appréciation de la réparation des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral subi par M. C... qui a résulté de l'illégalité relevée au point 14 en fixant son préjudice à la somme de 2 200 euros.

17. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, en particulier de ce qui a été dit aux points 9 et 16, que M. C... est fondé à obtenir la condamnation de la société Orange à lui verser une indemnité de 5 000 euros. Le jugement attaqué sera réformé dans cette mesure.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

18. Le présent arrêt, et en l'absence comme il a été dit aux points 6 et 15 de tout préjudice de carrière établi, n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par le requérant ne peuvent être accueillies.

Sur les frais liés au litige :

19. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative de mettre à la charge de la société Orange le paiement à M. C... d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que la société Orange, qui a la qualité de partie perdante dans la présente instance, bénéficie d'une somme au titre des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige.

DECIDE :

Article 1er : La somme de 800 euros que la société Orange a été condamnée à verser à M. C... par le jugement attaqué est portée à 5 000 euros.

Article 2 : Le jugement nos 1501666, 1503013 du 11 juin 2018 du tribunal administratif d'Orléans est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.

Article 3 : La société Orange versera à M. C... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... et les conclusions de la société orange tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... C... et à la société Orange.

Délibéré après l'audience du 6 juillet 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. B..., président-assesseur,

- Mme Gélard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 17 juillet 2020.

Le rapporteur,

O.B...Le président,

H. LENOIR

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne à la ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, en charge de l'Industrie en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 18NT03529 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT03529
Date de la décision : 17/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : SELARL HORUS AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-07-17;18nt03529 ?
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