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12/11/2020 | FRANCE | N°19NT01292

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 12 novembre 2020, 19NT01292


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Ondulys Industries a demandé au tribunal administratif de Caen, d'une part, d'annuler la décision du 20 juin 2017 par laquelle le ministre du travail a implicitement rejeté sa demande d'indemnisation, d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 184 511,81 euros avec intérêts à compter du 20 avril 2017 en réparation des préjudices nés de l'illégalité fautive de la décision de l'inspecteur du travail du 20 avril 2012 autorisant le licenciement de Mme B... pour inaptitude.
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Ondulys Industries a demandé au tribunal administratif de Caen, d'une part, d'annuler la décision du 20 juin 2017 par laquelle le ministre du travail a implicitement rejeté sa demande d'indemnisation, d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 184 511,81 euros avec intérêts à compter du 20 avril 2017 en réparation des préjudices nés de l'illégalité fautive de la décision de l'inspecteur du travail du 20 avril 2012 autorisant le licenciement de Mme B... pour inaptitude.

Par un jugement n° 1701563 du 1er février 2019, le tribunal administratif de Caen a condamné l'Etat à verser à la société Ondulys Industries la somme de 147 011,54 euros et a mis à sa charge la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 1er avril 2019, la ministre du travail demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Caen n° 1701563 du 1er février 2019 ;

2°) de rejeter les prétentions indemnitaires en ce qu'elles visent à faire supporter à l'Etat plus de la moitié des conséquences dommageables qui ont découlé de l'annulation de la décision d'autorisation de licenciement.

Elle soutient que :

- s'il est constant que l'employeur est en droit d'obtenir la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice direct et certain résultant pour lui de l'illégalité de la décision administrative autorisant le licenciement d'un salarié protégé, il n'en demeure pas moins qu'en cas de cumul de fautes, chaque auteur des différentes fautes ayant concouru au dommage doit assumer sa part de responsabilité ; en l'espèce, ainsi que l'arrêt de la cour du 25 septembre 2014 le précise, l'illégalité commise par l'inspecteur du travail a été induite par l'irrégularité de la demande d'autorisation de licenciement qui lui était présentée ; le tribunal ne pouvait ainsi sans commettre une erreur d'appréciation condamner l'Etat à réparer intégralement les conséquences dommageables pour la société Ondulys Industries ; la cour a rappelé, en effet, que l'employeur n'avait pas satisfait à ses obligations de reclassement en retenant que l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement de Mme B... ne résulte pas de l'annulation de l'autorisation de licenciement la concernant mais de la volonté de la société de procéder à son licenciement sans avoir satisfait à son obligation de reclassement ;

- à la suite de la décision de l'inspecteur du travail du 10 avril 2012 qui s'est substituée à la décision du médecin du travail du 8 février 2012, la société devait de nouveau chercher et proposer des postes à Mme B... afin de satisfaire ses obligations de reclassement prescrites par le code du travail ; en ne procédant pas à ces recherches, l'employeur a commis une faute qui a entaché le licenciement de Mme B... d'illégalité ; ainsi, si la faute de l'inspecteur qui s'est abstenu de vérifier si une nouvelle recherche de reclassement avait été effectuée par la société est réelle, elle ne constitue pas la seule faute à l'origine du préjudice subi par la société.

Par un mémoire enregistré le 29 août 2019, la société Ondulys Industries conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par le ministre du travail ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- et les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 20 avril 2012, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement pour inaptitude de Mme B..., responsable depuis le 1er janvier 2009 des ressources humaines des sites de Lisieux et de Longjumeau au sein de la SAS Ondulys Industries et, par ailleurs, élue conseillère prud'homale depuis le 3 décembre 2008 pour un mandat de cinq ans. Le tribunal administratif de Caen a rejeté la requête formée par Mme B... à l'encontre de cette décision mais, saisie par l'intéressée, la cour administrative d'appel a, par un arrêt du 25 septembre 2014, annulé l'autorisation de licenciement au motif que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement. Par une décision du 3 avril 2015, le Conseil d'Etat a refusé d'admettre le pourvoi en cassation de la société Ondulys Industries. Mme B... a alors saisi le conseil des prud'hommes, qui a condamné la société Ondulys industries à l'indemniser du préjudice résultant de son licenciement illégal. La Cour d'appel de Caen a, par un arrêt du 13 janvier 2017, confirmé la condamnation en portant l'indemnité à verser à Mme B... à la somme totale de 132 011, 59 euros.

2. Le 19 avril 2017, la société Ondulys Industries a formé auprès de l'Etat une demande tendant à la réparation de son préjudice lié à la décision de l'inspecteur du travail du 20 avril 2012, qui a été implicitement rejetée. Elle a alors saisi le 28 août 2017 le tribunal administratif de Caen d'une demande ayant le même objet en sollicitant le versement d'une somme totale de 184 511,81 euros assortie des intérêts à compter du 20 avril 2017. Par un jugement du 1er février 2019, cette juridiction a condamné l'Etat à verser à la société Ondulys Industries la somme de 147 011,54 euros. La ministre du travail relève appel de ce jugement et en demande la réformation, en soutenant que, du fait de la faute commise par la société, l'Etat ne saurait supporter plus de la moitié des conséquences dommageables produites par l'annulation de la décision d'autorisation de licenciement du 20 avril 2012.

Sur la responsabilité de l'Etat :

3. En premier lieu, en application des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'autorité administrative. L'illégalité de la décision autorisant un tel licenciement, à supposer même qu'elle soit imputable à une simple erreur d'appréciation de l'autorité administrative, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique quelle que puisse être par ailleurs la responsabilité encourue par l'employeur. Ce dernier est en droit d'obtenir la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice direct et certain résultant pour lui de cette décision illégale.

4. Au cas d'espèce, l'illégalité de la décision de l'inspecteur du travail du 20 avril 2012 autorisant le licenciement de Mme B... a été constatée par un arrêt n° 13NT00433 de la cour du 25 septembre 2014 revêtu de l'autorité absolue de chose jugée. Cette illégalité a constitué une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, quelle que puisse être par ailleurs la responsabilité de la société Ondulys Industries. Cette société est ainsi en droit d'obtenir la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice direct et certain résultant pour elle de cette décision illégale.

5. En second lieu, toutefois, en vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge, si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé. La circonstance que l'avis du médecin du travail, auquel il incombe de se prononcer sur l'aptitude du salarié à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment ou à exercer d'autres tâches existantes, déclare le salarié protégé " inapte à tout emploi dans l'entreprise " ne dispense pas l'employeur, qui connaît les possibilités d'aménagement de l'entreprise et peut solliciter le groupe auquel, le cas échéant, celle-ci appartient, de rechercher toute possibilité de reclassement dans l'entreprise ou au sein du groupe, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations des postes de travail ou aménagement du temps de travail.

6. Il résulte de l'instruction que Mme B..., directrice des ressources humaines au sein de la société Ondulys Industries, a contesté l'avis du médecin du travail qui, à l'issue de deux visites médicales de reprise, avait, le 8 février 2012, estimé qu'elle était inapte à occuper son poste. Le 10 avril 2012, l'inspecteur du travail saisi par l'intéressée a, après avis du médecin inspecteur régional du travail, annulé cet avis, déclaré Mme B... " inapte à son poste de DRH de l'entreprise Ondulys située à Lisieux " et indiqué qu' " aucun autre poste ni aucune autre tâche ne pouvaient être proposés à celle-ci au sein des sociétés Ondulys ". La cour a dans son arrêt du 25 septembre 2014, et ainsi qu'il a été rappelé aux points 1 et 4, annulé l'autorisation de licenciement en cause au motif que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement. La cour a ainsi précisé que la société Ondulys Industries " était tenue de procéder à une nouvelle recherche de reclassement dans l'entreprise ou au sein du groupe, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations des postes de travail ou aménagement du temps de travail et qu'en se bornant à maintenir les deux propositions d'emploi sur le site de Lisieux offertes à Mme B..., par un courrier du 13 février 2012, l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de recherche de reclassement en conformité avec les préconisations émises par l'inspecteur du travail lesquelles excluaient tout reclassement au sein des sociétés Ondulys ". Dans ces conditions, si la responsabilité de l'Etat est engagée à raison de l'illégalité fautive de la décision administrative du 20 avril 2012 autorisant le licenciement de Mme B..., l'employeur de ce salarié a également commis une faute en ne procédant pas aux recherches de reclassement prescrites par les dispositions du code du travail. Cette faute est ainsi de nature, à exonérer l'Etat de la moitié de la responsabilité encourue.

Sur le préjudice :

7. Aux termes de l'article L. 2422-4 du code du travail : " Lorsque l'annulation d'une décision d'autorisation est devenue définitive, le salarié investi d'un des mandats mentionnés à l'article L. 2422-1 a droit au paiement d'une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration, s'il en a formulé la demande dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision. / L'indemnité correspond à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l'expiration du délai de deux mois s'il n'a pas demandé sa réintégration. / Ce paiement s'accompagne du versement des cotisations afférentes à cette indemnité qui constitue un complément de salaire ".

8. Il y a lieu de retenir en appel par adoption des motifs figurant aux points 6, 8 et 9 du jugement n° 1701763 du 1er février 2019 visé ci-dessus, les montants arrêtés par les premiers juges au titre de la violation du statut protecteur, des sommes acquittées par la société s'agissant des cotisations et charges sociales salariales ainsi que des cotisations et charges patronales, et enfin au titre des frais mis à la charge de la société en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative afférents à la procédure ayant conduit à l'arrêt sus-évoqué du 25 septembre 2014, soit une indemnité totale de 147 011,54 euros. Compte tenu du partage de responsabilité retenu au point 6 du présent arrêt, il y a lieu de condamner l'Etat à verser à la société Ondalys Industries 73 505, 77 euros et de réformer le jugement attaqué dans cette mesure.

9. Il résulte de tout ce qui précède, que la ministre du travail est fondée à soutenir, d'une part, que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a retenu l'entière responsabilité de l'Etat et, d'autre part, que le jugement doit être réformé dans la mesure de ce qui a été dit au point précédent.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la société Ondulys Industries de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L'Etat est condamné à verser à la société Ondulys Industries la somme de 73 505,77 euros.

Article 2 : Le jugement attaqué est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er.

Article 3 : Les conclusions de la société Ondulys Industries tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ondulys Industries et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 23 octobre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,

- M. A..., président-assesseur,

- M. Pons, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 novembre 2020.

Le rapporteur,

O. A...Le président,

O. GASPON

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT01292
Date de la décision : 12/11/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. GASPON
Rapporteur ?: M. Olivier COIFFET
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : SELARL VINCHANT LAMORIL

Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2020-11-12;19nt01292 ?
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