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17/09/2021 | FRANCE | N°19NT04872

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 17 septembre 2021, 19NT04872


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du

4 juillet 2017 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Guingamp a refusé de la réintégrer après disponibilité et de condamner le centre hospitalier de Guingamp à l'indemniser des préjudices que lui a causés cette décision.

Par un jugement n° 1703916 du 17 octobre 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée l

e 17 décembre 2019 Mme A..., représentée par

Me Metais-Mouries, demande à la cour :

1°) d'annuler c...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du

4 juillet 2017 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Guingamp a refusé de la réintégrer après disponibilité et de condamner le centre hospitalier de Guingamp à l'indemniser des préjudices que lui a causés cette décision.

Par un jugement n° 1703916 du 17 octobre 2019, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 17 décembre 2019 Mme A..., représentée par

Me Metais-Mouries, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 17 octobre 2019 ;

2°) d'annuler la décision contestée du directeur du centre hospitalier de Guingamp du

4 juillet 2017 ;

3°) de prononcer sa réintégration et de procéder à la reconstitution de sa carrière depuis le 25 août 2011 ;

4°) de condamner le centre hospitalier de Guingamp à lui verser la somme totale de 131 800 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts ;

5°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Guingamp la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé ;

- la décision contestée a été prise par une autorité incompétente et n'est pas suffisamment motivée ;

- en dépit de ses nombreuses demandes de réintégration, la première par courrier en date du 25 août 2011, aucun poste adapté à son état de santé ne lui a été proposé ;

- son employeur a méconnu le délai raisonnable dont il disposait pour la réintégrer ;

- elle a droit à la somme de 121 800 euros au titre de ses pertes de revenus et de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral.

Des mises en demeure ont été adressées les 1er avril 2020, 5 juin 2020 et 19 mars 2021 au centre hospitalier de Guingamp, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- le décret n° 88-976 du 13 octobre 1988 ;

- le décret n° 89-376 du 8 juin 1989 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. L'hirondel,

- et les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... a été recrutée en 1998 par le centre hospitalier de Guingamp comme aide-soignante contractuelle. Elle a été titularisée en 2000. Le 25 août 2006, elle a été placée en disponibilité. Elle a sollicité sa réintégration à plusieurs reprises à partir du 25 août 2011. Le

9 mai 2017, Mme A... a sollicité une nouvelle fois sa réintégration, tout en demandant à son employeur, au motif qu'il avait manqué à son obligation en la matière, de reconstituer sa carrière depuis le 25 août 2011 et de lui verser une indemnité représentative des traitements perdus. Par une décision du 4 juillet 2017, le centre hospitalier de Guingamp a rejeté sa demande et lui a indiqué qu'il entendait lui proposer tout poste vacant sur lequel elle pourrait être reclassée.

Mme A... a demandé au tribunal administratif de Rennes l'annulation de cette décision et la condamnation de son employeur à réparer ses préjudices et à procéder à sa réintégration. Par un jugement du 17 octobre 2019, le tribunal a rejeté ces demandes. Mme A... relève appel de ce jugement.

Sur la légalité de la décision du 4 juillet 2017 :

2. D'une part, aux termes de l'article 62 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : " La disponibilité est la position du fonctionnaire qui, placé hors de son établissement, cesse de bénéficier, dans cette position, de ses droits à l'avancement et à la retraite (...) ". Selon l'article 37 du décret du 13 octobre 1988 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires hospitaliers, à l'intégration et à certaines modalités de mise à disposition : " Deux mois au moins avant l'expiration de la période de disponibilité en cours, le fonctionnaire doit solliciter soit le renouvellement de sa disponibilité soit sa réintégration. Faute d'une telle demande, l'intéressé est rayé des cadres, à la date d'expiration de la période de disponibilité. Sous réserve des dispositions des troisième et quatrième alinéas ci-dessous, la réintégration est de droit à la première vacance lorsque la disponibilité n'a pas excédé trois ans (...) ".

3. D'autre part, selon le même article 37 du décret du 13 octobre 1988 : " (...) Le fonctionnaire qui, à l'issue de sa disponibilité ou avant cette date s'il sollicite sa réintégration anticipée, ne peut être réintégré pour cause d'inaptitude physique est soit reclassé dans les conditions prévues par la section 3 du chapitre V de la loi du 9 janvier 1986 susvisée, soit placé en disponibilité d'office dans les conditions prévues aux deux derniers alinéas de l'article 29 du présent décret, soit en cas d'inaptitude définitive à l'exercice des fonctions, admis à la retraite ou, s'il n'a pas droit à pension, licencié (...) ". Selon l'article 71 de la loi du 9 janvier 1986, auquel renvoient ces dispositions : " Lorsque les fonctionnaires sont reconnus, par suite d'altération de leur état physique, inaptes à l'exercice de leurs fonctions, le poste de travail auquel ils sont affectés est adapté à leur état physique. Lorsque l'adaptation du poste de travail n'est pas possible, ces fonctionnaires peuvent être reclassés dans des emplois d'un autre corps, s'ils ont été déclarés en mesure de remplir les fonctions correspondantes. / Le reclassement est subordonné à la présentation d'une demande par l'intéressé. ". Et selon l'article 72 de la même loi : " En vue de permettre ce reclassement, l'accès à des corps ou emplois d'un niveau supérieur, équivalent ou inférieur est ouvert aux intéressés, quelle que soit la position dans laquelle ils se trouvent, selon les modalités retenues par les statuts particuliers de ces corps ou emplois, en exécution des articles 29, 32 et 35 et nonobstant les limites d'âges supérieures, s'ils remplissent les conditions d'ancienneté fixées par ces statuts ". Enfin, aux termes de l'article 2 du décret du 8 juin 1989 pris pour l'application de cette loi et relatif au reclassement des fonctionnaires pour raisons de santé : " Dans le cas où l'état physique d'un fonctionnaire, sans lui interdire d'exercer toute activité, ne lui permet pas de remplir les fonctions correspondant aux emplois de son grade, l'intéressé peut présenter une demande de reclassement dans un emploi relevant d'un autre grade de son corps ou dans un emploi relevant d'un autre corps. / L'autorité investie du pouvoir de nomination recueille l'avis du comité médical départemental. ".

4. Il résulte de l'instruction que Mme A... a été placée en disponibilité en 2006 et que, le 26 août 2014, alors qu'elle était toujours dans cette position faute d'avoir été réintégrée à la suite de la demande formulée par elle en 2011, le médecin du travail l'a reconnue inapte aux fonctions d'aide-soignante, mais capable d'occuper un poste sédentaire à caractère administratif ou technique d'un autre corps " sans port ou déplacement de charges lourdes et des gestes répétitifs des membres supérieurs ". Il est par ailleurs établi, le centre hospitalier de Guingamp étant réputé avoir acquiescé aux faits sur ce point, qu'elle a demandé sa réintégration les 25 août 2011, 30 octobre 2012, 20 juin 2014, 26 septembre 2014, 18 juin 2015, 31 décembre 2015 et

9 mai 2017. Compte tenu de l'inaptitude constatée le 26 août 2014 par le médecin du travail, les quatre dernières de ces demandes doivent être regardées comme valant à la fois demandes de réintégration et demandes de reclassement.

5. Il ne résulte pas de l'instruction et n'est d'ailleurs pas soutenu par Mme A... qu'un poste d'aide-soignante aurait été vacant au sein du centre hospitalier de Guingamp entre le 25 août 2011, date à laquelle elle a demandé pour la première fois sa réintégration, et le 26 août 2014, date à laquelle elle a été déclarée inapte à l'exercice de ces fonctions. Le moyen tiré par Mme A... de ce que les dispositions de l'article 37 rappelées au point 2 du décret du 13 octobre 1988 auraient été méconnues en ce qu'elle n'aurait pas été réintégrée dans un délai raisonnable ne peut donc qu'être écarté.

6. En revanche, il est établi qu'après le 26 septembre 2014 un poste de secrétaire de direction a été vacant, au plus tard à la date du 23 février 2015, que Mme A... a manifesté son souhait d'être reclassée sur ce poste mais que son employeur l'a proposé à un autre agent. Le centre hospitalier de Guingamp, qui est taisant devant la cour malgré les trois mises en demeure qui lui ont été adressées, ne soutient pas que ce poste n'aurait pas été compatible avec l'état de santé de Mme A... ou que l'intérêt du service ou un autre motif aurait fait obstacle à ce qu'il lui soit proposé. Par ailleurs, s'il est fait mention dans la décision contestée du 4 juillet 2017 d'un autre poste qui aurait été proposé à l'agent en novembre 2015 sans que ce dernier l'accepte, la réalité de cette proposition et de son refus ne sont pas établis. Le centre hospitalier doit par suite être regardé, dans les circonstances de l'espèce, comme ayant méconnu son obligation de reclassement. La décision du 4 juillet 2017 rejetant la demande de reclassement de Mme A... est illégale pour ce motif, et le comportement fautif du centre hospitalier de Guingamp est de nature à engager sa responsabilité envers Mme A....

Sur les préjudices :

7. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité des personnes publiques, l'agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait du comportement illégal de son employeur, y compris au titre de la perte des rémunérations auxquelles il aurait pu prétendre s'il était resté en fonctions.

8. Eu égard à ce qui a été dit au point 6, Mme A... a perdu une chance sérieuse d'être réintégrée à compter du 23 février 2015. La requérante soutient avoir été privée d'un revenu de 1 400 euros net par mois depuis cette date, somme qui n'est infirmée par aucune des pièces de l'instruction, soit 112 000 euros jusqu'à la date de publication du présent arrêt. De cette somme devront néanmoins être déduits les revenus de remplacement que l'intéressée a perçus au cours de la même période et dont elle devra justifier, en particulier des salaires et le RSA.

9. Mme A..., qui a été privée d'emploi et de revenus pendant plus de six ans en raison de la carence fautive de son employeur à la réintégrer, a subi un important préjudice moral qui doit être évalué à 5 000 euros.

10. Mme A... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme qui lui est allouée par le présent arrêt à compter du 9 mai 2017, date de notification de sa réclamation préalable, le centre hospitalier de Guingamp étant réputé avoir acquiescé au fait sur ce point. Les intérêts échus à compter du 9 mai 2018 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre au centre hospitalier de Guingamp de réintégrer juridiquement Mme A... à compter du 23 février 2015 et donc de reconstituer à partir de cette date sa carrière et ses droits sociaux.

12. Le présent arrêt implique nécessairement que le centre hospitalier de Guingamp propose à Mme A... un emploi vacant d'un niveau supérieur, équivalent ou inférieur à celui qu'elle occupait et compatible avec son état de santé. Dans le cas où son reclassement s'avèrerait impossible, faute d'emploi compatible vacant, ou si elle refusait la proposition qui lui est faite, il appartiendrait à l'employeur d'en tirer toutes les conséquences et de faire application des dispositions pertinentes de l'article 37 du décret du 13 octobre 1988.

13. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur les frais de l'instance :

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Guingamp la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1703916 du tribunal administratif de Rennes du 17 octobre 2019 et la décision du 4 juillet 2017 du directeur du centre hospitalier de Guingamp sont annulés.

Article 2 : Le centre hospitalier de Guingamp versera à Mme A..., sous déduction des revenus perçus par elle durant la même période, la somme de 117 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2017 et de la capitalisation de ces intérêts à compter du 9 mai 2018 et à chaque échéance annuelle.

Article 3 : Il est enjoint au centre hospitalier de Guingamp de réintégrer juridiquement

Mme A... à compter du 23 février 2015 et de lui proposer un emploi vacant dans les conditions indiquées au point 12 du présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le centre hospitalier de Guingamp versera à Mme A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au centre hospitalier de Guingamp.

Délibéré après l'audience du 2 septembre 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- Mme Brisson, président-assesseur,

- M. L'hirondel, premier conseiller.

Rendu public par disposition au greffe le 17 septembre 2021.

Le rapporteur

M. L'hirondelLe président

I. Perrot

Le greffier

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

N° 19NT04872


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19NT04872
Date de la décision : 17/09/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. PERROT
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : METAIS-MOURIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/09/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-09-17;19nt04872 ?
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