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17/09/2021 | FRANCE | N°20NT00361

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 17 septembre 2021, 20NT00361


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes à lui verser la somme de 25 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à l'occasion de la prise en charge de son petit-fils par cet établissement de santé.

Par un jugement n° 1704400 du 4 décembre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 3 f

évrier et 28 juillet 2020 Mme D..., représentée par Me Loffredo-Treille, demande à la cour :

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes à lui verser la somme de 25 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à l'occasion de la prise en charge de son petit-fils par cet établissement de santé.

Par un jugement n° 1704400 du 4 décembre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 3 février et 28 juillet 2020 Mme D..., représentée par Me Loffredo-Treille, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 4 décembre 2019 ;

2°) de condamner le CHU de Nantes à lui verser la somme totale de 25 000 euros en réparation de ses préjudices ;

3°) de mettre à la charge du CHU de Nantes la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'engagement d'une procédure pour suspicion de maltraitance du jeune A... n'était justifié ni par l'état de santé de celui-ci ni par la situation de sa mère ou le comportement de ses proches ; les médecins du CHU n'ont pas, à cet égard, fait preuve de la prudence et de la circonspection qui leur incombent en vertu des dispositions de l'article R. 4127-44 du code de la santé publique ; ils n'ont, en outre, pas conduit les examens psychologiques qui auraient permis d'écarter une hypothèse de maltraitance ;

- cette procédure a été décidée en raison du différend opposant une pédiatre du CHU au père de l'enfant et d'une discrimination visant sa mère en raison de son jeune âge, de ses origines asiatiques et du fait qu'elle était prise en charge par un centre pour mères adolescentes ;

- l'enfant A... a été soumis à un grand nombre d'examens de santé dangereux et inutiles ;

- les médecins du CHU ont estimé avec légèreté, faisant preuve d'incohérence et de négligences, et sans prendre l'avis de l'expert en odontologie criminelle présent dans ses locaux, qu'Arthur avait été mordu par un adulte, alors qu'il l'a été à la crèche par un jeune enfant ;

- l'expert judiciaire qui a examiné la morsure d'Arthur n'a pas été impartial, compte tenu notamment des liens étroits et de longue date qu'il entretenait avec le service pédiatrique du CHU ;

- les informations transmises le 31 mai 2012 par le CHU au service de l'aide sociale à l'enfance et au procureur de la République, lacunaires et orientées, ont conduit au placement d'Arthur dans une famille d'accueil pendant onze jours sans possibilité de visite à l'exception d'une unique rencontre médiatisée avec sa mère ;

- en indiquant de manière erronée dans un courrier du 9 juillet 2012 qu'Arthur était encore placé en famille d'accueil, le CHU a porté atteinte à la réputation de sa mère ;

- c'est à tort que les premiers juges ont retenu que les grands-parents d'Arthur avait eu un comportement " inadapté et agressif " ;

- les photographies des hématomes d'Arthur ont été délibérément foncées pour accentuer artificiellement leur importance ; le CHU a transmis en toute connaissance de cause aux services de police une photographie de profil d'Arthur sur laquelle apparaissent les traces de ses doigts, pouvant laisser croire à des traces de coups ;

- les photographies de la morsure prises par le CHU à la demande de l'autorité judiciaire ne sont pas exploitables en raison de leur mauvaise qualité ;

- le CHU ne pouvait, comme il l'a fait, interdire à ses grands-parents maternels de rendre visite à A... après le 27 mai 2012 ;

- les interrogatoires incessants auxquels a été soumise la mère d'Arthur révèlent une volonté de harcèlement à son encontre ;

- elle a droit aux indemnités suivantes : 15 000 euros au titre de son préjudice moral et 10 000 euros en remboursement de ses frais divers.

Par des mémoires en défense enregistrés les 6 juillet et 10 août 2020 le CHU de Nantes, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître de ce litige ;

- les moyens soulevés par Mme D... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- les observations de Mme D... et de Me Gilbert, représentant le centre hospitalier universitaire de Nantes.

Considérant ce qui suit :

1. Le 11 avril 2012, le jeune A... D..., alors âgé de 10 mois, a été admis au service des urgences du centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes sur la demande de SOS Médecins pour des ecchymoses au visage. Suspectant un cas de maltraitance, le CHU a signalé la situation de l'enfant à la cellule régionale de recueil des informations préoccupantes (CRIP). Le 22 mai 2012, A... a de nouveau été hospitalisé au CHU pour une morsure à la fesse droite découverte lors du change à la crèche. Le lendemain, le CHU a adressé un signalement au procureur de la République et déposé une plainte contre X pour mauvais traitements et violences sur mineur. L'enfant a fait l'objet d'une mesure judiciaire de placement provisoire, d'abord à l'hôpital du 24 mai au 2 juin 2012, puis dans une famille d'accueil. Le 11 juin 2012, le parquet des mineurs a classé sans suite la plainte du CHU. A... a été rendu à sa mère, tout en faisant l'objet d'une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert jusqu'au 8 juillet 2013. Estimant le comportement du CHU inadapté, Mme D..., grand-mère maternelle d'Arthur, a demandé au tribunal administratif de Nantes la condamnation du CHU de Nantes à réparer ses préjudices matériel et moral. Par un jugement n° 1704400 du 4 décembre 2019, le tribunal a rejeté sa demande. Mme D... relève appel de ce jugement.

Sur l'exception d'incompétence soulevée par le CHU de Nantes :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 4127-44 du code de la santé publique : " Lorsqu'un médecin discerne qu'une personne auprès de laquelle il est appelé est victime de sévices ou de privations, il doit mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour la protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection. Lorsqu'il s'agit d'un mineur ou d'une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique, il alerte les autorités judiciaires ou administratives, sauf circonstances particulières qu'il apprécie en conscience. "

3. Sauf dispositions législatives contraires, la responsabilité qui peut incomber à l'État ou aux autres personnes morales de droit public en raison des dommages imputés à leurs services publics administratifs est soumise à un régime de droit public et relève en conséquence de la juridiction administrative. En revanche, celle-ci ne saurait connaître de demandes tendant à la réparation d'éventuelles conséquences dommageables des actes intervenus au cours d'une procédure judiciaire ou se rattachant directement à celle-ci, lesquels ne peuvent être appréciés, soit en eux-mêmes, soit dans leurs conséquences, que par l'autorité judiciaire.

4. Mme D... soutient que le CHU de Nantes a commis en avril et en mai 2012, à l'occasion de la prise en charge de son petit-fils, diverses fautes dans le cadre du signalement pour maltraitance fait par cet établissement de santé au procureur de la République le 23 mai 2012. Si certaines des fautes alléguées sont détachables de la procédure judiciaire déclenchée par ce signalement, à savoir le choix des examens faits sur l'enfant, l'attitude de " harcèlement " envers sa mère et le refus opposé à la requérante, grand-mère de l'enfant, de voir son petit-fils du 28 mai 2012 au 1er juin 2012, toutes les autres critiques ne sont pas dissociables de la procédure de signalement engagée par l'établissement et, donc, de la procédure judiciaire qui s'en est suivie. Par suite, à l'exception des conclusions indemnitaires susceptibles d'être rattachées aux trois griefs mentionnés ci-dessus, les autres conclusions de la demande présentée devant le tribunal administratif de Nantes par Mme C... D... ont été présentées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître. C'est donc à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges se sont reconnus compétents pour statuer sur le bien-fondé de ces conclusions. Par suite, le jugement attaqué doit être annulé en tant qu'il a statué au fond pour les rejeter sur les conclusions de Mme D... qui n'étaient pas dissociables de la procédure judiciaire. De telles conclusions doivent être rejetées comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

5. Il y a lieu de statuer, par l'effet dévolutif de l'appel, sur les conclusions de la requérante concernant la responsabilité du CHU à raison des fautes qu'aurait commises le service par la réalisation d'examens dangereux et inutiles, l'attitude du personnel médical envers la mère de l'enfant et l'interdiction de visite qui a été opposée à Mme D... à partir du 28 mai 2012.

Sur la responsabilité :

En ce qui concerne la réalisation d'examens dangereux et inutiles :

6. Le CHU de Nantes, dès lors qu'il suspectait un cas de maltraitance, était fondé à faire réaliser un bilan complet de l'état de santé du jeune A..., incluant une scintigraphie, seule de nature à vérifier s'il souffrait de lésions non visibles. En tout état de cause, Mme D... n'établit pas que les examens ainsi pratiqués auraient été dangereux pour la santé de l'enfant. Aucune faute ne peut donc être reprochée au CHU de Nantes à ce titre.

En ce qui concerne l'attitude du personnel médical envers la mère de l'enfant :

7. Il ne résulte d'aucune des pièces de l'instruction que le véritable motif du signalement du 23 mai 2012 aurait été l'hostilité des médecins du CHU de Nantes envers la famille proche d'Arthur ou la volonté de discriminer sa mère en raison de son âge, de ses origines asiatiques ou de la circonstance qu'elle était prise en charge à l'époque des faits par un centre d'accueil pour jeunes mères. Il n'est pas davantage établi que les médecins du CHU de Nantes, qui se devaient de maintenir un dialogue avec la mère d'Arthur durant l'hospitalisation de ce dernier, auraient eu la volonté de la harceler par des " interrogatoires incessants ". Aucune faute ne peut donc, en tout état de cause, être retenue à ce titre.

En ce qui concerne l'interdiction de visite opposée à Mme D... :

8. Il résulte de l'instruction que, dans le cadre du placement provisoire de l'enfant du

24 mai au 2 juin 2012, Mme D... a été autorisée par le CHU de Nantes à rendre visite à A... pendant les absences de sa mère et qu'elle a ainsi pu prendre soin de l'enfant chaque jour entre le 23 et le 27 mai 2012, contribuant de manière déterminante à maintenir l'équilibre de ce très jeune enfant. A partir du 28 mai 2012, au motif qu'il avait été trouvé la veille dans la chambre d'Arthur un enregistreur en fonctionnement, le CHU de Nantes a décidé de mettre fin à cette autorisation. Or, le CHU n'établit pas ni même n'allègue en quoi l'intérêt de l'enfant, seul susceptible de justifier une telle mesure, aurait été affecté par cette découverte. Il résulte au contraire de l'instruction qu'en raison de cette décision du CHU de Nantes, le jeune A... a été totalement privé de présence ou de contact familiaux le 29 mai 2012 jusqu'à 17h30, l'après-midi du 30 mai 2012 et les 31 mai et 1er juin 2012 toute la journée. Dans ces conditions, la décision refusant à Mme D... la possibilité de rendre visite à son petit-fils à partir du 28 mai 2012 est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité du CHU de Nantes.

Sur les préjudices :

9. La faute du CHU de Nantes retenue au point 8 n'est à l'origine d'aucun préjudice matériel ou financier pour Mme D.... En revanche, en la plaçant dans l'impossibilité d'accompagner son petit-fils qu'elle savait seul, le CHU de Nantes lui a causé un préjudice moral qui doit, dans les circonstances de l'espèce, être réparé par le versement de la somme de 2 000 euros.

10. Il résulte de ce qui précède que Mme D... est fondée, dans la mesure définie aux points 8 et 9, à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les frais de l'instance :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHU de Nantes la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par Mme D... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1704400 du 4 décembre 2019 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : Les conclusions de la demande de Mme D... tendant à la condamnation du CHU de Nantes à raison des fautes commises dans le signalement pour maltraitance au procureur de la République le 23 mai 2012 sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Article 3 : Le CHU de Nantes est condamné à verser à Mme D... la somme de 2 000 euros.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le CHU de Nantes versera à Mme D... la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... et au CHU de Nantes.

Délibéré après l'audience du 2 septembre 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, présidente de chambre,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- M. B..., premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 septembre 2021.

Le rapporteur

X. B...La présidente

I. Perrot

Le greffier

R. Mageau

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT00361


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT00361
Date de la décision : 17/09/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. PERROT
Rapporteur ?: M. Xavier CATROUX
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : LOFFREDO-TREILLE KATHERINE

Origine de la décision
Date de l'import : 28/09/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-09-17;20nt00361 ?
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