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17/09/2021 | FRANCE | N°20NT02509

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 17 septembre 2021, 20NT02509


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société GAN Assurances a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner la commune de Bourges à lui verser la somme de 65 056,46 euros en remboursement de l'indemnité versée par elle à M. B..., à Mme C..., et au syndicat des copropriétaires du Grand Mazières, ses assurés, en réparation des préjudices subis par ces derniers du fait de l'inondation de leur propriété survenue au mois de juin 2016 suite au débordement du lac artificiel d'Auron dans le Cher, ainsi que les frais d'expertise.



Par un jugement n° 1803918 du 16 juin 2020, le tribunal administratif d'Orléa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société GAN Assurances a demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner la commune de Bourges à lui verser la somme de 65 056,46 euros en remboursement de l'indemnité versée par elle à M. B..., à Mme C..., et au syndicat des copropriétaires du Grand Mazières, ses assurés, en réparation des préjudices subis par ces derniers du fait de l'inondation de leur propriété survenue au mois de juin 2016 suite au débordement du lac artificiel d'Auron dans le Cher, ainsi que les frais d'expertise.

Par un jugement n° 1803918 du 16 juin 2020, le tribunal administratif d'Orléans a fait droit à cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 14 août 2020 et 10 mars 2021 la commune de Bourges, représentée par Me Gauch, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 16 juin 2020 du tribunal administratif d'Orléans ;

2°) de rejeter la demande présentée par la société GAN Assurances devant le tribunal administratif d'Orléans;

3°) de mettre à la charge de la société GAN Assurances, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement de la somme de 4 500 euros au titre des frais d'instance exposés devant le tribunal administratif d'Orléans et la somme supplémentaire de 5 000 euros au titre des frais d'instance exposés en appel, ainsi que les dépens.

Elle soutient que :

- le lac d'Auron a été aménagé en 1977 pour un usage de base de loisirs et n'est pas un ouvrage de régulation des crues ; il ne s'agit donc pas d'un ouvrage écrêteur de crues de sorte qu'il n'a pas vocation ni à modifier le régime hydraulique à l'aval, ni à stocker des eaux de crue ;

- sa responsabilité n'est pas engagée dès lors qu'il n'est pas établi que les préjudices subis lui seraient directement et incontestablement imputables ; l'existence d'un lien de causalité entre l'ouvrage public et l'inondation n'est pas établie ;

- aucun constat ni aucun élément technique ne permet de démontrer l'existence d'un dysfonctionnement à l'origine du débordement et des inondations ; rien ne permet de démontrer que le fonctionnement des vérins aurait évité le débordement de la rivière et du lac et, par voie de conséquence, les inondations survenues sur le terrain de de M. B... et de Mme C... ;

- ainsi que le révèle la déclaration de catastrophe naturelle, elle est en droit d'invoquer la force majeure comme cause exonératoire de sa responsabilité ; en tout état de cause l'état de catastrophe naturelle est avéré et le caractère exceptionnel des intempéries a été confirmé à de nombreuses reprises ;

- le dommage ne saurait être considéré comme anormal lorsque la victime s'y est exposée en connaissance de cause ; M. B... et de Mme C... avaient connaissance de la proximité du lac d'Auron lorsqu'ils ont acquis leur maison d'habitation et ne pouvaient dès lors ignorer l'existence d'un risque d'inondation, qui a de surcroît fait l'objet d'une campagne d'information communale sur les risques majeurs durant l'année 2009 ; la copropriété en cause est située dans le périmètre de prévention des risques d'inondation ;

- les préjudices allégués sont contestables dans leur principe comme dans leur quantum ; pour donner lieu à indemnisation sur le terrain de la responsabilité sans faute d'une collectivité publique pour dommage de travaux publics, le dommage allégué doit revêtir un caractère anormal et spécial ne concernant qu'un nombre limité de victimes ; tel n'est pas le cas dès lors que les inondations en cause ont affecté tout le département du Cher ainsi que le révèle l'arrêté de catastrophe naturelle ; la double circonstance qu'un épisode pluvieux ait affecté largement le territoire d'une commune et qu'il ait donné lieu à la constatation de l'état de catastrophe naturelle était de nature à exclure le caractère spécial des préjudices invoqués ;

Par un mémoire en défense enregistré le 16 décembre 2020, la société GAN Assurances, représentée par Me Pesme, conclut au rejet de la requête de la commune de Bourges et à ce que soit mis à la charge de cette dernière le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des assurances ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- et les observations de Me Cros, représentant la commune de Bourges.

Considérant ce qui suit :

1. Les 2 et 3 juin 2016, des pluies torrentielles se sont abattues notamment sur la commune de Bourges dans le Cher, entraînant une forte crue de la rivière d'Auron qui alimente le lac du même nom situé au sud-est de la commune, ainsi que le débordement du cours d'eau la Rampenne et du lac artificiel d'Auron encore appelé plan d'eau du val d'Auron. L'état de catastrophe naturelle a été constaté par un arrêté du 8 juin 2016. A cette occasion, le terrain de la copropriété des Grands Mazières, sis 23 chemin du Grand Mazières, a été envahi par l'eau qui a inondé les logements de M. B..., de Mme C... et des parties communes de leur immeuble. Un procès-verbal d'expertise a été établi par le cabinet Polyexpert, mandaté par la société GAN Assurances, à la suite d'une réunion d'expertise organisée le 23 septembre 2016 et à laquelle étaient notamment présents M. B... ainsi qu'un expert du cabinet Saretec mandaté par la commune de Bourges, qui a lui-même établi un rapport daté du 15 novembre 2016. Une expertise a été ordonnée à la demande de la société GAN Assurances par le président du tribunal administratif d'Orléans, qui a donné lieu à un rapport établi par un expert judiciaire le 29 juin 2018. Par courrier du 3 août 2018, la société GAN Assurances a adressé une réclamation préalable, sur le fondement de la responsabilité du fait des ouvrages publics, réclamant le versement de la somme de 65 056,46 euros, qui est restée sans réponse. La société GAN Assurances, subrogée dans les droits de ses assurés, a saisi le tribunal administratif d'Orléans d'un recours tendant au paiement de cette somme. La commune de Bourges relève appel du jugement du 16 juin 2020 par lequel le tribunal administratif d'Orléans l'a condamnée à verser à la société GAN Assurances, outre la somme de 1 200 euros au titre des frais d'instance et les frais de l'expertise, taxés et liquidés par l'ordonnance du 20 août 2018 du président du tribunal administratif d'Orléans, la somme de 65 056,46 euros en réparation des dommages subis par ses assurés.

Sur la responsabilité de la commune de Bourges :

2. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel.

3. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par ordonnance du président du tribunal administratif d'Orléans et des rapports d'expertise amiable contradictoires établis par les cabinets Polyexpert et Saretec, que le sinistre et les préjudices subis par M. B..., par Mme C..., et par le syndicat des copropriétaires du Grand Mazières trouvent leur origine dans le débordement du lac d'Auron, dont il est constant que la commune de Bourges a la garde, ce phénomène étant en partie au moins imputable à la fois au dysfonctionnement de l'une des pelles du système hydraulique de régulation du niveau du lac, avarie constatée dès le 8 mai 2016 soit moins d'un mois avant les faits et dont il n'est ni établi ni même allégué qu'il y aurait été remédié, et au choix fait par la commune, " au vu de l'événement pluvieux " en cause, de ne pas actionner le système de régulation du niveau du lac. Dans ces conditions, les dommages subis de ce fait par M. B..., par Mme C..., et par le syndicat des copropriétaires du Grand Mazières en leur qualité de tiers par rapport à l'ouvrage public que constitue le lac d'Auron, qui ne sont pas inhérents à la seule présence du lac, présentent le caractère de dommages accidentels de travaux publics.

4. S'il est constant que l'état de catastrophe naturelle a été reconnu par un arrêté du ministre de l'intérieur du 8 juin 2016, cette seule circonstance ne suffit pas, à elle seule et en l'absence de tout autre élément susceptible d'établir le caractère imprévisible et irrésistible des intempéries en cause, à caractériser un cas de force majeure.

5. Enfin, lorsqu'il est soutenu qu'une partie s'est exposée en connaissance de cause au risque dont la réalisation a causé les dommages dont elle demande réparation au titre de la présence ou du fonctionnement d'un ouvrage public, il appartient au juge d'apprécier s'il résulte de l'instruction, d'une part, que des éléments révélant l'existence d'un tel risque existaient à la date à laquelle cette partie est réputée s'y être exposée et, d'autre part, que la partie en cause avait connaissance de ces éléments et était à cette date en mesure d'en déduire qu'elle s'exposait à un tel risque, lié à la présence ou au fonctionnement d'un ouvrage public, qu'il ait été d'ores et déjà constitué ou bien raisonnablement prévisible. Si la commune de Bourges soutient que M. B... et Mme C... avaient connaissance de l'existence du risque d'inondation auquel leur propriété était exposée lorsqu'il en ont fait l'acquisition en 1988 pour le premier et en 2013 pour la seconde, il ne résulte pas de l'instruction que ces derniers, qui ne pouvaient déduire l'existence d'un tel risque de la seule proximité d'un plan d'eau et dont il n'est pas établi qu'ils auraient eu connaissance de précédents épisodes de débordement du lac, auraient été destinataires de la campagne d'information sur les risques majeurs dont la commune soutient qu'elle a été menée en 2009. M. B... et Mme C... ne sauraient, dès lors et en tout état de cause, être regardés comme ayant eu connaissance de ce qu'ils s'exposaient à un risque lié à la présence ou au fonctionnement du lac d'Auron. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges n'ont pas retenu de cause susceptible d'exonérer la commune de tout ou partie de sa responsabilité.

Sur les droits de la société GAN Assurances :

6. Aux termes de l'article L. 121-12 du code des assurances : " L'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur. (...) ".

7. La société GAN Assurances établit s'être acquittée auprès de M. B..., de

Mme C..., et du syndicat des copropriétaires du Grand Mazières de la somme totale de 65 056,46 euros en réparation des préjudices subis par ces derniers du fait des inondations dont leur propriété a été affectée. Ce montant n'est pas sérieusement contesté par la commune de Bourges, qui se borne à affirmer de façon très générale que le montant réclamé par la société est " contestable dans son principe et son quantum " et reconnaît au demeurant elle-même que le chiffrage des préjudices a été établi de façon contradictoire par les cabinets Polyexpert et Saretec.

8. Il résulte de ce qui précède que la commune de Bourges n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a retenu sa responsabilité et l'a condamnée à rembourser à la société GAN Assurances la somme de 65 056,46 euros versée par cette dernière à ses assurées, M. B..., Mme C..., et le syndicat des copropriétaires du Grand Mazières.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ont fait obstacle à ce que le tribunal administratif d'Orléans mette à la charge de la société GAN Assurances, qui n'était pas la partie perdante en première instance, la somme que demandait la commune de Bourges au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. De même, elles font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société GAN Assurances, qui n'est pas davantage la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la commune de Bourges au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

11. Il y a en revanche lieu de mettre à la charge de la commune de Bourges le versement à la société GAN Assurances de la somme de 1 500 euros au titre des mêmes frais, et de maintenir à sa charge les frais de l'expertise taxés et liquidés par l'ordonnance du 20 août 2018 du président du tribunal administratif d'Orléans à la somme de 5 710,99 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Bourges est rejetée.

Article 2 : La commune de Bourges versera à la société GAN Assurances la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les frais de l'expertise taxés et liquidés par l'ordonnance du 20 août 2018 du président du tribunal administratif d'Orléans à la somme de 5 710,99 euros sont maintenus à la charge de la commune de Bourges.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Bourges et à la société GAN Assurances.

Délibéré après l'audience du 2 septembre 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme A..., présidente de chambre,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 septembre 2021.

La présidente rapporteure

I. A...

La présidente assesseure

C. Brisson

Le greffier

R. Mageau

La République mande et ordonne à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 20NT02509


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT02509
Date de la décision : 17/09/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. PERROT
Rapporteur ?: Mme la Pdte. Isabelle PERROT
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : SCP GUILLAUMA et PESME

Origine de la décision
Date de l'import : 28/09/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2021-09-17;20nt02509 ?
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