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07/01/2022 | FRANCE | N°20NT02099

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 1ère chambre, 07 janvier 2022, 20NT02099


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... F... et Mme B... E... ont demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2013.

Par un jugement n° 1800285 du 4 mars 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 17 juillet 2020 M. F... et Mme E..., représentés par Me de Langlade, demand

ent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge sollicitée et d'annu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... F... et Mme B... E... ont demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2013.

Par un jugement n° 1800285 du 4 mars 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 17 juillet 2020 M. F... et Mme E..., représentés par Me de Langlade, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge sollicitée et d'annuler l'avis de mise en recouvrement correspondant ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la procédure d'imposition est irrégulière, en méconnaissance de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales, dès lors que M. F... n'a pas été avisé de la vérification de comptabilité de l'EARL de Trégonguen dont procèdent les impositions supplémentaires mises à sa charge ; n'étant plus associé de cette société, ses droits à la défense n'ont pas pu être respectés ; ils se prévalent de l'instruction publiée au BOI-CF-PGR-20-10, §1 ;

- l'option formulée pour l'application des dispositions de l'article 151 octies du code général des impôts ne caractérise pas un abus de droit ; il ne peut pas être reproché à M. F... d'avoir apporté son entreprise individuelle en société en optant pour le régime prévu par l'article 151 octies du code général des impôts, alors que l'objet de ce texte est de favoriser la mise en société ; ce régime a uniquement pour effet de reporter l'imposition des plus-values et non de l'éluder ; l'acte n'est ni fictif ni à motif purement fiscal ;

- c'est la réintégration des plus-values sur biens amortissables qui a permis d'éluder l'impôt sur les plus-values et qui doit être considérée comme constitutive d'un abus de droit ; c'est la décision de l'acquéreur de réintégrer les plus-values sur un exercice pour lequel il bénéficiait d'un abattement de 100 % qui a permis d'éluder l'impôt auquel il aurait dû être tenu s'il les avait réintégrées dans les conditions prévues par l'article 151 octies ;

- l'application de la majoration de 80% prévue au b de l'article 1729 du code général des impôts n'est pas fondée en l'absence d'abus de droit.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 janvier 2021 le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour de rejeter la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. F... et Mme E... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Picquet,

- les conclusions de Mme Chollet, rapporteure publique,

- et les observations de Me de Langlade, représentant M. F... et Mme E....

Considérant ce qui suit :

1. M. F... a exercé une activité agricole d'élevage porcin, à titre individuel, jusqu'au 28 février 2013. Le 1er mars 2013, il a créé l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) de Trégonguen dont il détenait la totalité du capital et à laquelle il a apporté en nature, le 22 avril 2013, son exploitation agricole, portant ainsi son capital de 7 500 euros à 339 600 euros. A cette occasion, M. F... et l'EARL de Trégonguen ont exercé conjointement l'option pour le régime spécial des plus-values et des profits sur stocks prévu à l'article 151 octies du code général des impôts. Le 25 juillet 2013, M. F... a cédé la totalité des parts sociales de l'EARL de Trégonguen à M. D..., agriculteur éligible aux aides à l'installation. M. F... a démissionné de ses fonctions de gérant de l'EARL et a fait valoir ses droits à la retraite. Au cours de l'année 2016, l'EARL de Trégonguen a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, au titre de la période du 1er mars 2013 au 31 décembre 2014, à l'issue de laquelle l'administration a adressé, le 3 août 2016, à M. F... et son épouse, Mme E..., une proposition de rectification remettant en cause l'application des dispositions de l'article 151 octies du code général des impôts au motif que la constitution de l'EARL de Trégonguen avait constitué un abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales. Les contribuables ont contesté cette remise en cause dans leurs observations auxquelles l'administration a répondu en réaffirmant sa position. Après mise en recouvrement des impositions supplémentaires en résultant, M. F... et Mme E... ont déposé une réclamation préalable qui a été rejetée le 4 décembre 2017. Ils ont contesté, devant le tribunal administratif de Rennes, la régularité de la procédure d'imposition et le bien-fondé des impositions litigieuses. Par un jugement du 4 mars 2020, le tribunal a rejeté leur demande. M. F... et Mme E... font appel de ce jugement.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :

2. Aux termes de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales : " Un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle d'une personne physique au regard de l'impôt sur le revenu ou une vérification de comptabilité ne peut être engagée sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification. / Cet avis doit préciser les années soumises à vérification et mentionner expressément, sous peine de nullité de la procédure, que le contribuable a la faculté de se faire assister par un conseil de son choix. / L'avis informe le contribuable que la charte des droits et obligations du contribuable vérifié peut être consultée sur le site internet de l'administration fiscale ou lui être remise sur simple demande. / L'avis envoyé ou remis au contribuable avant l'engagement d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle peut comporter une demande des relevés de compte. / En cas de contrôle inopiné tendant à la constatation matérielle des éléments physiques de l'exploitation ou de l'existence et de l'état des documents comptables, l'avis de vérification de comptabilité et la charte des droits et obligations du contribuable vérifié sont remis au contribuable au début des opérations de constatations matérielles. L'examen au fond des documents comptables ne peut commencer qu'à l'issue d'un délai raisonnable permettant au contribuable de se faire assister par un conseil. ".

3. Il est constant que M. F... n'était plus, au moment de la vérification de comptabilité de l'EARL de Trégonguen, le représentant légal de celle-ci. Dès lors, il ne peut utilement faire valoir qu'il aurait dû être informé de ce contrôle qui a concerné un autre contribuable, alors même que l'administration a tiré, au niveau des requérants, et après un contrôle sur pièces, les conséquences des constatations effectuées lors du contrôle de l'EARL de Trégonguen. En outre, la proposition de rectification du 3 août 2016 mentionne l'origine et la teneur des documents sur lesquels s'est fondée l'administration et les requérants auraient donc pu, en application de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales, en demander la communication, ce qu'ils n'ont pas fait. Par suite, le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales ne peut qu'être écarté. Les requérants ne peuvent davantage valablement faire valoir que l'administration aurait ainsi méconnu les droits de la défense, dès lors qu'il est constant qu'ils ont bénéficié de l'ensemble des garanties attachées à la procédure de rectification contradictoire et à la procédure de répression des abus de droit.

En ce qui concerne l'interprétation administrative de la loi fiscale :

4. Si les requérants se prévalent de l'instruction publiée au BOI-CF-PGR-20-10, §1, elle ne concerne en tout état de cause que les contribuables faisant l'objet d'une vérification de comptabilité, alors qu'ils ont fait l'objet d'un contrôle sur pièces.

Sur le bien-fondé des impositions :

5. Aux termes de l'article 151 octies du code général des impôts : " I. Les plus-values soumises au régime des articles 39 duodecies à 39 quindecies et réalisées par une personne physique à l'occasion de l'apport à une société soumise à un régime réel d'imposition d'une entreprise individuelle ou d'une branche complète d'activité peuvent bénéficier des dispositions suivantes : / a. l'imposition des plus-values afférentes aux immobilisations non amortissables fait l'objet d'un report jusqu'à la date de la cession, du rachat ou de l'annulation des droits sociaux reçus en rémunération de l'apport de l'entreprise ou jusqu'à la cession de ces immobilisations par la société si elle est antérieure. Toutefois, en cas de transmission à titre gratuit à une personne physique des droits sociaux rémunérant l'apport ou de la nue-propriété de ces droits, le report d'imposition est maintenu si le bénéficiaire de la transmission prend l'engagement d'acquitter l'impôt sur la plus-value à la date où l'un des événements prévus à la phrase précédente se réalise (...) / b. l'imposition des plus-values afférentes aux autres immobilisations est effectuée au nom de la société bénéficiaire de l'apport selon les modalités prévues au d du 3 de l'article 210 A pour les fusions de sociétés. (...) II. Le régime défini au I s'applique : / a. sur simple option exercée dans l'acte constatant la constitution de la société, lorsque l'apport de l'entreprise est effectué à une société en nom collectif, une société en commandite simple, une société à responsabilité limitée dans laquelle la gérance est majoritaire ou à une société civile exerçant une activité professionnelle ; (...) / L'option est exercée dans l'acte d'apport conjointement par l'apporteur et la société ; elle entraîne l'obligation de respecter les règles prévues au présent article. / Si la société cesse de remplir les conditions permettant de bénéficier sur simple option du régime prévu au I, le report d'imposition des plus-values d'apport peut, sur agrément préalable, être maintenu. A défaut, ces plus-values deviennent immédiatement taxables. / L'apporteur doit joindre à la déclaration prévue à l'article 170 au titre de l'année en cours à la date de l'apport et des années suivantes un état conforme au modèle fourni par l'administration faisant apparaître les renseignements nécessaires au suivi des plus-values dont l'imposition est reportée conformément aux premier et troisième alinéas du a du I. Un décret précise le contenu de cet état (...). ".

6. Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification. / Les avis rendus font l'objet d'un rapport annuel qui est rendu public. ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable dès lors qu'elle établit que ces actes ont un caractère fictif, ou bien, à défaut, recherchent le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs et n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles. L'administration fiscale apporte cette preuve par la production de tous éléments suffisamment précis attestant du caractère fictif des actes en cause ou de l'intention du contribuable d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales. Dans l'hypothèse où l'administration s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au contribuable, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de la réalité des actes contestés ou de ce que l'opération litigieuse est justifiée par un motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer ses charges fiscales normales.

7. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'administration peut faire usage des pouvoirs qu'elle tient des dispositions précitées lorsqu'elle entend remettre en cause les conséquences fiscales d'une opération se traduisant par le report d'imposition d'une plus-value.

8. A la fin de l'année 2012, une prise de contact a eu lieu entre M. A... D..., jusqu'alors salarié d'une exploitation agricole, et M. C... F... lequel, né en 1947, entendait faire valoir ses droits à la retraite et, par conséquent, céder son exploitation. Après une première visite de l'exploitation par M. D..., en décembre 2012, un protocole d'accord a été signé le 26 février 2013 entre ce dernier et M. F..., prévoyant notamment un engagement de création de société par le cédant, un engagement de cession de parts sociales par ce dernier, la mise en place de conditions générales et de conditions suspensives, un accord sur le prix sous réserve d'une actualisation éventuelle lors de la cession définitive. Le 28 février 2013, M. F... a procédé à la cessation de son activité d'élevage porcin sous la forme d'une entreprise individuelle puis, immédiatement et à la suite, soit le 1er mars 2013, a créé l'EARL de Trégonguen à laquelle il a fait un apport de 7 500 euros en numéraire. Le 22 avril 2013, il a réalisé un apport complémentaire en nature pour une valeur nette de 332 100 euros, lequel portait le capital de la société de 7 500 euros à 339 600 euros. Le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire adoptant la résolution portant cette augmentation de capital a précisé que l'apporteur et la société exerçaient conjointement l'option pour le régime spécial des plus-values et des profits sur stocks prévu par l'article 151 octies du code général des impôts. Parallèlement, M. D... a constitué un dossier de demande d'aide à l'installation des jeunes agriculteurs qu'il a déposé à la direction départementale des territoires et de la mer le 27 mai 2013. Le 10 juillet 2013, le préfet du Finistère a délivré l'arrêté relatif à l'attribution des aides à l'installation des jeunes agriculteurs au profit de M. D..., lequel s'est engagé en contrepartie à mettre effectivement en œuvre son projet d'installation. Par un acte du 25 juillet 2013, M. F... a cédé, pour une valeur globale de 339 600 euros, l'intégralité des 33 960 parts qu'il détenait dans le capital de l'EARL de Trégonguen à M. D..., dont l'installation effective est intervenue le 23 août 2013.

9. À l'occasion de l'apport auquel il a procédé le 22 avril 2013, M. F... a réalisé une plus-value d'un montant de 279 178 euros, qui se décompose de la manière suivante : d'une part, 258 644 euros de plus-value à court terme répartie entre un montant de 234 000 euros relatif aux constructions et un montant de 24 644 euros afférent aux installations techniques, matériels et outillages et d'autre part, 20 534 euros de plus-value à long terme sur des biens non amortissables. Ces plus-values, qui participent à la réalisation du résultat comptable de l'exercice, ont fait l'objet, après réintégration des reliquats de déduction pour investissements, d'une double déduction extracomptable au tableau 2151 de la liasse fiscale établie par M. F... pour la période du 1er janvier au 28 février 2013, date de cessation de l'activité exercée à titre individuel. Une première déduction a été opérée dans le cadre de l'option exercée pour le régime prévu à l'article 151 octies du code général des impôts, d'un montant de 272 465 euros, et une seconde, d'un montant de 6 492 euros, pratiquée sur la plus-value à long terme dégagée lors de l'opération de cession au titre de l'abattement pour durée de détention des immobilisations foncières prévu à l'article 151 septies B du code général des impôts, pour lequel M. F... a également opté. Il en résulte que, minoré de la plus-value ainsi réalisée, le bénéfice agricole de M. F... établi au titre de l'année 2013 a été limité à la somme de 38 783 euros. Dans le cadre de l'option exercée par le cédant et la société, conduisant à placer l'opération d'apport du 22 avril 2013 sous le régime de faveur prévu à l'article 151 octies du code général des impôts, l'EARL de Trégonguen a réintégré au tableau 2151 de la liasse correspondant à cet exercice l'intégralité du montant de la plus-value de 272 465 euros réalisée à cette occasion, opération conduisant à porter le montant du résultat fiscal de l'exercice à 280 850 euros. Parallèlement, et en application des dispositions prévues à l'article 73 B du code général des impôts, l'EARL a pratiqué l'abattement accordé aux jeunes agriculteurs attributaires des aides à l'installation. La quotité de l'abattement étant portée à 100 % au titre de l'exercice au cours duquel la décision d'octroi de l'aide a été notifiée à l'exploitant, le résultat de l'EARL taxable à l'impôt sur le revenu au nom de l'associé unique, M. A... D..., a été ramené, avant prise en compte des déductions personnelles de l'exploitant imputables sur le résultat réalisé par cette dernière, de 280 850 euros à 3 645 euros.

10. Le préambule du protocole d'accord du 26 février 2013 signé entre M. F... et M. D... stipulait : " Afin de pérenniser l'exploitation et l'intégralité de son foncier et de sécuriser les autorisations d'installations classées et droits à produire ainsi que de faciliter les différentes démarches, le cessionnaire a informé le cédant de son souhait de reprendre son exploitation sous une forme sociétaire, de type EARL. ". Toutefois, M. F..., qui était âgé de 66 ans, s'inscrivait dans une logique de cessation d'activité à très court terme, sans volonté de s'engager dans un projet de développement nécessitant l'apport d'actionnaires et de capitaux extérieurs. En outre, si M. D..., pour justifier la création de l'EARL par M. F..., faisait état des délais quant à l'obtention des différentes autorisations administratives, il était en tout état de cause contraint par les délais importants d'un parcours de professionnalisation personnalisé, préalable à son installation en tant que jeune agriculteur et par ceux liés à son souhait d'augmenter la capacité de production de l'exploitation. Ainsi, comme le soutient à juste titre l'administration, l'intérêt pour M. D... de reprendre l'activité de M. F... sous une forme de société créée par l'ancien exploitant n'est pas établi.

11. Le passeport d'entreprise réalisé en janvier 2013 par les conseils de M. D... mentionnait que " la création d'une EARL sous les conditions du 151 octies du code général des impôts est prévue pour mars 2013. ". Les mécanismes fiscaux applicables à la société du fait de la combinaison des deux régimes de faveur sous lesquels elle sera placée y sont également clairement spécifiés : " La réévaluation de l'actif va permettre de créer davantage d'amortissements et donc de permettre une diminution du revenu dégagé par la société. Cependant, en réévaluant, une plus-value est dégagée pour votre cédant d'environ 269 933 euros. L'application du 151 octies du code général des impôts permet d'étaler cette plus-value dégagée sur une période. Le revenu de la société sera donc augmenté chaque année. En rachetant les parts sociales, vous allez devoir étaler cette plus-value. Cependant, votre statut de jeune agriculteur vous permet de bénéficier d'une exonération la première année d'imposition fiscale. En réintégrant dès la première année la plus-value générée, vous ne payerez pas d'impôt supplémentaire. Ainsi, vous ne subirez pas les conséquences fiscales des plus-values ".

12. Il résulte de ce qui a été dit aux points 8 à 11 et en particulier de la chronologie mentionnée au point 8 que l'exonération de fait dont a bénéficié M. F... repose sur l'interposition de la société qu'il a créée, laquelle a permis à l'opération d'apport engagée moins de deux mois après la création de cette dernière d'entrer dans les prescriptions de l'article 151 octies du code général des impôts et, par suite, compte tenu de l'articulation de ce régime de faveur avec celui dont bénéficient les jeunes agriculteurs, de placer M. F... en situation d'éluder finalement l'impôt sur la plus-value qu'il aurait eu à acquitter s'il avait directement cédé son exploitation individuelle au nouvel exploitant M. D..., que celui-ci l'ait reprise sous forme d'entreprise individuelle ou sous forme sociétaire. La circonstance que l'ensemble des plus-values sur éléments amortissables a été réintégré au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2013 sur décision du nouvel associé unique de l'EARL de Trégonguen, M. A... D..., qui bénéficiait alors d'un abattement de 100% par application de l'article 73 B du code général des impôts, ne permet pas de neutraliser l'abus de droit commis par M. F..., cet abus de droit étant constitué par le simple fait que l'opération a été artificiellement placée dans un cadre juridique constitué dans le seul objectif de rendre cette dernière compatible avec le régime de faveur défini à l'article 151 octies du code général des impôts, alors que M. F... a disposé des liquidités provenant de l'apport seulement trois mois après, lors de la cession de ses parts. Cette opération caractérise ainsi un montage artificiel, dénué de toute substance et élaboré sans autre finalité que de reporter puis d'éluder l'impôt sur la plus-value, en dissimulant en réalité, du fait de l'interposition de la société puis de l'apport en nature opéré à la suite, la mutation à titre onéreux de l'entreprise individuelle de M. F.... Les requérants ne sauraient utilement soutenir qu'ils auraient pu être exonérés de la plus-value par application des dispositions de l'article 151 septies A du code général des impôts, alors que ces dispositions excluent de l'exonération les plus-values relatives aux biens immobiliers. Par conséquent, l'administration apporte la preuve, qui lui incombe, de l'existence d'un abus de droit et du bien-fondé de l'application des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales.

Sur les pénalités :

13. Compte tenu de l'abus de droit constitué dans les conditions rappelées aux points 8 à 12, le service justifie l'application aux requérants de la majoration de 80 % prévue au b) de l'article 1729 du code général des impôts en cas d'abus de droit.

14. Il résulte de ce qui précède que M. F... et Mme E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes, par le jugement attaqué, a rejeté leur demande de décharge. Par voie de conséquence, leurs conclusions relatives aux frais liés au litige doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. F... et Mme E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... F... et Mme B... E... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l'audience du 9 décembre 2021, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, présidente de chambre,

- M. Geffray, président assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 janvier 2022.

La rapporteure

P. PicquetLa présidente

I. Perrot

La greffière

V. Desbouillons

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 20NT02099

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20NT02099
Date de la décision : 07/01/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. PERROT
Rapporteur ?: Mme Pénélope PICQUET
Rapporteur public ?: Mme CHOLLET
Avocat(s) : SELARL DE LANGLADE

Origine de la décision
Date de l'import : 18/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-01-07;20nt02099 ?
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