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11/03/2022 | FRANCE | N°21NT00456

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 11 mars 2022, 21NT00456


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner solidairement l'État et la société Orange venant aux droits de la société France Telecom à lui verser, à titre principal la somme de 121 917,90 euros ou subsidiairement celle de 91 891,92 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 6 avril 2017 et de leur capitalisation.

Par un jugement n° 1705683 du 29 décembre 2020, le tribunal administratif de Nantes a condamné solidairement l'État et la société Orange

lui verser, tous intérêts compris, la somme de 5 000 euros en réparation de ses préjud...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner solidairement l'État et la société Orange venant aux droits de la société France Telecom à lui verser, à titre principal la somme de 121 917,90 euros ou subsidiairement celle de 91 891,92 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 6 avril 2017 et de leur capitalisation.

Par un jugement n° 1705683 du 29 décembre 2020, le tribunal administratif de Nantes a condamné solidairement l'État et la société Orange à lui verser, tous intérêts compris, la somme de 5 000 euros en réparation de ses préjudices.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 18 février et 3 juin 2021 et le 4 février 2022, M. A..., représenté par Me Deniau, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du 29 décembre 2020 en tant qu'il n'a pas fait intégralement droit à sa demande ;

2°) de condamner solidairement l'État et la société Orange venant aux droits de la société France Telecom à lui verser, à titre principal la somme de 121 917,90 euros ou subsidiairement, celle de 91 891,92 euros en réparation des préjudices subis, majorée des intérêts au taux légal à compter du 6 avril 2017 et de leur capitalisation ;

3°) de mettre à la charge solidaire de l'État et de la société Orange le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il est entaché d'une insuffisance de motivation en ce qu'il n'a pas tenu compte des appréciations positives sur le travail de

M. A... entre 1994 et 1998 ;

- une erreur de droit a été commise du fait de la contradiction de motifs entre les appréciations favorables sur sa manière de servir et les conséquences qui en ont été tirées par le tribunal ; à partir de 1993, il a été privé d'une possibilité de bénéficier d'un avancement de grade ;

- une erreur de fait a été commise puisque rien ne faisait obstacle à une promotion ;

- une erreur manifeste d'appréciation a été commise au regard de sa manière de servir ; il aurait dû bénéficier d'un avancement interne ; il a été privé de la possibilité de se présenter au concours d'inspecteur technique ; il a toujours eu la volonté de progresser ; il a été fait une insuffisante évaluation de son préjudice moral, subi pendant 22 ans, en en limitant le montant à 5 000 euros ;

- il a subi un important préjudice professionnel à l'origine d'un préjudice pécuniaire et de la perte de chance d'être promu au grade de chef des installations des télécommunications ainsi que des troubles dans ses conditions d'existence et un préjudice moral.

Par un mémoire enregistré le 11 mai 2021, l'État représenté par Me Andreini, conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun moyen n'est fondé et que le préjudice allégué n'est pas établi.

Par un mémoire enregistré le 28 janvier 2022, la société Orange, représentée par Me Deniau, conclut au rejet de la requête et à ce que M. A... lui verse la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun moyen n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;

- le décret n° 90-1225 du 31 décembre 1990 ;

- le décret n° 93-514 du 25 mars 1993 ;

- le décret n° 2004-1300 du 26 novembre 2004;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Brisson,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- les observations de Me Deniau, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., fonctionnaire de l'État, agent des postes et télécommunications a été nommé le 19 novembre 1990 en qualité de technicien des installations des télécommunications et titularisé dans ce grade en 1991. Il a, en 1994, opté pour le maintien dans son corps d'origine dit de " reclassement " lors du changement de statut de son employeur, avant d'être promu, à compter de 2003, dans un corps de reclassification au niveau II.3, en tant que chargé d'affaires.

2. M. A... relève appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du

29 décembre 2020 en tant qu'il a limité à 5 000 euros la condamnation solidaire de l'État et de la société Orange à l'indemniser des différents préjudices qu'il estime avoir subis du fait des fautes commises par cette dernière et par l'État.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Alors même que le tribunal n'était pas tenu de répondre à chacun des arguments du requérant, le jugement a expressément répondu au moyen soulevé par le requérant, tiré de ce qu'il aurait disposé d'une chance sérieuse de bénéficier d'une promotion et a suffisamment motivé sa décision au regard de l'argumentation développée par M. A.... Par suite le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué:

En ce qui concerne la responsabilité de l'État et de France Telecom :

4. Aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom : " Les personnels (...) de France Télécom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État (...) " ; qu'aux termes de l'article 29-1 de la loi du 2 juillet 1990, dans sa rédaction issue de la loi du 26 juillet 1996 : " 1. Au 31 décembre 1996, les corps de fonctionnaires de France Télécom sont rattachés à l'entreprise nationale France Télécom et placés sous l'autorité de son président qui dispose des pouvoirs de nomination et de gestion à leur égard. Les personnels fonctionnaires de l'entreprise nationale France Télécom demeurent soumis aux articles 29 et 30 de la présente loi. / L'entreprise nationale France Télécom peut procéder jusqu'au 1er janvier 2002 à des recrutements externes de fonctionnaires pour servir auprès d'elle en position d'activité (...) ". Aux termes de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État : " En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...), non seulement par voie de concours (...) mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel ; / 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil (...) ".

5. D'une part, la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de " reclassement " de France Télécom de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de "reclassification" créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de " reclassification ", ne dispensait pas le président de France Télécom, avant le 1er janvier 2002, de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de "reclassement". Il appartenait, en outre, au ministre chargé des postes et télécommunications de veiller de manière générale au respect par France Télécom de ce droit à la promotion interne, garanti aux fonctionnaires " reclassés " comme aux fonctionnaires " reclassifiés " de l'exploitant public par les dispositions combinées de la loi du 2 juillet 1990 et de la loi du 11 janvier 1984. Ainsi, France Télécom, devenue la société Orange, a, en refusant de prendre toute mesure de promotion interne en faveur des fonctionnaires reclassés avant le 1er janvier 2002, commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

6. D'autre part, le législateur, en décidant par les dispositions précitées de l'article

29-1 de la loi du 2 juillet 1990, résultant de la loi du 26 juillet 1996, que les recrutements externes de fonctionnaires par France Télécom cesseraient au plus tard le 1er janvier 2002, n'a pas entendu priver d'effet, après cette date, les dispositions de l'article 26 de la loi du

11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires " reclassés ". Par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de " reclassement ", en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires " reclassés " de toute possibilité de promotion interne, sont devenus illégaux à compter de la cessation des recrutements externes le 1er janvier 2002.

7. En faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires "reclassés" après cette date, France Télécom devenue la société Orange, a, de même, commis une illégalité. Des promotions internes pour les fonctionnaires "reclassés" non liées aux recrutements externes ne sont redevenues possibles, au sein de France Télécom, que par l'effet du décret du 24 novembre 2004 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de France Télécom.

8. Ainsi, l'État a également commis une faute en attendant le 26 novembre 2004 pour édicter les dispositions organisant les possibilités de promotion interne pour les fonctionnaires des corps de reclassement.

9. Ces fautes sont de nature à engager la responsabilité solidaire de l'État et de la société Orange et à ouvrir droit à réparation au profit du requérant à raison des préjudices dont l'existence et le lien de causalité avec ces fautes sont établis

En ce qui concerne les préjudices subis par M. A... :

10. D'une part, M. A... qui indique remplir les conditions statutaires pour être promu au grade supérieur d'inspecteur technique ou de chef des installations des télécommunications (CTINT) soutient avoir été privé d'une chance sérieuse de promotion interne.

11. Si les évaluations professionnelles de l'intéressé jusqu'en 2000, qui lors de ses affectations successives, avait été amené à exercer des fonctions de nature diversifiée, permettent de constater sa forte implication dans l'exercice de ses fonctions, laquelle a d'ailleurs été relevée et récompensée par l'administration à deux reprises, ces mêmes appréciations montrent, que, à partir de 2001, des manquements du requérant dans le respect de ses obligations professionnelles, un manque de vigilance ou des retards dans l'exécution des tâches qui lui ont été confiées ainsi que des difficultés relationnelles sont apparus. D'ailleurs, M. A... reconnaît lui-même avoir été, à compter de l'année 2000, démotivé, ce qui a été de nature à exercer une influence sur sa manière de servir. Ainsi, et alors que

M. A... ne justifie pas avoir cherché à exercer les voies de promotion interne organisées à la suite de la publication du décret visé ci-dessus du 26 novembre 2004, les éléments d'évaluation sur lesquels l'intéressé se fonde ne sauraient suffire à établir que l'intéressé avait une chance sérieuse d'accéder à un grade supérieur par ce mode de recrutement, y compris pour la période antérieure à l'année 2000.

12. En outre, il n'établit pas que, comme il l'allègue, les promotions internes prononcées par France Telecom à la suite du décret du 26 novembre 2004 auraient été prononcées dans des conditions irrégulières.

13. D'autre part, s'il est vrai que France Telecom n'a plus organisé de concours en vue d'accéder au grade d'inspecteur technique entre 1994 et 2004, M. A..., qui s'est présenté, sans succès, à deux reprises en 1990 et 1993, au concours interne d'accès à l'emploi d'inspecteur technique, ne démontre pas qu'il aurait eu des chances sérieuses de pouvoir accéder auxdites fonctions par cette voie d'accès.

14. Toutefois, M. A... est en droit de prétendre au versement d'une indemnité au titre du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence à raison des fautes commises par l'État et son employeur, consistant à priver de manière générale les fonctionnaires " reclassés " de toute possibilité de promotion interne, alors même qu'au cas particulier, il n'aurait pas eu de chances sérieuses d'obtenir une promotion.

15. En accordant une somme de 5 000 euros, tous intérêts compris, à M. A... en réparation de son préjudice moral et des troubles subis dans ses conditions d'existence, les premiers juges ont procédé à une appréciation qui n'est pas insuffisante.

16. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes n'a fait que partiellement droit à ses conclusions indemnitaires.

Sur les frais liés au litige :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'État et de la société Orange qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, la somme que demande M. A... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la société Orange et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l'audience du 24 février 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi président,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- M. Catroux, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mars 2022.

La rapporteure,

C. BRISSON

Le président,

D. SALVI

La greffière,

A. MARTIN

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT00456


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT00456
Date de la décision : 11/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: Mme Christiane BRISSON
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : DE GUILLENCHMIDT et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 22/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-03-11;21nt00456 ?
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