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11/03/2022 | FRANCE | N°21NT00901

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 11 mars 2022, 21NT00901


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... et M. H... B..., agissant en leur nom propres et au nom de leurs enfants F... et Laureen B..., ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la commune de Crozon à les indemniser de leurs préjudices résultant de l'accident dont a été victime le jeune F... B... lors de sa chute d'une fenêtre au centre d'hébergement du Crozon Morgat le 12 mars 2015.

Par un jugement n° 1803548 du 1er février 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.

Procédu

re devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 1er avril, 13 sep...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... D... et M. H... B..., agissant en leur nom propres et au nom de leurs enfants F... et Laureen B..., ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la commune de Crozon à les indemniser de leurs préjudices résultant de l'accident dont a été victime le jeune F... B... lors de sa chute d'une fenêtre au centre d'hébergement du Crozon Morgat le 12 mars 2015.

Par un jugement n° 1803548 du 1er février 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 1er avril, 13 septembre, 12 octobre et 1er décembre 2021, Mme C... D... et M. H... B..., agissant en leur nom propre et en tant que représentants légaux de leur fils F... B..., et Mme Laureen B..., représentés par Me Lavole, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 1er février 2021 ;

2°) de condamner la commune de Crozon à réparer l'intégralité des préjudices découlant de l'accident dont le jeune F... a été victime le 12 mars 2015, et dont le montant sera à fixer par voie d'expertise ;

3°) d'ordonner une expertise judiciaire ;

4°) de condamner dans l'attente la commune de Crozon à verser à ses parents, en leur qualité de représentants légaux de leur fils mineur F..., la somme de 100 000 euros à titre de provision ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Crozon la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

En ce qui concerne la responsabilité de la commune de Crozon :

- la responsabilité de la commune est engagée en raison d'un défaut d'entretien normal d'un ouvrage public ;

- le jugement attaqué entaché d'une erreur de droit en retenant que les dispositions de l'article R. 111-15 du code de la construction et de l'habitation et la norme NF P01-012 ne pouvaient être utilement opposées à la commune pour engager sa responsabilité sur le fondement du défaut d'entretien normal d'un ouvrage public ;

- ce jugement est entaché d'une erreur d'appréciation en considérant que le dispositif de fermeture à clé installé sur la fenêtre était inopérant en raison de la présence de peinture obstruant la serrure alors qu'il n'est pas établi, par les pièces du dossier, que les travaux de peinture aient été réalisés par l'association ;

- le jeune F..., usager d'un ouvrage public, a été victime d'un accident dont la cause est due, d'une part, au mauvais fonctionnement de la serrure de la fenêtre par laquelle l'enfant a chuté, qui était bloquée par de la peinture, obligeant d'assurer l'aération des pièces par l'ouverture des fenêtres, d'autre part, à l'absence de garde-corps ;

- la commune est intervenue, postérieurement à l'accident, pour la remise en état des serrures pour leur bon fonctionnement ;

- aucune faute de la victime ne peut être retenue ;

En ce qui concerne les préjudices :

- le jeune F... a subi différents préjudices patrimoniaux temporaires et permanents ainsi que des préjudices extra-patrimoniaux, également temporaires et permanents, dont certains sont à parfaire, et décrits dans le rapport du Dr G... du 2 novembre 2016 ;

- ses parents et sa sœur J..., victimes par ricochet, ont également subi des préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux ;

- une expertise devra être ordonnée selon la mission habituelle en matière de traumatisme crânien ;

- la commune de Crozon devra être condamnée à leur verser la somme de 100 000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation définitive des préjudices.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 7 juin et 24 novembre 2021, la commune de Crozon représentée par Me Hallouet, conclut au rejet de la requête et aux conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère et à ce que la somme de 1 000 euros soit mise à la charge des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par les requérants et par la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 26 octobre 2021, la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère, représentée par Me Lauret et Me Paublan, demande à la cour de condamner la commune de Crozon à lui verser la somme de 167 067,84 euros au titre de ses débours provisoires, somme assortie des intérêts au taux légal et capitalisation de ses intérêts ainsi que la somme de 1 098 euros sur le fondement de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Crozon la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- malgré la convention de mise à disposition des locaux, la responsabilité de la commune de Crozon est engagée, pour défaut d'entretien d'une ouvrage public, dès lors que la fenêtre n'était pas munie d'un garde-corps en méconnaissance des dispositions de l'article R. 111-15 du code de la construction et de l'habitation et de la norme NF P01-012 ;

- les travaux de rénovation des locaux ont été réalisés en 2005, dix ans avant l'accident dont a été victime le jeune F..., sans que la commune ne justifie de ce que la convention qui date de 1993 était toujours en vigueur ; il n'est pas établi par les pièces versées au dossier, que les travaux de peinture ont été réalisés par l'association ;

- si la fenêtre n'avait pas été laissée grande ouverte en raison du non fonctionnement du système de protection, l'accident ne serait pas survenu ;

- sa créance provisoire, établie à la date du 13 juillet 2021, s'élève à la somme de 167 067,84 euros.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. L'hirondel,

- les conclusions de M. Berthon, rapporteur public,

- et les observations de Me Migot, représentant les consorts B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... D..., M. H... B... et Mme Laureen B... relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Rennes qui a rejeté leur demande tendant à ce que la commune de Crozon, en sa qualité de propriétaire du Fort de Postolonnec, soit condamnée à réparer les préjudices résultant de l'accident dont a été victime, le 12 mars 2015, le jeune F... B... qui fréquentait ce lieu dans le cadre de sa participation à une " classe de mer " organisée par son collège. La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Finistère demande également à la cour de reconnaître la responsabilité de la commune et de la condamner à lui verser, à titre provisoire, la somme de 167 067,84 euros au titre de ses débours.

Sur la responsabilité :

2. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport de gendarmerie produit par les requérants, que le centre nautique de Crozon, qui est géré par l'association éponyme de type loi 1901, est partagé en trois pôles : le pôle tennis, le pôle base plaisance et le pôle Postofort. Ce dernier pôle est plus particulièrement destiné à accueillir des groupes en internat, majoritairement des enfants de la maternelle au lycée et, parfois, des adultes. Le 12 mars 2015, alors que les élèves de sa classe terminaient leur petit-déjeuner au pôle Postofort, le jeune F... B..., alors âgé de 10 ans, a quitté le réfectoire seul pour se rendre dans l'une des chambres situées au premier étage. Lorsque l'un de ses camarades est entré dans la pièce, il a alors voulu se cacher derrière le rideau de l'une des deux fenêtres de la chambre, qui n'était pas munie de garde-corps et qui était restée ouverte, en prenant appui sur l'allège. Le jeune F... a alors basculé dans le vide et a été victime d'une chute d'une hauteur d'environ six mètres.

3. Pour obtenir réparation, par le maître de l'ouvrage, des dommages qu'il a subis à l'occasion de l'utilisation d'un ouvrage public, l'usager de cet ouvrage doit démontrer devant le juge, d'une part, la réalité de son dommage, d'autre part, l'existence d'un lien de causalité direct entre l'ouvrage et le dommage. Pour s'exonérer de la responsabilité qui pèse ainsi sur elle, il incombe à la collectivité maître d'ouvrage, soit d'établir qu'elle a normalement entretenu l'ouvrage, soit de démontrer la faute de la victime ou l'existence d'un événement de force majeure.

4. En premier lieu, aux termes de l'article R.111-1-1 du code de la construction et de l'habitation : " Les dispositions du présent chapitre sont applicables dans toutes les communes à la construction des bâtiments d'habitation nouveaux ainsi qu'aux surélévations de bâtiments d'habitation anciens et aux additions à de tels bâtiments. / Constituent des bâtiments d'habitation au sens du présent chapitre les bâtiments ou parties de bâtiment abritant un ou plusieurs logements, y compris les foyers, tels que les foyers de jeunes travailleurs et les foyers pour personnes âgées autonomes, à l'exclusion des locaux destinés à la vie professionnelle lorsque celle-ci ne s'exerce pas au moins partiellement dans le même ensemble de pièces que la vie familiale et des locaux auxquels s'appliquent les articles R. 123-1 à R. 123-55, R. 152-4 et R. 152-5. (...) ". Aux termes de l'article R.111-15 du même code : " Aux étages autres que le rez-de-chaussée : / (...) b) Les garde-corps des balcons, terrasses, galeries, loggias, doivent avoir une hauteur d'au moins un mètre ; toutefois, cette hauteur peut être abaissée jusqu'à 0,80 mètre au cas où le garde-corps a plus de cinquante centimètres d'épaisseur ". Aux termes de l'article R.123-2 dudit code : " Pour l'application du présent chapitre, constituent des établissements recevant du public tous bâtiments, locaux et enceintes dans lesquels des personnes sont admises, soit librement, soit moyennant une rétribution ou une participation quelconque, ou dans lesquels sont tenues des réunions ouvertes à tout venant ou sur invitation, payantes ou non. / Sont considérées comme faisant partie du public toutes les personnes admises dans l'établissement à quelque titre que ce soit en plus du personnel. ".

5. L'article R.111-15 du code de la construction et de l'habitation est inséré dans la partie réglementaire de ce code à la section 2 du chapitre Ier du titre Ier du livre Ier et concerne exclusivement les dispositions générales applicables aux bâtiments d'habitation alors que le centre d'hébergement de Crozon Morgat, en particulier le pôle Postofort, constitue un établissement recevant du public (E.R.P.) au sens des dispositions précitées de l'article R.123-2 de ce code. Dans ces conditions, dès lors que le 2ème alinéa de l'article R.111-1-1 exclut les règles contenues dans ce chapitre aux E.R.P., les dispositions de l'article R.111-15 ne peuvent être utilement opposées à la commune de Crozon pour engager sa responsabilité sur le fondement recherché par les requérants. S'ils entendent également se prévaloir de ce que la commune a commis une faute en n'installant pas de garde-corps en méconnaissance de la norme NF P 01-012, cette norme fixe des règles de sécurité de portée générale relative aux dimensions de ces installations. Les règles prévues par cette norme, qui ont été au demeurant reprises à l'article R.111-15 du code de la construction et de l'habitation qui, ainsi qu'il vient d'être dit, n'est pas applicables aux établissements recevant du public, n'ont pas de portée obligatoire pour ces établissements. Par suite, l'absence de garde-corps n'est pas constitutive, par elle-même, d'un défaut d'entretien normal susceptible d'engager la responsabilité de la commune de Crozon.

6. En second lieu, il résulte de l'instruction que l'accident dont a été victime le jeune F... s'est produit dans l'un des bâtiments du Fort de Postolonnec qui a fait l'objet d'une convention de mise à disposition conclue le 22 septembre 1993 entre la commune de Crozon et l'association " Centre nautique de Crozon-Morgat ". Selon l'article 2 de cette convention, " le Centre Nautique de Crozon - Morgat fera son affaire des aménagements intérieurs et s'engage à entretenir l'ensemble de ces installations. / Le Centre Nautique sera seul responsable du fonctionnement et de l'utilisation des locaux, sous réserve du respect de la présente convention (...) ". Son article 8 prévoit, par ailleurs, que la convention est conclue pour une durée d'un an à compter du 1er janvier 1992 et est renouvelée par tacite reconduction.

7. D'une part, les requérants et la CPAM ne sauraient sérieusement soutenir qu'il n'est pas établi que l'association disposait, au moment des faits, de la jouissance des bâtiments compte tenu de l'ancienneté de cette convention dès lors que celle-ci est renouvelée par tacite reconduction en application de son article 8 et que, selon le rapport de gendarmerie qu'ils ont eux-mêmes produit, l'association continuait d'exploiter le bâtiment à la date de l'accident.

8. D'autre part, il résulte de la même instruction, notamment du rapport de gendarmerie, en particulier du rapport du cabinet Texa et des divers témoignages qu'il contient, que si le système oscillo-battant dont était munie la fenêtre à partir de laquelle le jeune F... est tombé ne fonctionnait pas en raison de la présence de peinture obstruant la serrure, cette circonstance ne présente, en l'espèce, aucun lien de causalité direct avec l'accident dont a été victime l'enfant dès lors que la consigne avait été donnée par les encadrants du stage d'ouvrir en grand les fenêtres de l'ensemble des chambres en position dite " à la française " afin d'assurer la ventilation de ces pièces pendant le petit déjeuner.

9. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité de la commune de Crozon sur le fondement d'un défaut d'entretien normal d'un ouvrage public.

10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise médicale, que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, les conclusions de la CPAM du Finistère tendant à la condamnation de la commune de Crozon à lui verser la somme de 167 067,84 euros au titre de ses débours provisoires ainsi que la somme prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale doivent être également rejetées.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Crozon, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, les sommes demandées par les requérants et la CPAM du Finistère, au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des requérants la somme demandée par la commune de Crozon, au même titre.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme D... et autres et les conclusions de la CPAM du Finistère sont rejetées.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Crozon tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D..., à M. H... B..., à Mme Laureen B..., à la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère et à la commune de Crozon.

Délibéré après l'audience du 24 février 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Salvi, président,

- Mme Brisson, présidente-assesseure,

- M. L'hirondel, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mars 2022.

Le rapporteur,

M. LHIRONDELLe président,

D. SALVI

La greffière,

A. MARTIN

La République mande et ordonne au préfet du Finistère en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT00901


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT00901
Date de la décision : 11/03/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. SALVI
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. BERTHON
Avocat(s) : LAURET PAUBLAN

Origine de la décision
Date de l'import : 22/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-03-11;21nt00901 ?
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