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03/06/2022 | FRANCE | N°20NT01280

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 1ère chambre, 03 juin 2022, 20NT01280


Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Emeraude Solaire a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge pour la période du 1er novembre 2013 au 30 octobre 2014. Par un jugement n° 1704583 du 12 février 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Procédure devant la cour : Par une requête et des mémoires enregistrés les 9 avril et 6 novembr

e 2020, 30 novembre et 17 décembre 2021 l'EURL, devenue la société ...

Vu la procédure suivante : Procédure contentieuse antérieure : L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Emeraude Solaire a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge pour la période du 1er novembre 2013 au 30 octobre 2014. Par un jugement n° 1704583 du 12 février 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Procédure devant la cour : Par une requête et des mémoires enregistrés les 9 avril et 6 novembre 2020, 30 novembre et 17 décembre 2021 l'EURL, devenue la société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) Emeraude Solaire, représentée par Me Plumerault, demande à la cour : 1°) d'annuler ce jugement ; 2°) de prononcer la décharge sollicitée ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que : - l'administration ne l'a pas informée de l'origine et de la teneur des documents qu'elle a pu recueillir auprès de la société Edge Consulting, en méconnaissance de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales ; elle ne lui a pas communiqué la proposition de rectification qu'elle a adressée à la société Edge Consulting ; - la remise en cause du droit à déduction ou à récupération de la taxe sur la valeur ajoutée ne s'inscrit pas dans le cadre d'une vaste organisation de fraude à cette taxe mais repose uniquement sur l'accusation selon laquelle elle n'aurait pas dû ignorer dès le début de ses relations commerciales qu'un de ses fournisseurs, la société Edge Consulting, ne payait pas la taxe qu'il facturait ; - compte tenu de la création récente de la société Edge Consulting, elle pouvait difficilement obtenir des renseignements sur la probité fiscale de cette société qui disposait d'un numéro intracommunautaire de taxe sur la valeur ajoutée et d'un compte bancaire ouvert en France ; les prix pratiqués par la société Edge Consulting étaient attractifs et non démesurés eu égard aux conditions générales du marché pendant la période concernée ; durant cette période, il y avait un contexte de baisse des prix sur le marché des matériels photovoltaïques ; enfin la société Edge Consulting pouvait laisser croire à une certaine notoriété compte tenu du lieu de son siège social et de celui de son établissement bancaire à Paris, et elle n'en était pas le seul client ; il n'existe donc aucun élément objectif permettant d'affirmer qu'elle aurait dû déclencher des investigations pour vérifier si la société Edge Consulting respectait toutes les obligations légales ; - l'application des intérêts de retard et l'application des dispositions du 3 de l'article 272 du code général des impôts permettant à l'administration de remettre en cause la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée constituent, chacune, une double sanction compte tenu de la majoration pour manquement délibéré ; - la majoration pour manquement délibéré n'est pas justifiée. Par des mémoires en défense enregistrés les 9 octobre 2020 et 2 novembre, 10 décembre et 23 décembre 2021, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué en l'absence d'éléments nouveaux, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par la SASU Emeraude Solaire ne sont pas fondés. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; - le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique : - le rapport de Mme B..., - les conclusions de Mme Chollet, rapporteure publique, - et les observations de Me Plumerault, représentant la SASU Emeraude Solaire, et de M. A..., gérant de cette société.

Considérant ce qui suit : 1. L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Emeraude Solaire, devenue société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) en mai 2020, qui a pour activité la fourniture et l'installation de panneaux photovoltaïques, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er novembre 2012 au 31 octobre 2015. Par une proposition de rectification du 24 octobre 2016, l'administration a remis en cause la déduction de taxe sur la valeur ajoutée qu'elle avait opérée pour la période du 1er novembre 2013 au 31 octobre 2014, soit une somme globale de 459 527 euros, au motif que la société ne pouvait pas ignorer le circuit frauduleux mis en place par son fournisseur, la société Edge Consulting, qui ne reversait pas au Trésor public la taxe qu'elle avait collectée. Par un jugement du 12 février 2020, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de la SASU Emeraude Solaire tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée ainsi mis à sa charge. La société relève appel de ce jugement. Sur le cadre juridique : 2. Aux termes du I de l'article 256 du code général des impôts : " Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel ". Aux termes des I et II de l'article 271 du même code : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération. / (...) II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : / a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures ; (...) ". Aux termes de l'article 272 du même code dans sa version applicable au litige : " (...) / 3. La taxe sur la valeur ajoutée afférente à une livraison de biens ne peut faire l'objet d'aucune déduction lorsqu'il est démontré que l'acquéreur savait ou ne pouvait ignorer que, par son acquisition, il participait à une fraude consistant à ne pas reverser la taxe due à raison de cette livraison ". 3. Il résulte des dispositions de l'article 17 de la sixième directive 77/388/CEE du 17 mai 1977, reprises en substance à l'article 168 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 et dont les dispositions du I et du a) du 1 du II de l'article 271 du code général des impôts citées au point 5 assurent la transposition, que le bénéfice du droit à déduction de taxe sur la valeur ajoutée doit être refusé à un assujetti lorsqu'il est établi, au vu d'éléments objectifs, que celui-ci savait ou aurait dû savoir que, par l'opération invoquée pour fonder ce droit, il participait à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée commise dans le cadre d'une chaîne de livraisons ou de prestations, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne, notamment par son arrêt du 18 décembre 2014, Staatssecretaris van Financiën c/ Schoenimport " Italmoda " Mariano Previti vof et Turbu.com BV, Turbu.com Mobile Phone's BV (aff. C-131/13, 163/13 et 164/13). 4. Ainsi, si les opérateurs qui prennent toute mesure pouvant raisonnablement être exigée d'eux pour s'assurer que leurs opérations ne sont pas impliquées dans une fraude, qu'il s'agisse de la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée ou d'autres fraudes, ne doivent pas perdre leur droit à déduire la taxe sur la valeur ajoutée acquittée en amont, en revanche, un assujetti qui savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, doit être considéré comme participant à cette fraude, indépendamment de la question de savoir s'il tire ou non un bénéfice de la revente des biens, dès lors que, dans une telle situation, l'assujetti devient complice de la fraude, comme l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 6 juillet 2006, Axel Kittel et Recolta Recycling SRPL (aff. C-439/04 et C-440/04). 5. Par ailleurs, si l'administration fiscale ne peut exiger de manière générale de l'assujetti souhaitant exercer son droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, d'une part, qu'il vérifie que l'émetteur de la facture correspondant aux biens et aux services au titre desquels l'exercice de ce droit est demandé dispose de la qualité d'assujetti, qu'il disposait des biens en cause et était en mesure de les livrer et qu'il a rempli ses obligations de déclaration et de paiement de la taxe, afin de s'assurer qu'il n'existe pas d'irrégularités ou de fraude au niveau des opérateurs en amont, ou, d'autre part, qu'il dispose de documents à cet égard, un opérateur avisé peut, en revanche, lorsqu'il existe des indices permettant de soupçonner l'existence d'irrégularités ou de fraude, se voir contraint de prendre des renseignements sur un autre opérateur auprès duquel il envisage d'acheter des biens ou des services afin de s'assurer qu'il s'est acquitté de ses obligations fiscales, comme l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 21 juin 2012, Mahagében kft (aff. C-80/11). Lorsque les indices permettent de soupçonner une méconnaissance, par un fournisseur de biens ou un prestataire de services, de ses obligations de déclaration ou de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient ainsi à l'assujetti qui a acquis certains de ces biens ou services, pour les céder à son tour, de s'assurer qu'en ce qui concerne ces biens et services, son fournisseur ou son prestataire s'est acquitté de ses obligations. 6. Dans ce cadre, il incombe à l'administration fiscale d'établir les éléments objectifs permettant de conclure que l'assujetti savait ou aurait dû savoir que l'opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude. Sur les rappels de TVA assignés à la SASU Emeraude Solaire : 7. Il résulte de l'instruction que la SASU Emeraude Solaire qui, jusqu'au 31 octobre 2013, achetait du matériel auprès de trois entreprises allemandes et d'une autre française, s'est, entre novembre 2013 et juin 2014, fournie exclusivement auprès d'une autre société française, la société Edge Consulting, créée le 1er octobre 2013 pour une activité d'achat-revente de matériels, qui lui a facturé des produits photovoltaïques pour un montant global de 2 770 250,08 euros, dont 459 527,43 euros de taxe sur la valeur ajoutée. Durant cette période, la société Edge Consulting n'a pas reversé à l'Etat la taxe sur la valeur ajoutée ainsi collectée par elle. Par suite, et compte tenu de ces montants, qui avaient pour effet de faire dépasser à la société Edge Consulting les seuils légaux du régime simplifié d'imposition à la taxe sur la valeur ajoutée, il est établi que le fournisseur de la SASU Emeraude Solaire, qui n'a ni déclaré, ni payé la taxe qu'elle lui avait facturée pour l'acquisition de panneaux photovoltaïques, s'est livré à une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée. 8. Toutefois, il résulte également de l'instruction que la SASU Emeraude Solaire, acteur présent sur le marché depuis 2008, a été informée des tarifs proposés par la société Edge Consulting par un partenaire commercial de longue date qu'elle estimait digne de confiance, et qu'elle n'était pas en mesure de supposer que cette société, dont le siège était à Paris et qui disposait d'un compte dans une agence bancaire de cette ville, ne disposait à l'exception de son gérant ni de local ni de moyens matériels et humains d'exploitation en rapport avec l'activité déployée. De même les tarifs pratiqués, d'environ 10% inférieurs aux tarifs pratiqués par les fournisseurs antérieurs, n'étaient, par la modération de la différence constatée, pas de nature à susciter une quelconque suspicion de la part du dirigeant de la société contribuable, alors au surplus que le marché du panneau photovoltaïque était en constante évolution. Enfin, s'il est constant que la SASU Emeraude Solaire a, dans un climat de confiance étayé par une livraison en temps et en heure des marchandises, développé rapidement avec son nouveau fournisseur, en quelques semaines, des relations commerciales importantes correspondant à des transactions de l'ordre de 2 770 250,08 euros TTC, soit presque 100% du montant total des achats réalisés par elle de novembre 2013 à juin 2014, il est également avéré que cette société, qui avait développé des doutes sur l'honnêteté de son nouveau fournisseur, s'est très rapidement désengagée de ces relations commerciales, moins d'un an après les avoir engagées, et a acquitté sa dernière facture le 16 juin 2014. 9. Compte-tenu de ces éléments, il ne peut dans les circonstances de l'espèce être regardé comme établi que la SASU Emeraude Solaire savait ou aurait dû savoir que les opérations invoquées pour fonder son droit à déduction étaient impliquées dans une fraude et qu'elle participait ainsi à un circuit de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée. Par suite, c'est à tort que l'administration fiscale a remis en cause, sur le fondement des dispositions du 3 de l'article 272 du code général des impôts, les déductions de taxe sur la valeur ajoutée opérées par la société Emeraude Solaire pour la période en litige. 10. Il résulte de ce qui précède que la SASU Emeraude Solaire est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à la SASU Emeraude Solaire au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative. D E C I D E : Article 1er : Le jugement n° 1704583 du 12 février 2020 du tribunal administratif de Rennes est annulé. Article 2 : La SASU Emeraude Solaire est déchargée en droits et pénalités des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge pour la période du 1er novembre 2013 au 30 octobre 2014. Article 3 : L'Etat versera à la SASU Emeraude Solaire la somme de 1 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée unipersonnelle Emeraude solaire et au ministre de l'Economie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Délibéré après l'audience du 12 mai 2022, à laquelle siégeaient : - Mme Perrot, présidente, - M. Giraud, premier conseiller, - M. Brasnu, premier conseiller. Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juin 2022. La présidente-rapporteure I . B... L'assesseur T. GiraudLa greffière A. Marchais La République mande et ordonne au ministre de de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. 2N°20NT01280


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20NT01280
Date de la décision : 03/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. PERROT
Rapporteur ?: M. Jean-Eric GEFFRAY
Rapporteur public ?: Mme CHOLLET
Avocat(s) : ERNSTetYOUNG SAINT JACQUES DE LA LANDE

Origine de la décision
Date de l'import : 14/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-06-03;20nt01280 ?
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