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28/10/2022 | FRANCE | N°22NT00336

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 28 octobre 2022, 22NT00336


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Beauséjour a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 194 528 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'un arrêté du préfet d'Ille-et-Vilaine du 2 mai 2016, avec intérêts au taux légal à compter du 20 février 2019, date de réception en préfecture de sa demande préalable, et capitalisation des intérêts à chaque échéance annuelle.

Par un jugement n° 1902239 du 1er décembre 2021, le tribunal administratif

de Rennes a condamné l'Etat à verser la somme de 15 000 euros à la société Beauséjour, avec in...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Beauséjour a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 194 528 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'un arrêté du préfet d'Ille-et-Vilaine du 2 mai 2016, avec intérêts au taux légal à compter du 20 février 2019, date de réception en préfecture de sa demande préalable, et capitalisation des intérêts à chaque échéance annuelle.

Par un jugement n° 1902239 du 1er décembre 2021, le tribunal administratif de Rennes a condamné l'Etat à verser la somme de 15 000 euros à la société Beauséjour, avec intérêts au taux légal à compter du 20 février 2019 et capitalisation des intérêts échus à la date du 20 février 2020, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 février 2022, la société Beauséjour, représentée par Me Collet, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 1902239 du 1er décembre 2021 du tribunal administratif de Rennes en tant qu'il a limité le montant de la somme mise à la charge de l'Etat à

15 000 euros ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 194 528 euros en réparation du préjudice subi, avec intérêts au taux légal à compter du 20 février 2019 et capitalisation des intérêts échus à compter du 20 février 2020, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

3°) à titre subsidiaire, avant dire droit, d'ordonner une expertise sur la méthode d'évaluation du préjudice ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Beauséjour soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé quant aux taux de marge retenu à partir du même chiffre d'affaires toutes taxes comprises de l'expert ;

- elle justifie du montant du préjudice subi par la production d'une expertise portant, d'une part, sur l'activité de son magasin sur les années 2017 et 2018, d'autre part, sur la perte de chiffre d'affaires en raison de la fermeture le dimanche ; ainsi, elle justifie d'un manque à gagner de 190 000 euros auquel s'ajoute divers frais supportés en lien direct avec la fermeture le dimanche à hauteur de 4 528 euros ;

- le calcul du manque à gagner subi pendant les périodes de fermeture dominicale en 2017 et en 2018, doit tenir compte de la marge sur coûts variables perdue sur ces périodes, soit un taux de marge de 27,98% et non de 1,14%, calculé à partir du chiffre d'affaires supplémentaire manqué le dimanche ;

- pour la période du 14 avril au 13 mai 2018, le chiffre d'affaires journalier du dimanche montre un retard certain par rapport aux semaines normales, avec une baisse moyenne de chiffre d'affaires de 3 096,18 euros par dimanche, du fait de perte d'habitude des consommateurs.

La requête a été communiquée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, qui n'a pas produit ses observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,

- et les observations de Me Delest, substituant Me Collet, représentant la société Beauséjour.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 6 avril 2018, le tribunal administratif de Rennes a annulé un arrêté du 2 mai 2016 du préfet d'Ille-et-Vilaine qui avait décidé la fermeture le dimanche de 0 h à 24 h, sur le territoire du pays de Rennes, des commerces de détail non spécialisés à prédominance alimentaire d'une surface de vente supérieure à 700 mètres carrés ainsi que des points permanents de retrait par la clientèle d'achats au détail commandés par voie télématique, organisés pour l'accès en automobile, hors restauration rapide. Par une demande préalable du 19 février 2019, la société Beauséjour, qui exploite un établissement à prédominance alimentaire dans une zone commerciale sur la commune de La Mézière (Ille-et-Vilaine), a demandé au préfet d'Ille-et-Vilaine l'indemnisation du préjudice qu'elle estime avoir subi, en 2017 et 2018, du fait de la période de fermeture le dimanche qui lui a été imposée par cet arrêté jusqu'à son annulation, ce que le préfet a refusé par décision du 11 avril 2019. Par un jugement du 1er décembre 2021, le tribunal administratif de Rennes a condamné l'Etat à verser la somme de

15 000 euros à la société Beauséjour, avec intérêts au taux légal à compter du 20 février 2019 et capitalisation des intérêts échus à la date du 20 février 2020, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, en réparation du préjudice subi. La société Beauséjour relève appel de ce jugement en tant qu'il a limité le montant de l'indemnisation mise à la charge de l'Etat à la somme de 15 000 euros. Elle demande que cette indemnité soit portée à la somme de 194 528 euros.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort du jugement attaqué, et notamment de son point 4, que le tribunal administratif de Rennes, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a exposé les raisons pour lesquelles il n'a pas retenu le taux de marge sur les coûts variables de 27,98% proposé par la société Beauséjour et lui a substitué un taux correspondant à la perte de résultat net d'exploitation en fonction du chiffre d'affaires, et a ainsi suffisamment motivé son jugement. Par suite, l'irrégularité alléguée sur ce point doit être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Il est constant que l'arrêté préfectoral du 2 mai 2016 a été annulé par le tribunal administratif de Rennes au motif que la fermeture au public des établissements ne pouvait être légalement ordonnée en l'absence d'intervention préalable d'un accord syndical correspondant pour la profession à la volonté de la majorité indiscutable de tous les commerçants pratiquant la vente au détail de produits alimentaires à titre principal ou accessoire dont l'établissement ou une partie de celui-ci était susceptible d'être fermé, en méconnaissance de l'article L. 3132-29 du code du travail. L'illégalité commise ainsi par l'administration constitue une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat, laquelle n'est d'ailleurs pas contestée.

4. En premier lieu, d'une part, la société Beauséjour fait état d'un préjudice économique en ce qu'elle aurait subi une perte de chiffre d'affaires de 190 000 euros pour les années 2017 et 2018 du fait de la fermeture de son établissement le dimanche matin. Elle produit deux expertises réalisées à sa demande par un expert-comptable, en date des 24 janvier 2019 et 1er février 2022, ainsi que trois articles de presse publiés sur Internet. Toutefois, elle ne justifie pas de manière suffisamment probante que son chiffre d'affaires dominical hors taxes (HT) n'a pas été compensé, en 2017 et 2018, durant la période pour laquelle elle n'a pas été autorisée à ouvrir le dimanche, par des ventes effectuées en semaine. Ainsi, les deux expertises, si elles font état de la prise en compte de l'effet report du chiffre d'affaires sur les autres jours, ne sont pas basées sur des données fiables et ne corrigent pas de nombreux biais qui les rendent non probantes, en ce que notamment, l'expert-comptable, pour obtenir le montant du chiffre d'affaires HT annuel, mensuel ou hebdomadaire de l'établissement pour les années 2016, 2017 et 2018, ne se base pas sur des données comptables, mais tient compte d'une moyenne de taux de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) de 8,28% qu'il applique au chiffre d'affaires toutes taxes comprises (TTC), sans distinction des produits vendus soumis cependant nécessairement à différents taux de TVA. En outre, se basant selon ses propres dires sur les éléments portés à sa connaissance, l'expert-comptable ne tient compte d'aucun élément relatif à la concurrence locale, ce qui ne permet pas de justifier que les conditions d'exploitation de l'établissement étaient similaires et équivalentes sur sa zone de chalandise durant les trois années retenues. Par ailleurs, ces documents se bornent à comparer les données des années 2017 et 2018 sur la seule année 2016, ce qui paraît insuffisant pour en tirer des conclusions fiables concernant le chiffre d'affaires HT réalisé de manière habituelle par l'établissement le dimanche matin et le reste de la semaine, à défaut de retenir des termes de comparaison sur au moins trois années de référence consécutives et ce, afin d'éviter les biais de nature économique et conjoncturelle. Les articles de presse produits, qui se bornent à mentionner des considérations d'ordre général, ne permettent pas davantage de justifier des allégations de la société Beauséjour. Au surplus, le calcul de la marge sur coûts variables, fixée à un taux de 27,98% par l'expert, n'est assorti d'aucune précision suffisante, notamment de comparatifs fiables pour chaque taux de charge le composant provenant de commerces équivalents dans la même zone géographique et de chalandise que l'établissement de la société Beauséjour. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le préjudice économique subi par la société Beauséjour pour les années 2017 et 2018 devrait être fixé à 190 000 euros HT sur le fondement des rapports d'un expert-comptable sollicités par la société requérante elle-même doit être écarté.

5. D'autre part, si une société commerciale ayant subi un préjudice en raison d'une illégalité fautive peut prétendre à être indemnisée de la perte du bénéfice net dont elle a été privée, il lui appartient d'établir la réalité de ce préjudice. Enfin, le calcul du bénéfice s'opérant par soustraction au total des produits de l'ensemble des charges, le taux de marge nette devait être déterminé en prenant en compte non seulement les charges variables de la société mais également ses charges fixes.

6. En second lieu, la société Beauséjour fait état de frais divers dont elle demande le remboursement pour la somme totale de 4 528 euros. Compte-tenu des justificatifs produits concernant les frais relatifs à l'information aux clients sur la fermeture du dimanche, ainsi que les frais d'avocats, liés au licenciement économique de deux personnes, il y a lieu d'indemniser ce préjudice à hauteur du montant demandé, comme l'a jugé le tribunal administratif. En revanche, contrairement à ce que soutient la requérante, il n'est pas établi que l'établissement aurait continué de subir un préjudice économique au motif que les clients avaient perdu leurs habitudes durant une période de cinq semaines après l'intervention du jugement du 6 avril 2018 annulant l'arrêté du 2 mai 2016 imposant la fermeture dominicale, alors surtout que le lien entre l'illégalité fautive commise par l'administration et la réduction d'activité ainsi alléguée apparaît trop indirect pour que le préjudice afférent à cette période revête un caractère indemnisable.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que la société Beauséjour n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a limité le montant de l'indemnisation mise à la charge de l'Etat à la somme de 15 000 euros. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Beauséjour est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Beauséjour et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Copie en sera adressée au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 11 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 octobre 2022.

Le rapporteur,

L. A...

Le président,

L. LAINÉ

La greffière,

S. LEVANT

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT00336


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT00336
Date de la décision : 28/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Laure CHOLLET
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : SCP ARES GARNIER DOHOLLOU SOUET ARION ARDISSON GREARD COLLET LEDERF-DANIEL LEBLANC

Origine de la décision
Date de l'import : 06/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-10-28;22nt00336 ?
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