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24/03/2023 | FRANCE | N°22NT00257

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 24 mars 2023, 22NT00257


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'exploitation des aéroports de Rennes et Dinard (SEARD) a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la région Bretagne à lui verser une indemnité de 1 006 006,40 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 2018 et de leur capitalisation, en réparation des manquements de celle-ci lors de la passation de la convention de délégation de service public portant sur la gestion des aéroports de Rennes-Saint-Jacques et de Dinard-Pleurtuit.

Par un jugem

ent n° 1901222 du 2 décembre 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'exploitation des aéroports de Rennes et Dinard (SEARD) a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la région Bretagne à lui verser une indemnité de 1 006 006,40 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 2018 et de leur capitalisation, en réparation des manquements de celle-ci lors de la passation de la convention de délégation de service public portant sur la gestion des aéroports de Rennes-Saint-Jacques et de Dinard-Pleurtuit.

Par un jugement n° 1901222 du 2 décembre 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de la SEARD.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 janvier et 25 octobre 2022, la SEARD, représentée par Me de Folleville, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 2 décembre 2021 ;

2°) de condamner la région Bretagne à lui verser une indemnité de 1 006 006,40 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 22 novembre 2018 et de leur capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de la région Bretagne la somme de 3 000 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la région Bretagne a manqué à ses obligations de transparence et de loyauté lors de la procédure de passation de la délégation de service public faute d'informer les candidats du risque contentieux important lié au licenciement d'un salarié protégé ;

- la région Bretagne a manqué à son obligation de contrôle des opérations de transition entre délégataires en la validant sans que le contentieux ne soit signalé et que ses conséquences financières soient anticipées et transférées ;

- si elle avait été informée de l'existence du contentieux en cours, elle aurait pu exiger le transfert d'une provision correspondante et faire rectifier la convention de transition ;

- dans la convention du 27 octobre 2010 de clôture de la précédente délégation, la région Bretagne s'est engagée auprès de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) du Pays de Saint-Malo à prendre en charge le coût total définitif du litige lié à ce contentieux, ce qu'elle lui a dissimulé en lui faisant supporter une charge indue ;

- la région Bretagne n'a pas réagi à ses alertes en 2015 et 2018 ;

- elle est en droit de se prévaloir de l'inexécution de cette convention qui lui cause préjudice, bien qu'elle soit tiers au contrat ;

- le risque assumé par le délégataire correspond au risque lié à son exploitation du service, et en aucun cas aux responsabilités liées à l'exploitation du service par l'ancien délégataire, ce qui se traduit par le fait que l'article 6 de la convention prévoit que les engagements et responsabilités de l'ancien délégataire pris en charge par le nouveau délégataire sont listés en annexe 4 de la convention ;

- les préjudices qu'elle a subis du fait de la réintégration de M. A... sont en lien avec les fautes ainsi commises par la région Bretagne ;

- la circonstance que ses résultats soient positifs sur la période 2010 à 2019 est sans influence sur le montant de son préjudice ;

- elle peut en demander l'indemnisation sans avoir à démontrer que l'équilibre financier de la convention de délégation de service public en a été affecté, ni qu'elle a épuisé les voies de droit pour l'obtenir de la CCI du Pays de Saint-Malo ;

- en tout état de cause sa situation financière actuelle et en fin de gestion le cas échéant est de nature à justifier sa demande ;

- son préjudice s'élève à la somme de 637 737,97 euros de coûts en lien avec la réintégration de l'agent irrégulièrement licencié, de 105 279,22 euros de coûts annexes (honoraires d'avocats, frais d'huissiers, frais de procédure...) et de 262 989,22 euros de coûts salariaux à la suite de la réintégration de l'intéressé jusqu'à son licenciement pour motif économique en juillet 2021.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 15 juin et 17 novembre 2022, la région Bretagne, représentée par Me de la Brosse, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la SEARD la somme de 7 000 euros au titre des frais d'instance.

Elle soutient que les moyens de la SEARD ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Derlange, président assesseur,

- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,

- et les observations de Me Grohard, représentant la région Bretagne.

Une note en délibéré, enregistrée le 17 mars 2023, a été présentée pour la société d'exploitation des aéroports de Rennes et Dinard (SEARD).

Considérant ce qui suit :

1. Par une convention de délégation de service public (DSP), signée le 28 décembre 2009, la SEARD, société par actions simplifiée (SAS), a été chargée par la région Bretagne de la gestion et de l'exploitation des aéroports de Rennes-Saint-Jacques et de Dinard-Pleurtuit, jusqu'au 31 décembre 2024. Le 31 août 2010, conformément aux stipulations de cette convention de DSP, la SEARD a conclu avec la chambre de commerce et d'industrie (CCI) du Pays de Saint-Malo, ancienne exploitante de l'aéroport de Dinard-Pleurtuit, une convention de transition de l'exploitation dudit aéroport, avec l'agrément de la région Bretagne, détaillant les modalités matérielles et financières du transfert. Par un courrier du 23 janvier 2015, la SEARD a cependant alerté la région Bretagne des conséquences financières possibles du recours contentieux, initié le 14 juin 2008, par M. A..., ancien chef d'exploitation de l'aéroport de Dinard et représentant du personnel, tendant à l'annulation de son licenciement, à sa réintégration dans ses anciennes fonctions et à une indemnisation de son préjudice. Par un arrêt du 16 mai 2018, la cour d'appel de Rennes a ordonné la réintégration au sein de la SEARD de ce salarié protégé de l'aéroport de Dinard, licencié pour insuffisance professionnelle en 2008 par la chambre de commerce et d'industrie (CCI) du pays de Saint-Malo, précédent exploitant, et l'a condamnée in solidum avec la CCI à verser à l'intéressé une indemnité pour licenciement nul, correspondant à l'intégralité des rémunérations qu'il aurait dû percevoir entre la notification de son licenciement et la date effective de sa réintégration. La SEARD a demandé à la région Bretagne de l'indemniser des préjudices subis en raison de son comportement fautif à ne pas l'avoir informée du risque contentieux lié au licenciement de ce salarié protégé. En l'absence de réponse de celle-ci, la SEARD a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une requête tendant à la condamnation de la région Bretagne à lui verser une indemnité de 1 006 006,40 euros en réparation de ces préjudices, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation. Par un jugement du 2 décembre 2021, le tribunal a rejeté sa demande. La SEARD relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. La SEARD fonde son action indemnitaire sur la responsabilité contractuelle de la région Bretagne et soutient que son préjudice se rattache à l'exécution de la convention de DSP. Elle invoque en premier lieu à l'encontre de la région Bretagne un " manquement à l'obligation de transparence et de loyauté contractuelle " au motif que lors de la procédure de passation de la convention l'autorité délégante ne l'a pas informée du risque financier correspondant au contentieux initié par M. A... à la suite du licenciement de ce dernier intervenu le 12 mars 2008, alors que les contentieux relatifs aux salariés protégés sont à fort enjeu financier en raison de la sévérité des sanctions prévues par le code du travail et que la région était tenue de préciser le montant des provisions et passifs sociaux transférés au nouveau délégataire, le coût de la masse salariale constituant un élément essentiel du contrat.

3. Toutefois, d'une part, lors de la procédure de passation de la convention de DSP conclue le 28 décembre 2009, M. A..., ancien chef d'exploitation de l'aéroport de Dinard-Saint-Malo, ne faisait plus partie des effectifs du service délégué et n'avait dès lors pas à figurer dans la masse salariale. D'autre part, il résulte de l'instruction que le montant de la charge financière correspondant à l'indemnisation de la nullité de ce licenciement ne pouvait être connu, ni dans son principe ni dans son montant, au moment de la passation puis de la conclusion de la convention de DSP. Cette charge n'était alors pas même prévisible dès lors que M. A... a saisi le tribunal administratif d'une demande indemnitaire dirigée contre la CCI le 14 juin 2008 et que le tribunal administratif de Rennes a rejeté cette demande au fond par un jugement du 16 juin 2011 en considérant que le licenciement pour insuffisance professionnelle était justifié par les carences de l'intéressé dans l'exercice de ses fonctions. Puis ce jugement a été annulé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 20 décembre 2013, confirmé par une décision du Conseil d'Etat du 23 juillet 2014, au motif que la demande était portée devant une juridiction incompétente pour en connaître dans la mesure où les fonctions de M. A... ne le faisaient pas participer à des missions de service public administratif. Ce n'est que par le jugement du conseil de prud'hommes de Saint-Malo du 26 juin 2015 que le licenciement a été déclaré nul, ce jugement n'accordant alors à l'intéressé qu'une indemnité de 120 000 euros assortie des intérêts, outre 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et rejetant ses autres demandes. Ainsi, l'étendue de la dette mise à la charge solidaire de l'ancien et du nouveau délégataire de l'exploitation de l'aéroport de Dinard-Pleurtuit n'a été connue que par l'arrêt de la cour d'appel de Rennes du 16 mai 2018 qui " Condamne in solidum la CCIT d'Ille-et-Vilaine et la SEARD à payer à M. A... une indemnité pour licenciement nul correspondant à l'intégralité des rémunérations qu'il aurait dû percevoir entre la date de notification de son licenciement et la date effective de sa réintégration, congés payés afférents, RTT et éventuels accessoires conventionnels inclus, arrêtée comme suit : - pour la période antérieure au 1er mars 2010, et sur la base de l'indice de traitement 591 : 46 057,34 €, - pour la période à compter du 1er mars 2010 jusqu'à sa réintégration, à parfaire sur la base du coefficient 420 de la convention collective nationale du personnel au sol des entreprises de transport aérien ; Dit que l'indemnité d'éviction produira intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure ; (...) Dit que la CCIT d'Ille-et-Vilaine et la SEARD devront, chacun pour la période qui la concerne, régulariser la situation de A... auprès des régimes de retraite ; ... ". Dans ces conditions, la région Bretagne, qui au surplus n'avait aucune autorité directe sur M. A... et n'était pas partie dans les litiges opposant celui-ci à la CCIT de Saint-Malo, ne pouvait pas transmettre à la SEARD en 2009 une information sur une charge financière liée à un risque contentieux qui, à ce moment-là, n'existait pas et ne pouvait pas être sérieusement évalué.

4. Enfin, la SEARD n'établit pas que le défaut d'information sur cette affaire qu'elle reproche à l'autorité délégante a entraîné à son détriment un vice du consentement et que la conclusion de la convention de DSP du 28 décembre 2009 aurait ainsi été faussée par une manœuvre dolosive ou une erreur substantielle.

5. La SEARD invoque en deuxième lieu une faute de la région Bretagne consistant en un " manquement à l'obligation de contrôle des opérations de transition entre délégataires " en reprochant à l'autorité délégante de ne pas avoir fait état de l'engagement financier correspondant au contentieux de M. A... dans le cadre de son obligation contractuelle de contrôle des opérations de transition entre délégataires et d'avoir validé la convention de transition conclue entre la SEARD et la CCI de Saint-Malo en sachant " qu'elle ne contenait pas toutes les informations et exposait la SEARD à un risque financier significatif ".

6. Toutefois, aucune stipulation du contrat conclu le 28 décembre 2009 ne prévoit à la charge de la région Bretagne, en sa qualité d'autorité délégante, l'obligation de contrôle des opérations de transition entre délégataires invoquée par la SEARD. L'article 7 de la convention de DSP intitulé " Mécanisme de transition entre le délégataire et les précédents exploitants de chaque aéroport à l'entrée en vigueur de la présente convention " se borne à prévoir la conclusion, par le nouveau délégataire, d'une convention avec l'ancien exploitant de l'aéroport " dans les 6 mois suivant l'entrée en vigueur du contrat afin de régler tous les points nécessaires à une bonne transition de l'exploitation entre les exploitants " et stipule seulement que " Cette convention est visée par la Région ". De même, l'article 80 " Reprise du personnel " de la convention de DSP se borne à prévoir la reprise par le nouveau délégataire du personnel de la CCI affecté à l'exploitation de l'aéroport, dans le cadre de l'article L. 1224-1 du code du travail, mais n'impose à la région Bretagne aucune obligation d'information du nouveau délégataire concernant les litiges en cours avec d'anciens membres du personnel ayant fait l'objet d'un licenciement. Par ailleurs, la SEARD, en raison du principe de l'effet relatif des contrats rappelé en particulier à l'article 1199 du code civil, ne peut se prévaloir de la convention de clôture de la précédente délégation de service public conclue le 27 octobre 2010 entre la région Bretagne et le précédent délégataire, qui prévoit la prise en charge du coût du litige avec M. A... par la région Bretagne au-delà de la provision de 250 640 euros constituée par la CCI de Saint-Malo, dès lors qu'elle n'était pas elle-même partie à cette convention de clôture par rapport à laquelle elle n'avait que la qualité de tiers. Dans ces conditions, la faute contractuelle invoquée par la requérante ne peut être retenue.

7. En troisième et dernier lieu, en tout état de cause, la SEARD n'est pas fondée à soutenir qu'il existe un lien de causalité direct entre les fautes de la région Bretagne et son préjudice dès lors que le préjudice financier invoqué, tenant à la prise en charge des conséquences financières de l'exécution de l'arrêt de la cour d'appel de Rennes du 16 mai 2018, trouve sa cause adéquate dans le comportement de la CCI de Saint-Malo en qualité d'ancien délégataire mais n'a pas de lien direct et certain avec un comportement de la région Bretagne en sa qualité d'autorité délégante vis-à-vis du nouveau délégataire.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la SEARD n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par la SEARD. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de cette société le versement à la région Bretagne d'une somme de 1 500 euros au titre de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SEARD est rejetée.

Article 2 : La SEARD versera à la région Bretagne une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administratives.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la région Bretagne et à la société d'exploitation des aéroports de Rennes et Dinard (SEARD).

Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de la région Bretagne.

Délibéré après l'audience du 7 mars 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mars 2023.

Le rapporteur,

S. DERLANGE

Le président,

L. LAINÉ

La greffière,

S. LEVANT

La République mande et ordonne préfet de la région Bretagne en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT00257


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT00257
Date de la décision : 24/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Stéphane DERLANGE
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : MAOUCHE ET DE FOLLEVILLE AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-03-24;22nt00257 ?
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