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27/06/2023 | FRANCE | N°21NT01977

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 27 juin 2023, 21NT01977


Vu la procédure suivante :

Par un arrêt n° 21NT01977 du 21 juin 2022, la cour administrative d'appel de Nantes a sursis à statuer sur la requête présentée par M. A... E..., Mme D... E... et Mme J... E..., venant aux droits de Mme B... E..., M. H... C..., Mme G... C... et M. I... F..., tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 juillet 2015 par lequel le préfet de la Sarthe a autorisé la société Ferme éolienne de Chenu à exploiter cinq éoliennes et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Chenu, jusqu'à ce que ce préfet ait procédé à la transmission d'

un arrêté de régularisation édicté conformément aux modalités définies aux ...

Vu la procédure suivante :

Par un arrêt n° 21NT01977 du 21 juin 2022, la cour administrative d'appel de Nantes a sursis à statuer sur la requête présentée par M. A... E..., Mme D... E... et Mme J... E..., venant aux droits de Mme B... E..., M. H... C..., Mme G... C... et M. I... F..., tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 juillet 2015 par lequel le préfet de la Sarthe a autorisé la société Ferme éolienne de Chenu à exploiter cinq éoliennes et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Chenu, jusqu'à ce que ce préfet ait procédé à la transmission d'un arrêté de régularisation édicté conformément aux modalités définies aux points 36 à 43 de ce même arrêt, et jusqu'à l'expiration, soit d'un délai de six mois à compter de la notification du cet arrêt lorsqu'il n'aura été fait usage que de la simple procédure de consultation publique, soit d'un délai de dix mois lorsque l'organisation d'une enquête publique complémentaire aura été nécessaire.

Le 14 mars 2023 le préfet de la Sarthe a communiqué à la cour son arrêté du 3 mars 2023 modifiant son arrêté du 10 juillet 2015.

Par des mémoires enregistrés les 14 mars et 18 avril 2023, la société Ferme éolienne de Chenu, représentée par Me Gelas, conclut au rejet de la requête et demande qu'il soit mis à la charge de chacun des requérants la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté préfectoral du 3 mars 2023 régularise les vices retenus par l'arrêt du 21 juin 2022 ;

- les autres moyens soulevés, sans lien avec la régularité de l'avis de la mission ou de la présentation des capacités financières, seront en conséquence écartés, sans que les consorts E... puissent utilement se référer au nouvel avis de la mission qui, en tout état de cause, ne révèle pas d'éléments nouveaux ;

- subsidiairement ces moyens seront écartés.

Par des mémoires, enregistrés les 4 avril et 2 mai 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, M. A... E..., Mme J... E..., M. H... C..., Mme G... C... et M. I... F..., représentés par Me Echezar, concluent aux mêmes fins que leurs précédentes écritures, demandent en outre l'annulation de l'arrêté du 3 mars 2023 du préfet de la Sarthe modifiant son arrêté du 10 juillet 2015 et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que le nouvel avis émis par la mission régionale de l'autorité environnementale permet d'identifier de nouveaux vices entachant l'arrêté de 2015, dont certains en opposition avec l'arrêt du 21 juin 2022 :

- l'étude chiroptérologique est insuffisante, ainsi que souligné notamment par l'avis de la mission régionale d'autorité environnementale, s'agissant par exemple de l'étude en altitude en continu et sur un cycle biologique ;

- l'étude avifaunistique est insuffisante, ainsi que souligné notamment par l'avis de la mission, s'agissant de la caractérisation des enjeux alors que davantage d'espèces ont été identifiées, dont certaines protégées et sensibles aux éoliennes ;

- la présentation du bilan carbone est insuffisante et trompeuse faute de présentation des inconvénients du projet ;

- l'étude Natura 2000 est insuffisante ainsi que souligné notamment par l'avis de la mission, en raison de l'insuffisance de l'étude chiroptérologique ;

- les mesures paysagères compensatoires sont insuffisantes ;

- l'autorisation est irrégulière en l'absence d'autorisation de défrichement ;

- une demande de dérogation pour les espèces protégées s'imposait en l'espèce au regard de l'avifaune et des chiroptères en conséquence de l'avis de la mission.

Par un mémoire enregistré le 19 avril 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut aux mêmes fins que dans ses précédentes écritures.

Il ajoute que les nouveaux moyens soulevés par les consorts E... seront écartés et, subsidiairement, s'il devait être jugé qu'une demande de dérogation aux interdictions concernant les espèces protégées s'impose, qu'il y aura lieu de faire application des dispositions du II de l'article L. 181-18 du code de l'environnement.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 ;

- la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;

- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rivas,

- les conclusions de M. Mas, rapporteur public,

- les observations de Me Echezard, représentant les consorts C..., et de Me Boudrot, substituant Me Jeantet, représentant la société Ferme éolienne de Chenu.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 10 juillet 2015, modifié le 23 juillet suivant, le préfet de la Sarthe a autorisé la société Ferme éolienne de Chenu à exploiter cinq aérogénérateurs sur le territoire de la commune de Chenu. Par un jugement du 14 mai 2018, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme C... et autres tendant à l'annulation de cet arrêté. Par un arrêt du 4 octobre 2019, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par Mme C... et autres contre ce jugement. Par une décision du 7 juillet 2021, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la cour. Par un arrêt avant dire droit du 21 juin 2022 la cour a jugé que l'arrêté du 10 juillet 2015 était illégal en tant que l'avis de l'autorité environnementale émis le 23 septembre 2014 était irrégulier et que le public n'avait pas été suffisamment informé quant aux capacités financières de la société pétitionnaire. La cour a, en application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, sursis à statuer sur la demande de Mme C... et autres jusqu'à ce que le préfet de la Sarthe ait procédé à la transmission d'un arrêté de régularisation, soit jusqu'à l'expiration d'un délai de six ou de dix mois à compter de la notification de l'arrêt, selon qu'il serait fait usage de la procédure de consultation publique ou que serait organisée une enquête publique complémentaire. Par arrêté du 3 mars 2023 le préfet de la Sarthe a accordé à la société Ferme éolienne de Chenu une autorisation modificative d'exploiter dans le but de régulariser sa décision modifiée du 10 juillet 2015.

Sur la régularisation de l'arrêté du 10 juillet 2015 modifié par l'arrêté du 3 mars 2023 :

2. Aux termes de l'article L. 181-18 du code de l'environnement : " I. - Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : (...) 2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. (...) ".

3. À compter de la décision par laquelle le juge recourt à l'article L. 181-18 du code de l'environnement, seuls des moyens dirigés contre la mesure de régularisation notifiée, le cas échéant, au juge peuvent être invoqués devant ce dernier. À ce titre, les parties peuvent, à l'appui de la contestation de l'acte de régularisation, invoquer des vices qui lui sont propres et soutenir qu'il n'a pas pour effet de régulariser le vice que le juge a constaté dans sa décision avant dire droit. Les parties ne peuvent en revanche soulever aucun autre moyen, qu'il s'agisse de moyens déjà écartés par la décision avant dire droit ou de moyens nouveaux, à l'exception de ceux qui seraient fondés sur des éléments révélés par la procédure de régularisation.

En ce qui concerne l'avis de l'autorité environnementale :

4. Au point 20 de son arrêt du 21 juin 2022, la cour a jugé que l'avis du 23 septembre 2014 de l'autorité environnementale avait été émis dans des conditions qui ne répondaient pas aux exigences de la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, dès lors que la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement des Pays de la Loire a à la fois instruit la demande d'autorisation et préparé l'avis du 23 septembre 2014 de l'autorité environnementale. Il résulte de l'instruction que l'autorité environnementale désormais compétente, présentant les garanties d'impartialité requises, a rendu un nouvel avis le 17 mai 2022, qui a justifié la tenue du 21 novembre au 6 décembre 2022 d'une enquête publique complémentaire. L'autorisation initiale est ainsi régularisée sur ce point.

En ce qui concerne l'information du public sur les capacités financières de la pétitionnaire :

5. Au point 41 de l'arrêt du 21 juin 2022 de la cour, il est prescrit que dans l'hypothèse où une enquête publique complémentaire serait réalisée, les éléments relatifs aux capacités financières de la société Ferme éolienne de Chenu, qui n'avaient pas jusque-là été portés à la connaissance du public, le seraient dans ce cadre. Il résulte de l'instruction que l'information donnée sur ce point à l'occasion de l'enquête publique organisée en préalable à l'arrêté du 3 mars 2023 a été suffisante pour assurer une information complète du public, par la communication d'engagements écrits pris tant par les actionnaires de la société pétitionnaire en 2017 pour le financement de la construction et de l'exploitation du parc que par la société Europe II Soparfi le 11 juillet 2022 en conséquence d'une modification de l'actionnariat de la société pétitionnaire. L'autorisation contestée a ainsi été également régularisée sur ce second point.

En ce qui concerne l'étude d'impact :

6. Aux termes de l'article L. 122-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable au litige : " (...) V.- Lorsqu'un projet est soumis à évaluation environnementale, le dossier présentant le projet comprenant l'étude d'impact et la demande d'autorisation déposée est transmis pour avis à l'autorité environnementale ainsi qu'aux collectivités territoriales et à leurs groupements intéressés par le projet. / (...) L'avis de l'autorité environnementale fait l'objet d'une réponse écrite de la part du maître d'ouvrage. (...) ". Aux termes de l'article R. 122-7 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - L'autorité compétente pour prendre la décision d'autorisation du projet transmet pour avis le dossier comprenant l'étude d'impact et le dossier de demande d'autorisation aux autorités mentionnées au V de l'article L. 122-1. (...) / Lorsque l'autorité environnementale est la mission régionale d'autorité environnementale de l'inspection générale de l'environnement et du développement durable, la demande d'avis est adressée au service régional chargé de l'environnement (appui à la mission régionale d'autorité environnementale), qui prépare et met en forme, dans les conditions prévues à l'article R. 122-24, toutes les informations nécessaires pour que la mission régionale puisse rendre son avis. / II. - L'autorité environnementale se prononce dans les deux mois suivant la date de réception du dossier mentionné au premier alinéa du I. L'avis de l'autorité environnementale, dès son adoption, ou l'information relative à l'absence d'observations émises dans le délai, est mis en ligne sur internet. (...) ".

7. Les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant le dossier d'autorisation d'une installation classée pour la protection de l'environnement ne sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d'entacher d'irrégularité l'autorisation que si elles ont eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.

8. Les consorts C... soutiennent que l'avis émis le 17 mai 2022 par la mission régionale d'autorité environnementale (MRAE) sur le projet de parc éolien à Chenu révèle l'insuffisance de l'étude d'impact présentée à l'appui de la demande d'autorisation présentée par la société Ferme éolienne de Chenu, telle que complétée en 2022.

S'agissant de l'étude chiroptérologique :

9. L'arrêt du 21 juin 2022 de la cour administrative d'appel de Nantes écarte en son point 15 le moyen soulevé par les consorts C... tiré de ce que l'étude d'impact serait insuffisante s'agissant des chiroptères. Les requérants font désormais valoir que leur appréciation est néanmoins confortée par l'avis de la MRAE du 17 mai 2022 déplorant l'absence d'écoutes de ces mammifères en altitude et sur un cycle biologique entier de cinq mois, qui auraient permis de s'assurer d'une prise en compte exhaustive des espèces en présence. Cependant, ces éléments étaient déjà identifiés dans l'étude d'impact précédant l'arrêté préfectoral du 15 juillet 2015. Ainsi l'arrêt du 21 juin 2022 relève explicitement que l'étude d'impact identifiait déjà une richesse spécifique et un intérêt fort pour les espèces observées, en raison de la situation du projet en lisière de boisements constituant également une zone de chasse et de déplacement pour les chiroptères. Aussi, et alors qu'au surplus une écoute en altitude des chiroptères n'était pas imposée par la réglementation, il a déjà été répondu par la cour à ce moyen tiré de l'insuffisance de l'étude chiroptérologique, qui n'est pas fondé sur des éléments révélés par la procédure de régularisation. En conséquence, ce moyen doit être écarté pour inopérance.

S'agissant de l'étude avifaunistique :

10. L'arrêt du 21 juin 2022 de la cour administrative d'appel n'a pas retenu d'illégalité consécutive à une insuffisance de l'étude avifaunistique, et la société pétitionnaire a fait procéder dès 2021 à une actualisation de son étude d'impact, et non à une nouvelle étude. Les consorts C... font valoir, ainsi que le souligne la MRAE dans son avis du 17 mai 2022, que de nouvelles espèces ont été identifiées dans l'aire d'étude du projet lors de l'inventaire réalisé au printemps 2021, dont des espèces protégées en période de nidification. La circonstance soulignée par la mission que la caractérisation globale de l'enjeu du projet dans la zone d'implantation demeure néanmoins de niveau faible à modéré n'est pas davantage de nature à établir une insuffisance de l'étude d'impact, laquelle identifie les enjeux particuliers pour chacune des espèces patrimoniales identifiées, avec notamment un enjeu qualifié de " modéré à fort " pour le bruant jaune. Le moyen soulevé doit dès lors être écarté.

S'agissant du bilan carbone du projet :

11. Aux termes de l'article R. 122-5 du code de l'environnement dans sa rédaction applicable au litige : " (...) II. - En application du 2° du II de l'article L. 122-3, l'étude d'impact comporte les éléments suivants, en fonction des caractéristiques spécifiques du projet et du type d'incidences sur l'environnement qu'il est susceptible de produire : (...) 5° Une description des incidences notables que le projet est susceptible d'avoir sur l'environnement résultant, entre autres :/ a) De la construction et de l'existence du projet, y compris, le cas échéant, des travaux de démolition ; / b) De l'utilisation des ressources naturelles, en particulier les terres, le sol, l'eau et la biodiversité, en tenant compte, dans la mesure du possible, de la disponibilité durable de ces ressources ; / c) De l'émission de polluants, du bruit, de la vibration, de la lumière, la chaleur et la radiation, de la création de nuisances et de l'élimination et la valorisation des déchets ;/ f) Des incidences du projet sur le climat et de la vulnérabilité du projet au changement climatique ; (...) ".

12. Par référence à l'avis de la MRAE du 17 mai 2022, les consorts C... soutiennent qu'en méconnaissance des dispositions précitées, l'étude d'impact initiale du projet de parc éolien est insuffisante et trompeuse en ce qu'elle ne présente pas un bilan des gaz à effet de serre incluant les " énergies devant prendre le relais " de la production intermittente d'électricité par les éoliennes, non plus que les effets des phases de construction et de recyclage des éoliennes autorisées. Cependant il ne résulte pas des dispositions réglementaires précitées que de telles informations devaient figurer dans ce document ou dans son actualisation intervenue en 2022. Par ailleurs, dans son document édité en septembre 2022, intitulé " mémoire en réponse à l'avis de l'autorité environnementale " et soumis à enquête publique, la société pétitionnaire a présenté un tel bilan. Par suite, le moyen présenté doit, en tout état de cause, être écarté.

S'agissant de l'impact du projet sur les sites Natura 2000 situés à proximité :

13. Les consorts C... relèvent que dans son avis du 17 mai 2022 la MRAE indique qu'elle " ne peut pas conclure à l'absence d'impact sur les sites Natura 2000 à proximité " au regard de la situation des chiroptères présents dans certaines zones Natura 2000 proches de la zone d'implantation du projet, après avoir souligné le besoin d'une " mise à jour affinée des enjeux relatifs aux chiroptères " sur ce point. Cette question, ainsi que le souligne la mission, préexistait à l'étude d'impact complémentaire conduite dans le cadre de la procédure de régularisation. Le moyen nouveau soulevé par les consorts C... tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact conduite en 2013 et complétée en 2021 au regard des sites Natura 2000 proches de la zone d'implantation du projet ne constitue par ailleurs pas un élément révélé par la procédure de régularisation. Il doit être écarté en conséquence pour inopérance.

S'agissant des impacts du projet sur les paysages :

14. Mme C... et autres se bornent à citer partiellement l'avis de la MRAE de mai 2022 indiquant que " le dossier actualisé n'a pas apporté d'informations complémentaires quant à la définition du besoin de plantation de haies paysagères pour les riverains. Les modalités d'accès à cette mesure doivent être précisées ", pour soutenir qu'il existe " une insuffisance supplémentaire du dossier du pétitionnaire ". Cependant, une telle omission, sur un point ponctuel de l'étude d'impact, laquelle présente par ailleurs divers éléments de nature à permettre d'apprécier l'impact de ce projet sur le paysage, ne s'analyse pas comme une insuffisance de ce document de nature à nuire à l'information complète de la population ou à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative. Par ailleurs, dans son mémoire de septembre 2022 en réponse à l'avis de la mission, soumis à enquête publique, la société pétitionnaire a précisé les conditions dans lesquelles certains riverains pourront bénéficier de la plantation d'un maillage bocager. Par suite, ce moyen doit, en tout état de cause, être écarté.

S'agissant de l'absence d'autorisation de défrichement :

15. Aux termes de l'article L. 181-2 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable au présent litige : " I. -L'autorisation environnementale tient lieu, y compris pour l'application des autres législations, des autorisations, enregistrements, déclarations, absences d'opposition, approbations et agréments suivants, lorsque le projet d'activités, installations, ouvrages et travaux relevant de l'article L. 181-1 y est soumis ou les nécessite : (...) 11° Autorisation de défrichement en application des articles L. 214-13, L. 341-3, L. 372-4, L. 374-1 et L. 375-4 du code forestier (...). ".

16. Il résulte de ces dispositions que l'autorisation environnementale délivrée par le préfet de la Sarthe à la société Ferme éolienne de Chenu vaut autorisation de défrichement. Par conséquent, les consorts C... ne sont pas fondés à soutenir, en faisant référence à l'avis de la MRAE de mai 2022, que l'étude d'impact serait insuffisante faute de comporter une autorisation, distincte, de défrichement. Ce moyen doit donc, en tout état de cause, être écarté.

En ce qui concerne l'absence de demande de dérogation sur le fondement de l'article L. 411-2 du code de l'environnement :

17. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : / 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle (...) d'animaux de ces espèces (...) ;/ 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (... ) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " I. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : / (...) 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : (...) / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement (...) ". L'arrêté du 23 avril 2007 des ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement fixe la liste des mammifères terrestres protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection.

18. Il résulte de ces dispositions que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant, d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés, parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.

19. Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées ci-dessus, qui concerne les espèces de mammifères terrestres et d'oiseaux figurant sur les listes fixées par les arrêtés ministériels du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009, impose d'examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes.

20. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".

21. S'agissant de l'avifaune, il résulte de l'instruction que l'étude d'impact actualisée recense sur le site d'étude neuf espèces patrimoniales, dont certaines sont nouvelles par rapport à l'étude initiale. Une seule de ces espèces, le bruant jaune, en danger dans la région des Pays de la Loire, est vulnérable au plan national, les huit autres espèces étant classées au plan régional comme vulnérables, quasi-menacées ou de préoccupation mineure, et sont au plan national, considérées dans la plus défavorable des hypothèses, comme vulnérables. Après constat du caractère " classique " des effectifs de bruants jaunes dans l'aire d'étude, cette seule espèce est classée à enjeu modéré à fort par les auteurs de l'actualisation de l'étude d'impact réalisée en 2021, les autres espèces, dont la tourterelle des bois, aux effectifs faibles sur le site, étant classées à enjeu modéré ou faible à modéré. La même étude conclut qu'après prise en compte des mesures environnementales prévues, les niveaux d'impact sur la faune seront, tant en phase de travaux qu'en phase d'exploitation, faibles et non significatifs. Le commissaire enquêteur a pour sa part émis un avis favorable au projet. Toutefois l'avis de la MRAE de mai 2022 indique qu'en l'état du dossier qui lui a été soumis " le projet présenté ne permet pas de respecter le code de l'environnement " essentiellement en raison d'une " démonstration incomplète de la mise en œuvre de la démarche d'évitement et de réduction " au regard des " enjeux forts en présence " tant pour l'avifaune que pour les chiroptères.

22. Les consorts C..., reprenant l'avis de la MRAE, relèvent une contradiction entre l'appréciation portée par les auteurs de l'étude d'impact complémentaire sur le bruant jaune, la tourterelle des bois et le pic mar, aux enjeux qualifiés de modéré à fort pour le premier et de faible à modéré pour les deux autres espèces, alors que l'analyse synthétique finale portant sur la zone d'implantation prise dans son ensemble retient des enjeux faibles à modérés. Cependant la même étude retient pour les neuf espèces patrimoniales identifiées sur le site l'existence d'enjeux allant de faible pour trois espèces à " modéré à fort " pour le seul bruant jaune. Pour la tourterelle des bois et le pic mar, il est fait état d'un enjeu " modéré " (p. 60 de l'actualisation de l'étude d'impact). Ce n'est qu'au regard de l'analyse par secteurs de l'étude, zone boisée et autre zone, qu'il est indiqué que les enjeux sur les zones boisées du site d'implantation sont faibles à modéré (p. 61 de l'étude), ce qui n'est pas incohérent avec ce qui précède. Ni cet avis de la MRAE qui fait valoir que les études produites en 2015 et 2022 seraient insuffisantes, ce qui n'est pas démontré, ni les requérants, ne contredisent utilement les éléments de ces documents sur ce point précis concernant les espèces protégées au titre de l'avifaune. Les requérants se prévalent également d'études générales qui ne permettent pas d'extrapolation fiable sur les conséquences de la localisation du projet sur l'avifaune, ainsi que de relevés d'espèces effectués par des associations qui ne contredisent pas utilement les autres pièces de l'instruction. L'ensemble des éléments produits ne permettent ainsi pas de conclure à un risque suffisamment caractérisé pour les espèces d'avifaune protégées présentes sur le site, de nature à justifier le recours à une dérogation au sens de l'article L. 411-2 du code de l'environnement.

23. S'agissant des chiroptères, le grief soulevé par les consorts C..., tiré également de la nécessité de recourir à une dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées, ne porte ni sur les vices que la mesure de régularisation a pour objet de régulariser, ni sur des vices propres à cette mesure, et n'a pas été révélé par l'avis émis par l'autorité environnementale. Il est dès lors inopérant.

24. Il résulte des points précédents que le moyen tiré de ce que la société pétitionnaire était tenue de solliciter, sur le fondement de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, pour la réalisation de son projet de parc éolien, une dérogation aux interdictions de destruction d'espèces protégées prévues à l'article L. 411-1 du même code doit être écarté.

25. Il résulte de tout ce qui précède que les vices entachant l'arrêté du 10 juillet 2015 tirés de ce qu'il n'a pas été précédé d'un avis régulièrement émis par l'autorité environnementale et de ce que le public n'a pas été suffisamment informé quant aux capacités financières de la société pétitionnaire, relevés par l'arrêt avant dire droit de la cour du 21 juin 2022, ont été régularisés par l'arrêté préfectoral du 3 mars 2023. Par suite la requête présentée par les consorts C... et autres tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Sarthe du 10 juillet 2015 tel que modifié par l'arrêté du 3 mars 2023 doit être rejetée.

Sur les frais d'instance :

26. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens (...) ". Il résulte de ces dispositions que le paiement des sommes exposées et non comprises dans les dépens ne peut être mis à la charge que de la partie qui perd pour l'essentiel. La circonstance qu'au vu de la régularisation intervenue en cours d'instance, le juge rejette finalement les conclusions dirigées contre la décision initiale, dont le requérant était fondé à soutenir qu'elle était illégale et dont il est, par son recours, à l'origine de la régularisation, ne doit pas à elle seule, pour l'application de ces dispositions, conduire le juge à mettre les frais à sa charge ou à rejeter les conclusions qu'il présente à ce titre. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de rejeter l'ensemble des conclusions des parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... E..., de Mme D... E... et de Mme J... E..., venant aux droits de Mme B... E..., de M. H... C..., de Mme G... C... et de M. I... F..., est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la société Ferme éolienne de Chenu sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... C..., représentante unique désignée mandataire par Me Echezar, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, et à la société Ferme éolienne de Chenu.

Une copie en sera adressée pour information au préfet de la Sarthe.

Délibéré après l'audience du 9 juin 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Francfort, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- M. Frank, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 juin 2023.

Le rapporteur,

C. RIVAS

Le président,

J. FRANCFORT

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT01977


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT01977
Date de la décision : 27/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. FRANCFORT
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : LPA CGR

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-06-27;21nt01977 ?
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