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27/06/2023 | FRANCE | N°21NT02615

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 27 juin 2023, 21NT02615


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner solidairement le département de la Loire-Atlantique et le centre communal d'action sociale du Croisic à lui verser une somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral lié au fait de ne pas avoir été avertie immédiatement du décès de sa mère, résultant des négligences commises dans leurs missions de contrôle relatives à l'aide sociale, assortie des intérêts moratoires et de la capitalisation des intérêts.

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n jugement n° 1709409 du 5 février 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner solidairement le département de la Loire-Atlantique et le centre communal d'action sociale du Croisic à lui verser une somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral lié au fait de ne pas avoir été avertie immédiatement du décès de sa mère, résultant des négligences commises dans leurs missions de contrôle relatives à l'aide sociale, assortie des intérêts moratoires et de la capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 1709409 du 5 février 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Mme E... a demandé au Conseil d'Etat d'annuler ce jugement.

Par une ordonnance n° 451382 du 10 septembre 2021, le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis à la cour, en application des articles R. 351-1 et R. 811-1 du code de justice administrative, la requête présentée par Mme E....

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 16 et 29 septembre 2021 et le 21 mars 2022, Mme E..., représentée par la SCP Manuel Gros, Héloïse Hicter, Audrey d'Halluin et associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 5 février 2021 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de condamner solidairement le département de la Loire-Atlantique et le centre communal d'action sociale du Croisic à lui verser une somme de 20 000 euros en réparation du préjudice moral résultant de négligences commises dans le traitement administratif de la situation de sa mère avant son décès, assortie des intérêts moratoires et de la capitalisation des intérêts ;

3°) d'appeler à la cause Mme A... B... ;

4°) de mettre à la charge solidaire du département de la Loire-Atlantique et du centre communal d'action sociale du Croisic la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier du fait de son insuffisante motivation ;

- sa demande est recevable, alors même qu'elle n'a pas présenté de conclusions indemnitaires à l'encontre du centre hospitalier, eu égard à l'existence de l'unique fait générateur commis lors de l'instruction du dossier d'admission à l'aide sociale de sa mère par le département et le CCAS et aux conséquences de cette situation ;

- le département de la Loire-Atlantique et le CCAS, en qualité d'organismes instructeurs, ont commis des négligences fautives dans le traitement de la situation de sa mère, constitutives d'une faute de nature à engager leur responsabilité dès lors que Mme E... n'a consécutivement pas été avertie du décès de sa mère ; ce fait est à l'origine d'un préjudice moral dont elle sera indemnisée.

Par un mémoire enregistré le 14 décembre 2021, le centre communal d'action sociale (CCAS) du Croisic, représenté par Me Vendé, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de Mme E... une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la demande de première instance était irrecevable dès lors que sa réclamation indemnitaire préalable était également adressée à un centre hospitalier, où la mère de la requérante est décédée, et que Mme E... n'a pas engagé d'action juridictionnelle à l'encontre de ce dernier ;

- sa responsabilité ne peut être engagée alors que Mme E... n'a pas présenté de conclusions en annulation de sa décision implicite de rejet ;

- les moyens soulevés par Mme E... ne sont pas fondés en l'absence de faute du CCAS, subsidiairement en l'absence de lien de causalité direct avec le préjudice invoqué, du fait de l'existence de fautes exonératoires de responsabilité, et dès lors que la requérante n'a pas contesté le rejet de ses conclusions indemnitaires par le CCAS.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 février 2022, le département de la Loire-Atlantique, représenté par Me Naux, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de Mme E... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme E... ne sont pas fondés, en l'absence de faute de la collectivité.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rivas,

- les conclusions de M. Mas, rapporteur public,

- les observations de Me Robillard, représentant Mme E..., de Me Launay substituant Me Naux, représentant le département de la Loire-Atlantique et de Me Jaud substituant Me Vendé, représentant le CCAS du Croisic.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... E..., fille de Mme C..., décédée à l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) du Croisic le 4 mars 2012, a demandé au conseil départemental de la Loire-Atlantique et au centre communal d'action sociale (CCAS) du Croisic de l'indemniser, solidairement avec l'hôpital intercommunal de la presqu'île de Guérande gestionnaire de cet EHPAD, du préjudice moral résultant du fait qu'elle n'a pas été informée du décès de sa mère dans le délai qui lui aurait permis d'assister à ses obsèques. Par un jugement du 5 février 2021, dont Mme E... relève appel, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande indemnitaire présentée à l'encontre du département de la Loire-Atlantique et du CCAS du Croisic.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".

3. D'une part, si Mme E... soutient que le jugement du tribunal administratif de Nantes serait irrégulier faute, sans autre précision, de répondre à l'ensemble des moyens opérants dont il avait été saisi, une telle situation ne résulte pas de l'instruction. D'autre part, en son point 7, le jugement attaqué expose, avec la précision nécessaire, les motifs pour lesquels les premiers juges ont considéré qu'il n'existait pas de lien de cause à effet entre les fautes alléguées du département de la Loire-Atlantique et du CCAS du Croisic et le préjudice moral invoqué par Mme E... né du fait que l'hôpital intercommunal de la presqu'île de Guérande, gestionnaire de l'EHPAD du Croisic qui hébergeait sa mère, ne l'a pas prévenue, en 2012, du décès de cette dernière. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué au motif qu'il serait insuffisamment motivé doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la faute :

4. Aux termes de l'article L. 131-1 du code de l'action sociale et des familles : " Sous réserve de l'article L. 252-1, les demandes d'admission au bénéfice de l'aide sociale, à l'exception de celles concernant l'aide sociale à l'enfance, sont déposées au centre communal ou intercommunal d'action sociale ou, à défaut, à la mairie de résidence de l'intéressé. / Les demandes donnent lieu à l'établissement d'un dossier par les soins du centre communal ou intercommunal d'action sociale. Celui-ci peut utiliser à cet effet des visiteurs-enquêteurs. / Les demandes sont ensuite transmises, dans le mois de leur dépôt, au représentant de l'Etat ou au président du conseil départemental qui les instruit avec l'avis du centre communal ou intercommunal d'action sociale ou, à défaut, du maire (...). ". Aux termes de l'article L. 131-2 du même code : " La décision d'admission à l'aide sociale est prise par le représentant de l'Etat dans le département pour les prestations qui sont à la charge de l'Etat en application de l'article L. 121-7 et par le président du conseil départemental pour les autres prestations prévues au présent code. ". Et aux termes de l'article L. 133-4 de ce code : " (...) Le président du conseil départemental et le représentant de l'Etat dans le département peuvent obtenir la communication des informations nécessaires pour exercer leurs pouvoirs en matière sanitaire et sociale. (...) ".

5. Il résulte par ailleurs de l'article L. 132-6 du code de l'action sociale et des familles que : " Les personnes tenues à l'obligation alimentaire instituée par les articles 205 et suivants du code civil sont, à l'occasion de toute demande d'aide sociale, invitées à indiquer l'aide qu'elles peuvent allouer aux postulants et à apporter, le cas échéant, la preuve de leur impossibilité de couvrir la totalité des frais. / (...) La proportion de l'aide consentie par les collectivités publiques est fixée en tenant compte du montant de la participation éventuelle des personnes restant tenues à l'obligation alimentaire. (...) ". Et aux termes de l'article R. 132-9 du même code : " Pour l'application de l'article L. 132-6, le postulant fournit, au moment du dépôt de sa demande, la liste nominative des personnes tenues envers lui à l'obligation alimentaire définie par les articles 205 à 211 du code civil, lorsqu'il sollicite l'attribution d'une prestation accordée en tenant compte de la participation de ses obligés alimentaires. / Ces personnes sont invitées à fixer leur participation éventuelle aux dépenses susceptibles d'être engagées en faveur du postulant ou à l'entretien de ce dernier. / La décision prononcée dans les conditions prévues par l'article L. 131-2 est notifiée à l'intéressé et, le cas échéant, aux personnes tenues à l'obligation alimentaire en avisant ces dernières qu'elles sont tenues conjointement au remboursement de la somme non prise en charge par le service d'aide sociale et non couverte par la participation financière du bénéficiaire. A défaut d'entente entre elles ou avec l'intéressé, le montant des obligations alimentaires respectives est fixé par l'autorité judiciaire de la résidence du bénéficiaire de l'aide sociale. ".

6. Il résulte d'une part des dispositions citées au point 4 que les demandes d'aide sociale qu'elles prévoient sont, dans certaines hypothèses dont celle ici en cause, déposées auprès du CCAS compétent, lequel établit un dossier de demande. Le dossier est ensuite transmis au conseil départemental concerné qui instruit la demande au vu de l'avis donné par le CCAS. Enfin la décision est prise par le président de la collectivité. D'autre part, il résulte des dispositions citées au point 5 qu'à l'occasion d'une demande d'aide sociale le postulant informe l'administration de la liste des personnes assujetties à son égard à l'obligation alimentaire prévue par les articles 205 et suivant du code civil et que celles-ci sont invitées par l'administration à indiquer, notamment, l'aide qu'elles peuvent apporter à l'intéressé avant que le président du conseil départemental, dans l'hypothèse d'une prestation qui n'est pas à la charge de l'Etat, ne statue.

7. Il résulte de l'instruction que le formulaire de demande d'aide sociale renseigné et signé par Mme A... B..., sœur de Mme E..., pour Mme C..., leur mère, lors de l'admission de cette dernière en 2009 dans un EHPAD de la Loire-Atlantique ne prévoyait pas que les intéressés indiquent la ou les personnes redevables de l'obligation alimentaire. Il ressort par ailleurs d'une attestation de la personne chargée d'établir le dossier de Mme C... au CCAS du Croisic que celle-ci a disposé du dernier livret de famille de l'intéressée, ne mentionnant l'existence d'aucun enfant dès lors que Mme C... s'était remariée et, qu'interrogée sur l'existence du premier livret de famille, Mme B... a indiqué qu'elle n'en disposait pas. Il ne résulte ainsi ni de cette attestation, ni d'aucune autre pièce que le CCAS aurait recherché s'il existait, outre Mme B..., une autre personne redevable de l'obligation alimentaire à l'égard de Mme C..., ne serait-ce qu'en interrogeant cette dernière, qui n'était ni sous tutelle ni sous curatelle, ou en actionnant un visiteur-enquêteur, comme prévu à l'article L. 131-1 du code de l'action sociale et des familles. Saisis de l'instruction de cette demande incomplète par la transmission par le CCAS du dossier de Mme C..., les services du département de la Loire-Atlantique n'ont pas davantage recherché s'il existait une autre personne redevable de l'obligation alimentaire, alors même que les pièces dont ils disposaient ne permettaient pas de préciser ce point et qu'ils pouvaient également, en application de l'article L. 133-4 du code de l'action sociale et des familles, demander la communication de cette information. Ces lacunes, qui ont eu une incidence sur l'utilisation des fonds publics engagés par le département, n'ont pas permis à Mme E... de satisfaire à ses obligations alimentaires à l'égard de sa mère. Dans ces conditions, faute pour le CCAS du Croisic d'avoir invité Mme C... à déterminer l'ensemble des redevables de l'obligation alimentaire à son égard, et pour le département de la Loire-Atlantique d'avoir sollicité les mêmes informations alors que le dossier qui lui était soumis par le CCAS était incomplet sur ce point, Mme E... est fondée à soutenir le CCAS du Croisic et le département de la Loire-Atlantique ont commis des fautes dans l'instruction de la demande d'aide sociale à l'hébergement présentée à l'occasion de l'entrée de Mme C... à l'EHPAD du Croisic.

En ce qui concerne le lien de causalité :

8. La responsabilité d'une personne publique n'est susceptible d'être engagée que s'il existe un lien de causalité suffisamment direct entre les fautes qu'elle a commises et le préjudice dont la victime demande réparation.

9. Le dommage dont se prévaut Mme E... et pour lequel elle sollicite l'indemnisation de son préjudice moral tient au fait qu'elle n'a pas été informée par l'EHPAD du Croisic du décès de sa mère survenu le 4 mars 2012, l'établissement ayant expliqué qu'il ignorait son existence même. Ainsi qu'il a été exposé au point précédent, les fautes commises par le département de la Loire-Atlantique et le CCAS du Croisic sont uniquement en lien avec la gestion administrative de la demande d'aide sociale de Mme C.... Or il ne résulte pas de l'instruction que si ces demandes avaient été correctement instruites, Mme E... aurait été informée par l'EHPAD, entité juridique distincte du département et du CCAS, du décès de sa mère, alors que cette dernière n'a manifestement pas souhaité l'informer de son entrée dans cet établissement en 2009. Au surplus, il n'existait pas d'obligation pour le département de la Loire-Atlantique ou le CCAS du Croisic, lorsqu'il ont eu connaissance du décès de Mme C..., d'en informer Mme E..., et a fortiori dans des conditions qui lui auraient permis d'assister aux obsèques de sa mère. Par suite, eu égard à l'absence de lien direct et certain entre les fautes identifiées commises par le département de la Loire-Atlantique et le CCAS du Croisic et le dommage dont Mme E... demande à être indemnisée, né du fait qu'elle n'a pas été informée du décès de sa mère par l'EHPAD où celle-ci s'est éteinte, sa demande indemnitaire ne peut qu'être rejetée.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées par le CCAS du Croisic ni de procéder à la mesure d'instruction sollicitée, que Mme E... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les frais d'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par Mme E.... Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de cette dernière les sommes demandées au titre des frais exposés respectivement par le département de la Loire-Atlantique et le CCAS du Croisic.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.

Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E..., au département de la Loire-Atlantique et au centre communal d'action sociale du Croisic.

Délibéré après l'audience du 9 juin 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Francfort, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- M. Frank, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 juin 2023.

Le rapporteur,

C. RIVAS

Le président,

J. FRANCFORT

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au préfet de la Loire-Atlantique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT02615


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT02615
Date de la décision : 27/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. FRANCFORT
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : SCP MARLANGE-DE LA BURGADE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-06-27;21nt02615 ?
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