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17/11/2023 | FRANCE | N°22NT02908

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 17 novembre 2023, 22NT02908


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Sogea Nord-Ouest a demandé au tribunal administratif de Caen, à titre principal, de condamner la commune de Carpiquet à lui verser une somme de 541 501,55 euros TTC, à titre subsidiaire, de condamner solidairement les sociétés Atelier Arcos Architecture, prise en la personne de Me Gorrias en sa qualité de liquidateur judiciaire, et Atelier B+H, prise en la personne de Mme A... en sa qualité de liquidateur judiciaire, à lui verser une somme de 462 857,75 euros TTC, à titre plus subsidiaire, de

condamner solidairement ces deux sociétés avec la société SNTPF, venant a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Sogea Nord-Ouest a demandé au tribunal administratif de Caen, à titre principal, de condamner la commune de Carpiquet à lui verser une somme de 541 501,55 euros TTC, à titre subsidiaire, de condamner solidairement les sociétés Atelier Arcos Architecture, prise en la personne de Me Gorrias en sa qualité de liquidateur judiciaire, et Atelier B+H, prise en la personne de Mme A... en sa qualité de liquidateur judiciaire, à lui verser une somme de 462 857,75 euros TTC, à titre plus subsidiaire, de condamner solidairement ces deux sociétés avec la société SNTPF, venant aux droits de la société Leroyer, la société Masselin Energie, venant aux droits de la société Cégélec, et la société Elairgie Argentan, venant aux droits de la société Sani Chauffage, à lui verser une somme de 436 514,40 euros TTC, ces sommes devant être assorties des intérêts moratoires et de la capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 1802202 du 30 juin 2022, le tribunal administratif de Caen a condamné la commune de Carpiquet à verser à la société Sogea Nord-Ouest une somme de 8 964 euros TTC, assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts (article 1er), a rejeté le surplus des conclusions de la requête (article 2), a rejeté les conclusions de la commune de Carpiquet (article 3) et a mis à la charge de la société Sogea Nord-Ouest les frais d'expertise (article 4) ainsi que la somme de 500 euros à verser aux sociétés Elairgie Argentan, SNTPF, Masselin Energie et Apave Nord-Ouest au titre des frais liés au litige (article 5).

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 septembre 2022 et 2 mai 2023, la société Sogea Nord-Ouest, représentée par Me Griffiths, demande à la cour :

1°) de réformer les articles 1er, 2, 4 et 5 du jugement du 30 juin 2022 du tribunal administratif de Caen ;

2°) à titre principal, d'une part, de condamner la commune de Carpiquet à lui verser une somme de 50 809,90 euros TTC au titre de sa dernière situation de travaux, d'autre part, de condamner la commune de Carpiquet et les sociétés Atelier Arcos Architecture, devenue Agence Lignes et Architectures, prise en la personne de Me Gorrias, liquidateur judiciaire, et B+H Architecture, prise en la personne de Mme A..., liquidateur judiciaire, à lui payer une somme de 310 901,28 euros TTC au titre de sa rémunération complémentaire, ces sommes étant assorties des intérêts moratoires et de la capitalisation des intérêts ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner la commune de Carpiquet à lui verser une somme de 50 809,90 euros TTC au titre de sa dernière situation de travaux et de 310 901,28 euros TTC au titre de sa rémunération complémentaire, assortie des intérêts moratoires et de la capitalisation des intérêts ;

4°) à titre plus subsidiaire, de condamner les sociétés Atelier Arcos Architecture, devenue Agence Lignes et Architectures, prise en la personne de Me Gorrias, et B+H Architecture prise en la personne de Mme A..., liquidateur judiciaire, la somme de 310 901,28 euros TTC au titre de sa rémunération complémentaire, assortie des intérêts moratoires et de la capitalisation des intérêts ;

5°) en tout état de cause, de rejeter toute condamnation dirigée à son encontre ;

6°) de mettre à la charge de la commune de Carpiquet, de la société Atelier Arcos Architecture et de la société Atelier B+H une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les frais d'expertise.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors, d'une part, qu'il a relevé à tort un moyen qui n'était pas d'ordre public tiré de l'absence de " demande d'indemnisation préalable ", d'autre part, ce moyen n'a pas été régulièrement communiqué aux parties ; elle a présenté une " demande d'indemnisation préalable " avec son projet de décompte final ;

- les premiers juges ont commis une erreur de droit en faisant application de l'article R. 421-1 du code de justice administrative au litige ; ils ont dénaturé les pièces du dossier ;

- elle est fondée à demander le paiement d'une somme en principal de 50 809,90 euros TTC, assortie des intérêts moratoires calculés par l'expert à la somme de 24 833,90 euros à la date du 1er janvier 2018, soit la somme de 75 643,80 euros TTC ;

- elle doit être indemnisée à hauteur de 5 980 euros HT au titre de la surconsommation de gros béton pour les fondations, soit 7 176 euros TTC ;

- elle doit être indemnisée d'une somme de 78 900 euros HT, par la société Arcos Architecture, en sa qualité de mandataire du groupement solidaire de maîtrise d'œuvre, et par la société Atelier B+ H, sur le fondement de la responsabilité extra-contractuelle, mais aussi par le maître d'ouvrage, compte-tenu de la perturbation de l'avancement des travaux avec la suspension de ces travaux pour six semaines suivant ordre de service notifié par la maîtrise d'œuvre le 18 juillet 2005 ; en effet, le maître d'ouvrage est resté passif devant les difficultés liées à l'établissement des plans de synthèse par le maître d'œuvre et a décidé tardivement d'installer la fibre optique ; ce préjudice ne fait pas doublon avec ceux relatifs à la prolongation du chantier ;

- elle doit être indemnisée d'une somme de 173 969 euros HT, par la société Arcos Architecture, en sa qualité de mandataire du groupement solidaire de maîtrise d'œuvre, et par la société Atelier B+ H, sur le fondement de la responsabilité extra-contractuelle, mais aussi par le maître d'ouvrage, au titre des pertes de frais de chantier pour la prolongation de l'exécution du marché d'une durée de 40 semaines en raison des différents ordres de service et avenants qui lui ont été notifiés ; les deux premiers avenants n'indiquent pas que les coûts des délais supplémentaires sont inclus dans ces prix, contrairement aux six avenants suivants, et ne peuvent être réputés comprendre ces coûts en vertu de l'article 10.11 du CCAG-Travaux ; les avenants n° 2 et 3 comportaient des réserves sur les délais supplémentaires ;

- il convient d'ajouter à ces sommes la somme de 23 631,90 euros au titre de la révision des prix et de déduire la somme de 30 000 euros au titre des gains de chantier ;

- la capitalisation des intérêts devait intervenir à la date du dépôt de la requête, soit au 12 septembre 2018 puisqu'ils étaient dus depuis au moins une année, le point de départ des intérêts ayant été fixé par le tribunal au 1er avril 2008 ;

- les frais d'expertise et les frais irrépétibles auraient dû être mis à la charge exclusive de la commune de Carpiquet et de la maîtrise d'œuvre, compte-tenu des fautes retenues par l'expert.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 février 2023, la commune de Carpiquet, représentée par Me Salmon, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de la société Sogea Nord-Ouest ;

2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement du 30 juin 2022 en tant qu'il a fait droit à la demande de la société Sogea Nord-Ouest au titre des travaux supplémentaires relatifs à l'habillage de la nourrice et à la serrurerie ;

3°) de mettre à la charge de la société Sogea Nord-Ouest une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les travaux liés à l'habillage de la nourrice du bassin étaient prévus au marché et ne présentaient pas un caractère indispensable ; ils se rattachent à la mission étanchéité de Sogea Nord-Ouest et ne sauraient être considérés comme une prestation supplémentaire ; au demeurant, la société ne démontre pas le caractère indispensable de ces travaux qui ne sont pas une condition au bon fonctionnement de l'ouvrage ; cet habillage ne vise qu'à prévenir les risques d'infiltration et à garantir la parfaite intégration dans l'architecture du bâtiment ;

- les travaux liés à la serrurerie ne sont pas des travaux supplémentaires mais sont inclus dans la mission de métallerie ; au demeurant, la société Sogea Nord-Ouest ne démontre pas en quoi ces travaux étaient indispensables ;

- la demande d'indemnisation adressée par la société Sogea Nord-Ouest à la commune ne portait pas sur la dernière situation de travaux d'un montant de 75 643,80 euros HT et ces conclusions tendant au versement de cette somme sont irrecevables ;

- les autres moyens soulevés par la société Sogea Nord-Ouest ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à Me Gorrias en qualité de liquidateur judiciaire de la société Atelier Arcos Architecture et à Mme A... en qualité de liquidateur de la société Atelier B+H, qui n'ont pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le décret n°76-87 du 21 janvier 1976 approuvant le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Chollet,

- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Maerten, substituant Me Griffiths, représentant la société Sogea Nord-Ouest.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Carpiquet a entrepris la construction d'un centre aqualudique. La maîtrise d'œuvre de cette opération a été confiée, par acte d'engagement du 20 mars 2003, à un groupement d'entreprises constitué par la société Atelier Arcos architecture, mandataire commun du groupement, la société Atelier B+H, maître d'œuvre d'exécution et différents intervenants. La société Atelier Arcos architecture a été chargée d'une mission d'ordonnancement, de pilotage et de coordination des travaux (OPC). Le marché a été divisé en 18 lots. Le lot n°2 " Macro-Lot " comprenant " le gros œuvre, charpente bois, bardage bois, charpente métallique, couverture mobile et couverture amovible, bardage métallique, étanchéité, métallerie, menuiseries extérieures et nettoyage " a été confié à la société Sogea Nord-Ouest, qui a sollicité quinze sous-traitants. Les travaux ont été réceptionnés le 28 juin 2007 avec réserves. La société Sogea Nord-Ouest a adressé le 3 décembre 2007 à la maîtrise d'œuvre son projet de décompte final, qui portait en outre sur la réclamation d'une somme de 346 516 euros HT correspondant d'une part, à la rémunération de travaux supplémentaires à hauteur de 18 419,78 euros HT, d'autre part, à une demande d'indemnisation d'un préjudice du fait de l'allongement de la durée du marché. Compte-tenu du silence de la commune, elle a sollicité le juge des référés du tribunal administratif de Caen qui, par une ordonnance du 18 mai 2009, a désigné un expert qui a remis son rapport le 21 novembre 2017. La société Sogea Nord-Ouest relève appel du jugement du 30 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Caen a seulement condamné la commune de Carpiquet à lui verser une somme de 8 964 euros TTC, assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts (article 1er), a rejeté le surplus des conclusions de la requête (article 2), et a mis à sa charge les frais d'expertise (article 4) ainsi que ceux liés au litige (article 5). La commune de Carpiquet demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation de l'article 1er de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Les parties ont été informées par un courrier du 20 mai 2022 de ce que le tribunal était susceptible de soulever, sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, un moyen d'ordre public tiré de " l'irrecevabilité des conclusions tendant au versement de la somme de 75 643,80 euros correspondant à la dernière situation de travaux, dès lors que cette somme n'a pas fait l'objet d'une demande d'indemnisation préalable ". Cette information précise a permis aux parties de connaître le moyen susceptible de fonder la décision du tribunal et, par suite, de le discuter utilement. En outre, la société Sogea Nord-Ouest ne justifie pas en quoi ce moyen n'aurait pas été régulièrement communiqué aux parties. Par suite, le jugement attaqué n'est pas entaché d'irrégularité pour ce motif.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le paiement d'une somme de 75 643,80 euros TTC :

3. La société Sogea Nord-Ouest demande le paiement d'une somme de 50 809,90 euros TTC au titre de la dernière situation de travaux, assortie des intérêts moratoires tels que calculés par l'expert au 1er janvier 2018, soit 24 833,90 euros. Elle précise que cette demande a fait l'objet d'une réclamation préalable en apparaissant sur le projet de décompte final où elle avait alors fixé cette somme à 67 511,23 euros HT. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'expert ne disposait pas des situations de travaux et que la somme de 50 809,90 euros TTC qu'il a calculée correspond à la différence entre le total des travaux figurant dans l'acte d'engagement et des travaux modificatifs notifiés et les sommes encaissées par Sogea. Il ne s'est ainsi basé que sur des flux financiers pour établir le montant de la dernière situation de travaux. Dès lors, en l'absence de précisions sur ce que recouvrent les prestations ou travaux qui resteraient à payer à Sogea par la commune de Carpiquet à ce titre, permettant d'établir leur réalité, et alors même que la maîtrise d'œuvre avait fixé le solde de la situation de travaux à 91 888 euros HT, il n'y a pas lieu de faire droit à cette demande.

En ce qui concerne le paiement d'une somme de 5 980 euros HT :

4. Lorsqu'une entreprise demande le paiement de travaux supplémentaires réalisés dans le cadre d'un marché public de travaux à prix global et forfaitaire, il lui appartient tout d'abord d'établir que ces travaux n'étaient pas compris dans le prix de son marché. Le cas échéant, il lui appartient d'établir soit que la réalisation de ces travaux lui a été demandée par ordre de service du maître d'œuvre, soit, en l'absence d'ordre de service écrit ou même d'ordre verbal, que ceux-ci étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art. La seule circonstance que les travaux aient été utiles au maître d'ouvrage n'est pas suffisante pour en obtenir le paiement.

5. Il résulte de l'instruction, notamment de l'article 2.1.0.14.2 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du lot n° 2 attribué à la société Sogea Nord-Ouest que, s'agissant des bétons, " Une étude préliminaire de faisabilité géotechnique a été réalisée par CEBTP. / Le rapport de sondage est annexé au présent dossier et l'entrepreneur doit en tirer les conclusions nécessaires en ce qui concerne la nature des terres, leur résistance etc.. / Il lui appartiendra de procéder à un examen du terrain et de faire exécuter à ses frais des sondages complémentaires s'il le juge utile, étant entendu qu'il sera donné un prix forfaitaire pour l'ensemble des terrassements et fondations. / Le prix pour l'ensemble des terrassements et fondations étant forfaitaire, les erreurs de quantités, divergences et ambiguïtés de toutes sortes pouvant apparaître dans la décomposition des prix, ne pourront en aucun cas conduire à une modification du montant porté dans les pièces du marché. ". Il est constant que l'étude du centre d'expertise du bâtiment et des travaux publics (CEBTP) situait le niveau du calcaire à la côte de 47,50 NGF et qu'il est apparu pendant l'exécution des travaux que le toit du calcaire rocheux n'a été rencontré qu'au-dessous de la côte de 47,05 NGF, soit 45 cm plus profond que prévu. Il en a résulté que les quantités de béton mises en œuvre ont été de l'ordre de 260 m3 alors que le détail quantitatif estimatif du marché prévoyait la mise en œuvre de 208 m3 de béton, soit un supplément de 52 m3. Toutefois, la circonstance qu'il y ait eu un surcoût dû à une erreur de conception, au demeurant sans gravité, ou un manque de prudence, ne suffit pas à démontrer que la mise en œuvre de béton pour une volumétrie supérieure constituerait des travaux supplémentaires nécessitant leur remboursement dans le cadre du marché à forfait. Aucune faute de la commune de Carpiquet, qui s'est adjoint les services du centre d'expertise du bâtiment et des travaux publics pour être garantie contre les mauvaises surprises techniques comme celle relevant de l'imprécision du niveau du calcaire, n'est de nature à engager sa responsabilité contractuelle. Par suite, la société Sogea Nord-Ouest ne peut demander le versement d'une somme de 5 980 euros HT, soit 7 176 euros TTC, à ce titre.

En ce qui concerne le paiement d'une somme de 78 900 euros HT :

6. Le maître d'œuvre et le maître d'ouvrage ont notifié à la société Sogea Nord-Ouest un ordre de service de suspension des travaux pour une durée de six semaines à compter du 18 juillet 2005. La société demande le paiement d'une somme de 78 900 euros HT en réparation du préjudice lié à cette suspension et se prévaut de l'expertise judiciaire qui a estimé le coût des frais de chantier pendant cette durée.

7. En premier lieu, les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.

8. D'une part, il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise, que " les fibres optiques incorporées à la demande du maître d'ouvrage n'ont pas entraîné un arrêt complet du chantier ". La société Sogea Nord-Ouest a d'ailleurs précisé devant les premiers juges " qu'elle ne prétend pas (...) qu'elle n'a pu travailler en aucun cas sur cette zone mais que ces travaux ont simplement été désorganisés par la réalisation des travaux complémentaires confiés à Cégélec et que ses équipes ont, par voie de conséquence, travaillé en sous activité pendant la durée des travaux confiés à Cégélec ". Il en résulte que la société n'est pas fondée à invoquer une faute de la commune de Carpiquet consistant en la prise de décision tardive d'installer la fibre optique.

9. D'autre part, contrairement à ce que soutient la société Sogea Nord-Ouest, il ne résulte d'aucun élément de l'instruction qu'une faute pourrait être imputée à la commune de Carpiquet s'agissant des difficultés d'établissements des plans de synthèse par le maître d'œuvre.

10. En outre, si la société Sogea Nord-Ouest soutient que la commune de Carpiquet est demeurée passive devant les difficultés ayant conduit à la suspension du chantier en juillet 2005, elle n'assortit ces allégations d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé.

11. Enfin, les causes de la suspension des travaux alléguées par la société Sogea Nord-Ouest ne peuvent être regardées comme des sujétions imprévues.

12. En second lieu, dans le cadre d'un litige né de l'exécution de travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n'est lié par aucun contrat, notamment s'ils ont commis des fautes qui ont contribué à l'inexécution de ses obligations contractuelles à l'égard du maître d'ouvrage, sans devoir se limiter à cet égard à la violation des règles de l'art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires. Il peut en particulier rechercher leur responsabilité du fait d'un manquement aux stipulations des contrats qu'ils ont conclus avec le maître d'ouvrage.

13. La société Sogea Nord-Ouest soutient que les sociétés Atelier Arcos Architecture, devenue Agence Lignes et Architectures, prise en la personne de Me Gorrias, liquidateur judiciaire, et B+H Architecture, pris en la personne de Mme A..., liquidateur judiciaire, sont responsables des problèmes liés à la validation des plans de fondations, canalisations, niveau -1 et RDC ainsi que des erreurs dans les plans de synthèse et que la suspension du chantier est liée à ces difficultés. Toutefois, il ressort sans ambiguïté des termes de l'expertise que l'expert " n'est pas en mesure d'indiquer si le maître d'œuvre a une part de responsabilité dans l'ordre de service de suspension des travaux ". Par ailleurs, la société Sogea Nord-Ouest n'apporte aucun élément permettant d'établir que ces deux sociétés du groupement de maîtrise d'œuvre ont commis des fautes qui ont contribué à l'inexécution de ses obligations contractuelles à l'égard du maître d'ouvrage. Dans ces conditions, la responsabilité quasi-délictuelle des sociétés précitées ne peut être engagée.

En ce qui concerne le paiement d'une somme de 173 969 euros HT :

14. Aux termes de l'article 10 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) - Travaux, applicable au marché : " Contenu et caractère des prix. / 10.1. Contenu des prix : / 10.11. Les prix sont réputés comprendre toutes les dépenses résultant de l'exécution des travaux, y compris les frais généraux, impôts et taxes, et assurer à l'entrepreneur une marge pour risques et bénéfice. Sauf stipulation contraire, ils sont indiqués dans le marché hors taxe à la valeur ajoutée (T.V.A.). / A l'exception des seules sujétions mentionnées dans le marché comme n'étant pas couvertes par les prix, ceux-ci sont réputés tenir compte de toutes les sujétions d'exécution des travaux qui sont normalement prévisibles dans les conditions de temps et de lieu où s'exécutent ces travaux (...) ".

15. Il résulte de l'instruction que les deux premiers avenants au marché, datés du 25 avril 2005 et 31 août 2005, n'ont pas pour objet de modifier le délai global des travaux. Si des courriers et devis de la société indiquent que ces travaux impliquent le décalage du planning d'une semaine, la société Sogea Nord-Ouest n'apporte aucun élément de nature à établir que les prix des avenants n'incluaient pas le coût du délai supplémentaire, ni ne justifie la réalité des coûts supplémentaires exposés. Il en va de même pour les avenants n° 3 à 8 qui indiquent explicitement que " le coût des délais supplémentaires est inclus dans l'offre de l'entreprise, elle ne pourra prétendre à aucune autre indemnité que le montant stipulé du devis ", conformément à l'article 10.11 du CCAG. La société ne justifie pas non plus d'une faute de la commune de Carpiquet ayant conduit à la prolongation du chantier de quarante semaines. Par suite, la société Sogea Nord-Ouest n'est pas fondée à demander à la commune de Carpiquet le versement de la somme de 173 969 euros HT au titre des frais de chantier correspondant à ce décalage. Elle n'est pas davantage fondée, par voie de conséquence, à soutenir que les sociétés Atelier Arcos Architecture, prise en la personne de Me Gorrias, liquidateur judiciaire, et Atelier B+H Architecture, prise en la personne de Mme A..., liquidateur judiciaire, doivent être condamnées au versement de cette somme au motif que la maîtrise d'œuvre aurait fait une " analyse erronée de cette demande ".

En ce qui concerne la capitalisation des intérêts :

16. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée dans la requête enregistrée devant le tribunal administratif le 12 septembre 2018. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 12 septembre 2018, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

17. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par la commune de Carpiquet, que la société Sogea Nord-Ouest est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a fixé la date de la capitalisation des intérêts au 1er janvier 2019.

Sur l'appel incident de la commune de Carpiquet :

18. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la société Sogea Nord-Ouest a réalisé, sur demande de la maîtrise d'œuvre, après devis du 28 juillet 2006, des travaux d'habillage en maçonnerie de la nourrice du bassin compte-tenu des missions d'étanchéité qui lui avaient été confiées au point 7 du cahier des clauses techniques particulières de son lot n° 2. Alors même que l'ordre de service à l'avenant n° 7 du 1er août 2006, produit par la Sogea Nord-Ouest, n'a été signé ni par elle ni au demeurant par la commune de Carpiquet et est ainsi irrégulier, la société Sogea Nord-Ouest peut toutefois être indemnisée des dépenses qui se sont révélées utiles à la commune de Carpiquet. Or, il résulte de l'instruction que ces travaux, outre leur caractère esthétique pour camoufler la nourrice du bassin posée par une autre entreprise, avaient pour objet la pose de parpaings et d'enduit ciment autour de la nourrice dans le but de prévenir toute infiltration et présentent ainsi un caractère utile pour le maître d'ouvrage. Dans ces conditions, la commune n'est pas fondée à soutenir que la société Sogea Nord-Ouest n'aurait pas dû être rémunérée pour ces travaux.

19. En second lieu, il est constant qu'en cours de réunion de chantier du 27 mars 2007, le maître d'œuvre a demandé à la société Sogea Nord-Ouest d'établir un devis pour la pose d'éléments complémentaires de serrurerie nécessaires pour assurer la protection collective d'accès aux terrasses. La société a exécuté ces travaux sans ordre de service. Toutefois, ces travaux, qui ont consisté en la pose d'un arceau complémentaire et d'une main courante, ne faisaient pas partie de la mission métallerie confiée à l'intéressée et présentent un caractère indispensable à la réalisation de l'ouvrage pour des raisons de sécurité, contrairement à ce que soutient la commune de Carpiquet, qui n'est pas fondée à soutenir que la société Sogea Nord-Ouest n'aurait pas dû être indemnisée d'une somme de 1 980 euros HT.

20. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Carpiquet n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes l'a condamnée à verser à la Sogea Nord-Ouest une somme de 8 964 euros TTC.

Sur les frais d'expertise :

21. La société Sogea Nord-Ouest, qui ne peut utilement se prévaloir des conclusions de l'expert qui a estimé qu'elle était fondée à leur demander la somme de 541 501,55 euros TTC au titre de son indemnisation, ne justifie pas en quoi les frais d'expertise, d'un montant total de 55 621,19 euros TTC, devraient être mis exclusivement à la charge de la commune de Carpiquet, ou " éventuellement " à la charge de la maîtrise d'œuvre alors qu'elle est également partie perdante au litige.

Sur les frais liés au litige :

22. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à chacune des parties la charge des frais exposés à l'occasion de la présente instance d'appel et, ainsi, de rejeter l'ensemble des conclusions présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Les intérêts échus à la date du 12 septembre 2018 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : L'article 1er du jugement du 9 juin 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1 du présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Sogea Nord-Ouest, à la commune de Carpiquet, à Me Gorrias en qualité de liquidateur judiciaire de la société Atelier Arcos Architecture, à Mme A... en qualité de liquidateur de la société Atelier B+H et aux sociétés Atelier Arcos Architecture, devenue Agence Lignes et Architectures, et Atelier B+H.

Délibéré après l'audience du 24 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 novembre 2023.

La rapporteure,

L. CHOLLET

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au préfet du Calvados en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT02908


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02908
Date de la décision : 17/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: Mme Laure CHOLLET
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : SELARL CABINET GRIFFITHS DUTEIL ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-11-17;22nt02908 ?
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